Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection présidentielle en Slovaquie, mars-avril 2024
Issue #5
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Issue #5

Auteurs

Ľubomír Zvada

Numéro 5, Janvier 2025

Élections en Europe : 2024

Introduction

Après que la présidente Zuzana Čaputová a annoncé qu’elle ne se représenterait pas en 2024, il était clair que les Slovaques auraient un nouveau président. L’élection qui s’est déroulée les 23 mars et 6 avril 2024 a été remportée au second tour par Peter Pellegrini, ce dernier ayant battu son adversaire, le diplomate de longue date et ancien ministre des Affaires étrangères, Ivan Korčok. Pellegrini devient le premier homme politique de l’histoire moderne de la Slovaquie à occuper toutes les plus hautes fonctions constitutionnelles, ayant déjà été Président du Parlement (2014-2016, 2023-2024) et Premier ministre (2018-2020).

Ce texte a plusieurs objectifs. Tout d’abord, il présente le contexte historique de l’élection présidentielle en Slovaquie et le cadre juridique dans lequel se déroule l’élection. Ensuite, il examine le cadre de l’élection présidentielle de 2024 et le processus de nomination des candidats. Enfin, il présente les moments-clés des campagnes des candidats lors des deux tours et étudie les raisons de la victoire de Peter Pellegrini en passant en revue les électorats et les territoires dont le nouveau président a tiré son soutien électoral. En conclusion, on discute des effets de la victoire de Pellegrini sur l’orientation actuelle et future de la politique slovaque.

Contexte historique et cadre juridique de l’élection présidentielle

La tradition présidentielle en Slovaquie remonte indubitablement à la période 1918-1939, lorsque la Slovaquie faisait partie de l’État tchécoslovaquie. Toutefois, à la différence de la République tchèque, qui revendique fièrement l’héritage de la démocratie tchécoslovaque d’entre-deux-guerres, les élites politiques slovaques sont beaucoup plus hésitantes à mobiliser cette période (Brunclík, 2023). Ainsi, en Slovaquie, ce n’est pas la tradition présidentielle représentée par T. G. Masaryk ou Edvard Beneš qui est mise en avant ; au contraire, d’un point de vue historique, la présidence est surtout associée aux noms de Jozef Tiso ou Gustáv Husák, représentants de deux régimes non démocratiques.

Compte tenu de ce manque d’expérience historique avec la fonction présidentielle et ses représentants, une histoire entièrement nouvelle de cette fonction a commencé à s’écrire avec la création de la République slovaque en 1993. Le tout premier président de l’ère de l’indépendance slovaque, Michal Kováč, qui fut aussi le seul président élu indirectement par le parlement, a défini une forme d’archétype de la fonction. Le président Kováč était le candidat désigné par le parti le plus puissant de l’époque, le HZDS (Mouvement pour une Slovaquie démocratique, Hnutie za demokratické Slovensko) dirigé par Vladimír Mečiar. Toutefois, peu après son entrée en fonction, Kováč a commencé à s’opposer aux ambitions autoritaires de Mečiar et est devenu l’une des figures principales de l’opposition à Mečiar dans la politique slovaque. Le conflit entre le Premier ministre Mečiar et le président Kováč sur la nature du futur système politique a atteint son paroxysme après la fin du mandat de Kováč, pendant lequel Mečiar, en tant que premier ministre et président par intérim, a accordé une série d’amnisties dans des affaires liées à l’enlèvement du fils du président à l’étranger et au référendum raté de 1997. Le Parlement étant incapable d’élire un autre président et la Slovaquie étant confrontée à une crise institutionnelle, la question du changement du mode d’élection du président est devenue l’un des principaux enjeux de la campagne électorale de 1998. Le HZDS est parvenu à remporter ces élections mais a échoué à former une majorité de gouvernement. Au sein de la nouvelle législature, un large front anti-Mečiar mené par le SDK (Coalition démocratique slovaque, Slovenská demokratická koalícia) et comprenant des partis tels que le SDĽ (Parti de la gauche démocratique, Strana demokratickej ľavice), le SMK (Parti de la coalition hongroise, Strana maďarskej koalície) et le SOP (Parti de la compréhension civique, Strana občianskeho porozumenia) a fait adopter une série d’amendements constitutionnels incluant l’élection du président de la République au scrutin direct. En 1999, Rudolf Schuster est ainsi devenu le premier président élu au suffrage direct, son élection enregistrant au passage un taux de participation sans précédent tant au premier tour (73,89 %) qu’au second tour (75,45 %). Depuis l’élection de 1999, le taux de participation a nettement diminué à chaque scrutin. En 2004, Rudolf Schuster a été remplacé à la tête de l’État par Ivan Gašparovič, qui a été le seul à exercer deux mandats.

Les élections de 2014 et 2019 ont marqué un changement significatif dans la perception de la présidence elle-même, le poste étant occupé pour la première fois par une nouvelle génération d’hommes politiques. À deux reprises, des candidats indépendants, Andrej Kiska et Zuzana Čaputová, sont parvenus à l’emporter sur les candidats du parti le plus puissant, le SMER-SD (Direction-Social Démocratie), représenté respectivement par Robert Fico et Maroš Šefčovič. Les succès électoraux de Kiska et Čaputová ont été présentées comme des victoires sur l’establishment politique en place et sur la corruption. Cependant, les élections de 2019 ont également enregistré le taux de participation le plus bas de l’histoire, avec moins de 50 % lors des deux tours, le second tour ayant enregistré un taux de participation historiquement faible, avec seulement 41,79 % des électeurs inscrits se rendant aux urnes (Štatistický úrad Slovenskej republiky, 2019).

La République slovaque étant une démocratie parlementaire, le rôle du président est principalement représentatif, symbolique et cérémoniel (Giba, 2011). Le président slovaque agit comme une sorte d’arbitre et d’instance de contrôle des actions du gouvernement et du parlement (Brunclík et Kubát, 2019, pp. 52–53).

Le président de la République slovaque est élu au suffrage direct pour un mandat de cinq ans. Tout citoyen slovaque âgé de plus de 40 ans, soutenu par au moins 15 membres du Parlement ou ayant recueilli 15 000 signatures de citoyens, peut se présenter à l’élection présidentielle. Un système majoritaire à deux tours régit l’éléction. Au premier tour, tout candidat qui obtient la majorité des voix des électeurs inscrits est élu. Si personne n’est élu, un second tour est organisé 14 jours plus tard, auquel participent les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix au premier tour. Au second tour, le candidat qui obtient le plus grand nombre de voix est élu (Národná Rada Slovenskej Republiky, 2023).

Le vote n’est possible que dans un bureau de vote situé sur le territoire de la République slovaque. Tout citoyen de la République slovaque qui a atteint l’âge de 18 ans au plus tard le jour du scrutin peut voter soit dans la commune de sa résidence permanente, soit dans n’importe quel bureau de vote s’il a fait la demande d’une carte électorale. La loi fixe la limite des dépenses de campagne de chaque candidat à un total de 500 000 euros, TVA comprise, pour les deux tours de scrutin. Ce montant comprend les frais engagés par le candidat à la présidence pour la publicité pendant la période commençant 180 jours avant la date de l’annonce des élections (c’est-à-dire à partir du 13 juillet 2023) et les frais payés ou à payer par le candidat à la présidence. La campagne électorale pour l’élection du président de la République slovaque a officiellement commencé le mardi 9 janvier, jour de la publication de la décision de proclamer les élections dans le Recueil des lois de la République slovaque. Elle s’est achevée 48 heures avant le jour du premier tour, soit le 21 avril minuit, lorsqu’a commencé le moratoire électoral. La campagne du second tour s’est achevée le 4 avril à minuit (Ministerstvo vnútra Slovenskej Republiky, 2024).

Contexte général de l’élection et procédure de sélection des candidats

L’élection présidentielle de 2024 en Slovaquie doit être appréhendée dans le contexte plus large du cycle politique en cours depuis 2019. Trois moments clés ont significativement influencé l’élection.

Le 20 juin 2023, la présidente Čaputová, première femme élue à la présidence de la Slovaquie en 2019, a annoncé qu’elle ne briguerait pas un second mandat, invoquant des raisons personnelles (The Guardian, 2023). Pendant son mandat, Čaputová a été confrontée à des campagnes de diffamation incessantes de la part du SMER-SD et de partis d’extrême droite tels que le K-ĽSNS (Parti populaire « Notre Slovaquie », Kotlebovci – Ľudová strana naše Slovensko) et Republika (République), qui l’ont qualifiée d’« agente américaine » et ont proféré à son égard des insultes à caractère sexiste. Des menaces de mort ont également été proférées à son encontre et à celle de sa famille.

La gouvernance problématique du gouvernement de centre-droit issu des élections législatives de 2020 a également déterminé le contexte électoral. Lors deu scrutin de 2020, OĽaNO (Gens ordinaires et personnalités indépendantes, Obyčajní ľudia a nezávislé osobnosti) l’avait emporté sur le SMER-SD dirigé par Robert Fico et avait formé une coalition avec plusieurs autres partis dont SaS (Liberté et solidarité, Sloboda a solidarita), Za Ľudí (Pour le Peuple) et Sme rodina (Nous sommes une famille). Toutefois, la gouvernance du nouvel exécutif a été entachée par des conflits internes persistants. Ces conflits étaient principalement dûs au style populiste du leader d’OĽaNO, Igor Matovič. Bien que ces conflits aient finalement conduit à la démission de Matovič, nommé par la suite au ministère des finances, les tensions au sein de la coalition ont persisté même après que son collègue de parti, Eduard Heger, a été nommé pour prendre sa suite. Du fait de cette crise, les ministres issus de SaS, y compris Korčok, qui occupait le poste de ministre des Affaires étrangères, se sont retirés de la coalition (Kern, 2022). En décembre 2022, le parlement a finalement adopté une motion de défiance à l’égard du gouvernement d’Eduard Heger. En conséquence, pour la première fois depuis 1993, la présidente Čaputová a décidé de nommer un gouvernement intérimaire, dirigé par Ľudovít Ódor, pour conduire le pays à des élections législatives anticipées. La date de ces élections a été fixée au 30 septembre 2023.

Fico et le SMER-SD ont profité des crises survenues sous les gouvernements Matovič et Heger pour effectuer un retour en force. À l’issue des élections anticipées, Fico a formé son quatrième gouvernement en dix-sept ans avec le soutien du SNS (Parti national slovaque) et du nouveau parti HLAS-SD de Pellegrini (issu d’une scission avec le SMER-SD) et s’est assuré une majorité parlementaire de 79 sièges sur 150 (Gyarfášová, 2024). Fico et son parti ont profité de l’insécurité existientielle résultant d’une série de crises auxquelles le gouvernement a dû faire face, telles que la crise de Covid-19, la guerre en Ukraine et la crise énergétique. La victoire de Fico lors du scrutin anticipé a été largement reliée à sa rhétorique polarisante et à son hostilité envers tous les acteurs majeurs de la politique slovaque : les gouvernements Matovič et Heger, le gouvernement intérimaire Ódor, la présidente Čaputová, le libéralisme, l’UE, etc. Dans l’opposition, la stratégie du SMER-SD consistait principalement en un discours polarisant qui sapait les institutions démocratiques et l’indépendance du système judiciaire, recourant fréquemment à une rhétorique du « nous » contre « eux ». Le SMER-SD a également glissé vers l’extrême droite de manière inédite, certaines des déclarations du parti sur la politique étrangère ou sur la guerre en Ukraine étant en complète opposition avec les objectifs et les principes communs formulés par l’UE et l’OTAN (Zvada, 2023, pp. 216–217). La guerre en Ukraine et la lutte autour de ses enjeux, très présents pendant la campagne des élections législatives, sont devenues l’un des principaux thèmes de la campagne présidentielle.

C’est dans ce contexte que les partis politiques et les candidats potentiels ont élaboré leurs stratégies électorales. Finalement, onze candidats se sont lancés dans la course à la présidence. Quatre d’entre eux se présentaient en tant qu’indépendants (Ivan Korčok, Ján Kubiš, Štefan Harabin, Milan Náhlik), tandis que les autres candidats étaient tous affiliés à un parti politique. Un climat politique hostile à la présidente Čaputová a sans aucun doute contribué à l’absence de candidates lors de l’élection de 2024, une situation inédite depuis 2004. Selon les enquêtes d’opinions, la course au siège présidentiel se réduisait essentiellement à une compétition entre Ivan Korčok (indépendant), soutenu par un large éventail de partis d’opposition (principalement Slovaquie progressiste(PS), les Démocrates, KDH, Most-Híd), et Peter Pellegrini (HLAS-SD) en tant que principal candidat de la coalition au pouvoir, soutenu notamment par le SMER-SD. Rétrospectivement, il semble assez probable que la candidature de Pellegrini ait été convenue entre les partenaires de coalition plusieurs mois auparavant, lors des négociations sur la formation du gouvernement Fico.

Il est intéressant de noter que ni les forces d’opposition ni celles constituant la majorité n’ont désigné un candidat unique. Le plus petit parti de la coalition au pouvoir, le SNS, est entré dans la course à la présidence avec son leader Andrej Danko. Outre Korčok, les partis d’opposition ont désigné plusieurs candidats tels que l’ancien Premier ministre Igor Matovič (nommé par le parti Slovaquie, anciennement connu sous le nom d’OĽANO) et Patrik Dubovský (soutenu par Za ľudí, Pour le peuple). Krisztián Forró (Szövetség-Aliancia), leader d’un parti extraparlementaire représentant la minorité hongroise, a également participé au premier tour. Par ailleurs, quatre candidats peuvent être désignés comme « anti-système » : Štefan Harabin (indépendant), Marian Kotleba (leader du parti d’extrême droite K-ĽSNS), Milan Náhlik (indépendant) et Robert Švec (Mouvement slovaque pour le renouveau, Slovenské hnutie obrody, SHO). Enfin, deux candidats, Andrej Danko (SNS) et Robert Švec (SHO), se sont retirés avant le premier tour de scrutin. En définitive, les électeurs slovaques ont pu choisir entre neuf candidats au premier tour.

Campagne électorale

La campagne précédant le premier tour est restée relativement tiède, en partie à cause de certaines mesures prises par le gouvernement Fico, notamment des nominations ministérielles controversées, l’approbation du budget et les efforts visant à réviser le code pénal (Bahounková, 2024).

La campagne d’Ivan Korčok s’est appuyée sur des slogans tels que « Servir le peuple, pas les politiciens » ou, sur un ton plus direct, « Ne les laissons pas prendre le contrôle de tout l’État ». Surtout, Korčok a systématiquement souligné le caractère inéquitable de la campagne électorale, accusant Pellegrini d’abuser de sa position de président à des fins électorales. Il a également souligné le financement intransparent de la campagne de Pellegrini. Au contraire, Pellegrini s’est attaché à éviter une confrontation avec Korčok avant le premier tour. Seuls deux débats télévisés avec les autres candidats ont eu lieu, organisés sur une période de 48 heures sur RTVS (Radio et télévision slovaque) et sur la chaîne privée Markíza. Pellegrini a choisi le slogan « Le calme pour la Slovaquie » comme sa revendication principale avant le premier tour. Malgré les pouvoirs limités du président sur le plan concret, Pellegrini s’est également présenté comme un « président qui apporterait la dignité et une vie meilleure au peuple slovaque ».

La campagne terne de Pellegrini, son refus de participer aux débats et sa trop grande confiance en sa propre victoire au premier tour (prédite par la plupart des sondeurs) ont conduit à une victoire inattendue de Korčok au premier tour. Korčok a battu Pellegrini par 42,51 % (958 393 voix) contre 37,02 % (834 718 voix) avec un taux de participation de 51,9 %.

Malgré l’engagement des deux candidats à mener une campagne équitable et respectueuse avant le second tour, la campagne de l’entre-deux-tours a été marquée par un ton négatif et hostile, sans précédent dans l’histoire des élections présidentielles slovaques.

Avant le premier tour, Pellegrini projetait encore une image de calme et de sérénité. Cependant, après avoir été dépassé par Korčok au premier tour, il a adopté une stratégie plus conflictuelle, reconnaissant la nécessité de mobiliser à la fois sa base et celle des candidats anti-système, en particulier les électeurs qui avaient soutenu Štefan Harabin. La campagne de Pellegrini s’est caractérisée par un recours prononcé à des discours alarmistes, notamment concernant la guerre en Ukraine. Pellegrini a construit un récit qualifiant Korčok de « président du conflit et de la guerre » tout en se positionnant comme un candidat engagé à assurer une existence digne à tous les citoyens et comme un futur « président de la paix ». Alors que Pellegrini affirmait que « la Slovaquie a[vait] besoin de paix maintenant » (Slovensko už potrebuje pokoj), faisant référence aux affrontements qui avaient miné la mandature précédente, Korčok a fait campagne avec le slogan « Coopération. Expérience. ‘
Au service de l’État » (Spolupráca. Skúsenosť. Služba vlasti.).

Lors d’un débat télévisé sur RTVS, Pellegrini a insinué que Korčok serait favorable au déploiement de troupes en Ukraine, affirmant que lui-même ne permettrait jamais que de telles mesures soient prises. Ce type de rhétorique était très proche de celui employé par le Premier ministre Fico, en opposition directe aux objectifs de l’Union européenne et de l’OTAN dans le conflit. Korčok, pour sa part, s’efforcé de capitaliser sur son succès au premier tour, tout en apportant de nouveaux thèmes dans la campagne. Il ainsi mis en avant sa vision du patriotisme, qu’il disait vouloir restaurer dans son essence originelle tout en le réinterprétant (Týždeň, 2024).

Si Pellegrini a également accusé Korčok de s’engager dans une campagne négative, une distinction importante peut être faite entre l’attitude des deux candidats : Pellegrini a orchestré une campagne fondée sur une attitude hostile, soutenu en cela par son parti et ses alliés de la coalition ; par contraste, le discours négatif adressé à Pellegrini était principalement l’apanage d’Igor Matovič plutôt que de Korčok lui-même. Contrairement à Pellegrini, qui a nié toute implication dans des manœuvres de manipulation d’images et de dénigrement, Korčok a fermement condamné les commentaires homophobes de Matovič et les attaques qui visaient l’intégrité personnelle de Pellegrini.

Résultats

Le 6 avril, les électeurs slovaques se sont rendus aux urnes, débouchant sur l’élection de Peter Pellegrini en tant que président de la République slovaque avec un score de 53,12 % contre 46,87 % pour Korčok (Štatistický úrad Slovenskej republiky, 2024). Plusieurs facteurs clés ont contribué à la victoire de Pellegrini.

Tout d’abord, la base de soutien de Pellegrini était principalement constituée d’électeurs du SMER-SD, du HLAS-SD et de divers acteurs illibéraux. Si les deux candidats ont mobilisé leurs électorats respectifs au second tour, Pellegrini a démontré une capacité nettement plus importantes à attirer les électeurs, obtenant 574 537 voix supplémentaires contre suelement 285 316 voix supplémentaires pour Korčok. Bien que Korčok ait recueilli une part légèrement plus importante des voix dans les zones urbaines, le soutien à Pellegrini a été nettement plus fort dans les régions rurales. La participation des électeurs a été un autre facteur déterminant. Largement motivée par la campagne intense et polarisante de Pellegrini, l’élection a enregistré le deuxième taux de participation le plus élevé de l’histoire présidentielle du pays. Le refus de Korčok de s’engager dans une campagne agressive contre son concurrent et sa décision de ne pas chercher à obtenir le soutien des candidats anti-système à l’entre-deux-tours ont pu limiter son potentiel électoral. Pour sa part, Pellegrini a réussi à mobiliser une partie importante du vote antisystème, principalement parmi les électeurs de Harabin au premier tour.

Korčok a également été moins efficace que Pellegrini dans la mobilisation des électeurs magyarophones. Lors des élections précédentes (2014 et 2019), les électeurs hongrois avaient soutenu les deux vainqueurs des élections (Andrej Kiska et Zuzana Čaputová) dont les campagnes avaient bénéficié de manière significative de ces votes (Zvada, 2020). Avant le second tour de l’élection de 2024, les Hongrois de Slovaquie ont majoritairement plébiscité Pellegrini ou n’ont pas voté. In fine, au-delà de la démobilisation des électeurs hongrois, certains analystes ont souligné que l’abstention des électeurs d’OĽaNO (aujourd’hui rebaptisé Slovaquie) a également contribué à la défaite de Korčok. Environ trois quarts de ceux qui ont voté pour OĽaNO lors des élections législatives de 2020 se sont abstenus de participer au second tour de l’élection présidentielle (Vančo et al., 2024).

Conséquences de l’élection

Le président Peter Pellegrini est entré en fonction le 15 juin 2024. Bien qu’il n’ait été en fonction que depuis quelques mois au moment de la rédaction de cet article, plusieurs événements clés fournissent des indices intéressants sur l’orientation que sa présidence est susceptible de prendre dans le futur.

Tout d’abord, conformément à la proposition de l’exécutif, Pellegrini a approuvé la nomination de Pavel Gašpar en tant que nouveau directeur du Service d’information slovaque. Pavel est le fils de Tibor Gašpar, ancien directeur de la police, actuel député et vice-président du parlement pour le SMER-SD (Hüttner, 2024) qui a été contraint de démissionner à la suite du meurtre d’un journaliste d’investigation en 2018. Tibor Gašpar a ensuite fait l’objet d’une enquête et a été emprisonné dans une affaire de corruption sous les gouvernements Matovič et Heger. Les qualifications de Pavel Gašpar pour diriger l’institution ont été remises en question dans les cercles politiques et sécuritaires. Sa nomination a été interprétée comme une manifestation ouverte du népotisme qui mine la politique slovaque, soulevant des questions quant à capacité de Pellegrini à sélectionner des personnes compétentes aux postes clés de l’appareil de sécurité.

Deuxièmement, Pellegrini s’est montré passif sur la question de la nomination président du Parlement slovaque, deuxième poste constitutionnel le plus élevé. Selon les déclarations actuelles du Premier ministre, ce poste pourrait rester vacant jusqu’à la fin du mandat de la coalition au pouvoir Cette situation a provoqué des tensions entre l’ancien parti de M. Pellegrini (HLAS-SD) et le Parti national slovaque (SNS). Le leader du SNS, Andrej Danko, a en effet revendiqué le poste après avoir soutenu Pellegrini avant le second tour de l’élection présidentielle.

Troisièmement, Pellegrini a décidé de ne pas utiliser son droit de veto après l’approbation du « paquet de consolidation » préparé par le quatrième gouvernement Fico. Cet ensemble de mesures augmente le taux de base de la TVA de 20 % à 23 %, ce qui devrait avoir un impact négatif sur la classe moyenne, les personnes à faibles revenus et les groupes les plus vulnérables de la société slovaque, tels que les familles avec enfants et les retraités. En contrepartie, la consolidation attribue à l’administration présidentielle le budget le plus élevé de son histoire (Kalmanová, 2024).

Quatrièmement, il apparaît que le rôle de Pellegrini est étroitement lié à la coalition gouvernementale actuelle, s’écartant de l’idéal d’une présidence non partisane. Bien que Pellegrini ait souhaité à l’origine être un président qui unifierait la société, son début de mandat suggère une trajectoire contraire. À l’exception d’une déclaration commune de Pellegrini et Čaputová destinée à rassurer la société slovaque après la tentative d’assassinat du Premier ministre Fico en mai 2024, Pellegrini s’est jusqu’ici présenté comme un président distant, s’abstenant de toute implication significative dans l’arène politique.

La victoire de Pellegrini à l’élection présidentielle a marqué le point culminant du succès des forces illibérales vainqueures aux élections législatives, leur permettant d’affermir leur contrôle sur les pouvoirs législatif et exécutif. La force et la stabilité de l’alliance de Pellegrini avec la force politique dominante, le SMER-SD, et son leader Robert Fico, joueront un rôle crucial dans l’orientation de son mandat. Cette relation jouera également un rôle clé dans les perspectives de réélection du président sortant.

Les données

Premier tour

Second tour

Bibliographie

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Ľubomír Zvada, Élection présidentielle en Slovaquie, mars-avril 2024, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2025,

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