Élections régionales dans le Vorarlberg, 13 octobre 2024

Wolfgang Weber
Professeur invité à l'Université des sciences appliquées du Vorarlberg at the Vorarlberg University of Applied SciencesIssue
Issue #5Auteurs
Wolfgang Weber
Numéro 5, Janvier 2025
Élections en Europe : 2024
La province du Vorarlberg dans l’histoire autrichienne
ituée à l’extrémité occidentale de l’Autriche, le Vorarlberg partage une frontière commune avec l’Allemagne au nord, la Suisse à l’ouest et le Liechtenstein au sud. La chaîne de montagnes de l’Arlberg, à l’est, est considérée depuis des siècles comme une « frontière naturelle » avec l’Autriche et la province voisine du Tyrol. Jusqu’à l’effondrement de l’empire des Habsbourg en novembre 1918, les autorités administratives centrales du Vorarlberg étaient basées à Innsbruck, la capitale du Tyrol. Ce n’est qu’après la proclamation de la Première République autrichienne, le 12 novembre 1918, que le Vorarlberg est devenu une entité autonome indépendante. En mai 1919, les quatre cinquièmes (81 %) des électeurs vorarlbergeois se sont prononcés en faveur de l’union avec la Suisse. Le traité de paix de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 a cependant mis un terme à ce projet (Segesser et al., 2021). Depuis lors, le Vorarlberg s’est imposé comme une exception au sein de la politique autrichienne, une province qui se considère et est perçue comme politiquement et économiquement distincte des huit autres provinces autrichiennes. Certaines données statistiques confirment ce caractère exceptionnel (Walther, 2024).
Le parti populaire conservateur (ÖVP) et son prédécesseur sous la Première République autrichienne ont remporté toutes les élections au parlement régional entre 1919 et 2020. Entre 1919 et 1999, ainsi qu’entre 2004 et 2014, les conservateurs ont emporté la majorité absolue des voix et des sièges. Malgré cette position dominante, l’ÖVP a toujours formé des gouvernements régionaux en coalition avec un ou deux partis d’opposition. La constitution du Vorarlberg, contrairement à celles d’autres provinces autrichiennes telles que la Basse-Autriche ou Vienne, n’impose pas l’élection au scrutin proportionnel des membres de l’exécutif (Motter, 2024).
De 1945 à 1974, le gouvernement du Vorarlberg réunissait les trois partis représentés au parlement régional. De 1974 à 1999 et de 2004 à 2009, un gouvernement de coalition composé de l’ÖVP et du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) a pris la tête de la région alors que l’ÖVP détenait à lui seul la majorité des sièges. Puis, entre 1999 et 2004, un gouvernement de coalition entre ces deux mêmes partis est demeuré au pouvoir, cette fois sans majorité absolue de l’ÖVP. De 2014 à 2024, une autre coalition entre l’ÖVP et le Parti vert a gouverné, toujours sans majorité absolue de l’ÖVP. Seule la législature 2009-2014 a vu les conservateurs gouverner seuls (Broger, 2024).
Cettee domination d’un seul parti politique pendant une période de plus d’un siècle est une caractéristique distinctive de la politique contemporaine du Vorarlberg. Hormis la capitale fédérale (et province) de Vienne et la Basse-Autriche, aucune des autres provinces autrichiennes n’a connu un contrôle aussi durable d’un parti sur la vie parlementaire et gouvernementale. Le Vorarlberg partage également certaines similitudes avec Vienne sur le plan économique : après la capitale fédérale autrichienne, c’est la province qui présente le plus haut degré d’industrialisation et la plus grande proportion de migrants parmi sa population résidente (Weber, 2024a).
Contextualiser la campagne électorale de 2024 dans le passé et la présence du Vorarlberg
En 2024, la campagne pour le parlement régional a été réduite à une période de deux semaines au cours de la première quinzaine d’octobre. Cette campagne raccourcie fait suite à l’organisation, le 29 septembre 2024, des élections au parlement national, le Nationalrat, qui ont capté l’essentiel de l’attention des acteurs politiques nationaux. Ce n’était pas la première fois dans l’histoire du Vorarlberg que les élections parlementaires nationales et régionales se déroulaient à quelques jours d’intervalle. Les deux premières élections régionales après la libération de l’Autriche de la dictature nazie avaient en effet eu lieu le même jour que les élections nationales, respectivement les 25 novembre 1945 et 9 octobre 1949 (Weber, 2004).
À l’instar de ces deux campagnes plus anciennes, en 2024, le discours électoral s’est davantage concentré sur les questions nationales que sur les questions régionales. Le coût élevé de la vie et du logement était un sujet récurrent aux deux niveaux (ORF, 2024a). Toutefois, contrairement aux deux élections nationales de 1945-49, la distance entre le vainqueur et le second des élections nationales était cette fois beaucoup plus faible : seul 1,99 points de pourcentage séparaient l’ÖVP du FPÖ. Il s’agit de l’écart le plus faible jamais enregistré lors d’une élection nationale dans le Vorarlberg depuis 1945 (Weber, 2004).
D’une manière générale, l’ÖVP a toujours obtenu de moins bons résultats aux élections nationales qu’aux élections régionales dans le Vorarlberg depuis 1945. Toutefois, son avance a toujours été à deux chiffres (Weber, 2004). Autre signe défavorable, le 29 septembre 2024, l’ÖVP est arrivée en deuxième position derrière le FPÖ dans plusieurs communes du Vorarlberg, parmi lesquelles la ville de Bludenz, les Marktgemeinden de Lauterach et de Lustenau et plusieurs petits villages comme Brand ou Ludesch. Dans l’une des quatre circonscriptions du Vorarlberg, Dornbirn, le FPÖ est arrivé en tête (Nationalratswahl, 2024). Il s’agit d’une première en 105 ans d’élections démocratiques dans la province.
Avec de tels résultats, il était probable que l’ÖVP perde non seulement le poste de gouverneur provincial (Landeshauptmann) à l’issue des élections régionales du 13 octobre 2024, mais aussi son record plus que centenaire de première force politique à toutes les élections, qu’elles soient nationales, régionales ou communales. L’ÖVP a donc décidé de lancer une campagne offensive mettant en avant son objectif de demeurer le plus grand parti du Vorarlberg. Le premier parti au Landtag détient traditionnellement le poste de gouverneur, lequel est aux mains de l’ÖVP depuis 1945 – et aux mains de ses prédécesseurs historiques depuis 1890. Ainsi, la campagne du parti était quasi exclusivement centrée sur le gouverneur ÖVP sortant Markus Wallner et son engagement de longue date pour la province. Les conservateurs ont répété que le Vorarlberg « avait la priorité », priorité dont Wallner se posait en garant (slogan de campagne de l’ÖVP : « Vorarlberg geht vor – Wallner »).
Les partis d’opposition FPÖ et SPÖ se sont opposés à ce message en soulignant que le Vorarlberg devait se remettre « sur les rails » (FPÖ : « Vorarlberg wieder auf Kurs bringen ») ou qu’il pouvait « faire mieux » (SPÖ : « Vorarlberg kann’s besser »). Dans leur campagne, les deux partis ont évité de critiquer directement l’ÖVP et son gouverneur. Ils ont rarement porté un discours sur le fond, préférant se limiter à des déclarations très générales sans grande précision programmatique.
Dans ce contexte, il est revenu aux autres partis d’animer la campagne électorale par des revendications idéologiques et des déclarations programmatiques plus nettes. Le parti libéral Neos a appelé à un changement dans la politique régionale et s’est présenté comme une force de changement (« Die Reformkraft »). Les Verts ont prolongé leur campagne électorale nationale et se sont présentés comme seuls garants de la protection du climat et d’un avenir sûr (« Wähl’ Klima »). Des petits parmis, parmi lesquels une alliance d’organisations de défense des migrants et de mouvements citoyens, ont plaidé pour davantage de démocratie et de participation ( « Dein Recht auf Mitsprache »). Le KPÖ (parti communiste) a été le seul à se concentrer sur les questions de politique sociale (« KPÖ : Eine Stimme für leistbares Leben »).
Données, chiffres et faits concernant le jour du scrutin
271 882 Vorarlbergeoises et Vorarlbergeois âgés de plus de 16 ans disposaient du droit de vote dans quatre circonscriptions. Au total, 36 sièges parlementaires étaient en jeu. Seules 185 182 personnes se sont rendues aux urnes, soit un taux de participation de 68,1 %. Il s’agit du deuxième taux de participation le plus élevé depuis l’abolition du vote obligatoire en 2004. Le taux le plus bas a été enregistré en 2004 avec 60,1 % (Landtagswahl, 2024).
Le déclin de l’ÖVP, qui partait d’une majorité absolue de 54,9 % en 2004, s’est poursuivi le 13 octobre 2024. Par rapport aux dernières élections organisées en 2019, l’ÖVP a perdu 5,2 points de pourcentage et a obtenu 38,3 % des voix. Son partenaire de coalition au gouvernement au cours des dix dernières années, les Verts, a obtenu 12,4 % des suffrages, en baisse de 6,7 points de pourcentage par rapport à 2019. Les partis libéral et social-démocrate, Neos et le SPÖ, se sont stabilisés à 9 %. Quatre petits partis, dont le KPÖ, n’ont pas atteint le seuil de 5 % nécessaire pour entrer au parlement régional (Moser, 2024).
Comme quinze jours plus tôt lors des élections législatives nationales du 29 septembre 2024, l’unique vainqueur du scrutin régional a été le FPÖ. Le Parti de la liberté a obtenu 28,0 % des voix. Par rapport aux dernières élections de 2019, il s’agit d’un gain de 14,1 points de pourcentage, le plus important jamais obtenu par un seul parti depuis les premières élections démocratiques au parlement du Vorarlberg en avril 1919. Il s’agit également du meilleur résultat obtenu par le FPÖ depuis 1945, surpassant sa meilleure performance de 1999, lorsque le parti avait obtenu 27,4 % des voix avec un taux de participation de 87,8 % dans un contexte du vote obligatoire (Landtagswahl, 1999)
Néanmoins, l’écart entre le FPÖ et le parti en tête, l’ÖVP, restait supérieur à 10 points. L’avance de l’ÖVP lui a permis de façonner le récit de la soirée électorale, en déclarant que l’ÖVP et son gouverneur étaient les vainqueurs du jours, bien qu’ils aient perdu des électeurs en chiffres absolus par rapport à 2019 et qu’ils aient obtenu le pire résultat électoral d’un parti conservateur dans le Vorarlberg depuis 1919 (Weber, 2024b).
Les médias et les concurrents de l’ÖVP dans la course au Landtag ont rapidement repris ce narratif d’une victoire de l’ÖVP en soulignant que les conservateurs avaient clairement remporté la première place avec 70 638 voix et 15 des 36 sièges au parlement. Le FPÖ est arrivé en deuxième position avec 51 639 voix et 11 sièges. Les Verts ont obtenu 22 926 voix et quatre sièges, le SPÖ 16 713 voix et trois sièges et Neos 16 477 voix et trois sièges (Landtagswahl, 2024).
Au vu de ces chiffres, les cinq partis élus au parlement du Vorarlberg ont convenu, le soir des élections, qu’il incomberait au parti vainqueur de former un nouveau gouvernement sous la direction de l’ÖVP et de son gouverneur Markus Wallner. En théorie, Waller avait deux options de gouvernement. L’ÖVP pouvait, d’une part, former un gouvernement avec son précédent partenaire de coalition, les Verts. Un tel gouvernement de coalition aurait disposé d’une majorité étroite de 19 sièges sur 36. L’ÖVP pouvait également choisir de former un gouvernement commun avec le FPÖ, ce qui donnerait au nouvel exécutif une majorité des deux tiers au parlement, soit 26 sièges (ORF, 2024b).
En vertu de la constitution régionale, le gouvernement du Vorarlberg doit compter sept membres, dont le gouverneur et son adjoint. Par le passé, deux postes ministériels au plus étaient revenus au plus petit partenaire de la coalition. Au soir des élections, le gouverneur et chef de file de l’ÖVP, Markus Wallner, a déclaré souhaiter entamer sans délai des négociations avec chacun des quatre partis représentés au Landtag afin de décider rapidement avec qui il mènerait des négociations plus approfondies en vue de former le prochain exécutif. Quatre jours après les élections, l’ÖVP et le FPÖ ont annoncé qu’ils étaient prêts à entamer des discussions plus approfondies pour constituer un gouvernement commun. Le 21 octobre 2024, les deux partis ont entamé des négociations de coalition. Enfin, le 5 novembre 2024, un jour avant l’investiture du parlement nouvellement élu, l’ÖVP et le FPÖ ont annoncé qu’ils étaient parvenus à un accord pour former un gouvernement de coalition pour la période législative 2024-2029. La répartition finale des portefeuilles et le choix des ministres en charge reflètent la meilleure position de négociation de l’ÖVP : cinq des sept membres du gouvernement, y compris le gouverneur, ont été nommés par l’ÖVP. Le FPÖ n’en a que deux, dont le vice-gouverneur (Entner-Gerhold, 2024).
Conséquences potentielles des élections dans le Vorarlberg pour la politique fédérale autrichienne
La signature de l’accord de coalition entre l’ÖVP et le FPÖ dans le Vorarlberg porte à cinq le nombre de gouvernements provinciaux autrichiens composés d’un parti de centre-droit et d’un parti populiste de droite. Sachant qu’au niveau fédéral, le FPÖ, bien qu’il ait remporté les élections au parlement national le 29 septembre 2024, n’a pas réussi à trouver un partenaire de coalition, cette cinquième participation à un exécutif régional peut être interprétée comme une forme de compensation pour la perte de pouvoir du gouvernement national. Le FPÖ siège également dans le gouvernement viennois, élu au scrutin proportionnel, même si son représentant n’y détient pas de portefeuille.
Dans l’ensemble, le FPÖ est une force gouvernementale dans six des neuf provinces autrichiennes. En Styrie, il dirige un gouvernement de coalition avec l’ÖVP et occupe le poste de gouverneur. Dans quatre gouvernements provinciaux, le FPÖ est le plus petit partenaire de la coalition. Présent dans six des neuf gouvernements provinciaux, le FPÖ peut influencer la politique fédérale par l’intermédiaire de la deuxième chambre du parlement, le Bundesrat, qui représente les provinces autrichiennes. Après son succès aux élections régionales du Vorarlberg, l’un des trois sièges du Vorarlberg au Bundesrat sera occupé par le FPÖ. Au cours des dix dernières années, ce siège était occupé par les Verts (ORF, 2024c).
Les résultats des élections du 13 octobre 2024 dans le Vorarlberg ont confirmé une évolution que les sondages d’opinion avaient prédite depuis l’été 2023 : un déclin continu de l’ÖVP et des Verts en tant que partis au pouvoir, une augmentation à deux chiffres des voix du FPÖ et une stagnation des forces travaillistes et libérales. Actuellement, l’électorat semble se diviser en trois camps de taille à peu près égale. Historiquement, c’était déjà le cas dans la Première République autrichienne pendant l’entre-deux-guerres. La tâche principale de la politique actuelle doit être de définir les interfaces possibles entre ces trois camps et de les rassembler dans l’intérêt d’une démocratie vivante. Sans cela, la deuxième République autrichienne pourrait être tentée de répéter les erreurs de la première République autrichienne, qui s’était terminée par une guerre civile.
Les données




Bibliographie
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Moser, M. (2024, 14 octobre). Zeichen stehen auf schwarz-blau. ORF.
Motter, H. (2024). Vorarlberg und seine Landtagswahlen. Thema Vorarlberg.
Nationalratswahl (2024). Nationalrat : Résultats préliminaires pour le Vorarlberg. Land Vorarlberg.
ORF (2024a, 2 octobre). « Elefantenrunde » über die Zukunft des Wohnens. ORF.
ORF (2024b, 14 octobre). Koalitionsfrage : Schwarz-Blau mit langer Geschichte. ORF.
ORF (2024c, 14 octobre). Bundesrat : Ein Mandat wandert von den Grünen zur FPÖ. ORF.
Landtagswahl (2024). Landtagswahl : Endgültiges amtliches Ergebnis. Land Vorarlberg.
Segesser, D., Weber, W. et Zala, S. (éd.) (2021). Sehr geteilte Meinungen. Dokumente zur Vorarlberger Frage 1918-1922. Forschungsstelle Diplomatische Dokumente der Schweiz, 19-24.
Entner-Gerhold, B. (2024, 5 novembre). Familiengeld, Deutschpflicht, Straßenbau. Was ÖVP und FPÖ in Vorarlberg planen. Vorarlberger Nachrichten.
Walther, K. (2024, 5 septembre). Wie tickt Vorarlberg ? Hinter dem Arlberg ist vor dem Arlberg. Wiener Zeitung.
Weber, W. (2004). Hobelspäne. Landtagswahlkämpfe, Parteien und Politiker in Vorarlberg von 1945 bis 1969. Rheticus Gesellschaft.
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Weber, W. (2024b). « Unser aller Ländle » – nicht unser aller Kandidaturen. Migration und Inklusion als Issues bei Vorarlberger Gemeindewahlen im 20. Jahrhundert. In G. Pallaver, W. Weber et M. Jenny (éd.), Kommunalwahlen in Vorarlberg 1950-2020. Fakten, Prozesse, Perspektiven (p. 225-254). Studienverlag.
citer l'article
Wolfgang Weber, Élections régionales dans le Vorarlberg, 13 octobre 2024, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2025,