Avis consultatif de la CIJ sur le changement climatique et l’Accord de Paris

Ginevra Le Moli
Professeure à l’Institut universitaire européen, Florence School of RegulationIssue
Issue #6Auteurs
Ginevra Le Moli
Une revue scientifique publiée par le Groupe d'études géopolitiques
Climat : la décennie critique
L’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) sur les « obligations des États en matière de changement climatique », rendu le 23 juillet 2025 1 , marque un tournant décisif dans le droit international relatif au changement climatique, en renouvelant l’interprétation et le rôle de l’Accord de Paris 2 d’une manière qui reflète mieux son esprit. Cette décision historique aborde ce que la Cour décrit comme un « problème existentiel d’ampleur planétaire » 3 . Une telle interprétation, fournie par la plus haute juridiction mondiale l’année même du dixième anniversaire de l’Accord de Paris, est particulièrement importante pour redéfinir la compréhension de ce que l’Accord visait réellement à accomplir. Elle renvoie donc à l’esprit de Paris, libéré des rebondissements et des manœuvres qui ont été utilisés au cours de la dernière décennie pour contrecarrer l’efficacité de l’Accord. Cet article analyse la contribution de la Cour à la compréhension de l’Accord de Paris, en examinant ses dispositions fondamentales et en évaluant l’éventail des différents points de vue qui ont été exprimés à ce sujet, en particulier du point de vue de la justice climatique.
I – Évolution historique et changement normatif de l’Accord de Paris
La gouvernance internationale en matière de climat a connu une transformation significative, en particulier avec l’adoption de l’Accord de Paris en 2015. Auparavant, les deux traités fondamentaux que sont le Protocole de Kyoto et les premiers accords de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) 4 fonctionnaient principalement selon un cadre normatif et descendant. Ces accords mettaient l’accent sur des engagements contraignants, des mécanismes d’application clairs et le principe de responsabilité historique, laissant souvent peu de place à la justice procédurale ou participative.
Ces cadres antérieurs reflétaient cette orientation normative dans plusieurs dimensions clés. Les droits humains, par exemple, étaient notablement absents du libellé et du langage opérationnel de ces traités. L’équité et la justice distributive étaient ancrées dans le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives (CBDR-RC), qui mettait l’accent sur la responsabilité historique des nations industrialisées. Les réparations et le concept de pertes et dommages étaient absents du texte du traité et, dans les discussions, ils étaient traités comme des préoccupations secondaires. Les mécanismes de soutien financier, tels que le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) dans le cadre de la CCNUCC ou les engagements spécifiques énoncés dans le protocole de Kyoto 5 , suivaient des modèles structurés avec des objectifs explicites. De même, les mécanismes de marché tels que le mécanisme de développement propre (MDP) étaient gérés de manière centralisée et descendante. L’application de ces régimes reposait sur des objectifs juridiquement contraignants et des mécanismes de conformité, avec le comité de conformité du protocole de Kyoto comprenant une « branche chargée de l’application ».
Ce système était principalement axé sur les obligations des pays industrialisés, une question qui est devenue de plus en plus difficile à mesure que les émissions de certaines économies émergentes, notamment celles de la Chine et de l’Inde, augmentaient. Afin de placer les pays visés à l’annexe I et les pays non visés à l’annexe I sous un même cadre réglementaire, une première tentative a été faite à l’approche de la COP15 à Copenhague, mais elle a échoué. La deuxième tentative, qui a abouti à l’Accord de Paris, a été possible grâce à un changement de cap fondamental. Adopté lors de la COP21 en 2015, l’Accord de Paris introduit une approche plus souple et ascendante, qui met davantage l’accent sur les contextes nationaux, les engagements volontaires et les processus participatifs 6 . Ce changement est significatif non seulement dans ses mécanismes opérationnels, mais aussi dans son engagement envers les principes de justice climatique. Pour la première fois dans le droit international sur le climat, l’Accord de Paris fait explicitement référence aux droits humains dans son préambule. Bien que la mise en œuvre de ces droits dans le cadre des mécanismes de l’Accord reste limitée, leur inclusion a représenté une étape symbolique et juridique importante dans les négociations sur le climat 7 . L’équité et la justice distributive, bien que toujours reconnues par le principe CBDR-RC, ont subi une transformation conceptuelle 8 . Plutôt que d’attribuer des obligations uniquement sur la base des émissions historiques, l’Accord de Paris a permis aux pays de définir leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) en fonction de leur situation nationale particulière, passant ainsi d’un modèle d’équité historique à un modèle d’équité contextuelle 9 .
La question des pertes et dommages, longtemps controversée dans la diplomatie climatique, est officiellement reconnue à l’article 8 de l’Accord de Paris. Cependant, les négociations n’ont pas abouti à l’établissement de cadres contraignants en matière de réparations ou de responsabilité. La création du Fonds pour les pertes et dommages quelques années plus tard, lors de la COP27 à Charm el-Cheikh, a été saluée comme une étape importante, mais elle a eu du mal à se concrétiser en engagements financiers précis, reflétant le talon d’Achille de la flexibilité introduite par le cadre de Paris.
En termes d’application, l’Accord de Paris diverge fortement de ses prédécesseurs 10 . Il évite les objectifs d’émissions contraignants au profit d’un système fondé sur les CDN, dont la nature et le caractère contraignant sont restés ambigus. Leur mise en œuvre est soutenue par un cadre de transparence qui encourage la responsabilité mutuelle fondée sur la pression des pairs 11 . Le processus de conformité, confié au Comité de mise en œuvre et de conformité de l’Accord de Paris (connu sous le nom de « PAICC »), n’a qu’un caractère facilitateur et est généralement faible. Ce changement de procédure renforce l’ouverture et la participation, mais, là encore, la flexibilité a un coût potentiellement élevé, à savoir l’absence de mise en œuvre ou, pire encore, le non-respect des obligations les plus élémentaires des CDN, telles que la communication en temps utile des CDN.
Dans l’ensemble, l’important changement en matière de flexibilité introduit par l’Accord de Paris a donc créé un risque de non-mise en œuvre et d’abus. Au cours de la dernière décennie, ce risque s’est malheureusement concrétisé, comme en témoigne l’engagement limité envers un système censé conduire à une ambition climatique croissante au fil du temps. Dans un tel contexte, la lecture attentive et l’interprétation stricte données par la Cour dans son avis consultatif constituent à bien des égards un retour à l’esprit de l’Accord de Paris. Parmi les nombreuses interprétations différentes délibérément sculptées dans le libellé ambigu de l’Accord de Paris par les négociateurs, la Cour a retenu et affirmé celle qui était la plus cohérente avec la réalisation de ses objectifs de bonne foi, à la lumière des meilleures données scientifiques disponibles – que la Cour a assimilées aux travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – et avec ce qu’elle exhorte les décideurs politiques à faire, dans les limites de son approche pertinente sur le plan politique (plutôt que normative).
II – L’avis consultatif de la CIJ : interpréter la force juridique de l’Accord de Paris
L’avis consultatif de la CIJ redonne vie à l’accord de Paris en tant que pilier du cadre juridique régissant les obligations des États en matière de lutte contre le changement climatique. Dans son analyse, la Cour considère l’Accord de Paris comme un élément clé du droit applicable directement pertinent, le situant non pas de manière isolée, mais comme un « instrument juridique connexe » à la CCNUCC 12 . Adopté explicitement « dans la poursuite de l’objectif de la Convention » (préambule, para. 3), l’Accord de Paris est présenté comme renforçant et précisant les obligations générales initialement énoncées dans la CCNUCC.
Dans ce contexte, l’avis consultatif de la CIJ positionne l’Accord de Paris, parallèlement au Protocole de Kyoto, comme complémentaire plutôt que contradictoire (ou remplaçant) à la CCNUCC. Contrairement aux arguments suggérant l’obsolescence des instruments antérieurs, la Cour souligne la continuité juridique et le renforcement mutuel entre ces traités. Les effets du Protocole de Kyoto et de l’Accord de Paris ne sont donc pas considérés comme remplaçant ou supplantant, mais comme apportant une précision et une clarté opérationnelle supplémentaires aux objectifs et obligations plus larges énoncés dans la CCNUCC.
Plus important encore, la Cour rejette l’argument selon lequel la CCNUCC, le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris constituent une lex specialis qui exclurait l’application d’autres règles du droit international 13 . Au contraire, elle affirme que ces règles coexistent et interagissent les unes avec les autres, chacune imposant aux États des obligations indépendantes mais se renforçant mutuellement. Cette position interprétative ouvre la voie à une approche juridique plus intégrée, dans laquelle les obligations climatiques ne sont pas cloisonnées mais s’inspirent d’engagements normatifs plus larges en vertu du droit international et, dans le même temps, le changement climatique devient l’objet spécifique d’une série d’obligations allant au-delà de la CCNUCC, du protocole de Kyoto et de l’accord de Paris.
1 – Objectifs fondamentaux et objectif de 1,5 °C
Au cœur de l’interprétation de la CIJ se trouve son traitement de l’objectif de température de l’Accord de Paris, en particulier le critère de référence énoncé à l’article 2. L’article 2, paragraphe 1, point a), de l’accord appelle à maintenir « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », tout en « poursuivant les efforts pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C ». La Cour adopte une position claire : l’objectif de 1,5 °C, que beaucoup considéraient comme purement ambitieux, est le principal repère qui détermine les obligations d’atténuation dans l’état actuel des connaissances scientifiques. Selon la Cour, il s’agit de « l’objectif principal convenu par les parties dans l’Accord de Paris en matière de température » 14 .
Cette interprétation solide repose sur plusieurs fondements juridiques et scientifiques. Tout d’abord, la Cour s’appuie sur les accords ultérieurs conclus par les parties à l’accord de Paris, en particulier les décisions prises par la Conférence des parties agissant comme réunion des parties à l’accord de Paris (CMA) 15 . Parmi les exemples notables, citons le Pacte climatique de Glasgow et les résultats du premier bilan mondial, qui confirment tous deux l’intention commune des parties de limiter le réchauffement à 1,5 °C. Selon la Cour, ces déclarations constituent des accords ultérieurs valables au regard des principes d’interprétation des traités internationaux, renforçant ainsi le statut juridique de l’objectif de 1,5 °C. 16
Deuxièmement, l’interprétation de la Cour est fermement ancrée dans le principe selon lequel les mesures d’atténuation doivent être fondées sur « les meilleures données scientifiques disponibles », comme l’exige l’article 4, paragraphe 1, de l’Accord de Paris 17 . Le GIEC a souligné à plusieurs reprises que limiter le réchauffement à 1,5 °C réduit considérablement les risques d’impacts climatiques graves et est essentiel pour atteindre l’objectif global de la CCNUCC, qui est d’empêcher toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. À ce titre, le consensus scientifique apporte un soutien normatif et probatoire solide à l’élévation de l’objectif de 1,5 °C. Il convient de noter que la Cour a pris suffisamment au sérieux la nécessité de comprendre les données scientifiques pour engager, de sa propre initiative et avant l’audience, un dialogue avec certains scientifiques du GIEC dans le cadre d’une procédure probatoire sans précédent dans les procédures consultatives.
2 – Obligations d’atténuation au titre de l’Accord de Paris (article 4)
Dans son avis consultatif, la CIJ propose une interprétation détaillée du cadre d’atténuation de l’Accord de Paris, en mettant particulièrement l’accent sur la force juridique et la structure de l’article 4 18 . Au cœur de cette analyse se trouve le rôle des contributions déterminées au niveau national (CDN), qui sont au cœur de l’architecture opérationnelle de l’Accord. Contrairement aux interprétations minimalistes antérieures, la Cour souligne que les obligations d’atténuation des États en vertu de l’article 4 sont loin d’être discrétionnaires ou symboliques : elles sont contraignantes sur le plan procédural et soumises à des contraintes substantielles en raison de l’évolution des normes en matière d’ambition, de transparence et de diligence raisonnable.
Pour commencer, la Cour affirme que l’article 4, paragraphe 2, établit une obligation procédurale juridiquement contraignante 19 . Chaque partie est tenue de « préparer, communiquer et maintenir les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle entend réaliser ». Cette obligation n’est pas simplement une aspiration ou une volonté ; il s’agit d’une obligation procédurale de résultat. Le non-respect de ces mesures constitue une violation de l’accord. Il est important de noter que la Cour précise que la conformité procédurale ne peut être satisfaite par le simple acte formel de soumission d’une CDN 20 . Le contenu substantiel de chaque CDN, y compris son ambition, sa clarté et sa cohérence interne, est également pertinent pour évaluer la conformité à l’article 4.
Rejetant l’interprétation dite « coquille vide », la Cour rejette également la proposition selon laquelle le contenu des CDN soit laissé à la discrétion illimitée des États. Elle établit au contraire que les CDN doivent respecter des normes de fond essentielles 21 . Le principe de progression et la norme de « l’ambition la plus élevée possible » en sont les principaux éléments. L’article 4 stipule explicitement que les CDN successives « représenteront une progression » et « refléteront l’ambition la plus élevée possible » d’une partie. La CIJ interprète le terme « will » de manière prescriptive et non permissive 22 , l’assimilant en fait à « doit ». Cette formulation impose aux États de revoir à la hausse leurs CDN au fil du temps, afin de contribuer de manière significative à l’objectif global de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C et à la stabilisation des concentrations mondiales de gaz à effet de serre (GES) à un niveau permettant d’éviter toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique.
Dans cette optique, en plus de l’exercice d’inventaire mondial, qui est de nature collective, les mécanismes de transparence et de responsabilité intégrés dans l’Accord (en particulier l’article 4, paragraphes 8 et 13) acquièrent une nouvelle signification juridique 23 . Ces dispositions exigent que les parties présentent leurs CDN de manière claire et sous une forme permettant un examen public et par les pairs. La Cour estime que ces dispositions seraient dépourvues de sens si les États conservaient une discrétion totale sur le contenu de leurs CDN.
En outre, la Cour introduit une norme de diligence raisonnable qui régit la manière dont les États doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire lors de la préparation et de la mise à jour des CDN. Cette norme est « stricte » et exige que les États « fassent tout leur possible » pour que leurs CDN reflètent leur ambition la plus élevée possible 24 . Ce qui constitue une diligence raisonnable varie d’un pays à l’autre, en fonction de facteurs contextuels tels que la contribution historique d’un État aux émissions de GES, son niveau de développement et ses capacités nationales. Néanmoins, la norme établit une base juridique : l’ambition doit être sincère, fondée sur des preuves et en constante progression. La bonne foi ne devrait pas être révolutionnaire ; pourtant, dans ce contexte, elle fait vraiment beaucoup.
Enfin, l’article 4, paragraphe 2, impose également une obligation de conduite substantielle : le devoir de « mettre en œuvre des mesures d’atténuation au niveau national, dans le but d’atteindre les objectifs de ces contributions » 25 . Contrairement à l’obligation procédurale de soumettre des CDN, cette exigence met l’accent sur la mise en œuvre. Les États doivent faire preuve de diligence raisonnable et « tout mettre en œuvre » pour traduire les engagements des CDN en actions nationales 26 . Cela comprend la mise en place de systèmes juridiques et administratifs solides, l’adoption de mécanismes d’application efficaces et la surveillance du comportement des acteurs privés dont les activités pourraient compromettre les efforts d’atténuation. En bref, l’obligation n’est pas seulement de s’engager, mais d’agir.
À travers son interprétation de l’article 4, la CIJ dissipe le flou qui entourait l’Accord de Paris et le présentait comme un cadre prétendument vague pour une action volontaire. Au contraire, elle affirme ce qui aurait dû être clair pour toute personne de bonne foi, à savoir qu’il s’agit d’un instrument contraignant qui contient des obligations exécutoires. Si la flexibilité reste une caractéristique de l’Accord, celui-ci s’inscrit dans une structure normative qui exige des États qu’ils fassent preuve de bonne foi, de transparence et d’une véritable ambition dans leur réponse à la crise climatique mondiale.
3 – Obligations d’adaptation (article 7)
L’adaptation n’est pas une préoccupation secondaire dans le cadre de l’Accord de Paris : elle constitue un objectif central au même titre que l’atténuation. Dans son avis consultatif, la CIJ affirme le poids juridique des obligations d’adaptation en se concentrant sur l’article 7, paragraphe 9, qui impose à toutes les parties l’obligation contraignante de « s’engager dans des processus de planification de l’adaptation et la mise en œuvre de mesures » 27 . Cette disposition va au-delà d’une simple incitation ; elle exige des États qu’ils élaborent et mettent en œuvre des plans, des stratégies et des politiques d’adaptation pertinents visant à renforcer la résilience et à réduire la vulnérabilité aux effets néfastes du changement climatique.
Le respect de cette obligation doit être évalué à l’aune d’une norme de diligence raisonnable, reflétant les normes établies dans le droit international de l’environnement 28 . Cela signifie que les États sont tenus de mettre en œuvre des mesures adaptées à leur situation nationale, tout en déployant tous les efforts possibles et en s’alignant sur les meilleures données scientifiques disponibles, y compris les recommandations du GIEC. L’objectif est d’améliorer la capacité d’adaptation, de protéger les moyens de subsistance et les écosystèmes, et de promouvoir le développement durable face aux risques climatiques croissants. Il est important de noter que la Cour souligne que l’adaptation n’est pas seulement une responsabilité partagée, mais aussi une obligation juridique en vertu du cadre de Paris.
4 – Obligations de coopération et d’assistance (articles 9, 10 et 11)
L’Accord de Paris exige non seulement une action individuelle de la part des États, mais place également la coopération et la solidarité internationales au cœur de son architecture juridique. La CIJ confirme que l’Accord intègre et élargit l’obligation internationale coutumière de coopérer, en particulier en matière de protection de l’environnement 29 . Cette obligation est mise en œuvre à travers plusieurs dispositions clés, notamment les articles 9, 10 et 11, qui constituent ensemble le pilier du cadre juridique régissant l’aide financière, le transfert de technologies et le renforcement des capacités.
Tout d’abord, l’obligation générale de coopérer est renforcée par des dispositions imposant des efforts de collaboration en matière d’adaptation, d’éducation, de pertes et dommages et de transfert de technologies. Ces obligations ne sont pas simplement des aspirations ; elles reflètent des obligations contraignantes ancrées à la fois dans le texte du traité et dans le droit international coutumier. En vertu de l’article 9, les pays développés parties ont l’obligation juridiquement contraignante de « fournir des ressources financières » pour aider les pays en développement à mettre en œuvre des mesures d’atténuation et d’adaptation 30 . Cette obligation s’inscrit dans le prolongement des obligations existantes au titre de la CCNUCC, affirmant le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives (CBDR-RC). Bien que l’accord de Paris ne précise pas d’objectif chiffré en matière d’aide financière, la CIJ souligne que cette aide doit répondre aux besoins des pays en développement. Il est essentiel que l’aide financière fournie permette aux pays en développement de poursuivre les objectifs de l’article 2, en particulier la limitation de l’augmentation de la température mondiale et le renforcement de la résilience au changement climatique 31 .
Les obligations relatives au développement et au transfert de technologies (article 10) et au renforcement des capacités (article 11) mettent encore davantage le caractère coopératif de l’Accord de Paris 32 . Les Parties sont tenues de renforcer leur coopération afin de promouvoir les technologies propres et l’innovation, en particulier par le biais du Mécanisme technologique établi dans le cadre de la CCNUCC. Cette obligation comprend non seulement la collaboration technologique, mais aussi la fourniture d’un soutien financier et technique afin de faciliter l’accès et la mise en œuvre. Parallèlement, l’article 11 appelle au renforcement des capacités institutionnelles et humaines des pays en développement, en particulier des pays les moins avancés (PMA) et des petits États insulaires en développement (PEID), afin qu’ils puissent pleinement mettre en œuvre leurs obligations en matière de climat. Ces obligations s’inscrivent à nouveau dans le contexte plus large de l’équité et des responsabilités communes mais différenciées, reconnaissant les défis structurels auxquels ces pays sont confrontés pour lutter contre le changement climatique.
Ensemble, ces dispositions affirment que l’aide et la coopération internationales ne sont pas facultatives. Elles font partie intégrante de la structure juridique de l’Accord de Paris et sont fondamentales pour parvenir à la justice climatique dans un paysage mondial profondément inégalitaire. L’interprétation de la CIJ confirme que les obligations prévues aux articles 9, 10 et 11 sont exécutoires, structurées et essentielles à la réalisation des objectifs d’atténuation et d’adaptation.
III – Critiques judiciaires : la justice climatique et ses limites
Si l’avis consultatif de la CIJ sur le changement climatique marque une avancée significative dans l’interprétation du droit international de l’environnement, les opinions individuelles et conjointes des juges révèlent des divergences substantielles sur des questions clés, notamment en ce qui concerne le traitement de la justice climatique dans l’avis, l’interprétation de principes fondamentaux tels que les responsabilités communes mais différenciées et les capacités respectives (CBDR-RC), et l’interaction entre le droit international conventionnel et le droit international coutumier. Ces critiques mettent en évidence les limites perçues dans le raisonnement de la Cour et reflètent les débats en cours sur le rôle du droit international dans la promotion de l’équité climatique mondiale.
Plusieurs juges ont fait part de leurs préoccupations quant au manque de précision du raisonnement de la Cour et à ses implications pour la justice climatique. Il convient notamment de noter que le juge et ancien président de la CIJ, Yusuf, a exprimé de vives réserves, affirmant que la Cour a adopté une « approche excessivement formaliste » 33 qui ne tient pas pleinement compte des fondements scientifiques qui sous-tendent les responsabilités différenciées. Il fait valoir que l’avis évite de nommer les principaux émetteurs de GES, négligeant ainsi la contribution disproportionnée de certains États au changement climatique. Ce faisant, la Cour manque une « occasion historique » 34 de clarifier les conséquences juridiques pour les gros émetteurs et d’affirmer le droit des États lésés, tels que les petits États insulaires en développement (PEID), à invoquer la responsabilité internationale.
Le traitement réservé par la Cour au principe CBDR-RC, pierre angulaire de la CCNUCC et de l’Accord de Paris, est un point de discorde majeur entre les juges. Si l’avis consultatif reconnaît le CBDR-RC comme un principe directeur et constitue en fait sa première discussion judiciaire détaillée, le vice-président Sebutinde et les juges Yusuf et Xue, dans leurs opinions séparées, ont conclu que la Cour en diminue la force juridique en le subsumant sous une notion générale d’équité. Selon eux, le principe des responsabilités communes mais différenciées et par rapport aux capacités revêt un contenu juridique substantiel que l’avis ne parvient pas à articuler pleinement. Ce principe reconnaît la responsabilité historique, exige que les pays développés montrent l’exemple en matière de réduction des émissions et les oblige à soutenir les pays en développement par une aide financière et technologique.
Contrairement à certaines critiques, la déclaration commune des juges Bhandari et Cleveland salue la reconnaissance par la Cour que les obligations des États au titre de l’Accord de Paris et du droit international englobent les activités liées aux combustibles fossiles, y compris la production, l’octroi de licences et les subventions 35 . Les juges soulignent que l’élimination progressive des combustibles fossiles est essentielle pour atteindre l’objectif de 1,5 °C et doit constituer un élément central des efforts d’atténuation des États. Ils affirment en outre que les CDN doivent explicitement traiter des activités liées aux combustibles fossiles, conformément aux preuves scientifiques et aux obligations de diligence raisonnable affirmées dans l’avis. Il est important de noter que les juges Bhandari et Cleveland soulignent que le principe de responsabilités communes mais différenciées (CBDR-RC) exige des voies de transition différenciées : les États disposant de capacités financières et technologiques plus importantes doivent abandonner plus rapidement les combustibles fossiles et aider ceux qui disposent de moins de ressources. Cette approche renforce à la fois l’équité climatique et la faisabilité pratique, conformément à l’appel lancé par l’accord en faveur d’une ambition progressive adaptée aux circonstances nationales.
Un dernier domaine préoccupant sur le plan judiciaire concerne la formulation par la Cour de la relation entre les obligations découlant de l’Accord de Paris et le droit international coutumier. L’avis consultatif indique que le respect intégral et de bonne foi de l’Accord de Paris « suggère » qu’un État se conforme substantiellement à ses obligations coutumières de prévenir les dommages environnementaux importants et de coopérer 36 . Cependant, il note également que les obligations coutumières restent indépendantes et peuvent nécessiter une évaluation supplémentaire. Cette formulation suscite les critiques de plusieurs juges. La déclaration commune des juges Charlesworth, Brant, Cleveland et Aurescu estime que le terme « suggère » est trop ambigu 37 , avertissant qu’il pourrait brouiller la distinction entre les obligations découlant du traité et les obligations coutumières. Ils affirment que le droit international coutumier continue de s’appliquer de manière indépendante, qu’un État soit partie à l’Accord de Paris ou qu’il s’y conforme pleinement 38 . Le juge Tladi exprime des préoccupations similaires. Il met en garde contre le fait que les États ne devraient pas utiliser cette formulation vague comme une faille pour se soustraire à leurs obligations coutumières. Plus précisément, le juge Tladi relève que même si un État respecte pleinement ses obligations au titre de l’Accord de Paris, il peut néanmoins enfreindre le droit international coutumier, en particulier si l’objectif de température de l’Accord de Paris ou les processus NDC s’avèrent insuffisants pour prévenir des dommages environnementaux graves. 39 Cela souligne le fait que le respect des traités n’est pas nécessairement suffisant pour satisfaire aux obligations plus larges prévues par le droit international ou, en d’autres termes, qu’une solution unique (le respect de l’accord de Paris dans son interprétation stricte par la Cour) ne convient certainement pas à tous les cas (le respect d’autres obligations applicables).
Conclusion
La flexibilité de l’Accord de Paris était une caractéristique nécessaire à son adoption et à sa couverture, qui s’étend à tous les États. Cependant, cette flexibilité comportait un risque de manipulation qui, avec le temps, est devenu de plus en plus évident. En rétablissant la vérité et en revenant à une interprétation de bonne foi de l’Accord de Paris, l’avis consultatif de la CIJ du 23 juillet 2025 renforce considérablement la force juridique de cet instrument et renouvelle son esprit. La position unanime de la Cour précise que l’Accord de Paris impose aux États des obligations strictes et juridiquement contraignantes en matière d’atténuation, d’adaptation et de coopération. L’une de ses conclusions principales est l’identification de l’objectif de 1,5 °C comme objectif juridique primordial. Dans sa déclaration, le juge Tladi souligne que l’interprétation de 2 °C comme objectif principal compromettrait « l’objet et le but » de l’Accord, qui est de prévenir toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Cette interprétation rigoureuse de l’objectif de 1,5 °C est une contribution significative, qui fait passer cet objectif d’une simple aspiration à un engagement juridique primordial, ce qui a des implications profondes pour l’urgence et l’ambition requises afin de protéger les communautés vulnérables contre les effets les plus graves du changement climatique. Parmi les autres conclusions importantes, citons le rejet de l’argument de la « discrétion illimitée » concernant le contenu et l’ambition des CDN, qui doivent désormais être évaluées selon une norme de diligence raisonnable stricte. En outre, l’avis intègre le rôle essentiel de l’élimination progressive des combustibles fossiles dans les obligations des États, englobant la production, l’octroi de licences et les subventions.
Malgré le cadre juridique clair établi par l’avis unanime, les opinions exprimées par les juges individuels soulignent les débats en cours sur la mise en œuvre pratique et la répartition équitable des charges dans la lutte contre le changement climatique. Ces points de vue soulignent la nécessité d’une plus grande spécificité concernant les conséquences juridiques pour les « grands pollueurs » par rapport aux « États vulnérables » et d’une articulation plus solide du principe CBDR-RC, qui reconnaît pleinement les responsabilités historiques et les capacités différenciées.
Néanmoins, en apportant cette clarification juridique, la CIJ a redonné un nouveau souffle au rôle de l’Accord de Paris en tant qu’instrument applicable dans l’ordre juridique international. L’avis reconnaît cependant que son rôle soit limité, étant donné qu’une solution complète et durable nécessite non seulement une précision juridique, mais aussi « la volonté et la sagesse humaines » dans tous les domaines de la connaissance. Mais cette modestie n’enlève rien à l’ambition qui transparaît dans l’interprétation par la Cour du cadre juridique international en vigueur. La modestie est souvent la forme la plus réaliste de l’ambition.
Notes
- CIJ, Avis consultatif, Obligations des États en matière de changement climatique, 23 juillet 2025.
- Accord de Paris (13 décembre 2015), in CCNUCC, rapport de la COP n° 21, addendum, p. 21, document des Nations unies FCCC/CP/2015/10/Add, 1 (29 janvier 2016) [ci-après « Accord de Paris »].
- CIJ, Avis consultatif, para. 456.
- Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Rio de Janeiro, 9 mai 1992, en vigueur depuis le 21 mars 1994) 1771 UNTS 107 [ci-après CCNUCC].
- Protocole de Kyoto (Kyoto, 11 décembre 1997, en vigueur le 16 février 2005) 2303 UNTS 262.
- Voir, parmi beaucoup d’autres, Daniel Bodansky, « The Paris Climate Change Agreement – A New Hope? », American Journal of International Law, vol. 110, 2016, pp. 288-319 ; Jorge E. Viñuales, « The Paris Agreement on Climate Change: Less is More » German Yearbook of International Law, vol. 59, 2016, pp. 11-48 ; Daniel Bodansky, Jutta Brunneé et Lavanya Rajamani, International Climate Change Law, Oxford University Press, 2017 ; Daniel Klein (dir.), The Paris Agreement on Climate Change: Analysis and Commentary, Oxford University Press, 2017 ; Geert Van Claster et Leonie Reins, The Paris Agreement on Climate Change: A Commentary, Edward Elgar, 2021 ; Auteurs divers, « Special Issue: The Paris Agreement », 25(2) Review of European Community and International Environmental Law (RECIEL) 2016
- Voir Margaretha Wewerinke-Singh, State Responsibility, Human Rights and Climate Change under International Law, Oxford : Hart, 2019
- Lavanya Rajamani, « Ambition and Differentiation in the 2015 Paris Agreement: Interpretive Possibilities and Underlying Politics », International and Comparative Law Quarterly, vol. 65, 2016, pp. 493-514 ; Christina Voigt et Felipe Ferreira, « Dynamic Differentiation » : The Principles of CBDR-RC, Progression and Highest Possible Ambition in the Paris Agreement », 5(2) Transnational Environmental Law 285-303, 2016.
- Nicholas Chan. « Climate Contributions and the Paris Agreement: Fairness and Equity in a Bottom-Up Architecture », 30(3) Ethics & International Affairs, 2016.
- Lavanja Rajamani et Daniel Bodansky, « The Paris Rulebook: Balancing International Prescriptiveness with National Discretion », International and Comparative Law Quarterly, vol. 68, 2019, pp. 1023-40
- Sur la nature juridique de l’accord, voir Daniel Bodansky, « The Legal Character of the Paris Agreement », (2016) 25(2) RECIEL, 142-150
- CIJ, Avis consultatif, Obligations des États en matière de changement climatique, 23 juillet 2025, paragraphes 119-121. Ibid
- Ibid, paragraphes 162-171
- Ibid, paragraphe 224
- Ibid, paragraphe 224.
- Ibid, paragraphe 224
- Ibid, paragraphe 224
- Ibid, paragraphes 230-254
- Ibid, paragraphe 235.
- Ibid, paragraphe 236.
- Ibid, paragraphes 237-249
- Ibid, paragraphe 240
- Ibid, paragraphe 244.
- Ibid, paragraphes 245-466
- Ibid, paragraphes 250-251
- Ibid, paragraphes 252-254
- Ibid, paragraphes 256-258
- Ibid, paragraphe 258
- Ibid, paragraphes 260-270.
- Ibid, paragraphes 264-265
- Ibid, paragraphe 265
- Ibid, paragraphes 266-267.
- Juge Yusuf, avis séparé, paragraphe 2.
- Juge Yusuf, opinion séparée, paragraphes 40-48.
- Juges Bhandari et Cleveland, opinion séparée, paragraphes 1, 4, 12 et 15
- Ibid, paragraphe 314
- Juges Charlesworth, Brant, Cleveland et Aurescu, déclaration commune, paragraphe 5
- CIJ, Avis consultatif, Obligations des États en matière de changement climatique, 23 juillet 2025, paragraphe 10.
- Juge Tladi, déclaration, paragraphe 22.
citer l'article
Ginevra Le Moli, Avis consultatif de la CIJ sur le changement climatique et l’Accord de Paris, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2025,