Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection régionale à Madère, 26 septembre 2023
Issue #4
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Issue #4

Auteurs

Teresa Ruel

Numéro 4, Janvier 2024

Élections en Europe : 2023

Introduction

Ce compte-rendu se concentre sur les dernières élections régionales qui se sont tenues à Madère le 24 septembre.

Onze partis et deux coalitions préélectorales — Somos Madeira et CDU — se sont disputé les sièges du parlement régional.

Cette élection suscitait de grandes attentes, liées notamment aux résultats électoraux des partis historiques de la région (PSD et CDS), aux pertes potentielles de parts de voix du principal parti d’opposition (PS) et aux perspectives d’entrée du parti Chega au parlement régional.

À Madère, le même parti politique (PSD) a été au pouvoir pendant 43 années consécutives depuis la démocratisation (1976). Après les dernières élections régionales à Madère (2019), le PSD a dû former une coalition avec le CDS/PP (Parti populaire), mettant ainsi fin à une série de gouvernements à parti unique qui avaient gouverné la région depuis 1976.

Lors des élections régionales de 2023, la part de voix des partis de gouvernement a diminué et le taux de participation a légèrement baissé.

Le cadre institutionnel de la politique régionale de Madère — systèmes électoraux et de partis

Avec la troisième vague de démocratisation qui a débuté en 1974, le Portugal a entrepris un processus de décentralisation et/ou de régionalisation (Ruel 2017 ; 2021). Un niveau régional de gouvernement a été établi par la Constitution de 1976 qui a attribué aux régions autonomes (Açores et Madère) l’autonomie régionale et l’autogouvernement avec un système de représentation par le biais de parlements directement élus (assembleia legislativa) et de cabinets régionaux (governo regional) avec leur propre fonction publique et une autonomie de prise de décision dans un large éventail de domaines politiques (Ruel 2015 ; 2018 ; 2021).

Les régions autonomes ont adopté un système de représentation proportionnelle avec des listes de partis fermées, les sièges étant attribués selon la formule d’Hondt. Le vote n’est pas obligatoire. Les 47 députés régionaux de Madère sont élus dans une circonscription à un seul niveau au niveau régional. Tous les partis politiques au Portugal sont des partis nationaux, car les partis régionalistes ou non nationaux ne sont pas autorisés par la Constitution (51.4, CPR). Néanmoins, les partis nationaux ont des organisations de parti territorialisées dans les îles (Ruel 2018 ; 2021).

La configuration du système de partis qui a émergé dans la région lors des élections de 1976 et qui a persisté pendant les trois premières décennies de démocratie (1976-2007) se caractérise par un système de partis prédominants, le PSD (Partido Social Democrata – Parti social-démocrate, PPE) remportant la majorité absolue sans être soumis à la règle de l’alternance politique. Depuis 2011, cependant, le système de partis madérien se rapproche du multipartisme, avec d’autres partis politiques obtenant une représentation politique : PND (Partido Nova Democracia — Parti de la nouvelle Démocracie), MPT (Movimento Partido da Terra — Parti de la Terre, RE), PTP (Partido Trabalhista Português — Parti travailliste portugais) et JPP (Juntos pelo Povo — Unis pour le Peuple, RE) (Ruel, 2015 ; 2018). Dans le cadre du dernier cycle d’élections régionales au Portugal, l’élection de 2019 à Madère a confirmé cette tendance en mettant fin à la majorité du PSD 1 (Freire & Ruel, 2023).

Résultats électoraux et formation du gouvernement

La campagne a été fortement influencée par la stratégie électorale des partis en place. Le PSD et le CDS/PP (PPE) se sont présentés comme les seuls garants de la stabilité politique après les élections, appelant les électeurs à leur donner la majorité absolue au parlement et s’engageant à ne pas élargir la coalition gouvernementale actuelle à d’autres partis.

Onze partis et deux coalitions préélectorales étaient en lice pour les 47 sièges du parlement régional lors des élections madériennes de 2023. Environ 253 000 électeurs se sont rendus aux urnes. Le taux de participation a été de 53,35 %, soit 2,5 points de pourcentage de moins que lors de l’élection précédente. L’absence d’options de vote alternatives — le vote anticipé et le vote mobile — pourrait avoir eu un impact négatif sur la participation des électeurs.

Les partis de centre-droit au pouvoir (PSD – Partido Social Democrata et CDS/PP – Centro Democrático e Social/Partido Popular) ont formé une coalition préélectorale — Somos Madeira — qui a affirmé et souligné leur identification idéologique avec l’électorat et les termes de la stratégie de gouvernement de la région qui a commencé en 2019.

Depuis 2011, le PSD enregistre des pertes de voix à chaque élection. Cependant, jusqu’en 2015, le PSD est parvenu à obtenir une majorité de voix et de sièges au parlement régional. Lors des élections régionales de 2019, le PSD a perdu sa majorité en sièges et le parti a dû former une coalition avec le CDS/PP (Parti populaire) pour gouverner. Ainsi, à la suite de l’élection régionale de 2019 à Madère, des changements majeurs ont eu lieu, qui ont confirmé les pertes subies par le sortant depuis 2011 (Ruel, 2015). Le remplacement du leader historique du PSD Alberto João Jardim Madeira et sa démission du cabinet régional avant l’élection régionale de 2015, après 39 années ininterrompues de mandat, ont probablement fragilisé davantage le parti, qui a subi des pertes continues de parts de voix dans la foulée.

Les résultats des élections régionales de 2023 montrent une perte de voix pour les partis au pouvoir qui ont obtenu 44,3 % des voix et 23 députés à l’assemblée régionale, soit un siège de moins que lors de l’élection précédente (2019). Par conséquent, les deux partis n’ont pas réussi à obtenir une majorité de sièges à l’assemblée régionale.

Les pertes des deux partis membres de la coalition sortante sont difficiles à évaluer individuellement. Toutefois, la part de voix combinée des deux partis (Somos Madeira — PSD et CDS/PP) était inférieure à la somme des parts de voix des deux partis lors de l’élection précédente (2019).

Le deuxième parti le plus important, le Parti socialiste (PS, Partido Socialista, S&D), a enregistré une percée significative lors des élections de 2019, au cours desquelles il a obtenu sa meilleure performance électorale dans l’histoire de la démocratie régionale à Madère, en obtenant 36% des voix et 19 sièges. Lors de l’élection de 2023, les socialistes ont obtenu 21,89% des voix et 11 députés.

Juntos pelo Povo (JPP — Unis pour le peuple) a élu 5 députés avec 11,3 % des voix. Le parti a récupéré les pertes enregistrées en 2019 et a dépassé son résultat de 2015 (10,3 %).

Le Bloc de gauche (BE — Bloco de Esquerda, GUE/NGL), qui avait perdu sa représentation parlementaire lors de l’élection régionale de 2019, est revenu au parlement régional. La Coalition démocratique d’union (CDU — Coligação Democrática Unitária, GUE/NGL) 2 a élu un député avec des des 2,79% des voix, augmentant sa part de voix de + 0,9 point.

La part de voix obtenue par les petits partis et l’entrée au parlement de nouveaux partis sont essentielles pour le système de partis de Madère. Deux nouveaux partis politiques ont été élus au parlement régional de Madère : Chega (CH, littéralement « Assez », ID) et Iniciativa Liberal (IL — « initiative libérale », RE) 3 . Le parti populiste de droite radicale Chega a élu 4 députés avec 13 % des voix et est devenu le quatrième parti de l’assemblée régionale. Le succès de Chega peut s’expliquer par la popularité de ses dirigeants nationaux et par l’influence du débat national sur la scène politique régionale (Freire & Ruel, 2023).

Les libéraux ont obtenu 2,7% des voix et 1 député.

Le Partido Animais e Natureza (PAN, Parti animaliste), parti de gauche, a été reconduit 4 au parlement régional avec 2,3 % des voix et 1 mandat. Bien que modeste, le succès électoral du PAN lui a permis de jouer un rôle clé dans la nouvelle législature. La coalition de droite Somos Madeira (PSD et CDS/PP) a élu 23 députés et a besoin d’un siège supplémentaire pour obtenir la majorité à l’assemblée, et ils compteront sur le soutien parlementaire du PAN. Le PAN a accepté de participer à l’accord parlementaire pour donner du poids à l’agenda animaliste et écologiste dans la région. De leur côté, le PSD et le CDS/PP ont exigé en contrepartie l’approbation du budget régional chaque année pendant la durée de la législature (Expresso, 2023). Dans ce contexte, le PAN a joué un rôle important dans le parrainage du gouvernement régional à l’assemblée régionale, malgré la distance idéologique et l’incongruité des partis de centre-droit.

Discussion

Les résultats des élections régionales de 2023 à Madère ont vu les partis sortants (PSD et CDS/PP) et le deuxième plus grand parti (PS) perdre des parts de voix, tandis que les petits (JPP) et nouveaux partis (Chega, IL et PAN) ont gagné du terrain dans la région.

Malgré cela, les partis de centre-droit continuent de trouver un écho et de répondre à la majorité des préférences de l’électorat dans le système politique madérien.

L’élection de 2023 a été caractérisée par une nouvelle augmentation de la fragmentation des partis, 4 partis supplémentaires ayant obtenu une représentation au parlement régional. Elles ont également donné lieu à un nouveau modèle de gouvernement : les partis sortants (PSD et CDS/PP) avaient besoin du soutien parlementaire du PAN pour obtenir une majorité parlementaire. En conséquence, le cabinet régional est formé par deux partis de droite soutenus par un parti vert/de gauche au parlement 5 .

L’année 2023 a connu des changements majeurs qui auront un impact durable sur le paysage politique madérien. Le cycle de gouvernements à parti unique qui caractérisait la politique madérienne depuis les élections de financement de 1976 a été rompu en 2019, malgré les efforts du PSD pour maintenir sa domination en tant que parti de gouvernement. Les résultats électoraux de 2023 ont confirmé la tendance à l’érosion des parts de voix des partis au pouvoir et ont introduit une nouvelle pratique d’accords parlementaires dans le paysage politique madérien. Néanmoins, après 47 ans de démocratie régionale à Madère, l’alternance politique totale n’a toujours pas eu lieu.

Les données

Bibliographie

Expresso (2023, 26 septembre). Madeira: PAN confirma acordo de incidência parlamentar que inclui 10 pontos. En ligne.

Freire, A. et Ruel, T. (2023). Regional elections in Portugal: Madeira (2019) and the Azores (2020): the two-way spill over between national and regional politics. Regional & Federal Studies.

Ruel, T. (2021). Political Alternation in the Azores, Madeira and the Canary Islands. Londres : Palgrave Macmillan.

Ruel, T. (2018). Regional Elections in Portugal, the Azores and Madeira: Persistence of Non-Alternation and Absence of non-Statewide Parties. Regional & Federal Studies 29 (3) : 429–440.

Ruel, T. (2017). As regiões autónomas (Açores e Madeira) nos debates parlamentares da Assembleia da República (1975-2015), Colecção Parlamento, Lisbonne : Assembleia da República.

Ruel, T. (2015). Madeira Regional Elections 2015: A Polity Tyrannized by Majorities or the End of an Era? Regional & Federal Studies 25 (3) : 313–320.

Notes

  1. De même, lors des élections régionales de 2020 aux Açores, les résultats électoraux ont mis fin à une longue période de domination d’un seul parti (Freire & Ruel, 2023).
  2. La coalition de l’union démocratique (CDU — Coligação Democrática Unitária) est formée par les communistes (PCP — Partido Comunista Português) et les Verts (PEV — Partido Ecologista os Verdes).
  3. Les deux partis — Chega (CH) et Iniciativa Liberal (IL) — ont fait leur apparition sur la scène électorale régionale lors des élections de 2019, mais n’ont pas réussi à remporter un siège à l’époque.
  4. Le PAN a élu un député régional pour la première fois lors des élections régionales de 2007 à Madère.
  5. De même, le gouvernement actuel des Açores (2020-) est une coalition de partis de droite — PSD, CDS/PP PPM, un parti monarchiste – avec le soutien parlementaire de Chega et des libéraux.
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Teresa Ruel, Élection régionale à Madère, 26 septembre 2023, Groupe d'études géopolitiques, Juin 2024,

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