Une conversation avec Maia Sandu
Ramona Bloj
22/05/2023
22/05/2023
Une conversation avec Maia Sandu
Cette conversation est disponible dans les pages du Grand Continent, une revue publiée par le Groupe d’études géopolitiques.
Lors du deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE) qui se tiendra le 1er juin à Chișinău, la sécurité, l’énergie et la connectivité seront à l’ordre du jour. Qu’en attendez-vous ?
Ces trois sujets sont très importants pour la Moldavie : même si l’hiver est terminé, la question énergétique demeure cruciale — nous devons commencer à parler des risques du prochain hiver pour nous préparer d’une manière adéquate.
La sécurité est probablement le sujet le plus important pour nous et, bien sûr, pour l’Ukraine.
La connectivité est une question d’avenir : nous voulons être davantage connectés aux réseaux européens. Il ne s’agit pas seulement de parler de connectivité, mais plus généralement de mobilité entre tous les pays qui participent à l’événement.
Qu’est-ce que la CPE pour vous ?
Je la vois comme un événement qui permet aux dirigeants de se rencontrer et de discuter de questions spécifiques. C’est une manière plus informelle de se rencontrer, de discuter et de trouver des solutions communes qui pourraient ensuite déboucher sur des projets spécifiques.
Sur quels critères jugerez-vous de la réussite du Sommet du 1er juin ?
Pour moi, nous aurons réussi si toutes les délégations sont là et que nous avons des discussions franches et utiles. Nous souhaiterions que tous les membres puissent ressortir de cette discussion en se disant qu’elle aura été utile ; et montrer que nous nous rapprochons, que nous faisons preuve de solidarité et que nous nous aidons les uns les autres, même dans les moments les plus difficiles.
La Moldavie est actuellement au centre de l’attention diplomatique, comment espérez-vous maintenir cette présence au fil du temps ?
Nous comprenons que cette attention est en grande partie due à ce qui se passe en Ukraine. En même temps, bien sûr, nous ferons tout ce que nous devons faire pour maintenir notre crédibilité.
Je pense que nous sommes parvenus à renforcer cette crédibilité et que nos partenaires perçoivent l’authenticité de nos efforts de réforme. La stabilité de la Moldavie est importante non seulement pour notre pays, mais aussi pour l’Union et pour l’Ukraine — imaginez un instant comment la Russie utiliserait la Moldavie contre l’Ukraine si elle était instable. La Moldavie est peut-être petite, mais nous sommes attachés à la stabilité, nous voulons participer et nous faisons déjà partie de la ceinture de sécurité de l’Europe. Nous continuerons à montrer que nos efforts sont sincères, tout comme le sont notre engagement envers les valeurs de l’Union et la démocratie.
L’adhésion de la Moldavie à l’Union est-elle devenue une question existentielle ?
C’est le meilleur moyen de garantir la sécurité de notre démocratie et de continuer à consolider nos institutions, notre démocratie et nos processus.
Comme vous avez pu le constater aujourd’hui, les Moldaves ont affirmé haut et fort que la place de la Moldavie est dans l’Union. J’invite l’Union à prendre une décision et à entamer les discussions d’adhésion avec la Moldavie au début de l’année prochaine.
Nous sommes très engagés, nous travaillons dur : l’adhésion est le meilleur moyen pour notre économie de prospérer.
Le meeting d’aujourd’hui à Chisinau a été impressionnant. Pourtant, y compris sur la rive droite du Dniestr, certains ne sont pas très convaincus par votre cheminement vers l’Union. Êtes-vous sûre que votre position pro-européenne n’est pas simplement conjoncturelle et qu’il existe dans le pays une convergence profonde vers l’intégration européenne ?
Le plan d’intégration de l’Union pour la Moldavie n’est pas nouveau. Nous nous y préparons depuis de nombreuses années. Nous avons connu par le passé des hommes politiques au pouvoir qui avaient promis l’intégration à l’Union mais qui se sont salis dans des affaires de corruption et qui ont ainsi discrédité notre voie vers l’adhésion. Nous sommes des gens honnêtes, nous sommes très engagés et oui, nous avons encore du travail à faire. Mais il existe un soutien — et il est majoritaire — à l’intégration européenne.
Cela se voit dans les sondages, et cela se voit dans les rues et sur les places : aujourd’hui, beaucoup de gens sont venus, beaucoup de gens qui n’ont pas pu venir ont soutenu le mouvement à distance et j’ai demandé à toutes les personnes qui étaient dans la rue aujourd’hui, qui sont venus, d’aider à expliquer aux autres ce qu’est l’Union européenne. C’est un point clef. Car la Moldavie est toujours confrontée à une désinformation et à une propagande importantes, en particulier de la part du Kremlin, qui tente de diffuser des fausses informations sur l’Union et d’effrayer les gens. Ainsi, plus on parlera des avantages de l’Union, plus le soutien sera important. À l’intérieur du pays, les gens voient que l’Union nous a déjà aidés à améliorer le niveau de vie de nos communautés, à construire des routes, des écoles, des hôpitaux, mais nous avons aussi un million de personnes à l’étranger, dont beaucoup dans les pays de l’Union. Et les Moldaves en Moldavie ont de la famille qui a vu ce que l’Union signifie, ce qui contribue également à consolider le soutien.
Si notre engagement est certes un engagement de notre gouvernement, il est porté par un soutien populaire considérable.
L’intégration européenne prendra probablement des années, voire, selon certains, des décennies. Quel serait pour vous le meilleur moyen de construire un véritable mouvement pro-européen à l’intérieur du pays qui pourrait durer plus longtemps que votre présidence ?
Je pense qu’il est important de s’assurer que nous construisons des institutions fortes. C’est pourquoi la réforme du secteur de la justice est si importante. C’est pourquoi des institutions anti-corruption fortes et indépendantes sont si importantes — parce que le plus grand dommage causé à notre démocratie et à la bonne gouvernance provient de ce système corrompu. Plus nous réformerons rapidement la justice en éliminant les juges et les procureurs corrompus, plus le rôle de ces institutions sera important à l’avenir. Il s’agit de construire des institutions et cela prend du temps. Mais la bonne nouvelle est que nous avons le soutien de la population.
L’économie moldave traverse une période de graves difficultés, les jeunes partent, la corruption continue à gangrener l’État : quel est le problème le plus important que vous devez résoudre pour que la Moldavie devienne membre de l’Union ?
Notre peuple est notre plus grande richesse : nous voulons le convaincre de rester. Nous voulons que les jeunes restent pour contribuer à notre développement au sein du gouvernement, dans le secteur public et dans le secteur privé. Nous y travaillons, mais il y a une masse critique d’améliorations à apporter dans tous les domaines. Nous avons vu des personnes venir de la diaspora pour nous rejoindre au gouvernement — ici dans mon bureau, au Parlement — mais nous avons besoin que plus de gens reviennent et que plus de jeunes restent.
C’est pourquoi l’intégration européenne est une opportunité que nous pouvons construire : le statut de candidat, est un signe pour la population que la Moldavie est promise à un avenir prospère. Les prochaines étapes sont maintenant le programme d’intégration de l’Union, qui va consolider cet espoir qu’il vaut la peine de rester chez soi, d’investir en Moldavie. Construire des opportunités est la meilleure manière pour protéger le futur du pays. Nous travaillons dur pour améliorer l’environnement des affaires, pour aider les petites entreprises, les jeunes entrepreneurs, à créer des entreprises ici, pour améliorer la qualité de l’éducation. L’année dernière, nous avons commencé la réforme du système d’enseignement supérieur parce que nous savons à quel point c’est important pour les jeunes. Mais encore une fois, nous savons aussi que nous avons besoin d’une masse critique d’améliorations dans tous les domaines pour convaincre plus de jeunes de rester.
Puis, nous travaillons d’arrache-pied à la lutte contre la corruption et à la réforme de la justice. C’est la réforme la plus difficile à mener mais nous sommes très engagés. C’est une promesse sur laquelle j’ai été élue et nous avons commencé à la mettre en œuvre. C’est un changement de système. Il nous faut du temps, mais nous sommes très engagés et la volonté politique est totale, malgré certaines résistances. Nous avons le soutien de la population et de nos partenaires et je suis sûre que nous allons réussir.
Dans l’interrègne traversé par la pandémie et la guerre en Ukraine, nous nous demandons à nouveau, en Europe, quel est le sens de faire Union ? Votre point de vue en ce sens nous paraît essentiel : qu’est-ce que l’Union européenne pour vous et pour la Moldavie ?
Pour nous, l’Union est avant tout un projet de paix et, lorsque nous regardons ce qui se passe dans la région, nous accordons une grande importance à la paix. Aujourd’hui, nous sommes en sécurité grâce aux Ukrainiens qui, en se battant pour défendre leur terre et leur liberté, défendent également la nôtre.
Cela signifie également la possibilité de préserver la démocratie. Nous apprécions, nous chérissons la démocratie et nous voulons avoir la possibilité de consolider la nôtre.
Et bien sûr, nous voulons que notre pays prospère. Dans les pays qui ont rejoint l’Union au cours des vingt dernières années, le niveau de vie est beaucoup plus élevé, il y a de la sécurité, il y a des opportunités pour les gens de travailler et de se développer chez eux. C’est ce que nous voulons pour la Moldavie, et nous pensons que nous avons quelque chose à apporter : nous pouvons contribuer à la stabilité et à la sécurité du continent.
Dans ce contexte, la Russie risque de rester une source d’instabilité pour votre pays. Quelle est votre évaluation des risques ?
Pour l’instant, il n’y a pas de risque d’invasion militaire, grâce à l’Ukraine qui maintient les armées russes loin de nos frontières. Mais nous sommes confrontés à des tentatives de déstabilisation de la part de Moscou, comme je l’ai souligné il y a quelques mois. Heureusement, nos institutions ont réussi à défendre le pays et nous devenons plus forts, plus souples, plus résistants.
Depuis de nombreuses années, nous voyons la Russie tenter de faire chanter notre pays par le biais de l’énergie. Aujourd’hui, pour la première fois depuis son indépendance, la Moldavie — à l’exception de la région de Transnistrie — ne consomme plus de gaz russe. Nous nous diversifions, nous ne sommes plus dépendants de la Russie, comme nous l’avons été pendant trois décennies. Cela fonctionne donc : nous faisons preuve de résilience, mais nous avons bien sûr besoin de soutien. L’effet de la propagande du Kremlin est un immense problème qui a nui à notre processus démocratique par le passé. Nous savons que Poutine continuera à tenter de saper nos efforts de réforme visant à créer des institutions fortes et indépendantes.
Cette transition accélérée se produit dans un contexte où les efforts de déstabilisation de la Russie s’intensifient. Si ces négociations avec l’Union ne débutent pas rapidement, ces manœuvres risquent-elles de commencer à produire leurs effets ? Autrement dit : l’Union n’est-elle pas déjà en train de rater l’occasion d’intégrer la Moldavie ?
J’espère en effet que nous parviendrons à convaincre les États membres et les institutions de l’Union d’entamer les négociations dès que possible. Nous sommes engagés, nous travaillons dur sur les conditionnalités que la Commission a formulées l’année dernière lorsque la Moldavie s’est vue accorder le statut de candidat. Nous avons un soutien populaire mais surtout, au cours des derniers mois, alors que la Moldavie était confrontée à tant de crises — la crise de l’accueil des réfugiés, la crise énergétique, la crise économique — nous sommes devenus plus forts, plus résistants grâce au soutien de l’Union. Nous espérons que, d’ici la fin de l’année, nous pourrons avoir une décision positive pour la Moldavie et l’Ukraine.
Quel sera le statut de la Transnistrie après le début des négociations d’adhésion ou après l’adhésion à l’Union ?
La région de Transnistrie bénéficie déjà du régime de libre-échange, comme le reste du pays, et nous en voyons les résultats : deux tiers des exportations de la Moldavie vont vers les pays de l’Union et si l’on se concentre sur la région de Transnistrie, la moitié des exportations sont à destination de l’Union. Aujourd’hui, la moitié des personnes qui travaillent à l’étranger depuis la Transnistrie travaillent dans un pays de l’Union. Il s’agit d’un changement spectaculaire par rapport à il y a dix ans, lorsque toutes les exportations de la région étaient destinées à la Russie et que toutes les personnes à la recherche d’un emploi se rendaient en Russie. Plus la situation sur la rive droite du Dniestr s’améliorera, plus vite nous parviendrons à augmenter le niveau de vie, plus nous serons en sécurité et plus la rive gauche aura intérêt à aller dans le sens d’une réunification du pays. Nous y travaillons, nous sommes engagés dans une résolution pacifique du conflit et je pense que plus nous nous rapprocherons de l’Union, plus les citoyens moldaves de la rive gauche manifesteront de l’intérêt pour la réunification.
Dans quelles conditions une adhésion à l’Union pourra-t-elle se faire compte tenu de la situation en Transnistrie et en Gagaouzie ?
En ce qui concerne la Gagaouzie, si vous faites référence aux élections qui ont eu lieu récemment, je ne ferai pas de commentaires parce que les procédures légales ne sont pas encore terminées. Mais vous avez vu un jeune de Gagaouzie s’exprimer aujourd’hui sur la scène et dire qu’il voulait que la Moldavie fasse partie de l’Union. Nous travaillons avec les jeunes de cette région et nous continuerons à le faire, car les jeunes comprennent les avantages de l’adhésion de la Moldavie à l’Union. Nous devons encore travailler avec la population qui a trop écouté la propagande russe et nous avons lancé récemment un programme gratuit pour leur permettre d’étudier le roumain. Nous devons poursuivre nos efforts pour qu’ils étudient la langue gagaouze parce que l’autonomie en Gagaouzie a été créée pour les aider à préserver la langue, la culture, et c’est là que nous devons travailler plus dur pour mieux protéger les populations de la propagande et de la désinformation. Nous avons décidé d’établir à côté du Conseil suprême de sécurité, une unité spéciale qui s’occupera de la propagande et de la désinformation.
La question de la Transnistrie est légèrement différente. Nous espérons pouvoir réunifier le pays avant qu’il ne devienne membre de l’Union. Mais nous pensons que même si le conflit n’est pas entièrement résolu, cela ne constituera pas un obstacle à l’adhésion de la Moldavie à l’Union.
Tant que des troupes russes sont stationnées sur le sol moldave contre la volonté du gouvernement, l’adhésion à l’Union semble difficile à concevoir. Avez-vous un plan d’action pour résoudre ce problème et l’Union peut-elle vous aider ?
Il n’y a pas de message officiel indiquant que ce serait un blocage à l’adhésion de la Moldavie à l’Union. Bien sûr, nous voulons résoudre le problème. Nous avons appelé la Russie à retirer ses troupes depuis très longtemps. Nous pensons que dans les prochains mois, les prochaines années, il pourrait y avoir une opportunité géopolitique de résoudre pacifiquement ce conflit — c’est ce que nous espérons — mais nous n’allons pas attendre que cela arrive tout seul, nous allons continuer à mettre en œuvre toutes les conditions qui sont formulées et qui continueront à être formulées par l’Union pour que la Moldavie avance sur la voie de l’intégration. En même temps, nous nous préparons et nous travaillons pour être prêts à une solution pacifique qui signifierait la démilitarisation, le retrait des troupes russes, la démocratisation de la région et tous les éléments d’un processus de réintégration.
Cet hiver, la situation a été assez difficile, avec des coupures d’électricité. Pensez-vous que cela se reproduira cette année et que comptez-vous faire pour éviter cela ?
Nous construisons une ligne à haute tension qui nous relie à la Roumanie, ce que nous avons commencé en 2019 lorsque j’étais Première ministre, puis la construction elle-même a commencé lorsque nous sommes revenus au pouvoir en 2021. Cela prendra encore deux ans : c’est un projet important. Nous travaillons également au déploiement des énergies vertes, et je peux vous dire qu’elles sont en augmentation.
Nous prévoyons de commencer bientôt une autre connexion pour construire une autre ligne dans le nord du pays, mais en attendant, nous devrons compter sur les mêmes possibilités que l’année dernière. Nous savons que même lorsque nous achetions de l’électricité à la Roumanie, il fallait passer par l’Ukraine et qu’à chaque fois que le réseau ukrainien était bombardé, nous ne pouvions pas non plus obtenir d’électricité. Nous espérons également que la situation s’améliorera en Ukraine, car le pays a toujours été un fournisseur d’électricité pour la Moldavie. Ce n’est que lorsque la Russie a commencé à bombarder son réseau électrique que l’Ukraine n’a pas été en mesure de fournir de l’électricité. D’une part, nous espérons que l’Ukraine sera en mesure d’exporter de l’électricité et, d’autre part, nous travaillons pour nous connecter à la Roumanie et aux marchés de l’Union afin que la Russie ne puisse plus jamais nous faire chanter.
Dans un sondage du mois d’avril, la majorité des Moldaves disait attendre toujours de vous que vous acceptiez de parler avec Poutine pour négocier un prix inférieur du gaz. Seriez-vous prête à le faire ?
Je pense que les habitants de notre pays veulent payer moins cher le gaz. Si vous posez la question aux habitants des pays de l’Union, ils se plaindront tous du prix élevé du gaz. Ici, les prix du gaz ont été multipliés par sept en 12 mois. Vous pouvez imaginer à quel point cela a été dramatique. Même si le gouvernement a fourni quelques compensations et essayé d’aider, l’augmentation des prix de l’énergie a été vraiment importante et tout le monde l’a ressentie.
Certains Moldaves proposeraient ce type de solutions, mais dans les mêmes sondages, lorsqu’on leur demande s’ils pensent que la Moldavie devrait obtenir un prix moins élevé pour le gaz mais soutenir l’agression russe en Ukraine, ils répondent par la négative. Il est donc très clair que nous devons travailler plus dur pour nous assurer que les gens peuvent payer les prix de l’énergie et nous travaillons dur sur la diversification et la sécurité énergétique. Nous ouvrons maintenant l’investissement dans les énergies renouvelables, mais en même temps, nous comprenons que l’on préfère des solutions faciles.
Nous continuerons donc à offrir des compensations, à aider les entreprises et les citoyens, à acheter des ressources énergétiques à des pays démocratiques et à ne pas soutenir des agresseurs dans le seul but d’obtenir du gaz moins cher.
C’est ce que les gens voient et c’est ce qu’ils veulent : en fin de compte, les gens veulent être du côté de ceux qui respectent l’intégrité territoriale des autres pays.
Vous avez comparé le rassemblement d’aujourd’hui à ceux d’août 1991 qui ont conduit à la proclamation d’indépendance de la Moldavie. Avez-vous l’impression que vous menez un dernier combat contre l’héritage soviétique ?
Oui, il y a une continuité. Depuis le début du processus en 1989, nous avons réussi à atteindre la liberté, la souveraineté et l’indépendance. Nous avons la liberté d’expression, bien sûr, nous devons encore travailler pour consolider ces acquis, mais comme vous avez pu le voir dans le dernier classement international, la Moldavie est à la vingt-huitième place en ce qui concerne la liberté de la presse et nous progressons en réalité dans toutes les dimensions de la démocratie et des droits de l’homme. La Moldavie doit également devenir économiquement plus forte. Pour consolider le soutien à la démocratie, il faut avoir une économie forte. La prochaine étape, en ce sens, c’est notre intégration à l’Union. C’est là que nous aurons une démocratie plus consolidée et que nous nous sentirons en sécurité pour notre démocratie et notre avenir.
Qui considérez-vous comme les principaux agents d’influence de la Russie en Moldavie aujourd’hui ? Considérez-vous l’Église orthodoxe en Moldavie comme proche de la Russie ? Le maire de Chișinău est-il proche selon vous de la Russie ?
Il est clair qu’une partie de l’Église est très favorable à la Russie — voire travaille pour elle — et, malheureusement, certains d’entre eux soutiennent même sa guerre. En même temps, le chef de l’Église en Moldavie a refusé explicitement de la soutenir. Il existe donc au sein de l’Église une divergence d’opinions.
Comme vous y faites allusion, il y a aussi des personnalités politiques et des gens en dehors de la politique qui continuent à travailler pour la Russie. Nous renforçons nos institutions, nous formons nos services de renseignement, nous développons une nouvelle stratégie de sécurité pour le pays afin de nous assurer que notre État devienne suffisamment fort pour ne pas permettre à de telles personnes de saper l’État, nos efforts et les intérêts de la République de Moldavie.
Pour l’instant, il existe un groupe criminel corrompu dirigé par une personne qui a été condamnée pour fraude dans le secteur bancaire, qui se cache en Israël et qui est le principal représentant des tentatives russes de déstabilisation du pays. Nos institutions sont en train de rassembler des preuves et nous espérons que nous verrons plus de résultats de ce travail pour traiter avec ceux qui travaillent contre la République de Moldavie, qui essaient de saper les efforts et qui servent les intérêts de la Russie.
Vous êtes un pays neutre, mais il est évident que les relations avec l’OTAN deviennent de plus en plus étroites — et l’OTAN est maintenant plus ouverte à la coopération et au soutien de la Moldavie. Quelle est votre position sur une éventuelle adhésion ou sur l’ouverture d’un débat sur l’adhésion à l’OTAN ?
Aujourd’hui, nous sommes un pays neutre. C’est ce que prévoit la constitution et c’est ce que la majorité de la population continue de soutenir.
Nous avons une bonne coopération avec l’OTAN et nous lui en sommes reconnaissants. De toute évidence, cette coopération s’est accrue en raison de la guerre en Ukraine. La Moldavie se trouve dans une situation où elle doit renforcer son secteur de la défense et nous sommes reconnaissants à tous les partenaires qui nous ont aidés. Nous ne pouvons pas faire de miracles du jour au lendemain, mais nous avons travaillé dur. Nous comprenons que notre neutralité est utile pour nous préserver. Nous sommes en sécurité, si ceux qui, manifestement, ne respectent pas l’intégrité territoriale de leurs voisins respectent notre neutralité. Mais s’ils ne la respectent pas, pourquoi croirions-nous que nous sommes en sécurité ?
Après avoir vu ce que la Russie a fait en Ukraine, comment pouvons-nous croire que la Russie va respecter la neutralité de notre constitution ? Nous sommes vulnérables aujourd’hui et il y a un débat très fort à ce sujet dans la société. Jusqu’à présent, les gens continuent de croire que la neutralité est la bonne politique pour la Moldavie, mais le débat existe. Je pourrais dire qu’une partie de la population pense que la Moldavie devrait rester neutre à cause de la propagande russe qui ne cesse de viser l’OTAN. En même temps, une partie de la population, à cause de la propagande, peut avoir peur de parler de l’adhésion à l’OTAN parce qu’elle pense que dès lors que nous commencerions à en parler, la Russie pourrait attaquer. Nous devons donc fournir un espace d’information sûr pour permettre une telle discussion.
Quelle est votre conviction ?
Je veux que mon pays soit en sécurité. Je travaille dans les limites dont je dispose aujourd’hui et c’est pourquoi je m’efforce de consolider notre système de défense. Cela dit, il va de soi qu’un parapluie assurerait la sécurité de mon pays.
Depuis 1991, la réunification avec la Roumanie a toujours été un sujet. Plus d’un million de personnes en Moldavie ont un passeport roumain — vous en faites partie. Aujourd’hui, si vous mettez au cœur de votre doctrine l’accès à l’Union européenne, quel sort réservez-vous à cette question ?
La réunification avec la Roumanie est soutenue, mais elle ne l’est pas suffisamment. Certaines personnes ont défendu cette idée, la défendent encore, mais elles ne sont pas assez nombreuses et doivent se confronter au fait qu’il y a aussi des gens qui craignent la réunification. En revanche, il y a un soutien pour l’intégration à l’Union et c’est ce que nous poursuivons, en tant que pays démocratique, pour notre futur.
La Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre Poutine. S’il venait en Moldavie, serait-il arrêté ?
Oui, la Moldavie fait partie de l’accord de la Cour pénale et la Moldavie respectera la décision de la Cour.
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Ramona Bloj, Une conversation avec Maia Sandu, Groupe d'études géopolitiques, Mai 2023,