Élection régionale en Cantabrie, 28 mai 2023
Jonatan García Rabadán
Professeur au département de sociologie et de travail de l'Université du Pays basqueIssue
Issue #4Auteurs
Jonatan García RabadánNuméro 4, Janvier 2024
Élections en Europe : 2023
Le 28 mai, des élections municipales et régionales ont eu lieu en Espagne. Parmi les 12 communautés autonomes qui devaient renouveler leur Parlement figurait la Cantabrie. Depuis l’approbation de son statut d’autonomie en 1981, la communauté située sur la côte nord du pays a développé son propre système politique et son propre système de partis, incluant l’existence d’un parti régionaliste, le PRC, qui occupe une position centrale sur l’échiquier politique régional (García Rabadán, 2019). Le PRC a fait partie de l’exécutif régional à de multiples reprises, participant à des gouvernements de coalition avec le PSC-PSOE ou le PP. Les élections de 2023 ont toutefois mis un coup d’arrêt à la croissance du régionalisme en Cantabrie, tandis que le PP remportait une victoire (35,8 % des voix et 15 sièges) et que les socialistes obtenaient des résultats en croissance (PSC-PSOE). Si ces résultats peuvent être directement reliés à l’influence de la concurrence politique au niveau national, la révélation d’affaires de corruption présumée au sein du département régional des travaux publics — dirigé par un membre du PRC — et la démission du chef de département incriminé sont également susceptibles d’avoir influencé le résultat du scrutin.
La Cantabrie, communauté autonome au sein de l’État espagnol
Avec l’approbation de la Constitution espagnole de 1978 et les précises de ce qui allait devenir le modèle d’État décentralisé de l’Espagne contemporaine, de nombreux territoires ont revendiqué une reconnaissance politique en tant que communautés autonomes (Pérez Castaños et García Rabadán, 2018). La Cantabrie fut l’une d’entre elles, alors que les plans initiaux l’intégraient au territoire de la Castille et Léon. Un puissant mouvement pro-autonomie s’est développé et est parvenu, malgré les obstacles, à doter la région d’un statut propre (Bar Cendón, 1995 ; Ramos Rollón, 1998).
Actuellement, selon les données de l’Institut national des statistiques de 2023 (1er janvier), la Cantabrie compte un peu plus de 588 000 habitants, dont la moitié est concentrée dans quatre municipalités et leurs zones urbaines : Santander (171 693 habitants), Torrelavega (51 142), Castro Urdiales (33 109) et Camargo (30 374) 1 . Néanmoins, la communauté est composée d’un total de 102 municipalités, et les zones rurales et le secteur primaire continuent de jouer un rôle symbolique important dans l’imaginaire sociopolitique de la région, y compris dans le tourisme. Cet imaginaire est en partie l’héritage de processus initiés par une partie du régionalisme cantabrique au pouvoir ces dernières décennies, notamment par le président Revilla (García Rabadán, 2019).
Le système électoral cantabrique est organisé selon les mêmes principes directeurs que la majorité des systèmes électoraux régionaux espagnols, à la différence que le territoire de la Cantabrie n’est pas divisé en provinces. Les 35 sièges du Parlement de Cantabrie sont élus au suffrage universel direct sur des listes électorales fermées dans une circonscription unique, identique à la communauté autonome elle-même. En outre, le système fixe un seuil de 5 % des voix pour participer à la répartition des sièges. Après plus de quatre décennies de vie politique régionale, ces caractéristiques ont produit un système dans lequel la formation de coalitions gouvernementales est récurrente. Au cours des dernières décennies, toutes ces coalitions ont vu le PRC participer à la majorité parlementaire et à l’exécutif. Cependant, historiquement, le régionalisme n’a pas toujours été mené par cette formation politique : dans les années 90, l’éclatement du Partido Popular (PP) a entraîné la constitution d’une alternative régionale, l’UPCA (Unión para el Progreso de Cantabria). Cette dernière a réussi à prendre le pouvoir en 1991 avec le soutien du PP. Après deux législatures, le projet de l’UPCA s’est dilué et le PRC a repris le flambeau du régionalisme.
La concurrence partisane lors des élections régionales de 2023 en Cantabrie
Comme indiqué précédemment, les élections de la 11e législature autonome de Cantabrie ont vu la victoire du PP, qui a obtenu près de 36% des voix et 15 sièges. Le PRC et le PSC-PSOE se partagent la deuxième place avec un peu plus de 21% des voix et 8 députés chacun. Contrairement à la dernière législature, VOX (11,1 % des voix et 4 députés) est le seul autre parti représenté au parlement, le parti libéral Ciudadanos (C’s) n’ayant pas atteint le seuil électoral (2,3 %). La coalition Podemos-IU a subi le même sort (4,1%), alors qu’elle disposait de 3 députés lors de la 9e législature (2015-2019).
Ainsi, les partis qui ont dirigé l’exécutif cantabrique au cours des deux dernières législatures n’ont pas été en mesure d’obtenir une majorité suffisante pour rester au pouvoir. La défaite du gouvernement sortant est principalement le résultat de la contre-performance du PRC. Le parti régionaliste a perdu plus de 55 000 voix (-17 points de soutien électoral) et 6 représentants, tandis que le PSC-PSOE a réussi à rassembler plus de 9 000 voix supplémentaires (+3 points) et 1 député. Le résultat peut difficilement s’expliquer par un changement dans la participation, puisque celle-ci est restée stable à 34,7 % (contre 34,3 % en 2019). Les résultats semblent indiquer une nationalisation de la concurrence politique dans la région, probablement causée par une polarisation et des tensions accrues au sein du système électoral espagnol. Ensemble, les deux principaux partis nationaux (PP et PSOE) ont enregistré une augmentation de 15 points de leur part électorale, passant de 41,6 % en 2019 à 56,4 % lors de ce scrutin.
Malgré ce scénario, l’offre électorale cantabrique de 2023 et celle de 2019 sont assez similaires, tant en termes de nombre de partis et de coalitions en lice que de programmes partisans. Chacune des douze forces politiques qui se sont affrontées le 28 mai peut être classifiée comme parti national (PN) ou parti régional (PR) 2 . Le premier groupe de partis a obtenu 27 députés et 75,1 % des votes valides, tandis que le second a obtenu 8 députés et 23,1 % des votes. Pour les régionalistes, l’élection de 2023 représente une rupture avec la dynamique positive observée au cours des dernières décennies. Chantre du régionalisme cantabrique, le PRC avait consolidé sa position d’acteur-clé dans le système de gouvernance communautaire, formant des coalitions gouvernementales soit avec le PP (1995-1999 et 1999-2003), soit avec le PSOE (2007-2011, 2007-2011, 2015-2019 et 2019-2023). Cette position a permis au PRC d’occuper la présidence de la région sans en être la plus grande politique, notamment lors des trois premières législatures avec le PSOE. L’apogée du pouvoir du PRC a été atteint en 2019, lorsque les élections municipales, régionales et générales ont eu lieu la même année. Lors de ce cycle électoral, le parti de Revilla a non seulement atteint la première position dans la plupart des municipalités de Cantabrie et au parlement régional, mais a également envoyé son premier député à la chambre basse espagnole, le Congrès des députés.
L’offre politique régionaliste lors de cette élection était composée de quatre forces différentes : Cantabristas, Ola Cantabria, Cantabria Distinta et le PRC. Cette fragmentation ne coïncide pas avec une augmentation de leur influence globale dans la régional. Au contraire, le soutien au Parti régionaliste de Cantabrie a diminué, et le parti est passé du statut de première force politique en 2019 au second range (à égalité avec le PSOE) en 2023. Le parti dirigé par Revilla concentre cependant 90 % des votes régionalistes et 100 % des sièges régionalistes.
Les indices proposés par les sociologues électoraux et les politologues tels que Rae (1971) ou Laakso et Taagepera (1979) permettent une analyse quantitative de la concurrence politique. En utilisant le nombre effectif de partis (NEP), la fragmentation et la volatilité — tous calculés à partir des parts des votes et des sièges obtenus par les partis —, on peut apprécier la reconfiguration de la concurrence électorale autonome en Cantabrie. Le NEP passe de 4,15 à 4,4 au plan électoral, indiquant un degré de concurrence électorale en légère augmentation. Cette légère augmentation ne se reflète toutefois pas dans la répartition des sièges. En effet, au sein du parlement, le NEP diminue à 3,3 (contre 3,6 en 2019), principalement en raison de la disparition de Ciudadanos. Un indice associé est le degré de fragmentation, qui augmente en voix (de 0,76 à 0,77), mais diminue en sièges (de 0,72 à 0,69). La somme des votes pour les deux plus grands partis en 2023 est réduite à 56,7 %, alors qu’elle s’élevait à 61,7 % en 2019.
Les deux indicateurs témoingent d’un degré élevé de concurrence entre les partis. L’analyse de la volatilité politique conduit à une conclusion similaire. La volatilité quantifie la loyauté des électeurs sur une échelle de 0 à 100. En 2023, l’indicateur de volatilité s’élève à 22,55 en voix et à 25,71 en sièges. Selon la typologie classique proposée par Sartori (2005), le système de partis cantabrique peut être classifié comme un système multipartite modéré, avec un nombre de partis compris entre trois et cinq et des exécutifs formés sur la base d’accords interpartisans.
Le facteur territorial dans une collectivité monoprovinciale
L’élection ayant lieu dans une circonscription unique, la répartition territoriale des résultats doit être analysée plus finement. Le Parti populaire a gagné dans la plupart des municipalités, dont la capitale (40%) et deux des villes les plus peuplées (Torrelavega, 29,1% et Camargo, 38,5%). À Castro-Urdiales, le Parti socialiste (PSC-PSOE) est arrivé en tête avec 31,4 % des voix. Il s’agit de la plus grande victoire des socialistes, puisque le parti en l’a emporté que dans 6 autres municipalités et a fait jeu égal avec le PRC dans une autre (Tresviso). Le deuxième parti en termes de municipalités gagnées est le PRC, avec plus de vingt victoires. Parmi celles-ci, il convient de mentionner les 73% du PRC à Valle de Villaverde, à la fois pour le soutien élevé obtenu et pour le fait que Valle de Villaverde est une enclave cantabrique au sein de la province basque de Biscaye. La victoire du PP n’est pas seulement le résultat de la mobilisation d’un électorat urbain : le soutien des zones rurales a également été considérable. Ainsi, contrairement à ce qui s’est produit lors des élections municipales 3 , ces trois partis politiques ont été les seuls à l’emporter au niveau communal. L’électorat cantabrique semble donc avoir voté de manière différenciée aux niveaux régional et local.
Une comparaison avec les élections de 2019 montre la progression du PP, mais aussi du PSC-PSOE. À l’époque, les deux principaux partis nationaux étaient arrivés en tête dans 22 municipalités (21 et 1, respectivement). Là encore, ce fait confirme l’effet des tendances politiques nationales de l’Espagne sur la compétition régionale.
L’analyse des parts de voix obtenues par les quatre principaux partis politiques de Cantabrie en fonction de la densité de population confirme les tendances soulignées dans le paragraphe précédent. Tout d’abord, on observe une différence entre les partis nationaux et le principal parti régionaliste. Les premiers bénéficient d’un soutien plus important dans les zones à forte densité de population, tandis que les zones rurales sont plus favorables au régionalisme. Toutefois, si le PRC obtient ses meilleurs résultats (environ 30 %) dans les zones à faible densité, il retrouve un niveau de soutien similaire dans les zones semi-urbaines comptant entre 2 500 et 3 000 électeurs/km². C’est également ce que montre la carte des partis vainqueurs par commune (voir « les données »). Toutefois, dans les municipalités de toutes tailles, le degré de soutien au PRC ne tombe pas en-deçà de 15 %.
Les parts de voix obtenues par les partis nationaux présentent des schémas territoriaux différents : le soutien au PP diminue avec la densité de population jusqu’au niveau des territoires semi-urbains, tandis que le contraire est vrai pour le PSOE, dont le pourcentage de votes augmente jusqu’à 1000 électeurs/km². En troisième position, le parti d’extrême droite VOX présente un pourcentage stable de soutien proche de 10 % en moyenne, atteignant presque 15 % dans les zones les plus denses.
Enfin, il convient de souligner l’influence des têtes de liste sur la campagne. Contrairement à d’autres régions autonomes, la Cantabrie est connue dans la politique espagnole pour le rôle que le président Revilla a joué dans différents médias nationaux, notamment par sa participation à une série de programmes à forte audience, politiques ou de divertissement. L’homme politique né en 1943 est connu de l’ensemble de l’électorat cantabrique (étude pré-électorale CIS) parmi lequel il reçoit une note moyenne de 4,57. Derrière lui se trouvent le candidat du PSOE Pablo Zuloaga (90% de notoriété et une note de 4,5) et la candidate du PP María José Sáenz de Buruaga (88% et une note de 4,44). À l’autre extrémité du classement, le taux de notoriété de la candidate de VOX, Leticia Díaz, n’était que légèrement supérieur à 50 % (55,5 %), et sa note n’était que de 3,4. Néanmoins, tous les candidats principaux avaient une expérience de la politique régionale, ayant occupé différents postes exécutifs avant l’élection.
Conclusion
En résumé, les résultats de cette élection indiquent un changement de cycle politique en Cantabrie ou, à tout le moins, un changement significatif dans l’équilibre des forces politique. Les partis nationaux, en particulier le PP et le PSOE, ont renforcé leur dynamique politique dans la communauté, tandis que le PRC a perdu des voix et de l’influence après des décennies de croissance. Bien que le régionalisme institutionnel continue de jouer un rôle charnière en Cantabrie, son poids électoral a diminué, comme en témoigne sa décision de ne pas se présenter aux élections générales du 23 juillet et de s’abstenir lors du vote d’investiture afin d’empêcher VOX de devenir un acteur clé dans le processus de formation du gouvernement 4 . Le résultat de l’élection reproduit un scénario déjà observé au lendemain de l’élection de 2011 avec un gouvernement du seul PP, doublé d’une légère augmentation du pluralisme politique due à la présence de VOX. Le PRC et le PSOE se trouvent dans une situation similaire à celle de 2011, n’étant pas en mesure de réunir une majorité absolue qui obligerait le prochain gouvernement de José Sáenz de Buruaga à négocier un accord de gouvernement.
Les données
Bibliographie
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Laakso, M. et Taagepera, R. (1979). Effective number of parties: a mesure with application to West Europe. Comparative Political Studies, 12 : 3-27.
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Sartori, G. (2005). Partidos y Sistemas de partidos. Marco para un análisis. Madrid : Alianza editorial.
Notes
- Données INE de 2022.
- Pour plus d’informations sur le rôle de ce dernier groupe de partis dans la politique régionale espagnole, voir : García Rabadán et Barberà, 2022.
- Lors des élections municipales qui se sont tenues le même jour, six autres listes formées par des partis locaux ont remporté le même nombre de municipalités.
- Déclaration publique du président du PRC, Miguel Angel Revilla, le 30 mai.
citer l'article
Jonatan García Rabadán, Élection régionale en Cantabrie, 28 mai 2023, Groupe d'études géopolitiques, Juin 2024,