Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections locales en Hongrie, 9 juin 2024
Issue #5
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Issue #5

Auteurs

Eszter Farkas

Numéro 5, Janvier 2025

Élections en Europe : 2024

L’année 2024 a été une année électorale importante en Hongrie avec la tenue le 9 juin d’élections européennes et locales. Cette fois-ci, les enjeux étaient plus importants que d’ordinaire pour le Premier ministre Viktor Orbán et son gouvernement Fidesz-KDNP. En effet, pour la première fois depuis 2010, un challenger potentiel est apparu sur la scène politique. Selon de récents sondages, la popularité croissante de Péter Magyar et de son parti Tisza font peser un risque sérieux sur l’avenir du gouvernement Orbán. Alors que la majorité des analyses post-électorales se sont principalement concentrées sur ce « phénomène Péter Magyar » et sur les 29,60 % des voix recueillies par le parti aux élections européennes, les principaux enseignements des élections locales étaient moins liées à cette nouvelle situation politique, le parti Tisza ne disposant pas d’une implantation locale suffisante pour peser à ce niveau. La question la plus importante de ces élections locales était de savoir si les maires et les membres du conseil de l’opposition pouvaient conserver et éventuellement étendre leurs positions et leur pouvoir après leur victoire en 2019, ou si les candidats locaux du parti au pouvoir pouvaient reconquérir les villages et les districts qu’ils avaient précédemment perdus.

Si les préférences politiques des citoyens aux différentes élections (ici, locales et européennes) sont généralement corrélées, ce texte se concentrera plus spécifiquement sur les tendances électorales observées lors des élections locales. Pour analyser l’évolution de l’équilibre du pouvoir entre le gouvernement et l’opposition après les bons résultats relatifs de l’opposition en 2019, nous nous concentrerons sur trois aspects principaux: (1) les principaux thèmes de campagne et les ressources politiques déséquilibrées dont disposaient les partis, (2) la dynamique de la participation et la façon dont elle pouvait favoriser le parti au pouvoir et (3) le lien entre poids des partis et caractéristiques sociodémographiques des localités. Ce dernier aspect permet d’identifier les clivages les plus importants à travers le pays au niveau local. L’objectif plus global de cette analyse est de mettre en lumière certaines leçons et conséquences encore peu discutées des résultats des élections locales hongroises de 2024.

Des conditions de campagne déséquilibrées

Dans la continuité des tendances des 15 dernières années, les dépenses de campagne du gouvernement Fidesz ont très largement dépassé celles des partis d’opposition, en particulier en terme de publicité sur les médias sociaux, où le nombre de messages sponsorisés par le gouvernement était de loin le plus élevé (Political Capital, 2024). Dans le cas des élections locales, les dépenses de campagne du parti gouvernemental ont été partiellement financées par les budgets des municipalités et de l’État, ce qui a contribué à ce déséquilibre. Selon plusieurs sources fiables et procédures judiciaires en cours, des électeurs ont été incités à participer et à voter pour le Fidesz en échange de sommes d’argent (ibid.). Contrairement aux thématiques de campagne des élections européennes, les sujets mis en avant par les partis et candidats locaux étaient plus difficiles à identifier, tant dans les petites villes et les villages que dans les grandes villes. Les campagnes locales se réduisaient souvent à l’affichage d’une série de photos de profil des candidats. Les messages généraux étaient souvent identiques et difficiles à différencier et les détails des objectifs politiques poursuivis n’étaient disponibles que dans les forums de rue ou les journaux locaux. Pendant la campagne, le message du parti au pouvoir selon lequel le Fidesz était le « parti de la paix » et ne refuserait de collaborer avec les dirigeants de l’UE concernant la guerre en Ukraine s’est imposé sur la plupart des canaux de communication.

À qui profite la participation ?

Si la participation est généralement plus élevée dans les grandes villes que dans les zones rurales lors des élections européennes, les élections locales ne connaissent pas d’ordinaire de phénomène de cet ordre. Toutefois, comme les deux élections avaient lieu le même jour en 2024, on pouvait s’attendre à une participation plus faible dans les petits villages en raison d’un intérêt moindre pour les élections au Parlement européen. Une analyse pré-électorale réalisée par l’Institut Republikon suggérait qu’un taux de participation plus élevé pourrait profiter au parti au pouvoir, le Fidesz (Republikon, 2023).

Comme le montre la figure a, le taux de participation a augmenté dans tous les comtés et dans la capitale Budapest depuis les dernières élections locales de 2019. Le taux de participation a dépassé les 50 % dans l’ensemble du pays. Les comtés où le taux de participation a été le plus élevé sont situés à l’ouest (Vas, Zala, Győr-Moson-Sopron) et Budapest. Selon les modèles de l’Institut Republikon, le parti au pouvoir aurait donc pu être avantagé par la participation en hausse dans l’ensemble du pays. Toutefois, le clivage urbain-rural est resté visible : dans les grandes villes et à Budapest, où les partis d’opposition ont obtenu de meilleurs résultats, la participation plus élevée ne s’est pas nécessairement traduite par des gains pour le parti au pouvoir.

Figure a · Participation aux élections de 2019 et 2024 pour les conseils de comtés
Source : Bureau électoral national: élections locales de 2019 and élections locales de 2024.

Les résultats des élections au regard des variables sociodémographiques

Afin d’analyser les caractéristiques sociodémographiques des électeurs au niveau des localités et leurs effets sur le comportement électoral, les cartes ci-dessous présentent l’affiliation aux partis des maires élus ainsi que trois variables importantes : (1) la proportion de logements sans confort, (2) la proportion de chômeurs et (3) la proportion de personnes de religion catholique dans les localités hongroises. Les deux premières caractéristiques identifient les régions dont le statut socio-économique est le plus bas, régions où on peut faire l’hypothèse que le soutien au Fidesz sera plus important. Le christianisme est également un élément important de la communication du gouvernement, suggérant que les électeurs qui s’identifient comme chrétiens sont plus susceptibles de voter pour le Fidesz. Étant donné que les catholiques sont de loin la communauté chrétienne la plus nombreuse en Hongrie, l’analyse se concentre sur cette variable. Toutefois, il convient d’être prudent dans la généralisation des résultats du niveau des municipalités vers l’échelle individuelle pour éviter les erreurs écologiques.

La figure 2 présente l’affiliation politique des maires nouvellement élus dans les villages et les districts de Budapest. La carte montre que la majorité des localités sont gouvernées par des candidats indépendants (független), tandis que les candidats du Fidesz sont plus populaires dans les régions de l’est et du nord-est du pays. Toutefois, l’affiliation à un parti n’est pas toujours significative lors des élections locales, car de nombreux candidats se présentent comme indépendants tout en maintenant des relations étroites avec le parti au pouvoir – une tactique qui vise à conserver la confiance des citoyens tout en s’assurant l’accès à diverses ressources financières (Kovarek et Dobos, 2023). De ce fait, la plupart des maires indépendants, même désignés officiellement comme tels, ne peuvent pas agir de manière réellement indépendante. Le nombre de localités et de districts où les candidats des partis d’opposition (ellenzék) ont remporté la mairie est négligeable par rapport aux deux autres catégories. La même règle empirique s’applique également dans ce cas également : les candidats de l’opposition se présentent souvent en tant qu’indépendants afin d’éviter les stéréotypes et les préoccupations partisanes. Ainsi, le maire de Dunaújváros, Tamás Pintér, était candidat pour le Jobbik en 2019 mais a été réélu en 2024 en tant qu’indépendant.

Figure b · Affiliation partisane des maires élus, 2024
Source : Átlátszó Választás 2024.

Pour comparer la distribution des préférences politiques et des variables sociodémographiques à travers le pays, la proportion de logements sans confort au niveau des localités est présentée dans la figure c. On constate que c’est dans les localités situées aux frontières de l’Est, du Nord-Est et du Sud-Ouest que l’on trouve la plus forte proportion de logements sans confort. Dans certains villages, la proportion de ces logements peut dépasser 30 %, voire atteindre 75 % localement. Toutefois, à rebours d’une hypothèse fréquente, ces zones ne correspondent que partiellement aux localités où les candidats du Fidesz ont obtenus les meilleurs résultats. Il convient néanmoins de rappeler, ici encore, les biais induits par l’indication imparfaite des préférences partisanes des candidats.

Figure c · Proportion de logements sans confort parmi l’ensemble des logements, 2022
Source : KSH.

Le pourcentage de chômeurs dans une localité présente sans surprise une distribution corrélée à celle du taux de logements sans confort – voir la figure 4 pour plus de détails. Une fois de plus, on peut observer que la proportion de maires Fidesz et le taux de chômage élevés sont tous deux plus fréquents dans les villages frontaliers. Cette corrélation peut être interprétée d’au moins deux manières : soit les chômeurs ont voté pour les candidats du Fidesz dans l’espoir d’améliorer leur situation économique, soit les citoyens ayant un emploi ont voté pour le Fidesz parce qu’ils souhaitent lutter contre les conséquences d’un taux de chômage élevé et espèrent que le Fidesz apportera une solution à ce problème. Plusieurs études récentes ont souligné le statut socio-économique relativement faible des électeurs du Fidesz dans tout le pays (Schering, 2022).

Figure d · Proportion de personnes sans emploi dans la population de 15 à 64 ans en 2022
Source : KSH.

La répartition géographique des catholiques présente un schéma différent. Les catholiques constituent de loin la confession chrétienne la plus nombreuse en Hongrie. L’adhésion ae catholicisme a historiquement marqué l’identité culturelle hongroise et concerne toujours une part importante de sa population, malgré des niveaux de pratique en baisse. Première communauté chrétienne de Hongrie, les catholiques peuvent constituer une base électorale importante pour le Fidesz du fait de son profil démocrate-chrétien et de son discours culturel et religieux offensif. Les principales figures du Fidesz soulignent fréquemment l’importance de respecter les dogmes chrétiens dans la vie quotidienne comme dans la vie politique, la plupart d’entre eux affirmant suivre les enseignements et les mœurs de l’Église. Pour autant, la carte électorale ne montre pas de corrélation claire entre le taux d’adhésion au catholicisme et le vote pour le Fidesz lors des récentes élections locales. Ainsi, la forte concentration de communautés catholiques dans l’ouest de la Hongrie ne se reflète pas dans les résultats des élections.

Figure e · Part de la population appartenant à la religion catholique romaine, 2022
Source : KSH.

Plusieurs maires d’opposition ont été réélus, notamment dans la plupart des districts de Budapest ainsi qu’à Érd, Hódmezővásárhely, Szeged, Szombathely et Tatabánya. Le succès du leader du « Parti du chien à deux queues » (MKKP, satyrique), Gergely Kovács, dans le 12e district où il succède à un maire Fidesz de longue date, Zoltán Pokorni, a constitué l’un des événements de ce scrutin, tout comme la défaite de Csaba András Dézsi face à Bence Pintér, un ancien journaliste devenu candidat indépendant. Toutefois, le nombre de districts et de localités dirigés par l’opposition n’a pas changé de manière significative et, fait plus important encore, la plupart des petits villages restent dirigés par le Fidesz ou par des maires indépendants. Dans l’ensemble, malgré quelques gains symboliques, l’opposition n’a pas été en mesure d’étendre sa présence territoriale ou de convertir la dynamique électorale de 2019 en un avantage politique plus large en 2024.

Questions ouvertes et nouvelles dynamiques possibles

En conclusion, deux phénomènes susceptibles d’affecter la qualité de la prise de décision et l’efficacité de la gouvernance locale hongroise peuvent être soulignés. Premièrement, le mouvement d’extrême droite « Notre maison » (Mi Hazánk Mozgalom) est arrivé en deuxième position dans presque tous les conseils de comté, ce qui en fait le plus grand parti d’opposition au niveau des comtés, unité infranationale qui englobe plusieurs municipalités. La légitimité politique du parti s’en trouve renforcée après sa percée lors des élections nationales de 2022, qui l’avait vu entrer au parlement national pour la première fois de son histoire.

Deuxièmement, une situation politique nouvelle est apparue à Budapest, ouvrant la voie à des collaborations politiques inhabituelles lors de la prochaine législature. Bien que le maire sortant Gergely Karácsony ait conservé son poste à l’issue d’une compétition très serrée impliquant un recomptage des voix – il l’emporte finalement avec seulement 300 voix d’avance contre Dávid Vitézy du fait du succès inattendu de la liste de Péter Magyar –, Karácsony a perdu sa majorité au conseil municipal et devra coopérer avec des représentants du Fidesz ou du parti Tisza pour gouverner. En conséquence, on peut s’attendre à observer une diminution de l’efficacité des travaux du conseil municipal et un accroissement des délais de prise de décision de celui-ci.

Il ne fait aucun doute que les conséquences internationales des élections locales sont moindre que celles des élections européennes. Pour autant, il convient de noter que les deux phénomènes que nous venons de relever pourraient jouer un rôle décisif dans la course aux élections nationales de 2026, dont les résultats influenceront de manière significative le positionnement international et les relations diplomatiques de la Hongrie.

Bibliographie

Kovarek, D. et Dobos, G. (2023). Masking the Strangulation of Opposition Parties as Pandemic Response: Austerity Measures Targeting the Local Level in Hungary. Cambridge Journal of Regions, Economy and Society, 16(1), 105–117.

Political Capital (2024, 18 juin). Szélsőségesen egyenlőtlen feltételek mellett zajlottak az európai parlamenti és önkormányzati választások.

Republikon Intézet (2023). Két választás egy napon 2024-ben: részvételi tendenciák.

Scheiring, G. (2022). The national-populist mutation of neoliberalism in dependent economies: The case of Viktor Orbán’s Hungary. Socio-Economic Review, 20(4), 1597-1623.

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Eszter Farkas, Élections locales en Hongrie, 9 juin 2024, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2025,

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