Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection régionale aux Açores, 4 février 2024
Issue #5
Scroll

Issue

Issue #5

Auteurs

Teresa Ruel

Numéro 5, Janvier 2025

Élections en Europe : 2024

Introduction

Fin 2023, des élections anticipées au parlement açorien ont été convoquées suite au rejet de la proposition de budget régional pour 2024. Le scrutin anticipé a mis fin au mandat du gouvernement de coalition de centre-droit sortant un an avant son terme régulier. Le président de la République portugaise a convoqué des élections anticipées pour le 4 février 2024.

Les résultats de ces élections ont vu la majorité sortante remporter le plus grand nombre de sièges sur fond de participation en hausse. Cependant, malgré leur victoire dans les urnes, les partis de centre-droit ne sont pas parvenus à apporter la stabilité promise pendant la campagne électorale, la formation du gouvernement s’avérant difficile.

Contexte de l’élection

Lors des dernières élections régionales aux Açores, organisées en 2020, le parti social-démocrate (PSD – Partido Social Democrata, EPP) a formé un gouvernement de coalition avec le Parti populaire (CDS/PP – Centro Democrático Social/Partido Popular, EPP) et le Parti populaire monarchiste (PPM – Partido Popular Monárquico). À la tête d’un gouvernement minoritaire, les partis de centre-droit ont bénéficié du soutien parlementaire formel des libéraux (IL – Iniciativa Liberal, RE) mais aussi du parti populiste de droite Chega (CH, ID/PfE), parti populiste de droite radicale. Ainsi, si le « cordon sanitaire » autour de Chega a continué de fonctionner comme un dispositif rhétorique pendant la campagne électorale, dans les faits, depuis 2020, l’exécutif régional bénéficie du soutien du parti populiste de droite au parlement. Quant au Parti socialiste (S&D), pourtant arrivé en tête en 2020, il a perdu la majorité qui lui avait permis de contrôler l’exécutif régional pendant 24 années consécutives.

La formule gouvernementale issue des élections de 2020 a été marquée dès le départ par une forte instabilité et des contraintes nées de la nouvelle composition du parlement régional. Des difficultés sont apparues à deux niveaux. Tout d’abord, au niveau institutionnel, des conflits sont apparus au parlement entre le gouvernement minoritaire et les courants politiques qui le soutenaient. Deuxièmement, des tensions entre les partis ont également fait surface au sein de l’assemblée.

La mise en œuvre de l’accord de coalition a été limité à la fois par la survenue de la pandémie de COVID-19 et par la fragmentation du parlement régional. Cette combinaison de facteurs est devenue particulièrement évidente lors de la deuxième vague de la pandémie (2021), lorsque les libéraux ont utilisé leur capacité de négociation pour imposer certains de leurs choix politiques en échange de l’approbation du budget régional. Dans l’ensemble, la coopération entre les membres de la coalition et leurs partenaires au parlement a été caractérisée par des blocages institutionnels persistants, les projets de loi étant négociés au coup par coup tout au long de la législature.

Ces tensions entre les partis ont eu des répercussions importantes au sein de l’assemblée régionale. L’un des députés de Chega a quitté le parti en raison de son mécontentement à l’égard de la direction nationale, devenant formellement un député indépendant. Cet événement a encore affaibli la base parlementaire du gouvernement minoritaire, même si, dans la pratique, le député frondeur continuait de voter avec l’exécutif. En outre, les libéraux ont persisté dans leur stratégie de revendication d’une mise en œuvre conforme de l’accord de coalition. Au sein du cabinet régional, diverses divergences politiques sont apparues, notamment sur les questions de santé, entraînant la démission du ministre régional en charge de ces questions.

Les difficultés rencontrées à la tête d’un gouvernement minoritaire ont abouti au rejet de la proposition de budget régional en novembre 2023. Le premier ministre régional a reconnu les limites d’un gouvernement sans majorité et a appelé à des élections anticipées, espérant que l’électorat régional accorderait un mandat clair à l’un des deux camps.

Le cadre institutionnel

Les 57 députés de l’assemblée des Açores sont élus dans dix circonscriptions : neuf correspondant aux neuf îles de l’archipel et, depuis les élections régionales de 2008, une circonscription compensatoire 1 . Jusqu’aux élections régionales de 2004, le système électoral açorien était de fait extrêmement disproportionné et inégalitaire (un phénomène connu en anglais sous le nom de malapportionment 2 ), ce qui faussait la « valeur du vote » des habitants des différentes îles (Dahl, 1971). La taille des districts dans les neuf îles varie de 2 à 20, ce qui signifie que certaines parties de la population sont fortement surreprésentées. Pour remédier à cette situation, une circonscription électorale compensatoire de cinq sièges a été introduite lors des élections régionales de 2008 afin de réduire la disproportionnalité et d’introduire un certain équilibreentre les îles. Ces cinq sièges compensatoires sont attribués sur la base de l’agrégation des votes restants des neuf circonscriptions au niveau régional (Ruel, 2018, 2021).

La région des Açores a traditionnellement connu un système bipartite dans lequel, jusqu’en 2020, le Parti socialiste (PS, S&D) était structurellement dominant et électoralement plus fort que le PSD, qui est resté dans l’opposition pendant 24 années consécutives sous les gouvernements successifs du PS.

Les résultats électoraux

Le 4 février 2024, environ 230 000 électeurs se sont rendus aux urnes aux Açores. Six des huit partis en lice et trois coalitions préélectorales ont remporté des sièges au parlement régional. Le taux de participation a augmenté de 4,89 points de pourcentage (pp) par rapport à l’élection précédente, atteignant 50,3 %.

Les partis au pouvoir (PSD, CDS/PP et PPM) ont formé une coalition préélectorale, Unidos pelos Açores (« Unis pour les Açores »), qui donnait la priorité à la stabilité gouvernementale et à la réalisation du programme électoral de la législature précédente. Cette orientation a mis en évidence les difficultés rencontrées par le précédent gouvernement de coalition.

« Unidos pelos Açores » a finalement obtenu 43,56 % des voix, élisant ainsi 26 députés, soit un de plus que lors de la précédente élection en 2020. La coalition aurait eu besoin de trois sièges supplémentaires pour obtenir la majorité à l’assemblée et éviter un gouvernement minoritaire.

Les partis de gauche ont enregistré les pertes les plus importantes. Le Parti socialiste a perdu à la fois des voix (-3,47 pp) et des sièges (23, -2). Le Bloc de gauche (Bloco de Esquerda, BE, GUE/NGL)a lui aussi vu sa part de voix diminuer (-1,27 pp) et a perdu un siège. Les communistes (Partido Comunista Português, CDU, GUE/NGL), malgré une augmentation de leur part de voix (+1,17 pp), ont échoué à obtenir une représentation parlementaire pour la deuxième législature consécutive.

Chega a presque doublé sa part de voix (+ 4,29 pp), élisant cinq députés (+3). Les libéraux et le PAN (Pessoas Animais e Natureza – parti animaliste, Verts/ALE) ont élu un député chacun, comme lors de l’élection précédente.

Au lendemain du vote, la coalition de centre-droit a de nouveau pris la tête du gouvernement régional, cette fois sans le soutien formel des autres partis de l’assemblée régionale. La manière dont la stabilité gouvernementale pouvait être préservée restait alors incertaine.

Discussion

Le rejet du budget régional et les élections anticipées de 2024 ont vu le gouvernement PPE sortant enregistrer des gains limités tandis que le Parti socialiste (S&D) et le Bloc de Gauche (GUE/NGL) subissaient des pertes importantes. Les communistes (GUE/NGL) n’ont pas réussi à obtenir de sièges à l’assemblée régionale, tandis que les libéraux et le PAN conservent chacun un député. La montée du parti de droite radicale Chega, qui a enregistré les plus fortes progressions électorales, a conduit à un doublement de sa part de voix et de son nombre de députés élus. En termes de configuration parlementaire, l’assemblée régionale est composée des mêmes partis que lors de la précédente législature.

Les élections de 2020 avaient mis fin à l’ère des gouvernements à parti unique aux Açores ; celles de 2024 ont confirmé cette évolution. En 2020, la droite radicale (Chega) avait officiellement soutenu le gouvernement minoritaire de centre-droit au parlement régional. Cependant, la coopération avec Chega et les libéraux s’est avérée difficile, ce qui a finalement conduit à des élections anticipées. En définitive, les élections de 2024 ont mis en évidence l’impact de la poussée de la droite radicale sur les stratégies des partis et la formation du gouvernement. Les partis de centre-droit ont finalement réussi à former un gouvernement sans accords parlementaires formels, conformément à leur stratégie nationale consistant à éviter la droite radicale comme partenaire de coalition.

En résumé, l’élection anticipée du parlement açorien, bien qu’elle ait conduit à la reconduction de l’alliance gouvernementale sortante, n’a pas apporté la stabilité gouvernementale escomptée. Le gouvernement de coalition açorien gouverne désormais en tant que cabinet minoritaire, sans soutien parlementaire formel des autres partis de droite et de centre-droit.

Les données

Bibliographie

Dahl, R. (1971). Polyarchy: Participation and Opposition. New Haven : Yale University Press.

Freire, A. et Ruel, T. (2023). Regional elections in Portugal: Madeira (2019) and the Azores (2020): the twoway spill over between national and regional politics. Regional & Federal Studies.

Monroe, B. (1994). Disproportionality and Malapportionment: Measuring Electoral Inequity. Electoral Studies, 13, 132-149.

Ruel, T. (2021). Political Alternation in the Azores, Madeira and the Canary Islands. Londres : Palgrave Macmillan.

Ruel, T. (2018). Regional Elections in Portugal, the Azores and Madeira: Persistence of Non-Alternation and Absence of non-Statewide Parties. Regional & Federal Studies, 29(3), 429-440.

Notes

  1. En 2006, la loi organique 5/2006 a été approuvée par le parlement national, introduisant une réforme de la loi électorale des Açores qui a créé une circonscription électorale compensatoire.
  2. Le malapportionment est défini comme l’écart entre la part des sièges législatifs et la part de la population résidant dans les différentes unités géographiques (Monroe, 1994).
+--
voir le planfermer
citer l'article +--

citer l'article

APA

Teresa Ruel, Élection régionale aux Açores, 4 février 2024, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2025,

à lire dans ce numéro +--
notes et sources +
+--
voir le planfermer