Quelle est la politique de l’Union européenne en Arctique ? une conversation avec l’ambassadeur Michael Mann
18/01/2021
Quelle est la politique de l’Union européenne en Arctique ? une conversation avec l’ambassadeur Michael Mann
18/01/2021
Quelle est la politique de l’Union européenne en Arctique ? une conversation avec l’ambassadeur Michael Mann
L’Union européenne (UE) s’est engagée en Arctique depuis 2008, pour diverses raisons environnementales, scientifiques et stratégiques, notamment pour la protection de l’environnement arctique, la lutte contre le changement climatique, la promotion de l’utilisation durable des ressources naturelles et du développement économique régional.
La politique arctique actuelle de l’Union est largement définie dans la communication conjointe de 2016 intitulée « Une politique intégrée de l’Union européenne pour l’Arctique ». Dans le contexte d’une attention géopolitique accrue pour la région, une mise à jour de la politique arctique de l’UE a été annoncée à l’automne 2019 et devrait maintenant être publiée à la fin de 2021. Alors que les questions militaires sont de plus en plus présentes dans le débat public, le Conseil de l’Arctique, principal forum de gouvernance de la région, n’a pas le mandat pour traiter les questions militaires. De plus, le changement climatique continue d’avoir un impact sur le développement économique et social, et son importance en termes de sécurité humaine doit également être prise en compte. L’UE doit réévaluer son approche face à l’évolution du paysage (politique) arctique.
En 2017, en créant le poste officiel d’ambassadeur itinérant pour l’Arctique, l’UE a marqué un tournant décisif dans ses ambitions d’accroître sa visibilité et sa participation aux affaires de la région. Après le départ à la retraite de la première ambassadrice itinérante pour l’Arctique, Marie-Anne Coninsx, en novembre 2019, Michael Mann a été nommé à ce poste, également appelé « Envoyé spécial pour les questions arctiques », en avril 2020, après avoir été ambassadeur de l’UE en Islande. Depuis avril, M. Mann a lancé des consultations publiques en vue de la révision de la politique arctique de l’UE.
Dans ce contexte, M. Mann a accepté de s’entretenir avec Le Grand continent à propos de son rôle d’ambassadeur de l’UE pour l’Arctique et des principaux aspects de l’engagement de l’UE dans l’Arctique, dans ce qui est l’un de ses plus longs entretiens en la matière. Ce fut également l’occasion d’aborder plus en détail les questions relatives à la structure institutionnelle de l’UE, à la portée géographique de l’Arctique et à la vision géopolitique de l’UE.
D’où venez-vous ? Quel était votre poste précédent et comment avez-vous commencé à travailler sur des sujets liés à l’Arctique ? Nous avons remarqué que les personnes travaillant sur l’Arctique ont souvent une relation particulière avec la région, est-ce votre cas ?
Je m’appelle Michael Mann et je suis l’ambassadeur itinérant de l’UE pour l’Arctique depuis le 1er avril 2020. Je suis également appelé « Envoyé spécial pour les questions arctiques ». De façon étrange, mon poste a deux titres. Avant cela, j’ai été ambassadeur de l’UE à Reykjavik pendant deux ans et demi. Une grande partie de mon travail concernait l’Arctique, car l’Islande préside actuellement le Conseil de l’Arctique. Mais l’Assemblée annuelle de Arctic Circle – le plus grand événement arctique du calendrier international – se tient aussi à Reykjavik chaque année en octobre, et nous avons accueilli un certain nombre de personnes venues du siège de l’UE pour cet événement. Je suppose que je suis un peu tombé amoureux de l’Arctique. Il y a quelques années, nous sommes allés en vacances en famille à Tromsø pour le Nouvel An. Nous voulions faire les activités classiques en Arctique – voir les aurores boréales et faire du traîneau à chiens. C’était un voyage vraiment fantastique et, ironiquement, après être allé à Tromsø pour voir les aurores boréales, j’ai été environ un an et demi plus tard affecté en Islande où il suffisait de regarder par la fenêtre pour les voir ! Avant l’Islande, j’ai été le chef de la communication stratégique du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) pendant sept ans. Et pendant les quatre premières années, j’étais également le porte-parole en chef de Catherine Ashton, la Haute représentante/vice-présidente. L’un des nombreux voyages que j’ai effectués avec elle était en fait un voyage organisé par les ministres des affaires étrangères de Finlande, de Suède et de Norvège pour visiter les régions arctiques de ces pays. Je me suis donc rendu à Longyearbyen dans le Svalbard, à Kiruna en Suède et à Rovaniemi en Finlande. Ce fut probablement l’un des voyages les plus agréables que j’ai pu faire durant toute la durée de mon travail pour elle.
Avant d’être en poste en Islande, j’étais surtout dans la communication. J’ai longtemps été porte-parole de la Commission pour un certain nombre de portefeuilles différents, pendant plus d’une décennie au total. Mon travail actuel concerne en partie la politique – évidemment – et nous pourrons y revenir plus tard lorsque je parlerai de la mise à jour de notre politique arctique, mais c’est aussi dans une certaine mesure un travail de communication. Je suis en train de parler avec vous, je participe à de nombreux webinaires et conférences sur la politique arctique de l’UE. Je suis d’abord allé à Bruxelles en 1993 en tant que journaliste pour un journal portant sur l’agriculture et la pêche. En fait, l’un de mes premiers emplois a consisté à aller en Norvège juste avant le référendum [de 1994] sur l’adhésion à l’UE, et de m’entretenir avec les organisations de pêche afin de savoir si elles allaient voter oui ou non. Sinon, je suis d’origine britannique, du Kent plus précisément, et j’ai aussi désormais la nationalité allemande. Je suis marié à une Allemande, je suis donc anglo-allemand maintenant. Mais comme vous pouvez le voir à ma voix, si ce n’est à mon nom, je suis britannique de par mes origines.
Que signifie l’Arctique pour vous ?
Cela signifie beaucoup de choses. C’est un endroit dont je suis tombé amoureux lorsque je suis venu le visiter. Je suis un grand amateur de la vie en plein air et de la randonnée, et je viens d’un pays où le temps est assez horrible, donc le mauvais temps et le froid ne me dérangent pas. C’est un endroit fantastique à visiter pour moi. C’est aussi bien sûr mon travail, et j’ai beaucoup de chance à cet égard. Peu de gens peuvent dire qu’ils font un travail impliquant quelque chose qui leur tient à cœur et qui les intéresse. En outre, nous parlons beaucoup en Europe du Green Deal et de la relance verte après la Covid, etc. Il n’y a pas de meilleure illustration pour moi de la raison pour laquelle nous avons besoin d’un Green Deal européen que ce qui se passe dans l’Arctique. Nous savons tous que les températures y augmentent deux fois plus vite que partout ailleurs. Rien que cette année, nous avons vu des choses absolument folles : des températures de 38°C en Sibérie, des températures atteignant plus de 20°C au Svalbard, des incendies, des marées noires en Russie parce que le permafrost dégèle, et que tout s’effondre tout simplement. Ce que l’Arctique signifie donc pour moi est une combinaison de choses : c’est un endroit que j’aime, c’est un endroit qui est fascinant, c’est mon travail mais c’est aussi une illustration concrète de la raison pour laquelle le monde doit changer, et de ce que la politique doit changer.
On vous appelle parfois ambassadeur itinérant, parfois envoyé spécial, y a-t-il une différence ? Comment voyez-vous votre rôle d’ambassadeur itinérant pour l’Arctique ?
Il s’agit en fait de titres différents pour un même travail. En réalité, mon titre interne au sein de l’organisation institutionnelle européenne est « envoyé spécial pour les questions arctiques » ; mais dans mes contacts extérieurs avec des personnes de pays tiers, j’ai par exemple le droit de m’appeler « ambassadeur itinérant » car c’est un titre que tout le monde reconnaît. Ce sont simplement deux façons d’appeler la même chose.
Je considère avoir trois principales tâches. La première est de travailler sur la politique arctique européenne. La dernière fois que l’UE a publié un document de politique sur l’Arctique, c’était en avril 2016, et beaucoup de choses ont changé depuis lors. La situation environnementale et socio-économique de l’Arctique a énormément changé. Mais l’Arctique attire également plus l’attention : plus de gens, plus d’acteurs s’intéressent à ce qui se passe dans l’Arctique. Alors que c’était auparavant une région qui préoccupait principalement les États arctiques, je pense qu’il est juste de dire qu’elle a maintenant acquis une plus grande importance géopolitique. La glace fond, de nouvelles possibilités de connectivité et de navigation sont ouvertes, etc. Il y a également beaucoup de spéculations sur l’extraction des minéraux dans l’Arctique. Une partie de mon travail consiste donc à travailler sur la politique arctique de l’UE, et nous travaillons déjà à la mise à jour de cette politique pour pouvoir être en mesure de la publier au quatrième trimestre 2021.
Mais j’ai aussi deux autres rôles. Ma deuxième tâche consiste à accroître la visibilité extérieure de ce que l’UE fait dans l’Arctique. Car très peu de gens savent que l’UE est extrêmement active dans l’Arctique, et ce de nombreuses manières différentes . Mon poste a été créé il y a seulement trois ans, et bien que ma prédécesseur a fait un excellent travail, je pense que nous devons faire beaucoup plus pour que les gens réalisent ce que l’Union européenne fait dans l’Arctique, qu’ils comprennent que l’Arctique ne doit pas être une préoccupation réservée aux seuls États arctiques. J’ai organisé quelques réunions d’information à l’intention de nos États membres pour les convaincre qu’ils doivent se préoccuper de l’Arctique, car ce qui s’y passe aura des répercussions sur tout le monde.
Mon troisième rôle consiste à travailler sur la visibilité interne des sujets liés à l’Arctique au sein de l’UE. L’actualisation de notre politique arctique figure dans le programme de travail de la Commission pour 2021, mais la réflexion arctique doit encore être davantage intégrée dans l’élaboration des politiques européennes en général. Un certain nombre de documents politiques ont été récemment publiés sur les minéraux essentiels, l’hydrogène, etc. Les gens doivent commencer à penser davantage à l’Arctique lorsqu’ils élaborent ces différentes politiques. L’Arctique doit vraiment être davantage intégré dans la réflexion de l’UE. Comme je l’ai dit précédemment, le Green Deal est la première priorité de la Commission. Mais quelle meilleure illustration de la nécessité du Green Deal que ce qui se passe dans l’Arctique ? Deuxièmement, nous avons une Commission qui se dit « géopolitique », et la situation géopolitique dans l’Arctique est extrêmement intéressante. L’intérêt géostratégique de ce qui s’y passe dans le monde entier est bien plus important. Il suffit de jeter un coup d’œil aux observateurs du Conseil de l’Arctique pour voir combien de pays s’intéressent à l’Arctique de nos jours.
Vous êtes de nationalité britannique : pensez-vous que le poste et les tâches seraient accomplis différemment par un ambassadeur venant d’un pays nordique ?
Je ne pense pas que le rôle serait différent. La façon de s’y prendre pourrait être différente, tout autant que pourraient l’être les expériences de son titulaire, mais je travaille sur la politique arctique pour le SEAE et j’ai la passion de m’assurer que je fais un bon travail. Je n’ai pas été élevé dans les régions arctiques, et je ne prétendrais pas être le plus grand expert mondial de l’Arctique avant d’accepter ce poste. Mais d’une certaine manière, venir d’un peu plus loin, permet peut-être adopter un point de vue plus objectif. Je dois également souligner que je ne travaille pas seul. Je suis entouré de collaborateurs et collaboratrices dont beaucoup sont Danois, Suédoiss, Finlandaiss, et d’autres pays européens. Si vous regardez la Commission européenne, il y a dans toutes les différentes directions générales beaucoup de personnes travaillant sur les questions arctiques, sur la science dans l’UE, les satellites ou les politiques environnementales. J’aime à penser que mon rôle est de rassembler toutes ces personnes. Je joue un rôle d’intermédiaire honnête en essayant d’avoir une vision relativement objective de ces choses.
Nous avons remarqué que par rapport à votre prédécesseur, Mme Coninxs, vous semblez avoir une approche très active et visible de la communication : s’agit-il d’une stratégie globale de l’UE ou d’une façon personnelle de travailler ? Pourquoi ?
D’une certaine manière, cela est plus facile pour moi que pour Marie-Anne [Coninxs], parce qu’à l’époque pré-Covid vous deviez prendre l’avion pour participer à une conférence. Le budget et le temps ne sont pas illimités, il est donc beaucoup plus facile pour moi de cliquer et de me connecter pour participer à un webinaire. Mais chaque institution et l’Union européenne en général s’efforcent d’améliorer la communication. Parce que nous avons pendant trop longtemps minimisé les efforts que nous fournissons, ou nous avons été trop timides pour faire connaître notre travail qui est assez impressionnant à mon avis. Mais c’est aussi une affaire personnelle ; comme vous l’avez remarqué dans mon parcours, j’ai travaillé dans la communication la plus grande partie de ma vie, et cela vient donc tout naturellement. J’ai été payé pour parler, j’aime parler. C’est donc en partie pour des raisons politiques que nous voulons mieux faire connaître ce que nous faisons dans l’Arctique, mais c’est aussi parce que j’aime ça.
Que pensez-vous de l’engagement de l’UE dans l’Arctique jusqu’à présent ? Qu’est-ce qui a été positif ou négatif ? Pourquoi ?
Je pense que, d’une manière générale, il a vraiment été positif. Évidemment on s’attend à ce que je dise cela, mais je pense aussi que c’est vrai. J’ai été surpris, lorsque j’ai accepté ce poste, de voir tout ce que l’UE fait dans l’Arctique. Beaucoup de gens se demandent pourquoi l’UE s’intéresse à l’Arctique. Je vois quatre raisons principales évidentes : (1) nous sommes dans l’Arctique, puisque trois de nos États membres sont des États arctiques ; (2) nous sommes un grand consommateur de ressources arctiques ; (3) étant une zone industrielle majeure, nous sommes également l’une des causes du changement climatique dans l’Arctique ; (4) nous sommes également un leader mondial en matière d’actions de lutte contre le changement climatique. Il y a donc de nombreuses raisons pour lesquelles nous devrions nous intéresser à l’Arctique. Je dirais également que notre activité dans l’Arctique a été sans équivoque positive si vous regardez par exemple les recherches scientifiques que nous avons menées. L’expédition Mosaic – qui vient de revenir – a été en partie financée par l’UE, et a accueilli de nombreux scientifiques européens de haut niveau. Nous sommes également un leader mondial dans la lutte contre le changement climatique, mais il faut faire une distinction entre ce que nous faisons au niveau mondial sur le changement climatique et ce que nous faisons spécifiquement dans l’Arctique. Ce n’est pas l’Arctique qui provoque le changement climatique et la fonte de la glace arctique, c’est ce qui se passe à l’extérieur qui en est la cause. Nous travaillons beaucoup au niveau mondial dans le cadre du processus de Paris pour lutter contre le changement climatique, mais dans l’Arctique, nous agissons également à un micro-niveau. Par exemple, l’UE participe aux travaux sur le carbone suie. L’UE travaille également sur le développement durable. C’est un mot très à la mode, mais qu’est-ce que cela signifie réellement ? Cela signifie que le développement économique a lieu et doit avoir lieu dans l’Arctique, car des gens y vivent. Les habitants de l’Arctique doivent pouvoir avoir des aspirations socio-économiques, mais cela doit être fait de manière durable. Non seulement durable sur le plan environnemental, ce qui est bien sûr très important, mais aussi durable sur le plan socio-économique. Cela signifie que nous devons veiller à ce que la richesse extraite des ressources de l’Arctique ne quitte pas l’Arctique, mais qu’elle alimente les populations qui y vivent, les populations autochtones et les populations locales. La troisième priorité de la politique arctique de l’UE, outre le changement climatique, la protection de l’environnement et le développement durable, est la coopération internationale. L’UE est le grand champion du multilatéralisme et nous faisons tout notre possible pour que les questions qui touchent l’Arctique soient traitées dans le cadre de la coopération internationale. Il y a en ce moment beaucoup de battage médiatique sur le renforcement de la présence militaire dans l’Arctique, et les gens se demandent si nous nous dirigeons vers un affrontement militaire dans la région. Un renforcement militaire a bien lieu ; les Russes ont restauré certaines de leurs bases militaires de la guerre froide, l’OTAN a réagi et des exercices militaires ont été menés. Les Américains ont été, sous l’administration Trump, relativement durs sur ce point. Cependant, notre analyse jusqu’à présent est que nous ne nous dirigeons pas vers un conflit militaire dans l’Arctique. Il ne s’agit pas de tensions causées dans l’Arctique, mais plutôt du reflet de la position mondiale des puissances mondiales en dehors de l’Arctique. Pour revenir à votre question, je pense que nous n’avons eu qu’une influence positive sur l’Arctique. Le début de notre engagement politique sur les questions arctiques n’a pas toujours été facile. Je me souviens avoir entendu à l’époque que le Parlement européen avait suggéré que l’Arctique soit traité de la même manière que l’Antarctique avec la déclaration d’une sorte de zone protégée au niveau mondial. Mais l’Arctique et l’Antarctique sont bien sûr complètement différents. L’Arctique est en partie le territoire souverain de huit pays. C’était donc un faux départ. Mais je pense que les débats au Parlement européen ont évolué depuis. Nous devons maintenant mettre à jour notre politique pour l’adapter à ce qui a changé au cours des quatre dernières années.
Cependant, l’impact de l’interdiction des produits dérivés du phoque en 2008 a affecté les communautés autochtones et a conduit beaucoup de personnes à remettre en question le rôle de l’UE dans l’Arctique. Peut-être n’a-t-on pas suffisamment tenu compte du rôle et des connaissances des peuples autochtones. L’interdiction peut-elle être considérée comme un aspect négatif de l’action de l’UE an Arctique ?
C’est un point intéressant. J’aurais dû dire que nous nous rendons compte qu’il est extrêmement important de prendre en compte les populations autochtones, non seulement parce que c’est la bonne chose à faire, mais aussi parce qu’elles ont des connaissances et de l’expérience. Nous avons été très enthousiastes et très déterminés à faire en sorte de réellement tenir compte des points de vue des populations autochtones. Nous organisons le dialogue des peuples autochtones depuis 2010. D’après les commentaires que je reçois des différents groupes autochtones avec lesquels j’ai parlé, ils sont très reconnaissants et apprécient vraiment que nous les prenions au sérieux. Mais il est important pour nous de ne pas se contenter de faire de beaux discours. L’interdiction des produits dérivés du phoque est un cas intéressant. L’UE n’est pas un observateur officiel au Conseil de l’Arctique. Nous avons au départ été bloqués par le Canada en attendant la résolution d’un différend sur cette interdiction des produits dérivés du phoque. Ce problème a été réglé par une dérogation pour les produits autochtones, mais nous sommes maintenant bloqués pour une autre raison. En réalité, cela n’empêche pas vraiment notre engagement positif au sein du Conseil de l’Arctique, car l’UE s’est vu accorder le statut d’observateur de facto, ce qui constitue une reconnaissance de la part des différentes présidences du Conseil de l’Arctique de la participation utile de l’UE. Il est malheureux que l’interdiction des produits dérivés du phoque ait entaché nos relations en aval. Il existe désormais une dérogation qui permet aux produits dérivés du phoque étiquetés comme autochtones d’entrer dans l’Union européenne, mais je pense que nous devons également nous rappeler que les décideurs européens prennent des décisions au nom de leurs citoyens. Et les citoyens de l’UE ont bien sûr des opinions variées, ils sont plus de 500 millions après tout. Mais nous ne pouvons pas ignorer le fait que le consensus à l’époque et aujourd’hui semble être que les gens ne veulent pas vraiment acheter de produits dérivés du phoque en Europe. Nous sommes donc tout à fait conscients des besoins des personnes qui en ont tiré un moyen de subsistance traditionnel, et c’est pourquoi nous avons accordé une dérogation pour leur permettre de le faire. Nous ne serions absolument pas favorables à ce que l’on porte atteinte aux moyens de subsistance des peuples autochtones, mais nous avons d’un autre côté une autre circonscription, celle des citoyens européens, qui nous demande également d’agir. Il s’agit donc d’un acte difficile d’équilibre politique.
Il semble y avoir un certain désintérêt parmi les fonctionnaires de Bruxelles quant à l’importance politique et stratégique de l’Arctique, ce qui pourrait entraver une meilleure intégration interinstitutionnelle de ces problématiques. Comment les responsabilités relatives aux questions arctiques sont-elles réparties au sein des institutions concernées, entre les différentes directions générales, par exemple ? Le processus d’attribution des responsabilités en matière de questions arctiques a-t-il changé depuis 2008 ?
Comme nous le savons, l’Union européenne est une bête très compliquée. Elle est en partie intergouvernementale et en partie communautaire, ce qui la rend très difficile à gouverner. Mais le problème fondamental ou le point de départ est que la politique arctique de l’UE est une soft politique, une politique « molle ». Il n’est dit nulle part dans les traités qui régissent l’Union européenne « nous aurons une politique arctique et nous devons réaliser les choses suivantes a, b, c. ». De même, l’Arctique n’est pas spécifiquement identifié dans aucun des principaux cadres financiers pluriannuels. Il n’y a pas de ligne budgétaire spécifique pour l’Arctique. Nous avons donc mené la politique arctique avec une approche globale. Notre politique arctique est soft. Nous n’avons jamais eu de stratégie assortie d’un plan d’action avec des objectifs distincts que nous devons atteindre, car la base juridique pour cela est tout simplement inexistante. Ce que nous devons donc faire dans le cadre de notre politique arctique est donner une impulsion aux différentes politiques menées dans les différents services de la Commission. Et espérer que cela contribuera ainsi à une approche plus efficace et plus engagée dans l’Arctique.
Comme je l’ai déjà mentionné, une quinzaine de directions générales de la Commission (DG) sont activement engagées dans l’Arctique. Que ce soit la nouvelle DG DEFIS, qui s’occupe de la politique spatiale et qui est en charge de Copernic et de Galileo, ou la DG RTD et le CCR, qui s’occupent de la science et des programmes Horizon 2020 ; la DG CLIMA, qui s’occupe des négociations internationales sur l’accord de Paris, et la DG ENV qui dirige les projets sur le carbone suie que nous réalisons. Ainsi, il y a des personnes dans toute la Commission qui travaillent sur l’Arctique, et nous devons simplement les rassembler. À Bruxelles, nous avons un groupe interservices pour les questions arctiques qui réunit régulièrement tout le monde. Ce groupe est présidé par moi-même et mon homologue, le Commissaire de la DG MARE. Le dossier de la politique arctique est co-dirigé par le SEAE pour les aspects « géopolitiques » ou de politique étrangère, et la DG MARE qui représente la Commission. Nous allons co-signer le nouveau rapport – le nouveau document politique – avec la DG MARE, avec la contribution des différentes DG. Le commissaire Sinkevicius, par exemple, qui est chargé des affaires maritimes et environnementales et, par définition, des questions arctiques, a parlé lors du symposium Arctic futures qui s’est tenu à Bruxelles fin novembre 2020. Il y a aussi, bien sûr, un intérêt pour le haut représentant/vice-président pour qui je travaille. Il y a aussi des aspects géopolitiques et de politique étrangère de la politique arctique, qui est donc une responsabilité commune. L’élaboration de la politique arctique est donc menée conjointement. La façon dont cela fonctionnera – la façon dont cela fonctionne – est que nous travaillons ensemble, avant d’aller voir les différentes DG et obtenir leur contribution, parce qu’évidemment nous n’avons pas assez de connaissances sur ce que la DG GROW fait sur les minéraux stratégiques ou ce que la DG DEFIS fait sur les satellites. Il s’agit d’un effort collectif.
J’ai été un peu surpris par le peu de mention de l’Arctique lors des auditions de la commission du Parlement européen, au moment de l’approbation de la nouvelle Commission. Je reconnais qu’il y a du travail à faire pour faire connaître l’Arctique un peu mieux en interne. Comme je l’ai déjà dit deux fois, l’Arctique est une parfaite illustration de la nécessité de la commission géopolitique et du Green deal. Cependant, il n’y a pas de délégation parlementaire pour l’Arctique en ce qui concerne les autres institutions, mais il y a une délégation parlementaire pour les affaires nordiques. Il existe également le groupe d’amitié du Parlement européen présidé par M. Paet, ancien ministre des affaires étrangères d’Estonie. Aujourd’hui, un groupe de 49 députés européens a écrit au président Von der Leyen au début de son mandat pour lui dire que nous devons nous intéresser davantage à l’Arctique et nous y engager davantage. Elle a répondu très positivement, en annonçant la mise en place d’une politique actualisée. En ce qui concerne le Parlement, il y a aussi la commission des affaires étrangères. J’ai parlé à David MacAllister, le président de la commission des affaires étrangères, très engagé sur l’Arctique. J’ai remarqué que le rapport du Parlement mentionnait spécifiquement un engagement plus important en faveur de l’Arctique lorsque le SEAE a obtenu sa décharge budgétaire l’année dernière. Et c’était grâce à la commission des affaires étrangères. Et il n’y a pas non plue de groupe dédié à l’Arctique au sein des groupes de travail du Conseil, le groupe COEST qui s’occupe des affaires de l’Europe de l’Est. J’ai parlé au COEST, car ils couvrent également l’Arctique. J’ai également parlé au Comité politique et de sécurité de notre mise à jour de la politique arctique. Il y a donc un intérêt certain pour la région. Et mon rêve serait – je ne sais pas si cela va se produire – qu’il y ait une discussion sur l’Arctique au sein du Conseil des affaires étrangères, à un moment donné. Il est clair que les conclusions du Conseil de décembre dernier ont été l’un des principaux moteurs de notre politique actualisée. Je dois dire que la présidence finlandaise nous a beaucoup aidés en nous invitant à actualiser notre politique. Il y a donc un certain nombre de choses différentes qui se passent, et je pense que la création de ce rôle d’ambassadeur de l’Arctique en 2017 était en partie pour augmenter la visibilité extérieure mais aussi pour avoir une certaine cohérence interne dans les institutions européennes.
Vous avez mentionné le groupe de travail COEST. Serait-il possible et bénéfique de créer un groupe de travail du Conseil spécifique à l’Arctique ?
De mon point de vue, oui. Mais je dois encore une fois tempérer mon opinion personnelle en me demandant si cela est simplement parce que je travaille à plein temps sur l’Arctique, ou si cela est vraiment justifié. Je dirais que c’est le cas, parce qu’il y a une reconnaissance générale de l’importance croissante de l’Arctique. De plus en plus de gens s’y intéressent. J’y serais favorable, mais là encore, ce n’est pas vraiment ma décision. Je ferais peut-être cette recommandation si quelqu’un me le demandait. Mais le COEST se réunit chaque semaine. Je ne sais pas vraiment si la réunion aussi fréquente d’un groupe de travail sur l’Arctique pourrait être justifié. Mais mon point de vue personnel est oui.
La géographie est un angle mort de l’UE, car l’UE a été perçue comme un projet – comme une idée – et elle a donc eu du mal à se positionner par rapport aux régions voisines, notamment l’Arctique. Cependant, en Arctique, « la géographie compte » car l’Arctique est une région si spécifique avec différentes sous-régions et différents statuts juridiques, des États souverains à la haute mer internationale. L’argument actuel est de souligner le fait que « l’UE est dans l’Arctique » parce que les États membres nordiques de l’UE ont une partie de leur territoire dans l’Arctique. En outre, l’UE a également un impact supplémentaire dans l’Arctique par l’intermédiaire de pays étroitement associés tels que la Norvège et l’Islande. Ainsi, les frontières entre les deux régions, entre l’Europe et l’Arctique, sont floues. Nous aimerions connaître votre avis sur les raisons pour lesquelles l’Arctique n’est pas considéré comme un voisinage à l’instar des voisinages de l’Est ou du Sud. Voyez-vous un avantage à ce que l’UE se positionne à l’extérieur et considère l’Arctique comme un voisinage plutôt que de s’y voir à l’intérieur ? Les États membres du Sud sont-ils vraiment dans l’Arctique ? Comment l’UE peut-elle susciter l’intérêt de Chypre, par exemple, pour les questions arctiques ?
C’est une question très intéressante. Je pense que la question de la géographie est un peu délicate, parce que, comme vous le savez, nous sommes présents dans l’Arctique, mais je pense qu’il est erroné de penser à l’Arctique simplement comme la zone au-dessus des 66 degrés [le cercle polaire]. L’Arctique signifie différentes choses pour différentes personnes, et donc aussi pour différents pays. Ce n’est pas une région géographique solidement ancrée et délimitée, mais tout le monde sait bien sûr ce que nous voulons dire. Je n’ai pas le droit de parler de l’Arctique, je dois parler des régions arctiques, des questions arctiques ou des problèmes arctiques. Parce qu’il y a des choses qui se passent dans l’Arctique, mais qui ne sont pas vraiment causées par des choses qui sont faites en Arctique – le changement climatique, par exemple. En outre, certaines choses étaient autrefois traitées uniquement par les États arctiques, et ils ont toujours un rôle de premier plan dans les questions arctiques, bien sûr comme cela se doit parce que ce sont les États souverains en Arctique. Mais certaines choses se passent au-delà des frontières – des frontières strictes – de l’Arctique et c’est là que l’UE intervient. Il y a un appel – une reconnaissance – pour que l’Union européenne et d’autres acteurs non arctiques aient un rôle en Arctique, parce que les questions, les problèmes et les défis de Arctique ne s’arrêtent pas dès que vous dépassez le sud de l’Islande. Cela m’amène à répondre à l’autre partie de votre question, « comment pouvons-nous susciter l’intérêt des États membres du Sud » ? Ils sont intéressés, en fait. J’ai été assez surpris de constater, lorsque j’ai pris la parole au sein du COEST et du COPS (Comité politique et de sécurité), que dans les deux cas, quinze pays se sont exprimé, et qu’il ne s’agissait pas uniquement de pays du Nord. Je pense que les gens reconnaissent les changements en cours en Arctique. C’est un vieux cliché rebattu, mais ce qui se passe dans l’Arctique ne reste pas en Arctique – et cela est maintenant reconnu. Si vous êtes les Pays-Bas, il est évident que le changement climatique va avoir un effet sur votre pays. Mais même dans le sud, il y a des situations météorologiques extrêmes à cause du changement climatique. Vous pouvez acheter du poisson islandais dans les supermarchés en Espagne – cela semble fou, mais c’est le cas. Je dois être un peu prudent ici parce que nous avons une « politique de voisinage » et je ne suis pas un politicien, je suis un bureaucrate, donc je ne peux pas soudainement vous déclarer aujourd’hui que l’Arctique devrait être considéré comme un voisinage. Parce que c’est un voisinage, mais nous sommes aussi dans l’Arctique ; ce n’est donc pas la même chose que les voisinages de l’Est ou du Sud. Parce que nous y sommes dans une certaine mesure. Mais nous n’avons pas de label officiel pour désigner l’Arctique et les États arctiques.
Nous pouvons malgré tout coopérer avec les États de l’Arctique de manière très étroite. Je veux dire, regardons la Russie. Nous n’avons pas les relations les plus chaleureuses du monde avec la Russie. Nous avons nos problèmes avec la Russie, mais en Arctique, il y a, plus que partout ailleurs, une véritable coopération pratique qui se poursuit avec ce pays – en particulier sur les questions environnementales. Nous avons ce que nous appelons le cadre politique de la Dimension septentrionale. Dans ce cadre, nous travaillons sur les questions environnementales, sur le carbone suie, sur les déchets nucléaires. Il y a également des projets d’infrastructures de transport, des projets culturels et des projets sur la santé. Je pense que nous pouvons avoir une bonne coopération, pragmatique et vraiment significative, sans pour autant lui donner un label. La politique arctique de l’UE complète en quelque sorte les politiques arctiques nationales des États arctiques. Mais si vous regardez aussi ailleurs en Europe, l’Italie a une politique arctique, l’Espagne a une politique arctique, les Pays-Bas viennent de publier leur nouvelle politique arctique – ou sont sur le point de le faire. Il y a donc des gens qui sont intéressés. Et il y a des experts scientifiques de toute l’Union européenne qui travaillent dans l’Arctique.
Pensez-vous que l’UE complète les politiques nationales de l’Arctique plutôt que d’avoir sa propre politique ?
Non, nous avons bien la nôtre. Nous avons un rôle différent en Arctique, je pense. Il est évident que les Finlandais, les Suédois et les Danois ont un intérêt national en Arctique, parce qu’ils sont dans l’Arctique. Et une grande partie de ce que nous faisons reflète ce qu’ils font, mais il y a aussi de grandes distinctions. Parce que, bien sûr, les Danois peuvent écrire sur la sécurité dans leur politique arctique. L’Union européenne n’a pas de compétences selon les Traités en matière de sécurité. Il y a des choses que nous pouvons faire pour compléter ce que font les États membres. Il y a des choses que nous pouvons faire qui n’ont aucun rapport avec ce que font les États membres. Il y a certaines choses que les États membres font et que nous ne pouvons pas faire. Donc, pour nous, la clé – et j’anticipe peut-être vos questions – est de trouver le bon équilibre entre principe de précaution et protection de l’environnement en Arctique, et une forme de développement durable qui a du sens. Nous n’allons pas arrêter les activités économiques en Arctique, et nous ne devrions pas le faire non plus : parce que les gens doivent y vivre et avoir des moyens de subsistance. Mais nous pouvons faire en sorte que – dans la mesure où les traités nous le permettent – cela se fasse d’une manière qui soit écologiquement durable, mais qui permette aussi à l’économie interne des régions arctiques de se développer en donnant un avenir aux gens. Et les lois que nous adoptons sont directement applicables au Danemark, en Suède et en Finlande, mais elles le sont aussi, dans une certaine mesure, en Norvège et en Islande en raison de l’accord sur l’Espace économique européen. Nous sommes donc également très influents sur le plan juridique. Nous pouvons essayer, je l’espère, de défendre les meilleures normes, les normes les plus élevées possibles, qu’il s’agisse de filtres pour les usines ou de tout autre chose. Je vois l’Arctique comme une sorte de banc d’essai pour les technologies qui seront indispensables dans la transition verte partout dans le monde, et j’espère que nous pourrons réellement y parvenir. Si nous pouvons défendre ces choses en Arctique, et il y a déjà beaucoup de bonnes choses qui se passent, alors cela peut être un exemple non seulement pour les autres pays de l’Arctique, mais aussi pour le reste du monde et pour le reste de l’Europe en ce qui concerne la transition verte.
D’une certaine manière, il semble un peu paradoxal que l’UE soit qualifiée d’acteur non arctique et doive demander le statut d’observateur comme la France, alors que vous dites que l’UE est dans l’Arctique. Comment l’UE pourrait-elle rationaliser son rapport ou mieux se positionner par rapport à l’Arctique ou aux régions arctiques ? Les États-Unis, par exemple, ne revendiquent pas une identité arctique parce que le Texas consomme des produits arctiques, bien que l’État de l’Alaska leur fournisse un littoral dans la région. Les comparaisons entre les États-Unis et l’UE ne sont pas parfaites, bien sûr, notamment parce que l’UE n’est pas un État fédéral et que son statut sui generis est plus complexe.
Eh bien, trois de nos pays membres font partie du Conseil de l’Arctique. Et l’UE n’est pas un pays non plus ; nous ne sommes même pas une organisation internationale comme les autres. Nous sommes uniques, en partie intergouvernementaux et en partie « communautaires ». Il n’y a même pas un mot anglais pour cela ! Nous sommes un hybride. Ce qui compte donc pour nous est de pouvoir réellement travailler en Arctique ; et notre « arcticité », si ça se dit, ou disons notre caractère arctique ne s’exprime pas seulement par notre appartenance au Conseil de l’Arctique. Nous sommes actifs en Arctique, parce que nous avons des lois qui s’appliquent à une partie de l’Arctique, parce que nous pêchons dans l’Arctique, parce que nous utilisons le pétrole et le gaz de l’Arctique, parce que nous réchauffons l’Arctique, malheureusement. Le Conseil de l’Arctique n’est pas l’alpha et l’oméga de l’Arctique. C’est une organisation fantastique, mais il y a beaucoup d’autres mécanismes de coopération en plus du Conseil de l’Arctique. Il y a le Conseil Euro-arctique de Barents, il y a la Dimension septentrionale. Il y a le Conseil des États de la mer Baltique, et toutes sortes de forums dans lesquels nous sommes impliqués. Et il y a également l’accord sur la pêche [l’accord sur l’interdiction de la pêche non-régulée dans l’océan arctique central], que j’aurais dû mentionner dans mon introduction car c’est une chose très importante. Nous avons contribué à la négociation de l’accord, qui est une réalisation majeure de la diplomatie internationale. Malgré le fait que nous ayons des problèmes avec ces pays dans d’autres parties du monde, nous avons pu nous mettre d’accord sur un moratoire sur la pêche dans l’océan Arctique central. Et nous avons une grande expérience dans la résolution des problèmes politiques liés à la pêche. Cet accord est un bon exemple de la manière dont il est possible de faire des affaires à l’échelle multinationale dans l’Arctique et de réussir. Nous devons juste espérer que tous les pays le ratifient… Il y en a encore un qui ne l’a pas ratifié, mais je pense que cela se fera bientôt.
La politique arctique de l’UE peut être assez déroutante, pour beaucoup en raison des différents niveaux d’élaboration des politiques. L’UE doit continuer à faire preuve d’équilibre et à prendre en considération les difficultés internes, externes, les compétences, etc. Compte tenu du débat actuel sur l’« autonomie stratégique » de l’UE, de nombreuses questions semblent être en jeu avec des significations différentes selon les personnes. Comment la future politique arctique de l’UE s’inscrit-elle dans cette quête d’autonomie stratégique ? Comment l’UE élabore-t-elle une nouvelle stratégie arctique, tout en gardant à l’esprit qu’il existe des objectifs d’autonomie stratégique, et dans quelle mesure ces objectifs interagissent-ils ?
Il est un peu tôt pour le dire, car nous n’avons pas encore rédigé la politique en la matière. Dans de nombreux webinaires et conférences, on me demande souvent si on se dirige vers un conflit en Arctique. Ma réponse est la suivante : a) je pense que c’est exagéré, cela reflète davantage la compétition des grandes puissances ailleurs que dans l’Arctique ; b) je dois dire aux gens qu’il n’est pas de la compétence de l’UE de rédiger une politique arctique axée sur la défense et la sécurité. Bien sûr, nous ne pouvons pas non plus l’ignorer. Mais pour nous, la sécurité prend un sens large. Je pense que nous devons prendre en compte une définition plus large de la sécurité, y compris la sûreté. Nous savons par exemple qu’il n’y a pas suffisamment de capacités de sauvetage dans de vastes zones de l’Arctique. Si vous êtes un pêcheur et que vous vous perdez, c’est un problème pour vous, votre famille et votre port d’attache. Si un méthanier a des ennuis, c’est potentiellement une énorme urgence environnementale. Si un navire de croisière avec 5 000 citoyens européens à son bord disparaît dans l’océan arctique, c’est un problème majeur pour 5 000 familles et une vingtaine de pays. Si un sous-marin nucléaire coule, vous avez un problème majeur en termes de pollution environnementale, de tensions géostratégiques, etc. Nous devons donc adopter une définition plus large de la sécurité lorsque nous rédigeons une politique arctique. Il pourrait s’agir de sécurité environnementale, de sécurité sanitaire, etc. La crise sanitaire a fait réagir le monde sur les questions de santé. Et il y a aussi le dégel du permafrost qui libère des bactéries et des virus qui sont gelés depuis des centaines d’années, alors que les cerfs et les ours sont déterrés. Il y a donc aussi la dimension environnementale. Je n’essaie pas d’éviter votre question clé. C’est juste que nous devons faire très attention à connaître les limites de nos compétences, tout en traitant cette question de l’autonomie stratégique. Je ne vais pas parler des armées et des forces de défense car cela reste en dehors de nos compétences. Il existe des projets dans le cadre du fonds de défense de l’Union européenne pour la recherche sur des armes adaptées aux températures polaires extrêmes. Ce n’est pas spécifique à l’Arctique, mais cela existe. L’autonomie stratégique a aussi d’autres significations. Par exemple, nous essayons de faire une transition verte et, pour l’instant, une grande partie des minéraux rares nécessaires aux technologies permettant cette transition verte sont largement produits en dehors de l’UE, principalement en Chine. La question est maintenant de savoir si nous pouvons devenir plus autonomes stratégiquement à cet égard. Je rencontre des groupes d’entreprises arctiques qui me disent « nous avons besoin d’aide pour extraire [les minéraux] afin de devenir moins dépendants ». En ce qui concerne la transition énergétique, il y a beaucoup de choses qui se passent actuellement, mais nous sommes encore très dépendants des hydrocarbures provenant de régions du monde qui ne sont pas nécessairement très stables. Donc, encore une fois, si nous pouvons faire de la transition vers l’énergie verte une réalité, en partie grâce à des projets développés dans l’Arctique, c’est une autre bonne chose.
L’autonomie stratégique semble signifier davantage que les seules capacités de défense ; elle fait également référence à la capacité d’agir de manière indépendante sur certaines questions dans certains contextes. Voyez-vous l’Arctique comme un moyen pour l’UE de promouvoir et de garantir une autonomie stratégique sans politique militaire ?
Oui, je le pense, notamment en termes de transition énergétique et en termes de minéraux essentiels dont nous avons besoin. Encore une fois, ce n’est pas le rôle de l’UE ni de sa politique arctique de dire « nous devrions arrêter d’extraire des minéraux rares au Groenland », ce n’est pas notre affaire. Mais nous devrions être en mesure de fournir un cadre aux entreprises qui veulent le faire – et qui pourraient peut-être le faire – mais aussi le faire de la manière la plus durable possible sur le plan environnemental. Ce n’est pas notre rôle de dire « vous devriez faire ceci » ; c’est notre rôle de fournir un cadre pour permettre que cela se fasse si c’est ce que les gens veulent faire.
Comment la situation actuelle avec la Russie affecte-t-elle la nouvelle politique arctique de l’UE ? Comment l’UE se prépare-t-elle à la présidence russe du Conseil de l’Arctique en 2021 ?
Il est clair que nous n’avons pas les meilleures relations avec la Russie dans de nombreuses régions du monde. Bien sûr, nous avons le régime de sanctions en place depuis l’annexion de la Crimée et les difficultés causées en Ukraine orientale. Et la relation n’est pas aussi bonne qu’elle pourrait ou devrait l’être. Cela étant dit, nous avons une très bonne coopération pratique avec la Russie. Encore une fois, tout ce que nous faisons avec la Russie en Arctique doit être conforme aux principes de notre engagement avec la Russie, et doit également être bénéfique pour l’UE. Ainsi, nous coopérons avec la Russie dans le cadre de la Dimension septentrionale, sur le traitement des déchets nucléaires et sur la réduction du carbone suie. Il y a aussi les questions de transport, de coopération en matière de contacts interpersonnels et dans le domaine de la santé. Ce n’est pas du tout parfait, elle n’est pas aussi étendue qu’elle l’était autrefois ; mais ce qui est formidable dans la façon dont nous travaillons avec la Russie en Arctique, c’est qu’il existe encore des mécanismes par lesquels nous effectuons un travail pratique qui profite aux deux parties.
En ce qui concerne la présidence russe du Conseil de l’Arctique, nous espérons et anticipons que nous serons en mesure de jouer le rôle très utile, pratique et pragmatique que nous jouons actuellement au sein du Conseil de l’Arctique. Nous ne sommes pas des observateurs officiels, mais nous avons été en mesure d’agir de la même manière qu’un observateur agit. Mi-novembre 2020 s’est tenu par exemple une réunion des hauts fonctionnaires de l’Arctique, en ligne cette fois-ci, et j’ai participé à l’événement organisé pour les observateurs comme si j’étais un observateur. Nous avons pu écouter toutes les sessions de la même manière que n’importe quel observateur. Nous espérons que cela continuera. La Russie a établi un programme pour la présidence du Conseil de l’Arctique qui couvre entre autres les peuples autochtones et le développement durable. Il couvre un grand nombre de questions qui nous intéressent également. Nous espérons donc que tout se passera bien, que nous pourrons continuer à apporter une bonne contribution au Conseil de l’Arctique. Mais la pandémie de Covid-19 aura-t-elle disparu d’ici là ou non ? Je veux dire que la présidence islandaise est très affectée par tout cela, et il n’y a pas eu de réunion en Islande depuis très longtemps. Il faut donc espérer que les choses s’amélioreront sur le front de la crise sanitaire avant que les Russes ne prennent la présidence.
L’administration Trump a mis en avant certaines zones de tension en Arctique, et a été critique sur le changement climatique. Avez-vous des attentes vis-à-vis de la prochaine administration américaine en termes de coopération et de politique arctique ? Comment voyez-vous l’avenir de la politique américaine dans l’Arctique ?
Je pense qu’il est trop tôt pour le dire, mais nous pouvons faire une bonne estimation. La première chose que je dois dire est qu’en tant que fonctionnaire, bureaucrate, je dois faire preuve de diplomatie dans la façon dont je réponds à de telles questions. Mais il est clair que l’administration Trump avait un point de vue particulier sur le changement climatique et que l’administration Biden a un point de vue différent, et c’est évidemment très bien que les États-Unis ré-intègrent l’Accord de Paris. C’est une nouvelle fantastique et nous nous en réjouissons. Sur le plan technique et diplomatique, nous avons très bien travaillé avec les États-Unis au cours des quatre dernières années, car ils ont des fonctionnaires en place qui travaillent sur l’Arctique et qui ont continué à être très coopératifs dans de nombreux domaines. Il y avait cependant des divergences d’opinion entre l’UE et l’administration américaine précédente (bientôt) sur le changement climatique. Comme je l’ai dit, lorsque les États-Unis reviendront dans l’Accord de Paris et qu’ils reconnaîtront les éléments anthropiques du changement climatique, cela ne pourra donc qu’être une chose positive. De toute évidence, lors de la réunion ministérielle de Rovaniemi, la déclaration du secrétaire d’État [Pompeo] a fait grand bruit. Il y a aussi eu l’échec de la déclaration ministérielle parce que les autres parties voulaient mentionner le changement climatique dans la déclaration. J’espère que cela sera également surmonté à l’avenir. J’ai remarqué que dans de nombreux discours récents sur l’Arctique, l’administration américaine a beaucoup parlé de la Chine et de la menace qu’elle constituait. Ils ne sont pas d’accord avec l’idée que la Chine soit un État « proche de l’Arctique ». Leurs commentaires sur l’Arctique ont reflété leur attitude générale à l’égard des ambitions mondiales de la Chine. Je ne pense pas encore une fois qu’il soit possible à l’heure actuelle de prédire comment la nouvelle administration américaine se positionnera sur la question de la Chine. Au moins, la nouvelle vraiment positive est qu’ils vont ré-intégrer le processus de Paris et qu’ils commencent à travailler avec nous non seulement au niveau technique diplomatique, mais aussi au niveau politique dans la lutte contre le changement climatique.
L’UE va-t-elle renforcer son engagement scientifique dans l’Arctique ? Comment ?
La science est une grande réussite de l’engagement de l’UE en Arctique. Nous avons dépensé environ 200 millions d’euros au cours des sept dernières années pour la science arctique. Nous avons également mis en place un certain nombre de coopérations et d’opérations scientifiques internationales. Il y a eu beaucoup de très bons travaux réalisés avec des partenaires venant de nombreuses régions arctiques. En fait, le niveau de la science arctique s’est élevé ces dernières années. Depuis 2018, la science arctique a connu une plus grande poussée : des initiatives telles que le réseau PolarNet de l’UE en cours de création, ou notre aide à l’expédition MOSAiC, etc. Si vous prenez également en compte l’aspect satellite, le programme Copernicus, il y a un engagement massif de l’UE en faveur de la science. Dans le cadre financier pluriannuel initial pour 2021-2027 proposé par la Commission, il était proposé d’augmenter le budget d’Horizon 2020 (aujourd’hui appelé Horizon Europe) de 20 %. Lorsque l’accord final a été conclu, je ne pense pas que nous ayons obtenu autant que nous le voulions, mais c’est la nature de la bête : la proposition initiale de budget n’est jamais vraiment l’accord final qui est atteint. Mais il est certain que le prochain budget pluriannuel prévoit plus d’argent pour Horizon Europe que pour Horizon 2020, comme vous l’avez peut-être vu dans l’accord budgétaire conclu début novembre 2020 par les trois institutions à Bruxelles. L’UE s’est également engagée à ce que 30 % de cet argent soit consacré à des projets et des activités scientifiques liés aux actions de lutte contre le réchauffement climatique. Je pense honnêtement qu’une grande attention est également portée à la protection de la biodiversité, autre question importante dans l’Arctique. Je pense que l’avenir est en ce sens prometteur. Je pense que nous avons obtenu plus d’argent pour la recherche scientifique dans l’Arctique, et, probablement, un engagement politique plus important. Maintenant que nous avons un accord entre les institutions sur le cadre financier pluriannuel, il est temps pour la DG CCR et la DG RTD d’élaborer réellement leurs programmes de travail. Cela n’est pas encore fait. Mais je pense que nous allons assister à un engagement encore plus important en faveur de la science arctique. Les effets négatifs de ce qui se passe dans l’Arctique auront au moins eu un effet positif, à savoir que les gens s’en rendent compte maintenant. Cela ne peut être qu’un résultat positif en termes de notre niveau d’engagement pour la recherche scientifique en Arctique. En outre, l’expédition MOSAiC – au demeurant fascinante – a rapporté beaucoup de données, ce qui donne quelque chose de vraiment solide sur lequel baser les futurs travaux. Je pense qu’il y aura un engagement encore plus grand pour la science arctique à l’avenir.
Comme vous l’avez mentionné, la science est un moyen de produire des connaissances sur l’environnement et sur le changement climatique dans l’Arctique. La science est-elle aussi un outil diplomatique ou politique pour l’UE ? Un moyen de participer à la gouvernance de l’Arctique et de coopérer avec les États arctiques ?
Oui, tout à fait, j’aurais dû le mentionner. En fait, j’ai pris la parole lors de l’ouverture de la semaine européenne des sciences polaires en octobre 2020. J’ai notamment fait remarquer que la science ne se fait pas pour elle-même. Je parlais à un public de scientifiques ; les gens doivent comprendre que c’est par ce biais que l’UE obtient un profil arctique dans les affaires arctiques. De plus, nous faisons de la recherche scientifique à travers plusieurs canaux, nous ne gardons pas notre recherche scientifique pour nous. Nous travaillons avec la Chine, avec la Russie, avec les États-Unis, avec le Canada, dans tous les domaines de la recherche scientifique internationale. Il suffit de voir combien de personnes étaient à bord de cette expédition MOSAiC, de combien de pays différents les gens venaient. C’est vraiment une affaire internationale, car le monde entier se rend compte de l’importance de comprendre ce qui se passe en Arctique. Notre engagement scientifique est donc un outil diplomatique très important. Je pense que nous avons été capables de l’utiliser au cours des sept dernières années, et de porter notre coopération scientifique internationale à un autre niveau. Il est également important de savoir que la science ne concerne pas seulement le changement climatique en Arctique. J’ai parlé de l’importance d’apporter cette transition verte en Arctique. Une partie de notre argent pour l’Arctique va à ces projets innovants, des projets d’assez petite taille dans de nombreux cas. Certains de nos projets d’Horizon Europe sont énormes, mais il existe également des mécanismes permettant aux petites entreprises innovantes d’avoir accès à un financement d’amorçage pour des projets d’énergie verte ou de commerce électronique. Lorsque j’étais ambassadeur en Islande, ils ont réussi à obtenir des fonds d’Horizon 2020 pour un certain nombre de petites entreprises innovantes et de projets scientifiques qui se transforment en petites entreprises.
citer l'article
Emilie Canova, Aleksis Oreschnikoff, Mayline Strouk, Michael Mann, Quelle est la politique de l’Union européenne en Arctique ? une conversation avec l’ambassadeur Michael Mann, Groupe d'études géopolitiques, Jan 2021,