Revue Européenne du Droit
Une décennie critique marquée par des avancées juridiques et des reculs politiques
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Laurent Fabius

Une revue scientifique publiée par le Groupe d'études géopolitiques

Dix ans depuis l’Accord de Paris.

Comme tout anniversaire, c’est l’occasion de dresser un bilan de la protection de ce qui est certainement le plus grand enjeu existentiel de ce siècle – le climat et l’environnement – et d’envisager pour l’avenir les perspectives d’évolution. Etat des lieux et état des vœux de la protection du climat et de l’environnement dix ans après l’Accord de Paris, tel est le double défi lancé par la Revue européenne de droit à des contributeurs de renom – présidents d’institutions, présidents de juridictions, décideurs publics, diplomates, académiques, avocats – qui toutes et tous, dans leur domaine, l’ont relevé avec brio. Je veux les en remercier très chaleureusement.

En 2015, face à l’urgence et à la gravité du changement climatique, la communauté des États décidait de s’allier pour forger un instrument juridique majeur qui devrait servir de référence universelle dans la lutte contre le dérèglement du climat, pour la prospérité et la postérité de l’humanité.

En 2015, la France a eu le privilège d’accueillir la COP21. Je me souviens des circonstances un peu particulières de ce choix. Nous nous trouvions à Varsovie en 2013 pour décider quel pays allait accueillir deux ans plus tard la COP21. La France était seule candidate, ce qui traduisait l’enthousiasme à l’époque assez limité sur les chances de succès. Je revois le sourire embarrassé des délégués qui, à l’annonce de la décision, venaient me souhaiter « Mr Fabius, Good…luck ».

La chance peut-être a joué son rôle, mais surtout un travail de préparation diplomatique intense auquel je rends hommage, aidé par la conjonction de trois planètes essentielles : celle des scientifiques auxquels je dis ma profonde reconnaissance – notamment le GIEC –, celle de la société civile – citoyens, associations, entreprises, villes et régions –, et la planète alors unie des gouvernements. Conjonction décisive qui contraste malheureusement avec la situation présente, où la science, la vérité des faits, sont parfois contestées y compris en haut lieu, où la société civile est souvent divisée et où plusieurs gouvernements, récusant le multilatéralisme, privilégiant la force, oublient que humus (la terre) et humilité présentent une étymologie commune, que les gaz à effet de serre n’ont pas besoin de passeport et que, comme le rappellent les Secrétaires Généraux successifs de l’ONU, il n’y a pas de planète B. A ceux qui proposent, de bonne ou de mauvaise foi, un narratif d’échec, il faut opposer la vérité des faits, qui montrent les bénéfices de l’Accord de Paris.

En effet grâce aux 29 articles et 140 paragraphes de décisions que contient l’Accord de Paris, grâce aux COPs successives et à leur mise en œuvre, la tendance de long terme à l’élévation moyenne des températures a été ralentie de plusieurs décimales. Or, chaque décimale pèse des millions de vie. Les objectifs de décarbonation de l’Accord de Paris sont devenus une boussole pour les gouvernements, les territoires, les entreprises et les citoyens : la plupart ont largement adopté les objectifs de neutralité carbone. Les technologies ont beaucoup avancé, le souci d’adaptation et pas seulement de réduction des gaz à effet de serre a progressé, des financements ont été débloqués. 

Mais, car il existe un énorme « mais », les faits attestent aussi que le monde est loin de respecter tous les objectifs et les engagements de Paris, en particulier le fameux +1,5°C à ne pas dépasser, la neutralité carbone en 2050, les réponses nécessaires dégagées par la COP 21 et par les COP suivantes. Les mesures d’adaptation ne sont pas encore à la hauteur. La transformation des économies reste incomplète, inégale et trop lente. La mobilisation des financements est insuffisante au regard des ambitions comme des besoins. Et des forces puissantes existent pour nier les évidences scientifiques et privilégier un court-termisme mortifère.

Les scénarios les plus favorables envisagent un objectif d’« émissions net zéro » en 2050, ce qui exigerait des réductions d’émission très ambitieuses et des changements structurels profonds dès aujourd’hui. Le paradoxe des paradoxes est que plusieurs pistes d’actions pro climat semblent plafonner au moment même où le dérèglement climatique et ses conséquences néfastes battent des records.

Alors l’avenir ? 

Comme président du Cercle des Présidents de COP créé à l’initiative d’André Corrêa do Lago, Président de la COP30, je veux souligner l’importance de garder à l’esprit trois messages majeurs : 

  1. L’Accord de Paris a été et demeure extrêmement utile. 
  2. Son application n’a pas été jusqu’ici assez complète pour atteindre les objectifs indispensables. 
  3. Il faut, dans la fidélité à l’Accord, accentuer les politiques anti-réchauffement climatique, les actions de réduction des GES et d’adaptation, avec les moyens nécessaires.

Si on ne martèle pas simultanément ces trois messages et si on ne les traduit pas rapidement en actes, nous risquons non seulement de ne pas atteindre les objectifs de l’Accord de Paris mais de laisser mettre en cause l’Accord, et, par contrecoup, d’accepter, voire d’aggraver le dérèglement climatique et ses conséquences pour l’humanité tout entière.

Parmi les changements à opérer, le fameux « transitioning away from fossil fuels », en clair la sortie des énergies fossiles, adopté par la COP28 de Dubaï devra être respecté et vérifié, qu’il s’agisse des émissions de CO2 ou de méthane. Les financements devront être augmentés et précisés, car nous sommes là aussi loin du compte, en particulier envers les pays en développement. La tarification du carbone, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables devront continuer de gagner du terrain et la justice sociale être en permanence au rendez-vous. Tout comme les entreprises, les acteurs locaux ont un rôle important à jouer. Ils réunissent deux caractères essentiels : ils concentrent en grande majorité sur leur territoire les gaz nocifs et ce sont les élus, les maires et les gouverneurs, y compris aux Etats-Unis, qui ressentent et affrontent les difficultés des changements nécessaires. Enfin, une forte attente existe pour évaluer les résultats des politiques vis-à-vis des objectifs fixés, en fonction des progrès réalisés et de leur rythme. 

Devant les défis qui s’accumulent et se profilent, les mises en garde de Galilée dans la pièce éponyme de Bertolt Brecht résonnent : « Celui qui ne connaît pas la vérité, celui-là n’est qu’un imbécile. Mais celui qui, la connaissant, la nomme mensonge, celui-là est un criminel ». Pas étonnant dans ces conditions que les Cours et tribunaux de pays de plus en plus nombreux sanctionnent les atteintes au droit de l’environnement et aux exigences de l’Accord de Paris. La justice internationale, par les voix éminentes notamment de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et de la Cour Internationale de Justice, se prononce elle aussi en des termes forts : 

  1. Les traités relatifs aux changements climatiques mettent à la charge des États, des obligations strictes de protéger le système climatique.
  2. Les États doivent mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour s’acquitter de leurs obligations climatiques.
  3. A défaut, ils commettent un « acte illicite » susceptible d’engager leur responsabilité.

On me demande souvent de résumer l’esprit de l’Accord de Paris. Dix ans après, ma réponse n’a pas changé : « better, faster, together ». « Mieux, plus vite et ensemble ». C’est ce triple message que nous avons à traduire en actions.

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Laurent Fabius, Une décennie critique marquée par des avancées juridiques et des reculs politiques, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2025,

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