Élection régionale à Salzbourg, 23 avril 2023
Eric Miklin
Professeur associé à l'université de SalzbourgIssue
Issue #4Auteurs
Eric MiklinNuméro 4, Janvier 2024
Élections en Europe : 2023
Introduction
Débouchant sur la troisième victoire consécutive du Parti populaire autrichien (ÖVP) dans la région, l’élection du Parlement du Land de Salzbourg en 2023 n’aura pas apporté de changement à la tête de la région. Elles ont cependant donné à l’ÖVP un nouveau partenaire de coalition, le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), parti populiste de droite, et ont conduit à un renforcement des partis situés aux marges droite et gauche du spectre politique. Après un bref rappel historique, l’analyse suivante propose une évaluation des résultats des élections à la lumière du contexte politique dans lequel elles se sont déroulées.
Contexte historique et institutionnel
Dans le débat académique, l’Autriche est généralement considérée comme un État fédéral faible, une « fédération sans fédéralisme » (Erk 2004), principalement en raison des compétences législatives limitées des parlements des États, les Landtage. La pratique politique ne confirme que partiellement ce point de vue, car les États disposent de compétences étendues dans le domaine du pouvoir exécutif (« fédéralisme exécutif ») et exercent une influence sur la législation par l’intermédiaire d’un organe informel, la Conférence des gouverneurs régionaux (Karlhofer 2009). Néanmoins, les élections régionales en général, et celles de Salzbourg en particulier (Fallend 2018), sont fortement influencées par les tendances et les discussions politiques fédérales.
Historiquement, l’ÖVP était le parti politique dominant dans six des neuf régions fédérales. À Salzbourg, il a remporté toutes les élections de 1945 à 2004, fournissant chaque fois le chef du gouvernement, le Landeshauptmann. Cette position dominante s’est cependant affaiblie au cours des 20 dernières années. Ainsi, lors des élections de 2004 et 2008, l’ÖVP n’est arrivé qu’en deuxième position derrière le parti social-démocrate d’Autriche (SPÖ) ; bien qu’il soit resté au gouvernement pendant cette période, il a dû céder la présidence de la coalition au SPÖ. Lors des élections suivantes, en 2013, l’ÖVP a subi une perte massive de voix (-7,5 points de pourcentage) après la révélation d’un vaste scandale financier et spéculatif au sein du gouvernement régional. Cependant, comme le SPÖ a perdu encore plus de voix (-15,5 points de pourcentage), l’ÖVP a pu reprendre la première place et former une coalition tripartite sous la direction du Landeshauptmann Wilfried Haslauer (ÖVP), s’associant aux Verts, renforcés par la révélation de scandales financiers touchant le gouvernement régional, ainsi qu’au parti contestataire populiste et libéral Team Stronach (TS), qui faisait pour la première fois son entrée au Landtag.
Lors des dernières élections, en 2018, l’ÖVP de Salzbourg, fort de sa popularité alors très élevée au niveau fédéral (Fallend 2018), n’a pas seulement été en mesure de conserver le poste de gouverneur régional. Pour la première fois depuis 1984, il a également réalisé un gain significatif en termes de voix (8,8 points de pourcentage). L’ÖVP et les Verts ont poursuivi leur coopération en formant une coalition avec le parti libéral Nouvelle Autriche (NEOS), représenté pour la première fois au parlement du Land de Salzbourg. Le parti qui a succédé à la TS, la Liste Hans Mayr (MAYR), n’a pas réussi à réintégrer le parlement.
Contexte politique
À la veille des élections de 2023, le contexte politique était inégalement favorable aux cinq partis déjà représentés au Landtag. Il était attendu que le Parti populaire autrichien (ÖVP) subisse des pertes importantes, car le parti fédéral avait perdu en popularité depuis 2018 à la suite de nombreux scandales politiques et des démissions qui en ont résulté (y compris celles de plusieurs chanceliers fédéraux). En outre, les mesures prises par le gouverneur Haslauer pendant la pandémie de Covid-19 avaient été critiquées tour à tour comme trop timides ou trop restrictives. Quant à la campagne électorale du SPÖ, elle a été éclipsée par un débat interne intense sur la direction et l’orientation du parti fédéral, qui s’est encore aggravé au cours de la période précédant l’élection. David Egger, candidat du SPÖ âgé de 36 ans, n’a pas pleinement réussi à s’imposer comme un potentiel Landeshauptmann crédible. NEOS a également dû faire face à des conflits internes (en l’occurrence au sein du parti régional) et apparaissait désavantagé par sa position de plus petit partenaire de coalition ; selon les sondages, le parti pouvait craindre de ne pas réintégrer le Landtag.
La situation était bien plus favorables aux Verts et au FPÖ. Lors de la campagne électorale, les premiers se sont concentrés sur leur thème de prédilection, la lutte contre le changement climatique, qui a fait l’objet d’une médiatisation intense ; les sondages leur prédisaient un résultat solide. Le FPÖ, parti populiste de droite, fort de trois succès régionaux et en tête dans les sondages fédéraux pendant plusieurs mois à la veille du scrutin, devait également réaliser des gains significatifs. Le parti a par ailleurs bénéficié de l’absence des partis populistes Freie Partei Salzburg (FPS) et MAYR, qui avaient échoué à (ré)entrer au parlement en 2018 et n’ont pas déposé de nouvelle candidature. Parmi les trois autres partis qui se présentaient au niveau de l’État – la liste Menschen, Freiheit, Grundrechte (MFG), critique de la politique sanitaire, la liste Wir sind Salzburg (WIRS) issue d’une scission du MFG et le Parti communiste d’Autriche (KPÖ+) – seul ce dernier était considéré comme ayant une chance d’intégrer pour la première fois le parlement de l’État (Salzburger Nachrichten 18 mars 2023).
La campagne électorale a été dominée par la question de la lutte contre l’inflation élevée résultant de la guerre en Ukraine et, plus spécifiquement, par les stratégies de réduction des coûts de l’énergie et des loyers, ce dernier point étant particulièrement sensible dans la ville de Salzbourg. Ces deux questions ont joué en faveur du KPÖ+, dont la tête de liste, Kai-Michael Dankl, s’était déjà fait un nom au sein du conseil municipal de la capitale régionale pour son engagement sur les thèmes du logement et des affaires sociales. À l’autre extrême du spectre politique, le FPÖ a demandé la fin des sanctions « inflationnistes » contre la Russie, une réduction de ce qu’il considère comme des mesures excessives en faveur de la transition vers les sources d’énergie renouvelables, ainsi que la fin des mesures jugées trop restrictives prises par le gouvernement régional lors de la pandémie de Covid-19. Alors que les Verts ont souligné la nécessité de poursuivre et d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables, le SPÖ et le NEOS ont eu du mal à fixer des priorités thématiques claires pour les raisons mentionnées précédemment. La campagne électorale du Parti populaire autrichien (ÖVP) s’est également concentrée sur la personne du Landeshauptmann sortant et sur le message de stabilité et de continuité qui lui était associé, plutôt que sur des questions programmatiques précises.
La question des coalitions post-électorales a joué un rôle de plus en plus important à mesure que progressait la campagne, notamment parce que le maintien de la majorité parlementaire de la coalition sortante apparaissait incertain. À Salzbourg, contrairement aux élections précédentes en Basse-Autriche, en Carinthie et au Tyrol, ni l’ÖVP ni le SPÖ n’avaient exclu à l’avance une coalition avec le FPÖ. De son côté, le FPÖ a réduit ses attaques contre l’ÖVP en fin de campagne et a clairement affirmé son ambition de gouverner (Salzburger Nachrichten 20 avril 2023).
Résultats
Le résultat des élections a été conforme aux attentes générales dans de nombreux domaines (voir « les données »). Comme prévu, l’ÖVP a perdu de manière significative (-7,4 points de pourcentage), tandis que le FPÖ, avec un plus de 6,9 points de pourcentage, a obtenu son meilleur résultat jamais enregistré lors d’une élection dans le Land de Salzbourg. Le SPÖ a obtenu un résultat encore plus faible qu’en 2018, avec un peu moins de 18 %, atteignant un point bas historique. Alors que les Verts ont pu largement maintenir leur part de vote avec 8,2 %, NEOS est passé de 7,3 % en 2018 à seulement 4,2 %, n’atteignant pas le seuil de 5 % nécessaire pour obtenir des sièges au Landtag. La plus grande surprise est cependant venue de la performance inattendue du Parti communiste. Non seulement le KPÖ a réussi à entrer au Landtag, mais, avec 11,2 %, il est même arrivé en quatrième position, devant les Verts (Filipp 2023).
En termes de sièges au Landtag, le précédent gouvernement composé de l’ÖVP (12, -3), des Verts (3, =) et de NEOS (0, -3) n’a obtenu que quinze sièges, échouant ainsi à conserver sa majorité parlementaire (19 sièges). Une éventuelle coalition de gauche entre le SPÖ (7, -1), le KPÖ (4, +4) et les Verts ou une coalition entre le FPÖ (10, +3) et le SPÖ restaients également en-deçà des seuils. Les seules options de coalition réalistes consistaient donc en une coopération entre l’ÖVP et le FPÖ (22 sièges) ou entre l’ÖVP et le SPÖ, qui ne disposait cependant que d’une majorité d’exactement 19 sièges.
Les comparaisons géographiques montrent des tendances similaires à celles de 2018. Malgré ses pertes, l’ÖVP parvient à obtenir le plus grand nombre de voix dans les six circonscriptions de la région. La force relative des partis de gauche et de droite varie considérablement. Les partis de (centre-)gauche SPÖ, KPÖ et les Verts ont fait nettement mieux dans la capitale provinciale, Salzbourg, ainsi qu’au nord et au sud de celle-ci, que dans le reste du Land ; les partis de droite, l’ÖVP et le FPÖ, ont quant à eux obtenu des résultats nettement plus élevés dans le sud-est et l’ouest (figure a). Ces tendances sont étroitement liées aux différences de densité de population entre ces régions. Alors que l’ÖVP et le FPÖ ont obtenu de meilleurs résultats dans les régions peu peuplées et rurales, les Verts, le KPÖ, le SPÖ et, dans une certaine mesure, les NEOS ont obtenu leurs meilleurs résultats principalement dans ou autour de la capitale provinciale Salzbourg et des villes de Hallein, Saalfelden, Seekirchen ou Zell am See. Par rapport à 2018, on remarque toutefois que le KPÖ+ a pu réaliser des gains supérieurs à la moyenne (de 1,2 à 21,5 %), en particulier dans la ville de Salzbourg (où vivent environ un quart de tous les électeurs éligibles), atteignant même la deuxième place dans cette ville derrière l’ÖVP. À l’inverse, le FPÖ n’a pu augmenter que légèrement sa part de voix dans la capitale provinciale par rapport aux petites municipalités et aux régions rurales (de 15,8 à 18,7 %).
Après avoir atteint un niveau record de 65 % en 2018, le taux de participation a grimpé à 71 %, atteignant des niveaux comparables à ceux de l’élection de 2013. Ici encore, les différences géographiques sont évidentes (voir figure a), ce qui, comme lors des élections précédentes (Heinisch et Mühlböck 2016), est probablement attribuable dans une large mesure à une corrélation négative entre la taille de la municipalité et la participation électorale.
Après l’élection
La coalition tripartite précédente ayant perdu sa majorité, l’ÖVP, et en particulier le gouverneur Haslauer, a été confronté à une décision difficile. Le FPÖ et le SPÖ ont clairement manifesté leur intérêt pour une coalition bipartite avec le vainqueur des élections. Cependant, la coalition avec le SPÖ ne disposait que d’une majorité d’un siège au Landtag et aurait pu souffrir de son image de « coalition de perdants ». Au sein de l’ÖVP, de nombreuses voix (en particulier les maires des municipalités rurales) craignaient que, dans le cas d’une telle coalition, le recul du parti et la croissance simultanée du FPÖ dans les régions rurales ne puissent plus guère être stoppées, ce qui aurait pu entraîner une victoire du FPÖ aux prochaines élections. Beaucoup ont donc plaidé pour une coalition avec le FPÖ, qui était également plus proche de l’ÖVP que du SPÖ dans de nombreux domaines. Haslauer lui-même a toujours soutenu les coalitions ÖVP-FPÖ au niveau fédéral et dans d’autres régions, mais il était très réticent à coopérer avec le FPÖ en raison de la récente radicalisation de ce dernier (Salzburger Nachrichten 20 mars 2023).
Au cours de la soirée électorale, M. Haslauer a d’abord évoqué l’option d’une coalition tripartite entre l’ÖVP, le SPÖ et les Verts, puis, après la fin des premières discussions exploratoires, une autre option composée de l’ÖVP, du FPÖ et du SPÖ. Ces deux options n’ont cependant pas recueilli le soutien nécessaire au sein des trois partis. Finalement, Haslauer a cédé à la pression interne et a annoncé, le 2 mai, l’ouverture de négociations de coalition avec le FPÖ. La raison déclarée de cette démarche était que le SPÖ n’était pas assez stable à l’époque pour permettre à l’ÖVP de s’engager dans une coalition avec une majorité aussi étroite.
À en croire la couverture médiatique, les négociations qui ont suivi se sont déroulées sans conflit majeur. Après un peu moins de trois semaines, l’ÖVP et le FPÖ ont présenté leur programme et leur gouvernement, avec Haslauer comme Landeshauptmann, Marlene Svazek (FPÖ) et Stefan Schnöll (ÖVP) comme vice-Landeshauptleute, ainsi que deux autres Landesräte (conseillers régionaux) issues de chacun des deux partis. L’accord a fait l’objet de critiques de la part d’autres partis et d’une partie de l’opinion publique. Toutefois, contrairement à la Basse-Autriche, où l’ÖVP avait choisi le FPÖ plutôt que le SPÖ comme partenaire de coalition dans une situation similaire deux mois plus tôt, cette fois-ci, le tollé est resté limité, tant s’agissant de la participation du FPÖ au gouvernement que du contenu de l’accord de coalition. De manière générale, le programme du gouvernement salzbourgeois semble contenir moins de concessions « choquantes » de l’ÖVP au FPÖ, et la composition de l’équipe gouvernementale du FPÖ est généralement perçue comme nettement moins radicale qu’en Basse-Autriche. Il reste à voir dans quelle mesure cette tendance se poursuivra et si la coopération entre les deux partis sera réellement couronnée de succès. À l’heure actuelle, il n’est pas certain que M. Haslauer, qui, selon les rumeurs, aurait préféré une autre coalition, restera en poste pendant toute la durée de la législature. Le président régional pourrait être tenté de céder le poste de Landeshauptmann à un membre de son parti plus « FPÖ-compatible » autour de la mi-mandat.
Les données
Bibliographie
Erk, J. (2004). Austria: A federation without federalism. » Publius: The Journal of Federalism 34 (1), 1-20.
Heinisch, R. et Mühlböck, A. (2016). Auf die Größe kommt es an! Neue empirische Evidenz zur Wahlbeteiligung in Gemeinden. Zeitschrift für vergleichende Politikwissenschaft 10 (2), 165-190.
Fallend, F. (2018). Vom Finanzskandal zur „Normalisierung »: Eine Analyse der Salzburger Landtagswahlen 2013 und 2018. In Dirninger, C. et al. (éd.), Salzburger Jahrbuch für Politik 2018. Vienne : Böhlau Verlag, 9-48.
Filipp, G. (2023). Landtagswahl 2023. Endgültige Ergebnisse. Salzburg: Amt der Salzburger Landesregierung. En ligne.
Karlhofer, F. (2009). A federation without federalism? Zur Realverfassung der Bund-Länder-Beziehungen. In Bußjäger, P. (éd.), Kooperativer Föderalismus in Österreich. Beiträge zur Verflechtung von Bund und Ländern. Vienne : Braumüller, 131-146.
Profil (2023, 6 juin). Schwarz-Blau mit Kickl? Tabu in der ÖVP wackelt. Profil. En ligne.
Salzburger Nachrichten (2023, 20 avril). Mit Schwarz-Blau zur Corona-Versöhnung? Salzburger Nachrichten. En ligne.
Salzburger Nachrichten (2023, 18 mars). Fünf Wochen vor der Landtagswahl: SPÖ drohen Verluste, FPÖ ist auf dem Vormarsch. Salzburger Nachrichten.En ligne.
citer l'article
Eric Miklin, Élection régionale à Salzbourg, 23 avril 2023, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2023,