Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection parlementaire en Slovaquie, 30 septembre 2023
Issue #4
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Issue #4

Auteurs

Olga Gyárfášova

Numéro 4, Janvier 2024

Élections en Europe : 2023

Des élections législatives ont eu lieu en Slovaquie le 30 septembre 2023. Il s’agissait d’élections anticipées, la prochaine échéance électorale régulière étant prévue pour février/mars 2024, et de la neuvième élection depuis l’indépendance de la Slovaquie le 1er janvier 1993.

Le taux de participation a été de 68,5 %, soit un peu plus que lors de l’élection précédente en 2020 (65,8 %). Vingt-cinq forces politiques étaient en lice, dont sept ont atteint le seuil de cinq pour cent (pour les partis) ou de sept pour cent (pour les coalitions multipartites) requis pour obtenir une représentation au Conseil national. La Slovaquie utilise un système électoral proportionnel avec une seule circonscription nationale. Les 150 sièges du Conseil national sont attribués au plus fort reste avec quotient de Hagenbach-Bischoff, une variante de la méthode D’Hondt. Les listes des partis sont semi-fermées, les électeurs étant autorisés à attribuer jusqu’à quatre votes préférentiels à des candidats du parti choisi.

Contexte politique et social de l’élection

L’élection s’est déroulée dans une atmosphère très tendue, après trois ans et demi d’instabilité politique. Lors des élections de 2020, le parti Smer-SD — au pouvoir depuis 2006 à l’exception d’un brève intermède entre 2010 et 2012 — a été battu par le mouvement anti-corruption de centre-droit OľaNO. Le principal objectif de la coalition pro-occidentale de quatre partis issue de ces élections était de donner des suites judiciaires aux grandes affaires de corruption politique de la précédente législature. Les attentes du public étaient élevées, avec de fortes exigences de décence et de respect de l’État de droit. L’alternance a eu lieu — le Smer-SD est passé dans l’opposition — mais les attentes n’ont pas été satisfaites. Surtout, le nouveau gouvernement a dû faire face à d’énormes défis externes et internes : d’abord la pandémie de COVID-19, puis une forte inflation et des crises énergétiques, jusqu’à la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine voisine qui a amené des dizaines de milliers de réfugiés de guerre dans le pays. En outre, le gouvernement a souffert des conflits internes à la coalition et a été soumis à une pression continue en raison de l’attitude agressive d’Igor Matovič à l’égard des autres partis. Le style de gouvernement de la coalition a été perçu comme chaotique par l’opinion publique. En conséquence, la confiance dans le gouvernement a atteint des niveaux historiquement bas — début 2023, le niveau de confiance était au plus bas depuis 1993 —, 14 % seulement de la population adulte faisant encore confiance au gouvernement Heger (Eurobaromètre standard 98). À la fin de l’année 2022, le gouvernement Heger a survécu à un vote de défiance au parlement, mais il a finalement démissionné en mai 2024. La présidente Zuzana Čaputová a alors nommé un gouvernement technique chargé d’expédier les affaires courantes jusqu’aux prochaines élections anticipées. Cette situation a fait disparaître de facto le clivage habituel coalition-opposition. La campagne électorale a été très polarisée, faisant appel aux sentiments de peur et de colère de l’électorat.

Résultats

Le vainqueur des élections de 2023 est le parti Direction — social-démocratie, membre des Socialistes et Démocrates au Parlament européen (Smer-SD, S&D) 1 dirigé par l’ex-premier ministre Robert Fico. Les sociaux-démocrates slovaques ont obtenu 22,9 % des voix et 42 mandats (+ 4 par rapport aux élections précédentes). Slovaquie progressiste, membre du groupe Renew Europe au PE (PS, RE) et nouveau venu au parlement slovaque, est arrivé en deuxième position avec 18 % des voix et 32 sièges 2 . Michal Šimečka, dirigeant du PS, a été élu au Parlement européen en 2019. où il a également occupé le poste de vice-président du groupe Renew Europe. Après avoir remporté un mandat au parlement national, Šimečka a démissionné de son poste d’eurodéputé. Le parti Voix – social-démocratie (Hlas-SD) a pris la troisième place. Hlas-SD est apparu en 2020 comme une scission de Smer-SD dirigée par l’ancien membre de Smer-SD et éphémère Premier ministre Peter Pellegrini. En 2023, le Smer-SD a obtenu 14,7 % des voix et 27 sièges. Le grand vainqueur des élections de 2020, le parti conservateur anti-corruption Gens ordinaires et personnalités indépendantes, membre du groupe du Parti populaire européen au PE (OľaNO, PPE), n’a obtenu que 8,9 % des voix et 16 sièges en coalition avec de plus petits partenaires. Le Mouvement chrétien-démocrate, également membre du Parti populaire européen au Parlement européen (KDH, PPE), est revenu au parlement national après deux cycles électoraux avec 6,8 % des voix et 12 sièges. De même, le Parti national slovaque (SNS), ethno-nationaliste, peut célébrer son retour sur la scène politique nationale avec 5,6 % des voix et 10 sièges. Enfin, le parti libéral Liberté et Solidarité, membre des Conservateurs et Réformistes européens au PE (SaS, ECR), a obtenu 6,3 % des voix et 11 mandats.

Parmi les grands perdants de cette élection figurent les partis d’extrême droite – principalement le Parti populaire Notre Slovaquie (ĽSNS, Non-Inscrits) et son mouvement dissident République (Republika). Les extrémistes, qui avaient réussi une percée électorale en 2016, ont désormais perdu leur représentation parlementaire. L’une des explications possibles de ce fiasco est la radicalisation du parti Smer-SD, qui a permis à ce dernier d’absorber une partie de l’électorat ultranationaliste. Parmi les perdants figure également le nouveau parti Démocrates (D) dirigé par l’ex-premier ministre de centre-droit Eduard Heger qui a remplacé Igor Matovič en mars 2021. Malgré la présence de plusieurs anciens ministres sur leur liste, les Démocrates ont obtenu moins de 3 % des voix. Le troisième membre de la coalition sortante, Nous sommes une famille (SR) a subi le même sort. Enfin, la dirigeante du quatrième parti membre de la coalition, Za ľudí (Pour les gens), Veronika Remišová, n’a « sauvé » son siège qu’en rejoignant OľaNO ; son ancien parti, fondé par l’ancien président Andrej Kiska, n’occupe plus qu’une position marginale. Au bilan, tous les partis qui avaient obtenu une supermajorité contre Robert Fico en 2020 ont été sévèrement battus. Parmi les perdants du scrutin, il convient enfin de mentionner la représentation politique fragmentée de la minorité hongroise — aucun des partis de ce champ n’a atteint le seuil électoral en 2023.

Formation gouvernementale et campagne

Le nouveau gouvernement a été formé peu après les élections par trois partis : Smer-SD, Hlas-SD et SNS. Il détient une courte majorité de 79 sièges au parlement. Le chef du parti le plus puissant, Robert Fico, est devenu Premier ministre de la Slovaquie pour la quatrième fois.

La compétition entre les partis s’est principalement structurée autour des questions socioculturelles : les conservateurs illibéraux prônant des valeurs familiales traditionnelles et un ordre social hiérarchique faisaient face à des libéraux et à de progressistes défendant les droits des minorités, notamment via la revendication de la mise en place d’unions civiles pour les couples homosexuels 3 . Cependant, le clivage ne portait pas « seulement » sur les valeurs culturelles, mais aussi sur certains aspects fondamentaux de la démocratie libérale. Comme l’analyse le politologue hongrois Zsolt Enyedi, « le conservatisme illibéral est hostile à l’équilibre des pouvoirs, à la neutralité de l’État et à la capacité des médias et de la société civile à demander des comptes aux décideurs » (Enyedi, 2023 : 12). Alliance d’ethnocentrisme civilisationnel et de populisme paternaliste (ibid.), le conservatisme illibéral est la combinaison toxique responsable du recul démocratique observé dans plusieurs pays d’Europe centrale depuis les années 2010. La montée de l’illibéralisme a conduit à réduire la compétition politique à une lutte entre deux camps polarisés, dont l’un représente la régression vers l’autoritarisme tandis que l’autre tente de préserver les principes de l’État de droit et de la démocratie libérale (cf. Greskovits, 2015 ; Rupnik 2023). Dans ce contexte, les élections slovaques de 2023 peut à juste titre être qualifiées de « critiques », car elles ont décidé non seulement de l’alternance politique, mais aussi de l’orientation future du pays.

Les deux premier partis sont les principaux représentants des deux principaux partis politiques en compétition. Le parti nationaliste Smer-SD, bien que de gauche, promeut une « politique étrangère slovaque souveraine » qui n’est pas sans rappeler la position de Viktor Orbán à l’égard de l’UE, de l’Ukraine et de la Russie. Slovaquie Progressiste, pour sa part, défend un programme nettement pro-européen, libéral et progressiste. La différence civilisationnelle entre ces deux partis peut être illustrée par un indicateur très simple : lors des élections de 2023, le PS a été le premier parti de l’histoire démocratique de la Slovaquie à se présenter avec une liste équilibrée en termes de genre, alors que la première femme sur la liste du Smer-SD n’occupait que la 33e position.

Le choix des électeurs

La Slovaquie se caractérise par un degré élevé d’instabilité au sein de son système de partis : à chaque élection, de nouveaux partis émergent, et le comportement des électeurs est considéré comme très volatile (cf. Haughton & Deegan-Krause, 2015 ; Linek & Gyárfášová, 2020). Les élections législatives de 2023, qui ont connu des flux électoraux importants, ne font pas exception à cette règle. Un nouveau parti, Hlas-SD, issu d’une scission de Smer-SD, fait son entrée au parlement. Le PS, également nouveau venu au parlement national, a attiré 2,5 fois plus d’électeurs qu’en 2020, lorsqu’il s’était présenté en coalition avec le parti de centre-droit SPOLU. Simultanément, les quatre partis au pouvoir ont tous été confrontés à des départs massifs d’électeurs, plus de la moitié de leur ancien électorat ayant voté pour d’autres partis. L’ensemble de la coalition gouvernementale a ainsi été sévèrement « punie » pour son style de gouvernement, malgré la mise en place de plusieurs programmes sociaux de dernière minute.

Les bases électorales des partis ont une structure sociodémographique très différents, notamment s’agissant de l’âge et du niveau d’éducation. Selon les résultats des sondages de sortie des urnes (FOCUS, 2023), le PS l’a clairement emporté dans la cohorte des moins de 39 ans et parmi les titulaires d’un diplôme universitaire, receuillant même plus de 40 % des voix parmi les étudiants. En revanche, le Smer-SD a bénéficié d’un soutien supérieur à la moyenne parmi les personnes âgées et d’âge moyen. Un clivage rural-urbain est également observable : le PS est fortement implanté dans la capitale Bratislava et dans d’autres grandes villes du pays, tandis que le Smer-SD est plus fort dans les petites villes et les zones rurales.

L’électorat des deux partis sociaux-démocrates, Smer-SD et Hlas-SD, présente des différences significatives. Alors que le Smer-SD s’adresse principalement aux personnes âgées et aux électeurs ruraux, le Hlas-SD remporte un succès plus net auprès des jeunes électeurs urbains. S’agissnat de leur positionnement idéologique, si les deux partis ont conservé un profil économique de gauche, ils diffèrent sur la dimension socioculturelle : Hlas-SD est plus libéral et s’adresse principalement aux électeurs sociaux-démocrates de la classe moyenne. Leur potentiel électoral commun a atteint 38 %, soit plus du double du résultat obtenu par le Smer-SD en 2020. Les négociations post-électorales ayant conduit à la formation d’un gouvernement commun, on peut faire l’hypothèse que ce clivage était en réalité transitoire et que les partis sociaux-démocrates se réunifieront à l’avenir.

Les magyarophones constituent la minorité ethnique la plus importante en Slovaquie, constituant 8,4 % de la population selon le recensement de 2021. La minorité hongroise est concentrée dans le sud de la Slovaquie, le long de la frontière avec la Hongrie. Jusqu’en 2020, la minorité hongroise était continuellement représentée dans la politique nationale. Lors des élections de 2023, cependant, le vote hongrois s’est fragmenté. Le parti hongrois le plus puissant, Szövetség-Aliancia, a obtenu 4,4 % des voix, tandis que deux partis plus petits ont chacun obtenu moins de 1 % des voix. Le vote pour les partis hongrois est plus fort dans les régions méridionales (voir « les données »). Néanmoins, les partis hongrois ont plus de succès dans la politique locale et régionale qu’au niveau national.

Si l’on examine la géographie du vote (voir « les données »), on constate que le Smer-SD l’emporte dans la majorité des municipalités slovaques. Les exceptions sont les zones à forte présence ethnique hongroise, où Szövetség-Aliancia a pu l’emporter. Le PS a gagné dans les plus grandes villes, tandis que dans le nord de la Slovaquie (surtout dans la région d’Orava), le KDH a été plus fort en raison d’une plus grande concentration d’électeurs chrétiens. Enfin, il y a eu d’autres exceptions à la domination du Smer-SD dans des régions spécifiquement ciblées par les campagnes de certains partis, ou en lien avec les attaches locales de certains candidats.

Les défis du nouveau gouvernment

Le nouveau gouvernement de M. Fico est confronté à plusieurs tâches difficiles. Il devra apaiser les tensions au sein de la société, démontrer sa capacité à répondre aux besoins de tous les groupes de citoyens et restaurer la confiance dans le système politique. Il est cependant probable que le niveau de polarisation au sein du système politique slovaque reste élevé dans les années à venir. L’économie, les affaires sociales et les finances publiques seront également au premier plan au cours de la prochaine législature. De nombreux groupes sociaux — en particulier les familles monoparentales, les retraités vivant dans des ménages uniques, les familles nombreuses et les familles comptant des membres handicapés — font face à des difficultés économiques dues à la hausse des prix de l’énergie, du logement et de l’alimentation, une situation qui appelle des aides sociales ciblées. Un autre défi important est la nécessité d’assainir les finances publiques après deux années de croissance considérable de la dette. Enfin, il n’est pas certain que les efforts visant à améliorer l’efficacité du système judiciaire et à poursuivre systématiquement les cas de corruption et d’abus de pouvoir se poursuivent.

Le résultat des élections législatives de 2023 en Slovaquie a également une importance plus large pour la politique européenne, en particulier à la lumière des crises géopolitiques en cours. Si l’on s’en tient aux déclarations de l’ancien et nouveau premier ministre, il est à craindre que la continuité de la politique étrangère de la Slovaquie soit rompue et que le pays joue un rôle moins fiable et moins prévisible au sein de l’UE et de l’OTAN lors de la prochaine mandature. La fin du soutien militaire de la Slovaquie à l’Ukraine, l’opposition du nouveau gouvernement à la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’UE et sa réceptivité vis-à-vis des récits et de la politique de Moscou constitueraient les éléments-clefs d’un tel revirement. Cependant, M. Fico s’est aussi fréquemment présenté comme un homme politique pragmatique prêt à poursuivre les politiques pro-UE de ses prédécesseurs. Reste à savoir lequel de ses nombreux visages prédominera au cours des quatre prochaines années.

Les données

Bibliographie

Enyedi, Z. (2023). Illiberal conservativism, civilizationalist ethnocentrism, and paternalist populism in Orbán´s Hungary. CEU- DI Working papers 2023/03.

FOCUS (2023). Data from the exit-poll conducted on September 30 for TV Markíza. Internal data set.

Greskovits, B. (2015). The Hollowing and Backsliding of Democracy in East Central Europe. Global Policy, 6(S1): 28-37.

Haughton, T. et Deegan-Krause, K. (2015). Hurricane Season: Systems of Instability in Central and East European Party Politics. East European Politics and Societies 29(1) : 61–80.

Linek, L. et Gyárfášová, O. (2020). The role of incumbency, ethnicity, and new parties for electoral volatility in Slovakia, Czech Political Science Review, XXVII(3) : 303-322.

Rupnik, J. (2023). Illiberal Democracy and Hybrid Regimes in East-Central Europe. In Kolozova, K. & N. Milanese, N. (éd.), Illiberal Democracies in Europe: An Authoritarian Response to the Crisis of Illiberalism (pp. 9-16). The Institute for European, Russian, and Eurasian Studies.

Standard Eurobarometer 98 – Winter 2022-2023 (2023). En ligne.

Notes

  1. Smer-SD et Hlas-SD sont tous deux membres du Parti socialiste européen. Cependant, après avoir formé une coalition gouvernementale avec le Parti national slovaque (SNS) en 2023, leurs adhésions au parti et au groupe S&D ont été suspendues.
  2. Lors des élections de 2020, le PS, qui se présentait en coalition avec le parti Ensemble (SPOLU, RE), a manqué le seuil électoral de 0,04 %. Cette coalition s’est dissoute peu après l’élection et le PS s’est présenté en son propre nom aux élections de 2023.
  3. La Slovaquie est l’un des rares pays de l’UE à ne pas reconnaître le mariage ou les unions civiles entre personnes de même sexe. Depuis 2014, la Constitution slovaque limite le mariage aux couples de sexes différents.
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Olga Gyárfášova, Élection parlementaire en Slovaquie, 30 septembre 2023, Groupe d'études géopolitiques, Juin 2024,

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