Revue Européenne du Droit
Dix ans après Paris : l’action climatique passe par les villes
Issue #6
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Auteurs

Anne Hidalgo

Une revue scientifique publiée par le Groupe d'études géopolitiques

Climat : la décennie critique

En décembre 2015, la COP 21 faisait de Paris le cœur battant du monde. Ce sommet pour le climat, par sa portée universelle et par les attentes immenses qu’il suscitait, représentait un moment historique d’union face au dérèglement climatique. Pour la première fois, 195 pays s’accordaient sur un cadre commun de lutte contre le réchauffement.

Cette avancée majeure récompensait le travail déterminant de la diplomatie climatique française, incarnée par Laurent Fabius, accompagné d’une équipe de négociateurs hors-pairs menée par Laurence Tubiana, qui a permis à la COP 21 d’aboutir à cet accord capital qui nous offrait encore une chance d’un monde vivable, un monde à +1,5 °C. Derrière cet accord se tenait une promesse forte : celle d’un avenir soutenable, d’un monde plus juste et plus respirable. L’Accord de Paris est une nouvelle grande déclaration pour les droits de l’humanité, après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, toutes les trois signées à Paris, capitale des droits humains. Fidèle à sa tradition humaniste, Paris continue à inspirer et à prendre toute sa part dans la marche du monde.

Ce moment fondateur a été rendu possible grâce à la mobilisation et à la coalition sans précédent des États, des villes, de la société civile, des scientifiques, des militants, des syndicats, des politiques et du secteur privé, engagé dans sa décarbonation. Autrement dit, des forces vives de la lutte contre le réchauffement climatique.

Au-delà des États, les villes étaient déjà à l’œuvre. Alors que les gouvernements nationaux signaient l’Accord de Paris, je réunissais à l’Hôtel de Ville, avec le soutien essentiel de Michael Bloomberg, ancien maire de New York et alors envoyé spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour les villes et le climat, mille maires du monde entier, des experts scientifiques, des militants, des artistes reconnus, des entrepreneurs et des amis du climat et de la planète. Cette mobilisation sans précédent des gouvernements locaux, à l’initiative de notre ville et des réseaux de villes tels que le C40 Cities Climate Leadership Group (C40) ou l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF), témoignait d’une prise de conscience profonde : la bataille climatique allait aussi se jouer dans les métropoles. C’est là l’une des grandes leçons de la COP 21 : aucune transition climatique ne pourra désormais s’engager sans les villes et les territoires. Autrement dit, penser global, agir local, comme l’a si souvent proclamé l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali.

Nous l’avions alors affirmé, et nous le répétons sans relâche depuis, que les villes pouvaient et devaient jouer un rôle majeur dans la lutte contre le réchauffement. Tout simplement parce qu’elles sont sur la ligne de front, là où tout se joue, où tous les défis globaux ont des conséquences locales, très concrètement et très immédiatement, sur les vies humaines. Il revient aux élus de proximité de protéger leurs concitoyens des effets de la chaleur extrême, de la pollution de l’air, de la sécheresse, des inondations, ou encore, des incendies et des méga-feux. Notre conviction était que l’Accord de Paris ne devait pas seulement être une feuille de route pour les États, mais aussi définir l’objectif commun de nos politiques locales permettant l’atténuation des conséquences du changement climatique et l’adaptation de notre cadre de vie. 

Nous revenions de loin. Avant l’Accord de Paris, les maires, il faut le reconnaître, n’étaient que des figurants de l’action climatique mondiale. Pour la première fois, avec la COP 21, nous avons mis un pied dans la porte. Depuis, nous sommes devenus des acteurs reconnus, légitimes et déterminants, dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Aujourd’hui, les villes sont bel et bien le lieu stratégique de l’action climatique. Elles sont à la fois les premières concernées par les effets du réchauffement de la terre, mais également la bonne échelle des politiques climatiques d’adaptation et d’atténuation. Pourquoi ? Rappelons-le, aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, soit 4 milliards de personnes, un chiffre qui atteindra 70 % en 2050. L’urbanisation croissante fait des villes les principales émettrices de gaz à effet de serre, responsables de 70 % des émissions mondiales, tout en générant 80 % du PIB global. C’est à cette échelle que doivent être menées des actions concrètes, qui changent la vie, ancrées dans le quotidien, proches des habitants et porteuses d’ambition.

Les Maires n’attendent pas les États pour agir. Quand les États reculent, ils tiennent bon. Je garde en tête le mot du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, António Guterres : « C’est dans les villes que la bataille contre le climat sera largement gagnée ou perdue. »

À Paris, cette prise de conscience amorcée dès 2001 avec la mesure de l’impact carbone de nos actions nous a permis d’engager, dès 2007, un premier Plan Climat, suivi de trois autres.

En 2014, élue Maire de Paris, j’ai décidé d’aller encore plus loin en engageant résolument ma ville dans l’adaptation au réchauffement climatique et la sortie des énergies fossiles. Tout simplement parce que la pollution tue. Nous l’avons fait en libérant la capitale du tout-voiture : en rendant les berges aux Parisiennes et aux Parisiens, en mettant fin aux autoroutes urbaines en plein cœur de Paris, puis, plus récemment, en abaissant la vitesse sur le périphérique à 50 km/h, en y aménageant une voie réservée aux véhicules propres et au co-voiturage, en créant les zones à trafic limité dans le centre de notre ville, ou encore, en augmentant les tarifs de stationnement pour les SUV, comme l’ont souhaité les Parisiennes et les Parisiens à l’issue d’une votation citoyenne.

Et les résultats sont là : en vingt ans, le trafic automobile s’est réduit de 56,2 %, permettant une baisse de 60 % de la pollution atmosphérique, dont – 40 % d’émissions de dioxyde d’azote.

Nous prolongeons cet engagement en développant les mobilités actives, à pied, à vélo. Ainsi, nous avons créé plus de 1 565 km de pistes cyclables. En 2024, pour la première fois, le vélo a dépassé la voiture dans les déplacements du quotidien.

Cela s’est aussi accompagné d’une végétalisation massive des rues, avec la plantation de 170 000 arbres entre 2020 et 2026, la création de forêts urbaines, l’aménagement de 300 rues aux écoles libérées des voitures, ou encore, avec les cours oasis dans les établissements scolaires. C’est là aussi, une grande réussite plébiscitée par les Parisiens. 

Et si je l’ai fait, c’est avec la conviction que ces actions sauvent des vies. En vingt ans, le nombre de décès prématurés dus à la pollution de l’air a été divisé par deux, l’empreinte carbone de la ville s’est réduite de 32 %. Ces transformations améliorent la qualité de l’air et amoindrissent les îlots de chaleur : elles sont autant de leviers puissants de santé publique. L’adaptation climatique, c’est une politique du quotidien, de justice sociale, du mieux-vivre, ici et maintenant.

Mais nous devons aller plus loin. Parce que l’objectif, c’est bien la sortie des énergies fossiles. Alors, nous agissons sur tous les plans : à l’échelle de nos bâtiments, avec l’objectif de la rénovation thermique de tous les équipements municipaux, ou encore, avec le développement du réseau de chaleur et de froid. Sans oublier l’alimentation, en proposant des produits bio, durables, accessibles, dans tous les lieux de restauration : les crèches, les écoles, EHPAD et restaurants municipaux.  Paris est aujourd’hui le premier acheteur public de bio en France, et 100 % des repas servis dans les crèches sont issus de l’agriculture biologique. C’est une politique exemplaire, outil de santé publique, de justice sociale et de transition écologique.

Ce que nous faisons à Paris va encore plus loin : notre politique de lutte contre le réchauffement climatique imprègne toutes nos actions. Nous avons voté de nombreux plans, qui irriguent toutes nos politiques : le 4e Plan Climat, le Plan Biodiversité, le Plan Local d’urbanisme bioclimatique, le Plan Résilience et, évidemment, le Plan Santé Environnement. Ils s’inscrivent dans un ensemble cohérent qui nous permet d’anticiper, de prévoir, de voir plus loin. 

C’est aussi dans cet esprit que nous avons bâti la candidature aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Les Jeux de Paris ont été une réussite extraordinaire, mais aussi un véritable levier de transformation écologique et sociale. Preuve en est, la Seine est enfin rendue aux Parisiennes et aux Parisiens. Cent ans après son interdiction, ils peuvent s’y baigner à nouveau.

Et il n’y a pas que Paris qui agit. Le mouvement lancé par les 1 000 maires réunis à l’Hôtel de Ville en 2015 n’a depuis cessé de grandir, de s’organiser et de se structurer. Il a conduit au lancement de l’initiative Coalition for High Ambition Multilevel Partnerships for Climate Action (CHAMP), fruit de ces dynamiques multilatérales et multi-niveaux, qui s’imposent aujourd’hui comme des leviers incontournables de l’action climatique locale. Ce travail collectif des villes du monde entier, et les résultats qu’il a permis d’obtenir et de mesurer, nous les mettons aujourd’hui en lumière à l’Hôtel de Ville au travers de l’exposition « De Paris à Belém ». Je pense par exemple à Copenhague, qui, dans les années 1990, avait l’un des ports les plus pollués d’Europe. Par la mise en place de bassins de rétention intelligents pour filtrer les eaux fluviales avant qu’elles ne rejoignent le port, Copenhague a pu aménager plusieurs zones de baignade dans la ville. Des politiques innovantes, il y en a partout : les zones à très faibles émissions (ULEZ) à Londres ; la piétonnisation végétalisée du canal à Utrecht ; l’aménagement de nouveaux espaces verts incluant collines et ruisseaux à Medellín ; ou, à Pékin, la transformation d’un site sidérurgique en un parc écologique, symbole du renouveau urbain de la ville ; le réaménagement de la Baie du Banco à Abidjan ; celui des berges du Tibre à Rome ; l’initiative « Breathe Rio de Janeiro » pour la réduction de la pollution de l’air à Rio, ou encore, l’éclairage public solaire à Nouakchott. La liste est longue et partout dans le monde, le travail des maires est dense et innovant. Et c’est aussi pour cela que les villes sont indispensables, qu’elles sont les locomotives de l’action climatique. Toutes vont dans la même direction.

Ces actions concrètes démontrent le potentiel unique des territoires dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elles nécessitent un engagement sans faille, permanent, une grande détermination. Je peux en témoigner, comme bon nombre de mes collègues. Nous, maires, sommes en permanence confrontés à des violences inouïes : des lobbies puissants et organisés, des tentatives permanentes menées pour nous décrédibiliser, nous caricaturer, des campagnes orchestrées pour nous faire reculer. C’est un mode opératoire récurrent, parce que nous sommes souvent les premiers à nous opposer aux intérêts fossiles, comme nous l’avons fait à Paris en signant le traité de non-prolifération des énergies fossiles.

Confrontées à ces pressions permanentes, organisées et agressives, les villes doivent aussi recourir à la justice pour défendre leurs politiques environnementales. Ce fut le cas en mai 2018, lorsque nous avons saisi, avec mes amis, le maire de Bruxelles, Philippe Close, et l’ancienne maire de Madrid, Manuela Carmena, la justice européenne après le scandale du « dieselgate », qui accordait un véritable « permis de polluer » aux constructeurs automobiles. Et nous avons gagné. Cette victoire a prouvé que les villes pouvaient faire entendre leur voix face aux puissances industrielles, au nom de la santé publique. 

Il y a d’autres obstacles, nombreux. La décennie qui vient de s’écouler fut marquée par des oppositions considérables envers celles et ceux qui voulaient agir, notamment avec le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris. Même si les villes américaines, elles, ont continué de combattre. Nous faisons aussi face à la montée des discours climatosceptiques, au révisionnisme climatique, à la défiance qui s’abat aujourd’hui sur la science, à contre-courant de toutes considérations rationnelles, à tous les populismes qui profitent et se nourrissent de cette défiance, ou encore, à la prolifération de campagnes de désinformation amplifiées par les réseaux sociaux, qui ont représenté autant de défis auxquels nous avons dû répondre directement. Avec toujours davantage de force. L’une des armes pacifiques que nous avons déployées, c’est celle de la « ville du quart d’heure », permettant aux citoyens de s’impliquer au plus proche de chez eux, d’en faire des acteurs du changement, pour eux, pour leurs enfants et pour leurs petits-enfants. Autrement dit, pour les droits des générations futures.

Malgré les vents contraires, nous devons tenir bon. L’urgence climatique n’est pas une menace lointaine : elle est là. Les chiffres sont sans appel, les scientifiques nous alertent depuis des années. L’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne de +1,6 °C au-dessus des niveaux préindustriels. Elle a aussi été marquée par une accélération dramatique des phénomènes extrêmes : la fonte des glaces et l’augmentation du niveau des eaux, le cyclone Chido à Mayotte en décembre dernier, les inondations meurtrières à Valence à l’automne, les incendies dévastateurs à Los Angeles en janvier, et tout récemment, les inondations qui frappent le Texas. L’année 2025 risque aussi de battre tous les records. Ce ne sont pas des abstractions scientifiques, c’est le quotidien et hélas l’avenir de l’humanité.

Alors, nous devons évidemment célébrer cet anniversaire des dix ans de l’Accord de Paris. Mais aujourd’hui, au niveau global, nous pourrions atteindre un réchauffement climatique de +3 °C en 2100. Sans la COP21, il faut le dire, cela aurait été pire. 

Pour tenir bon et atteindre ces objectifs, les maires se sont organisés, aux côtés des organisations internationales et des États volontaires. De cette dynamique est né un nouveau multilatéralisme, multiniveaux, désormais indispensable pour affronter les grands défis mondiaux à venir. Cela s’est fait par les réseau internationaux de villes, tels que le C40 aujourd’hui fort de 97 villes membres parmi les grandes ; l’AIMF ; le Global Covenant of Mayors (GCoM), qui réunit plus de 12 000 maires représentant plus d’un milliard de citoyens, soit environ 15 % de la population mondiale ; ou encore l’initiative des maires pour la croissance inclusive de l’OCDE. Ce sont les fers de lance de cette alliance pour climat. Entre 2015 et 2023, les émissions moyennes par habitant ont diminué de 6,3 % dans les villes du C40, tandis que celles de leurs gouvernements nationaux sont restées stables. Rien de tout cela n’aurait été possible sans la COP 21.

C’est bien pour cela que les maires militent depuis pour une reconnaissance accrue du rôle des gouvernements locaux dans la gouvernance climatique mondiale. Lors de la COP 28 qui s’est tenue à Dubaï, en 2023, les maires figuraient pour la première fois à l’agenda officiel de la conférence, avec le Local Climate Action Summit. Évidemment, c’est un signal positif, mais il faut aller beaucoup plus loin. C’est tout le sens de CHAMP, plaidoyer ambitieux visant à intégrer les contributions locales dans les contributions nationales déterminées (NDC), et à faciliter, en parallèle, un financement direct aux villes pour la transition écologique, à la hauteur de leur action. Le Pacte pour l’avenir, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 2024, renforce aussi de manière déterminante la place des villes dans les négociations internationales. 

Malgré ces succès indéniables, malgré la place qui est reconnue aux villes depuis la COP21, il faut le dire clairement : elles restent encore marginalisées dans la gouvernance et le financement climatique à l’échelle internationale. Alors que les financements climatiques mondiaux s’élèvent actuellement à 1 900 milliards de dollars par an, les villes n’en perçoivent que moins de 10 %.

Les maires ont besoin, aujourd’hui plus que jamais, d’un accès direct aux financements pour assumer pleinement leurs responsabilités et aller plus loin.

Ce contexte donne une résonance particulière à la prochaine COP 30, qui se tiendra à Belém, au Brésil, en 2025, sous la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva. Cette conférence pourrait bien être notre dernière chance. Elle doit marquer un tournant décisif vers une gouvernance climatique plus inclusive, sous l’égide des Nations unies. La COP 30 sera aussi importante que la COP 21. 

Belém, au cœur de l’Amazonie, portera l’indispensable alliance entre climat et biodiversité. Cette COP sera également celle d’un renforcement décisif des engagements financiers et politiques en faveur des villes, mais aussi la marque d’une reconsidération et du respect du Nord pour le Sud global, d’une lutte accrue contre la désinformation et d’une consolidation de la justice climatique mondiale.

La COP de Belém sera la COP des villes, celle de l’espoir. Je ne cesserai de le répéter. Rien ne se fera sans elles. Parce qu’elles sont l’échelon démocratique par excellence, celui qui représente le mieux les citoyens, les territoires et les communautés humaines de toute notre planète.

Enfin, pour renouveler nos ambitions climatiques, dans les moments difficiles que nous traversons, pour le climat et pour la démocratie, il est indispensable que les planètes s’alignent à nouveau. Que toutes les forces vives humanistes se rassemblent, comme elles l’avaient fait à Paris il y a dix ans. Avec, aux côtés des États, les villes. 

Dix ans après Paris, faisons en sorte que Belém soit le berceau d’un nouvel accord pour le climat et pour l’humanité. Qu’elle nous donne la force d’affronter avec espoir les défis du présent. Nous le devons aux vivants. Nous le devons aux générations futures.

J’y crois profondément et j’y prends toute ma part.

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Anne Hidalgo, Dix ans après Paris : l’action climatique passe par les villes, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2025,

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