Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection parlementaire en Andorre, 2 avril 2023
Issue #4
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Issue #4

Auteurs

LLuís Medir

Numéro 4, Janvier 2024

Élections en Europe : 2023

L’Andorre est un micro-État sans accès à la mer (81 588 habitants en 2022 et 468 km2) situé au cœur des Pyrénées entre la France et l’Espagne. L’Andorre est un cas exceptionnel en Europe, notamment en raison de son héritage politique médiéval (Medir, Vilanova & Pano 2022). L’Andorre contemporaine est un État indépendant et souverain, membre des Nations unies, mais aussi une coprincipauté parlementaire dirigée par deux coprinces, l’évêque d’Urgell et le président de la République française, qui ne détiennent pas le pouvoir exécutif. Cet arrangement institutionnel unique remonte à 1278, date de la signature des Pareatges, un pacte de paix entre l’évêque d’Urgell et le comte de Foix (Mickoleit 2010). La lutte de l’Andorre pour la neutralité entre ses deux puissants voisins a contribué à sa stabilité territoriale et sociale pendant près de huit siècles. L’Andorre conserve le catalan comme langue officielle et la plupart de ses traditions et règles coutumières prennent leur source dans l’époque féodale. Le régime politique de l’Andorre se caractérise également par le rôle politique majeur joué par ses municipalités, appelées paroisses ou comuns (leur nom officiel selon la constitution).

L’Andorre compte actuellement 7 paroisses qui peuvent être considérées comme l’« âme » politique de l’Andorre étant donné que jusqu’à l’adoption de la constitution libérale-démocratique de 1993, il n’existait guère d’appareil d’État central fonctionnel dans le pays (Medir, Vilanova et Pano 2022). En fait, le rôle constitutionnel singulier des gouvernements locaux d’Andorre les place dans une situation qu’on peut rapprocher de celle des cantons suisses : ce sont des institutions dotées d’un large éventail de compétences, d’un budget propre et, surtout, d’une forte influence sur la politique nationale. En effet, les gouvernements locaux participent à l’élaboration des politiques nationales par le biais de divers canaux et institutions constitutionnels (Bartomeu 2010). Comme nous le verrons dans la suite de cet article, leur influence sur les élections nationales est également cruciale.

Les dernières élections au Consell General, le corps législatif andorran, ont eu lieu le 2 avril dans le contexte d’un processus politique très important : l’adoption possible de l’accord d’association entre Andorre et l’UE, qui pourrait affecter de manière significative et durable la politique et la société andorranes. L’impact du futur accord sur la société andorrane a pu, en certaines occasions, être comparé à celui par de l’approbation de la Constitution de 1993. Le chef de gouvernement sortant (et actuel), Xavier Espot, du parti Demòcrates per Andorra (DA), a été l’un des architectes de la négociation actuelle, débutée en 2015. L’accord doit accorder à la Principauté l’accès au marché intérieur des vingt-sept (y compris la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux), tout en prenant en compte certains des besoins spécifiques du micro-État andorran. 1

L’élection a eu lieu dans un espace partisan très fragmenté, qui a vu jusqu’à 8 forces politiques différentes (sans compter les coalitions locales) se disputer les 28 sièges du Conseil. Si le système de partis andorran est traditionnellement volatile, les coalitions au sein de l’élite politique sont cependant relativement stables dans le temps (Serra, 2015 et Minoves, 2022). Cette forte fragmentation de l’espace partisan est en partie le résultat du système électoral des élections générales andorranes, qui implique une méthode dite de double urne ou de double liste. Lors d’une même élection, les citoyens disposent en effet de deux votes, un vote national et un vote paroissial. Quatorze conseillers généraux sont élus dans une circonscription nationale au scrutin proportionnel de liste bloquée et fermée selon la méthode du plus fort reste (quotient de Hare) ; quatorze autres sont élus dans des circonscriptions paroissiales au scrutin uninominal à un tour, chaque paroisse élisant deux députés indépendamment de sa population. Les électeurs des paroisses ne votent pas pour des candidats individuels, mais pour un binôme de candidats, les deux candidats du ticket gagnant étant élus ensemble. Chaque citoyen peut attribuer une première voix à une liste nationale et une seconde voix à un binôme de candidats dans sa paroisse. La majorité absolue nécessaire pour former un exécutif stable est de 15 conseillers.

Après l’élection de 2019, du fait de la forte fragmentation partisane, une coalition gouvernementale composée de 3 partis a été formée. La majorité parlementaire soutenant le président du gouvernement était formée par le parti du président, DA, avec 11 conseillers, les Liberals d’Andorra (LdA), Ciutadans Compromesos et plus tard Acció (AC), une scission des LdA. Le principal parti d’opposition était le Partit Socialdemòcrata d’Andorra (PS), ainsi que deux partis mineurs. Au total, en 2019, 8 partis se présentaient des candidats dans la circonscription nationale, tandis que 6 autres partis ou coalitions étaient présents uniquement dans les circonscriptions paroissiales.

Comme mentionné précédemment, la campagne de 2023 a été marquée par les négociations de l’accord d’association avec l’UE, mais aussi par des questions telles que l’avortement (l’un des deux coprinces d’Andorre, l’évêque de La Seu d’Urgell, adoptant une position très critique), l’État-providence et la sécurité sociale. Avec l’irruption de nouvelles formations politiques telles que Concòrdia (CC) et Andorra Endavant (AE), de nouveaux thèmes ont pris de l’importance dans la campagne. Concòrdia est un parti d’idéologie nationaliste andorrane qui développe un nouveau discours sur la nature et la fonction de l’État andorran. Son programme politique, qui associe des exigences de transparence, d’égalité des sexes et de libéralisme économique au développement d’un modèle de protection sociale ambitieux, a suscité de nouveaux débats lors de ces élections. En général, le spectre idéologique andorran est dominé par des partis libéraux-conservateurs (Demòcrates per Andorra, Liberals d’Andorra, Ciutadans Compromesos), avec une présence historique de partis sociaux-démocrates (en 2023, les différentes forces de cette tendance, telles que le Partit Socialdemòcrata et Socialdemocràcia i Progrés d’Andorra, se sont présentées ensemble), et de nouveaux partis moins marqués idéologiquement incarnant de fortes demandes de changement politique (Concòrdia et Andorra Endavant).

Avec un taux de participation légèrement inférieur à la moyenne nationale et relativement homogène géographiquement (66,9 % dans les deux scrutins, voir figure a), l’élection de 2023 s’est soldée par une nette victoire de DA de Xavier Espot, renforçant ainsi sa majorité parlementaire et assurant sa réélection à la présidence du gouvernement (Minoves 2023). DA a obtenu une large majorité parlementaire grâce à sa remarquable victoire au niveau national (voir l’encadré « les données » pour les résultats des circonscriptions nationales) mais aussi et surtout grâce à sa victoire dans 6 des 7 paroisses du pays (La Massana, Ordino, Canillo, Andorra la Vella, Encamp et Escaldes), qui lui a permis d’obtenir un total de 11 conseillers paroissiaux 2 . DA a obtenu 5 sièges supplémentaires au niveau national, pour un total de 16 représentants au Conseil général. Seule la paroisse de Sant Julià se distingue, Concòrdia y remportant les deux sièges de la circonscription locale (voir figure b).

Le graphique dans l’encart « les données » montre l’évolution de la part des voix des partis dans la circonscription nationale de 2019 à 2023. La répartition territoriale du vote en 2023 et l’évolution du nombre de sièges de chaque parti sont indiquées dans la figure c. En comparant les résultats des deux dernières élections, trois différences essentielles se dégagent. Premièrement, les données témoignent des gains électoraux de DA, passé d’une majorité relative à une majorité absolue au sein du parlement malgré une légère perte de voix dans la circonscription nationale (perte qui fut plus que compensée par ses excellents résultats dans les circonscriptions paroissiales). Deuxièmement, on observe l’émergence d’un nouveau parti, Concòrdia, qui associe des éléments traditionnels du nationalisme andorran à un programme politique modernisé. Troisièmement, les données suggèrent que l’émergence de Concòrdia s’est produite en grande partie au détriment du Partit Socialdemòcrata qui, bien qu’il ait formé une plate-forme unique avec d’autres partis sociaux-démocrates et progressistes pour la première fois depuis de nombreuses années, a perdu son statut de premier parti d’opposition, passant de 7 conseillers en 2019 à 3 en 2023. Dans l’ensemble, la configuration des forces politiques en lice pour l’élection de 2023 est remarquable, puisque 4 des 6 partis ou coalitions présentant des candidats dans la circonscription nationale sont nouveaux par rapport à 2019.

Figure b · Parti vainqueur dans chaque circonscription paroissiale

Avec la consolidation de DA et l’effondrement du PS et des Liberals d’Andorra 3 , l’émergence de Concòrdia est le troisième phénomène marquant de cette élection. Concòrdia, dirigé par Cerni Escalé, est un jeune parti dont les dirigeants sont de nouveaux venus en politique âgés d’une trentaine d’années. Parmi eux se trouvent des politologues et des économistes, dont beaucoup ont étudié à l’étranger. Ensemble, ils ont réussi à créer, dans un temps très court, un projet politique horizontal et de rassemblement qui combine la défense de la nation andorrane, le catalanisme et une idéologie éclectique dont certaines mesures pourraient être classées à droite, mais avec une forte dimension cohésion et de justice sociale. Bien que n’ayant pas d’expérience institutionnelle, les députés de Concòrdia sont aujourd’hui à la tête de l’opposition au gouvernement Espot.

On ne saurait trop insister sur le rôle joué par les dynamiques locales (paroissiales) dans ces élections nationales. La victoire de DA, en particulier, est fortement ancrée dans des dynamiques locales. La force de ses candidats locaux a été le principal atout du parti, qui a été amplifié par l’usage du scrutin uninominal à un tour. DA a également été le seul parti à présenter des candidats paroissiaux dans chacune des sept communes et à obtenir plus de voix sur les listes paroissiales que sur la liste nationale. À l’inverse, les performances de nouvelles forces telles que Concòrdia et Andorra Endavant reposent principalement sur leurs bons résultats dans la circonscription nationale, où l’obtention d’une représentation est moins difficile et où l’influence des élites nationales est plus faible. De fait, le double système de vote andorran produit des résultats très différents sur les listes nationales et paroissiales, avec une part nettement plus importante de votes blancs dans cette dernière du fait de l’absence de représentation de certains partis au niveau local.

PartiVoix
nat.
%
nat.
Sièges
nat.
Voix
par.
%
par.
Sièges
par.
Delta
Demòcrates per Andorra626232,66573091116+5
Concòrdia410921,433351625+5
Partit Socialdemòcrata–Progressistes SDP403621,053523803-4
Andorra Endavant3067163137003+3
Liberals d’Andorra8934,660300700-4
Acció8054,20197911+1
Votes blancs5371527
Votes nuls341557
Total2005010014200431428
Participation2995866,932995866,9
Figure c · Résultats électoraux 2023
Source : https://www.eleccions.ad/resultats; nat. = circonscription nationale, par. = circonscriptions paroissiales

En conclusion, les élections de 2023 ont consolidé le soutien parlementaire au gouvernement des Demòcrates per Andorra et lui ont donné une forte légitimité pour gouverner le pays au cours des quatre prochaines années. Le gouvernement pourra s’appuyer sur une solide majorité parlementaire pour faire face aux profonds changements qu’entraînera la probable ratification de l’accord de coopération avec l’UE. L’accord devrait consacrer l’existence d’un accord-cadre entre l’UE et les micro-États européens, commun à Monaco, Saint-Marin et Andorre, avec des protocoles spécifiques pour chacun d’entre eux. Cette évolution, si elle se concrétise, aura également un impact durable sur la politique andorrane. La tenue d’un référendum sur la ratification de l’accord d’association, promise par DA pendant la campagne, n’a pas encore été confirmée.

Parallèlement à cette stabilité, l’élection de 2023 a montré des signes intéressants de changement qui, s’ils se confirment au cours des quatre prochaines années, pourraient également avoir un impact durable sur l’avenir de la politique andorrane. Il s’agit notamment de l’émergence de Concòrdia et d’Andorra Endavant, deux partis dirigés par des visages nouveaux, et dont le programme incarne de réelles demandes de changement ; du processus de rénovation interne que le Partit Socialdemòcrata (et les différentes sensibilités avec lesquelles il s’est associé lors de cette élection) devra mener à bien suite à sa défaite électorale ; et de la situation délicate des Liberals d’Andorra, désormais représentés au parlement par un seul conseiller.

Enfin, nous constatons que le système des deux urnes a généré une stabilité politique remarquable, qui renforce clairement les élites locales et pénalise les options réformistes qui ont pris de l’ampleur au scrutin proportionnel. Ensemble, Concòrdia et Andorra Endavant, les deux partis qui ont défendu le changement politique le plus profond (et pas seulement l’alternance, comme c’était le cas du Partit Socialdemòcrata), ont recueilli plus de votes que les Demòcrates per Andorra. D’une certaine manière, le désir de changement politique observé au sein de la population ne s’est pas encore répercuté pleinement à l’intérieur du système représentatif.

Les données

Bibliographie

Bartomeu, I. (2010). Introducció al Sistema Constitucional del Principat d’Andorra. Andorrana, SA : Fundacio Julià reig i Premsa.

Medir, L., Vilanova, P., & Pano, E. (2022). Andorra: Local elections in quasi-federal institutions. In The Routledge Handbook of Local Elections and Voting in Europe (p. 187-196). Routledge.

Mickoleit, A. (2010). Andorra. In D. Nohlen­& P. Stöver (éd.), Elections in Europe: A data handbook (p. 149–168). Baden-Baden : Nomos Verlagsgesellschaft.

Minoves-Triquell, J. (2022). The Evolution of Andorra’s Party System: From Parties of ‘Notables’ to a Predominant Party System. In Casal Bértoa, F., & Dumont, P. (éd.), Party Politics in European Micro-states. Abingdon/New York : Routledge.

Minoves-Triquell, J. (2023). Andorra’s 2023 elections: DA wins an absolute parliamentary majority. PSGo blog. En ligne.

Serra, J. (2015). Volatilidad y legitimidad del sistema de partidos del Principado de Andorra; dos dimensiones de la institucionalización de su sistema de partidos. Ponencia Congreso AECPA. En ligne.

Notes

  1. Voir https://andorraue.ad/es/accord-dassociacio.
  2. Dans l’une des paroisse, le DA s’est présenté sur un ticket commun avec un membre du parti Acció.
  3. Les libéraux sont désormais représentés par un seul député non-inscrit, qui intègre le Conseil général après que Conxita Marsol a rejoint l’exécutif d’Espot. Les mandats de député et de membre de l’exécutif sont juridiquement incompatibles.
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LLuís Medir, Élection parlementaire en Andorre, 2 avril 2023, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2023,

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