Élection parlementaire au Portugal, 10 mars 2024
Marco Lisi
Professeur associé de l’Université NOVA de LisbonneIssue
Issue #5Auteurs
Marco Lisi
Numéro 5, Janvier 2025
Élections en Europe : 2024
Le contexte des élections législatives de 2024
Le Parti socialiste (PS) a triomphé lors des élections législatives de 2022, obtenant une majorité parlementaire globale historique. Ce résultat a permis au parti d’exercer un contrôle inégalé sur l’agenda législatif et de mettre en œuvre ses promesses de campagne. Cependant, le gouvernement socialiste a vu sa popularité s’éroder régulièrement au fil du temps. Ce déclin peut être attribué à deux facteurs principaux. Premièrement, les citoyens ont observéune détérioration marquée de la qualité des services publics, en particulier dans les domaines des soins de santé, du logement et de l’éducation (Lopes, 2024). Ces secteurs étant des points de référence cruciaux pour les Portugais lorsqu’ils évaluent les performances du gouvernement, leur déclin a eu un impact significatif sur la perception de l’opinion publique. Deuxièmement, le gouvernement a été assailli par une série de scandales et d’allégations de mauvaise conduite. La fréquence et la gravité de ces incidents ont entraîné une rotation sans précédent au sein de l’exécutif, avec des démissions ministérielles à un rythme moyen de près d’une par mois.
La série de scandales a atteint son apogée avec une enquête sur des allégations de pratiques illégales concernant d’importants investissements dans les énergies vertes. Cette enquête a impliqué le Premier ministre lui-même, António Costa, conduisant à sa démission en novembre 2023. Suite à cette démission, le PS a cherché à maintenir sa majorité parlementaire en proposant un nouveau Premier ministre issu de ses rangs. Cependant, le président Marcelo Rebelo de Sousa a adopté une position différente. Contrairement aux souhaits des socialistes, Rebelo de Sousa a refusé de nommer un autre Premier ministre issu de la majorité parlementaire sortante, préférant dissoudre le parlement et convoquer des élections anticipées. Pour justifier sa décision, le Président a invoqué la nécessité de redonner la parole à l’électorat au regard de la gravité de la situation.
La campagne électorale
La campagne électorale a été principalement dominée par des débats sur la protection sociale et les politiques économiques. Les thèmes économiques traditionnels, tels que les salaires, les impôts et les pensions, ont été au cœur de la compétition entre les principaux partis politiques. Le nouveau leader du PS, Pedro Nuno Santos, a cherché à réorienter l’attention du public vers le bilan économique positifs de l’administration sortant. Il a mis l’accent sur les chiffres robustes de la croissance économique portugaise et sur la réduction substantielle de la dette publique sous le mandat socialiste. Le gouvernement était en effet parvenu à réduire le ratio dette/PIB à moins de 100 %, un jalon historique qui reflétait une gestion budgétaire plus sérieuse et une plus grande stabilité économique. En outre, le taux de croissance annuel a constamment dépassé la moyenne de la zone euro grâce à l’essor du secteur du tourisme, qui s’est révélé être un facteur clé du renouveau économique portugais.
Le nouveau parti populiste de droite radicale Chega, qui connaît un succès électoral croissant depuis 2019, s’est efforcé de tirer profit des nombreux scandales de corruption qui ont frappé non seulement le gouvernement PS sortant, mais aussi les représentants du principal parti d’opposition, le Parti social-démocrate (PSD, centre-droit), plusieurs personnalités-clés liées au gouvernement de centre-droit de Madère faisant l’objet d’une enquête pour corruption. Ces controverses ont fortement influencé la communication du parti de droite radicale. Son leader, André Ventura, a tenté de capitaliser sur ces questions lors des débats qui l’ont opposé aux deux principaux candidats au poste de Premier ministre, lors desquels il a plaidé pour une plus grande transparence et une plus grande responsabilité des gouvernants. Au même moment, les socialistes restaient sur la défensive, tentant de réorienter l’attention vers leurs propositions d’expansion des programmes sociaux et de nouvelles initiatives économiques. L’attention accrue portée aux affaires judiciaires en cours a également stimulé les discussions sur les réformes potentielles du système juridique portugais, les candidats présentant des propositions variées pour remédier aux lacunes rendues visibles par l’actualité. Cet aspect de la campagne reflétait une préoccupation sociétale plus large concernant l’intégrité institutionnelle et l’efficacité des services publics portugais, influençant de manière significative les perceptions des électeurs et les stratégies électorales dans l’ensemble du spectre politique.
Les prévisions des instituts d’étude d’opinion ont constitué un autre élément majeur de la campagne. Les enquêtes ont toujours prédit une compétition serrée entre le PS et le PSD, les deux principales forces politiques au Portugal, déplaçant une grande partie du débat vers la formation de coalitions et la gouvernabilité. Le PS et le PSD se sont trouvés contraints de discuter non seulement de leurs propres programmes politiques, mais aussi de leurs alliances potentielles après les élections. Les petits partis se sont ainsi retrouvés au centre du jeu politique, leur soutien pouvant s’avérer crucial pour la formation d’un gouvernement stable. Les candidats et les chefs de parti ont souvent évoqué leur volonté (ou leur réticence) à conclure des accords de coalition et les conditions dans lesquelles ils pourraient le faire. Les médias et le public ont accordé une attention particulière à la politique du « cordon sanitaire » qui excluait Chega des alliances gouvernementales potentielles. L’accent mis sur la formation de coalitions et la stabilité gouvernementale a ajouté un degré de complexité supplémentaire à la campagne, obligeant les électeurs à prendre en compte non seulement les politiques individuelles des partis, mais aussi les implications plus larges de leurs choix pour la stabilité de l’exécutif. Si Pedro Nuno Santos a reconnu la possibilité de coopérer avec d’autres partis de gauche pour former un nouveau gouvernement, il a en revanche exclu toute collaboration avec le principal parti d’opposition, le PSD. De son côté, le leader du PSD, Luís Montenegro, a explicitement rejeté la perspective d’une alliance avec Chega.
Résultats électoraux
Les résultats des élections ont révélé une tendance notable : une légère augmentation de la participation électorale. Malgré un taux d’abstention encore important, s’élevant à 40 %, ce regain de participation a marqué un renversement significatif de la tendance à la baisse observée depuis le retour de la démocratie au Portugal. Cette évolution semble être liée à la capacité de mobilisation des nouveaux partis politiques, notamment Chega, qui s’est distingué par son efficacité à canaliser le mécontentement d’une partie importante de l’électorat. La potential du parti à mobiliser de nouveaux électeurs reflète une tendance plus large : la capacité des mouvements populistes à dynamiser des segments de la population auparavant désengagés.
Les résultats des élections anticipées qui se sont tenues en mars 2024 témoignent d’une impressionnante poussée de l’extrême droite, Chega obtenant la troisième place avec 18,1 % des voix et 50 sièges. La coalition de droite Alliance démocratique (AD), une alliance entre le PSD, le CDS (Centre démocratique et social) et le PPM (Parti populaire monarchiste), a remporté les élections de justesse avec un léger avantage sur le PS (28,9 % contre 28 %) sous la direction de son nouveau chef Pedro Nuno Santos.
En conséquence, les élections de 2024 ont marqué un important virage à droite dans le paysage politique portugais. Les partis situés à droite du centre ont obtenu une majorité écrasante du vote populaire et une nette majorité des sièges, tandis que les socialistes et la gauche radicale (comprenant principalement le Parti communiste portugais [PCP] et le Bloc de gauche [BE]) ont subi une sévère défaite. Ce résultat consacre ainsi une rupture nette avec les majorités de gauche qui s’étaient imposées dans la politique portugaise depuis 2015.
Malgré la majorité de la coalition de centre-droit, le résultat du PSD a été, en pratique, une « victoire à la Pyrrhus », puisque le parti a obtenu le même nombre de députés que le PS et n’a pas augmenté de manière significative sa part de voix par rapport à l’élection législative précédente. Sa victoire avait donc un goût amer, surtout si l’on considère les conditions favorables dans lesquelles le PSD s’était présenté aux élections et sa coalition préélectorale avec le CDS. Si le parti de centre-droit a remporté un succès notable dans les régions du nord du pays, regagnant plusieurs de ses bastions traditionnels, il n’a pas été en mesure d’élargir sa base d’électeurs au-delà de son noyau dur de partisans.
L’aspect le plus frappant de ces résultats est la performance remarquable de Chega. La part de voix de Chega est passée de 7,4 % en 2022 à 18,1 % en 2024, ce qui fait du parti de droite radicale la troisième force politique du pays. Cette ascension représente un changement radical dans le paysage politique portugais. Plusieurs facteurs ont contribué à ce succès : la remarquable capacité de Chega à mobiliser les électeurs dans l’ensemble du pays, obtenant un soutien homogène par-delà les clivages régionaux ; sa stratégie de campagne efficace, en particulier par le biais des médias sociaux ; et sa capacité à capitaliser sur la désaffection politique généralisée et les griefs socio-économiques. L’appel de Chega aux frustrations latentes au sein de l’électorat a non seulement contribué à l’augmentation de la participation, mais a également lancé un possible mouvement de réalignement au sein du système de partis portugais.
Le parti modéré de centre-droit Initiative libérale (IL) a obtenu une part de voix similaire à celle de l’élection précédente tout en gagnant un siège supplémentaire, passant de 7 à 8 élus. Le parti a réussi à mobiliser une part importante des jeunes électeurs, principalement parmi les plus diplômés et les professions libérales. Sur le plan géographique, la concentration des votes révèle une asymétrie constante, avec un soutien plus important dans les régions côtières.
Parmi les forces de gauche, les élections législatives de 2024 ont confirmé les difficultés persistantes auxquelles est confronté le PCP, qui a perdu deux sièges et près d’un point de pourcentage de voix. Même le remplacement du secrétaire général Jerónimo de Sousa par Paulo Raimundo en novembre 2022 n’a pas permis d’enrayer le déclin du parti au niveau national comme local. La position du BE est restée stable, sans changement dans son nombre total de voix ou de sièges. Toutefois, les résultats du parti restent bien en deçà de ceux qu’il a obtenus pendant la période d’après-crise.
Le seul parti de gauche à avoir remporté une nette victoire est le parti vert-libertaire Livre, qui a triplé sa part de voix (3,16 %) et augmenté sa représentation de 1 à 4 députés, ce qui lui a permis de former son propre groupe parlementaire. Outre la circonscription de Lisbonne, où il avait déjà obtenu un député lors des élections de 2022, Livre a également réussi à faire élire des représentants dans les circonscriptions de Porto et de Setúbal. La base électorale de Livre se caractérise par une présence significative de jeunes électeurs (jusqu’à 34 ans) majoritairement très éduqués et résidant dans des centres urbains. Ce succès montre sa capacité à attirer certains électeurs de centre-gauche désillusionnés par la gouvernance socialiste, mais aussi d’anciens soutiens du parti vert PAN et de nouveaux électeurs.
Le PAN a légèrement augmenté son nombre de voix (126 000, soit 1,95 %) tout en conservant le même nombre de représentants à l’Assemblée : sa seule députée élue a été Inês Sousa Real, leader du parti. Le fait que le PAN ait connu des controverses internes au cours de cette période et qu’il ait été confronté à une concurrence accrue a contribué à limiter ses performances électorales, qui sont restées essentiellement confinées aux principaux centres urbains.
L’ascension et la chute du gouvernement minoritaire du PSD
Bien que le PSD n’ait pas réussi à tirer parti de la crise du gouvernement PS pour renforcer sa base électorale, la coalition de centre-droit AD est restée la première force politique du pays. En conséquence, le président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa, a demandé au chef du PSD, Luís Montenegro, de former un nouveau gouvernement. La stratégie de Montenegro a consisté à refuser catégoriquement toute forme d’alliance avec Chega pour la formation du nouvel exécutif, tandis que l’IL a maintenu son orientation stratégique inchangée, rejetant toute possibilité de coalition avec Chega et se montrant ouverte à une négociation avec le PSD. Cependant, suite aux résultats des élections législatives, l’IL a décidé de ne pas rejoindre la coalition gouvernementale formée par le PSD et le CDS. En conséquence, le Premier ministre Montenegro a opté pour la formation d’un gouvernement de coalition minoritaire, incorporant un ministre et un secrétaire d’État du partenaire junior, le CDS. La formation du nouveau gouvernement a été rendue possible par l’abstention du PS, tandis que la gauche radicale et la Chega s’y opposaient.
Les élections européennes de 2024, qui se sont tenues le 6 juin, ont confirmé la nouvelle configuration du système partisan portugais. Alors que le PS a obtenu une courte victoire sur AD (32,1 % contre 31,1 %), le résultat le plus frappant a été la performance de Chega : la part de voix du parti est tombée à 9 %, entamant ses ambitions gouvernementales. L’IL a obtenu un résultat positif avec l’élection d’un député au Parlement européen, tandis que les deux partis de la gauche radicale ont lutté pour éviter une perte d’influence, réussissant l’un comme l’autre à obtenir un seul élu.
Le gouvernement minoritaire PSD a commencé par mettre en œuvre un certain nombre de mesures visant à répondre aux demandes de diverses catégories sociales, notamment en augmentant les salaires des forces de sécurité, des enseignants et des travailleurs de la santé publique. Parmi les autres initiatives phares du gouvernement AD, on peut citer une série d’avantages principalement fiscaux à destination des jeunes, ainsi qu’une réduction de la charge fiscale des entreprises.
Malgré ces mesures, les enquêtes d’opinion montraient peu de changement dans le soutien aux principaux partis. Alors que le PS et le PSD étaient au coude à coude dans les sondages, Chega a connu un léger déclin de sa part de voix pendant la majeure partie de l’année 2024. André Ventura s’est attaché à radicaliser le message du parti, non seulement en organisant une manifestation contre l’immigration incontrôlée (29 septembre), mais aussi en soutenant les revendications des secteurs sociaux qui ont exprimé leur mécontentement à l’égard des choix du gouvernement.
Le gouvernement de centre-droit a réussi à faire passer le budget de l’État pour 2025 à la suite de négociations avec les socialistes. Après avoir hésité entre le rejet de la proposition et l’abstention, le PS a finalement choisi de s’abstenir, tandis que tous les autres partis d’opposition votaient contre le texte. Entre-temps, le PSD a poursuivi une stratégie centriste visant à satisfaire divers groupes sociaux – en particulier les fonctionnaires, les retraités et la classe moyenne – en réduisant les impôts et en augmentant les salaires. Cette approche a été rendue possible non seulement par l’excédent budgétaire réalisé l’année précédente, mais aussi par les bonnes performances de l’économie portugaise en 2024.
Alors que les partis étaient focalisés sur la définition de leurs stratégies pour les prochaines échéances électorales – à savoir les élections locales d’octobre 2025 et l’élection présidentielle de 2026 – un scandale politique impliquant le premier ministre Montenegro a fait irruption dans le débat public. Le leader du PSD a été critiqué pour avoir continué à exercer une activité professionnelle après son entrée en fonction. En réponse, le gouvernement a demandé la confiance du parlement, accusant l’opposition de chercher à déclencher des élections anticipées. Cette démarche était un effort calculé de la part du premier ministre pour capitaliser sur les réalisations de son gouvernement dans divers domaines et pour renforcer sa position par rapport aux principales forces d’opposition.
À l’époque, les sondages électoraux montraient que le PSD conservait son avance sur le Parti socialiste, tandis que la popularité de Chega semblait avoir atteint un plateau. Finalement, tous les partis d’opposition ont rejeté la motion déposée par Montenegro, ce qui a entraîné la chute du gouvernement et l’annonce de nouvelles élections pour le 18 mai 2025. Les perspectives actuelles laissent entrevoir une nette majorité de droite parmi les électeurs portugais, contrastant avec la volonté exprimée par la gauche de collaborer à la recherche d’une alternative politique au gouvernement AD. Néanmoins, le résultat le plus probable reste un système de partis fragmenté, ce qui rend les perspectives d’une gouvernance stable de plus en plus incertaines. Les élections législatives de 2025 devraient réaffirmer l’alignement du Portugal sur les tendances européennes plus larges marquées par une fragmentation, une volatilité électorale et une polarisation accrues.
Les données




Bibliographie
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citer l'article
Marco Lisi, Élection parlementaire au Portugal, 10 mars 2024, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2025,