Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections régionales et sénatoriales en République tchèque, septembre 2024
Issue #5
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Issue #5

Auteurs

Michal Kubát , Michal Pink

Numéro 5, Janvier 2025

Élections en Europe : 2024

Cet article traite des élections régionales et sénatoriales qui se sont tenues en République tchèque en septembre 2024. Les élections régionales et le premier tour des élections sénatoriales ont eu lieu les 20 et 21 septembre. Le second tour des élections sénatoriales a eu lieu une semaine plus tard, les 27 et 28 septembre. Les élections tchèques se déroulent traditionnellement les vendredi et samedi.

Ce texte est divisé en plusieurs sections. Nous décrivons d’abord les systèmes électoraux utilisés et présentons le cadre politique et le contexte de ces scrutins. Nous analysons ensuite les résultats des élections et l’évolution de la participation. Enfin, nous présentons les conséquences de ces élections sur la scène politique régionale et nationale.

Cet article est basé sur des sources primaires, des statistiques officielles et la couverture médiatique du scrutin. Compte tenu du caractère récent de ces élections, aucune étude complète en science politique ou en droit constitutionnel n’a été publiée jusqu’à présent.

Système électoral

Élections régionales

Ce n’est qu’en 2000 que la République tchèque a été divisée en 13 régions, auxquelles s’ajoute la capitale, Prague. Au même moment, de nouveaux gouvernements régionaux élus au suffrage direct ont été mis en place, qui sont rapidement devenus un élément essentiel du système politique tchèque. Les premières élections régionales ont eu lieu en 2000 et des élections ont depuis été organisées à intervalles réguliers de quatre ans. Lors des élections régionales, les partis politiques se disputent 675 sièges de conseillers régionaux, les assemblées étant de tailles différentes en fonction du nombre d’habitants de la région. Les trois plus grandes assemblées comptent 65 élus, celles des régions de taille plus modeste 55, et la plus petite région en termes de population dispose d’une assemblée de 45 sièges seulement. Chaque région constitue une circonscription électorale unique.

En République tchèque, un système de représentation proportionnelle de liste est utilisé dans chaque région pour élire les députés des assemblées régionales. Les électeurs peuvent exprimer jusqu’à quatre votes préférentiels pour les candidats de la liste d’un parti, lesquels affectent l’ordre des candidats sur la liste. Cette méthode permet une certaine personnalisation du vote et peut induire une activité de campagne indépendante de certains candidates. Une méthode d’Hondt modifiée est utilisée pour convertir les votes en mandats. Les partis ou coalitions doivent dépasser le seuil électoral de 5 % pour obtenir des sièges.

L’assemblée élit ensuite le gouverneur régional (hejtman) et les autres membres de l’exécutif régional. L’exécutif dépend du soutien continu d’une majorité de l’assemblée, qui peut décider de révoquer le gouverneur en place et d’élire un remplaçant. Il en découle un régime quasi-parlementaire dans lequel l’exécutif régional répond au corps législatif et peut être démis en cas de changement de majorité politique au sein de l’assemblée (loi 129/2000).

Sénat

Bien que le Sénat, en tant que deuxième chambre du Parlement, ait été créé par la Constitution adoptée en décembre 1992, les premières élections sénatoriales n’ont eu lieu qu’en 1996. Celles-ci utilisent un scrutin à deux tours dans des circonscriptions uninominales pour élire un total de 81 sénateurs. Au premier tour, la majorité absolue est nécessaire pour être élu. Si aucun candidat n’atteint ce seuil, un second tour est organisé, auquel se qualifient deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix au premier tour. Le candidat obtenant le plus grand nombre de voix au second tour de scrutin est élu. La durée du mandat est de six ans, un tiers des sénateurs (27) étant renouvelé tous les deux ans. Par conséquent, les élections sénatoriales sont fréquentes : 15 scrutins entre 1996 et 2024, sans compter les élections partielles) Depuis 2000, toutes les élections sénatoriales ont eu lieu en parallèle d’élections régionales ou municipales (loi 247/1995 ; volby.cz, 2024).

Contexte

Les élections régionales et sénatoriales se sont déroulées dans une situation politique complexe. Après les élections législatives de 2021, un gouvernement de coalition large composé de cinq partis et dirigé par le Premier ministre Petr Fiala a été formé. La coalition était composée des partis de droite Parti démocratique civique (ODS) et TOP 09, de l’Union populaire tchécoslovaque chrétienne-démocrate (KDU-ČSL), du parti centriste Maires et indépendants (STAN) et des Pirates, formation progressiste. Malgré le grand nombre de partis au sein du gouvernement et les différences idéologiques importantes existant entre eux, la coalition s’est maintenue jusqu’en octobre 2024, lorsque les Pirates ont quitté le gouvernement. Ce retrait fait suite au choix du Premier ministre Fiala de démettre le président des Pirates, Ivan Bartoš, de ses fonctions de vice-Premier ministre chargé de la numérisation et de ministre du développement régional, invoquant l’incapacité de son ministre à conduire la numérisation des procédures de construction. Intervenu au lendemain des élections régionales et sénatoriales, le retrait des Pirates n’a cependant pas privé la coalition gouvernementale de majorité à la Chambre des députés.

Le gouvernement a été confronté à plusieurs crises et défis politiques internes, dont le plus grave a été l’inflation élevée de 2022-2023. Le mécontentement à l’égard de la situation économique a été la principale (mais non la seule) cause de l’extrême impopularité du gouvernement, qui faisait face à la défiance de près de 70 % de l’électorat (Stuchlíková, 2023 ; Červenka, 2024). Cette impopularité n’a cependant eu qu’un effet limité lors des élections au Parlement européen de juin 2024. Le parti populiste d’opposition ANO y a remporté 26,14 % des voix tandis que la coalition nationale sortante, SPOLU 1 (composée de l’ODS, de TOP 09 et du KDU-ČSL) est arrivée en deuxième position avec 22,27 % des voix (STAN : 8,7 %, Pirates : 6,2 % ; voir volby.cz, 2024). Les enquêtes d’opinion pour les élections à la Chambre des députés ont de longue date donné l’avantage à ANO, dont les intentions de vote dépassent 30 % – les prochaines élections à la Chambre des députés auront lieu à l’automne 2025. Dans ce contexte, on peut noter que le futur vainqueur probable de ces élections, ANO, a récemment évolué de manière significative vers des positions nationalistes et d’extrême droite. Cette évolution pourrait avoir un impact sur la politique intérieure et le future positionnement de la République tchèque sur la scène internationale.

Les élections régionales et sénatoriales ont été marquées par les tragiques inondations de septembre 2024, qui ont touché principalement le nord de la Moravie et de la Silésie. Si les inondations n’ont pas directement affecté les résultats du vote, elles ont en revanche eu un effet sur le taux de participation dans les régions conernées.

Résultats

Élections régionales

La figure a détaille le nombre de sièges de députés régionaux obtenus par les partis. Le parti ANO, dans l’opposition au niveau national, remporte la première place. On trouve en deuxième position STAN, avec un nombre maximum de 20 sièges dans deux régions. Parmi les autres partis ayant obtenu des scores significatifs se trouve également un groupe de partis de gouvernement dominé par l’ODS, qui, dans un cas (la Bohême-du-Sud), a été en mesure de remporter une majorité absolue des sièges. L’ODS a formé dans certaines régions des listes communes avec d’autres partis gouvernementaux sous l’étiquette SPOLU, comme lors des précédentes élections parlementaires en 2021. Deux partis ont obtenus des résultats moins importants mais qui restent notables au regard de leur performance au plan national : la liste communiste qui se présentait sous la bannière de Stačilo ! (Assez !) et le parti d’extrême droite Liberté et démocratie directe (SPD), qui ont obtenu 32 et 37 sièges respectivement. Ces élections régionales ont été une déception pour les Pirates, qui n’ont obtenu que trois mandats dans une unique région et ont échoué à franchir le seuil de 5 % partout ailleurs. Les partis régionaux ont également subi une défaite, n’obtenant qu’une représentation marginale dans deux régions.

Dans l’ensemble, on peut dire que les élections régionales ont été marquées par un soutien important à l’opposition représentée par ANO, par la relative stabilité des partis de gouvernement, à l’exception des Pirates, et par le succès relatif de deux partis politiques d’extrême gauche et d’extrême droite.

RégionANOODSSPOLUStačilo !STANDOCUPPirátiKDU-ČSLReg.SD
Bohême centrale25
133204



Bohème du Sud1734
4





Plzeň249
48334

Karlovy Vary283

74

3
Ústí nad Labem267
576

4
Liberec18
5
20*2



Hradec Králové1813
263
4
3
Pardubice155
332
6
11
Vysočina18
11342
4
4
Moravie du Sud22
3144




Olomouc265
495
6

Zlín205
352
10

Moravie-Silésie35
105114



Sume2928170329037334718
Figure a · Sièges dans les parlements régionaux

* Sous l’appellation locale SLK (Maires de la région de Liberec).

Les majorités qui ont servi à former les gouvernements régionaux sont surlignées en gras. Voir l’une des sous-sections suivantes pour plus d’informations à ce sujet.

KDU-ČSL : Union chrétienne-démocrate-Parti populaire tchécoslovaque ; ODS : Parti démocratique civique ; Piráti : Pirates ; Reg. : partis réginoaux ; SD : SOCDEM (sociaux-démocrates) ; SPD : Liberté et démocratie directe ; SPOLU : Ensemble ; Stačilo! : Assez ! ; STAN : Maires et indépendants.

Source : volby.cz (2024).

Sénat

Lors des élections sénatoriales, 27 sénateurs ont été élus, dont cinq dès le premier tour. Vingt-six sénateurs représentaient un parti ou une coalition de partis et un seul sénateur a été élu en tant que candidat indépendant. Dix des sénateurs élus représentaient l’opposition, tandis que les 17 autres étaient politiquement alignés ou soutenus par les partis au pouvoir. À première vue, ces chiffres semblent démontrer le succès des partis du gouvernement Fiala. Toutefois, si on examine les gains et les pertes des partis en termes de nombre total de sièges au Sénat, on constate que l’ANO a enregistré les gains les plus importants (+7) tandis que l’ODS a accusé de fortes pertes (-5). Les gains et les pertes des autres partis sont de l’ordre d’un seul siège. Les élections sénatoriales confirment ainsi le résultat des élections régionales, caractérisé par une hausse du soutien à l’opposition (principalement ANO) et une légère diminution du nombre d’élus des partis au pouvoir.

PartiGov. / opp. (nouveaux sénateurs)Sièges gagnésNombre total de siègesGains/pertes
ANOopposition812 de 81+7
STANgouvernement618 de 81+1
ODSgouvernement518 de 81-5
KDU-ČSLgouvernement212 de 810
TOP09gouvernement27 de 81+1
SDopposition11 de 810
SEN21pro-gouvernement14 de 810
Přísahaopposition11 de 81+1
NKpro-gouvernement1
Total27
Figure b · Sièges au Sénat

NK : candidat indépendant ; Přísaha : Serment. Autres abréviations : voir figure a.
Source : volby.cz (2024).

Participation

Le taux de participation lors de ces élections a été faible. Lors du scrutin régional, il s’est élevé à 32,91 %, avec des différences régionales mineures. Le taux de participation le plus élevé a été enregistré dans la région de Bohême du Sud (36,66 %) et le plus faible dans la région d’Ústí nad Labem (28,13 %). Lors du scrutin sénatorial, le taux de participation a été plus faible encore. Au premier tour, il était de 30,47% ; au second tour, où la participation est traditionnellement beaucoup plus faible, de 17,54%. Le taux de participation aux élections régionales est le plus bas depuis 2004, où seuls 29,62 % de l’électorat s’était rendus aux urnes. Le taux de participation aux élections sénatoriales est quant à lui similaire aux scrutins précédents ; pour un résumé des données de la participation à toutes les élections, voir volby.cz (2024).

Impacts et conséquences

Formation des gouvernements régionaux

La figure c liste les vainqueurs dans les différentes régions, la composition du nouvel exécutif régional et son positionnement vis-à-vis du gouvernement national. Dans la plupart des régions, l’opposition (ANO) a remporté les élections. Cependant, elle n’a pas toujours réussi à obtenir le poste de gouverneur et à prendre ainsi la tête de l’exécutif régional. Un bon exemple est la région de Bohême centrale, où l’ANO est restée dans l’opposition malgré sa victoire aux élections. Dans les régions périphériques telles que Karlovy Vary et la Moravie-Silésie, ANO remporté la majorité des mandats. Dans le premier cas, le gouverneur nouvellement élu a formé une majorité sans partenaires de coalition ; dans le second cas, il s’est engagé dans une alliance avec le SPD (extrême droite). Des coalitions similaires entre ANO, SOCDEM et l’extrême droite ont également vu le jour dans les régions d’Olomouc et de Vysočina. Il n’est pas encore possible de confirmer si le parti prépare ainsi le terrain pour une coopération au niveau national.

Parmi les partis de gouvernement, l’ODS l’a emporté dans la région de Bohême du Sud, où il dispose d’une majorité parlementaire qui lui permet de gouverner seul. Les partis de gouvernement se sont également imposés en Moravie du Sud, où un seul partenaire de coalition, STAN, lui suffit pour obtenir la majorité requise. Le nombre de gouverneurs ANO (7) est donc inférieur au nombre des victoires du parti au niveau régional, même si ANO dispose du plus grand nombre de gouverneurs. Un groupe plus restreint de gouverneurs est issu des partis de gouvernement (ODS – Martin Kuba, KDU-ČSL – Jan Grolich, STAN – Martin Půta) et du petit parti SOCDEM dans la région de Pardubice. Toutefois, certains candidats pro-gouvernementaux, en premier lieu desquels Martin Kuba, se sont efforcé de minimiser leur affiliation aux partis gouvernementaux, se présentant comme des politiciens régionaux indépendants. Martin Půta se présentait pour sa part sous l’étiquette des Maires de la région de Liberec (SLK), composante de STAN mais possède sa propre marque locale.

RégionVainqueurCoalition régionaleGouverneur régionalCongruence avec le gouvernement national
Bohême centraleANOSPOLU + STANSTANOui
Bohème du SudODSODSODSOui
PilsenANOANO, STAN, reg.ANONon
Karlovy VaryANOANOANONon
Ústí nad LabemANOANO, ODS, reg.ANONon
LiberecSLKSLK, ODSSLKOui
Hradec KrálovéANOANO, SD, SPDANONon
PardubiceANOANO, ODS, TOP09, KDU-ČSL, SDSDNon
VysočinaANOANO, SD (soutenus par des partis d’extrême droite)ANONon
Moravie du SudSPOLUSPOLU, STANSPOLUOui
OlomoucANOANO, SPD, partis d’extrême droiteANONon
ZlínANOANO, STANANONon
Moravie-SilésieANOANO, SPDANONon
Figure c · Gouvernements régionaux

SLK : Maires de la région de Liberec. Autres abréviations : voir figure a.
Source : volby.cz (2024), travail original.

Sénat

Même si le mouvement d’opposition ANO s’est considérablement renforcé – pour l’ANO, ces élections représentaient une percée importante compte tenu de ses mauvais résultats historiques aux élections sénatoriales – et que l’ODS s’est affaibli, les élections sénatoriales n’ont pas bouleversé la composition de la chambre haute, où les partis pro-gouvernementaux conservent leur majorité. Le résultat de l’élection de la nouvelle présidence du Sénat s’inscrit dans cette logique : l’actuel président, Miloš Vystrčil (ODS), a été confirmé dans ses fonctions. Par conséquent, le Sénat ne deviendra pas une chambre d’opposition à la Chambre des députés et au gouvernement, qui conserve une majorité dans les deux chambres. Au moment de la rédaction de cet article, il n’y a d’attendre des changements significatifs dans le fonctionnement du parlement et de l’ensemble du système démocratique avant les élections à la Chambre des députés, qui se tiendront en 2025.

Les partis et le système des partis

Les élections sénatoriales et régionales ont eu peu d’impact sur le système de partis tchèque. Les Pirates constituent une exception. En réponse à la double défaite du parti lors des scrutins régionaux et sénatorial, l’ensemble de la présidence du parti, y compris son président de longue date et ancien vice-premier ministre Ivan Bartoš, a démissionné. Bartoš a par ailleurs annoncé qu’il ne se présenterait plus à aucun poste au sein du parti. Il convient de noter qu’il s’agit du deuxième échec consécutif pour les Pirates après leur score décevant aux élections européennes de 2024, où ils n’ont obtenu que 6,20 % et un siège (volby.cz, 2024). Le 9 novembre 2024, Zdeněk Hřib, ancien maire de Prague, a été élu nouveau président du parti, déclarant qu’il entendait rapprocher le parti du centre politique. Suite à cette réorientation, plusieurs représentants de l’aile gauche du parti ont annoncé leur départ. Les Pirates pourraient désormais devenir un parti plus centriste (Petrů, 2024). L’effet de ce repositionnement sur leur soutien dans les urnes et leur rôle dans le système des partis est difficile à estimer.

Remerciements : Cette production a été soutenue par l’organisation non gouvernementale « Systemic Risk Institute », numéro LX22NPO5101, financée par l’Union européenne – Next Generation EU (Ministère de l’éducation, de la jeunesse et des sports, organisation non gouvernementale : EXCELES).

Les données

Bibliographie

Loi 129/2000. Zákon č. 129/2000 Sb. Zákon o krajích (krajské zřízení).

Loi 247/1995. Zákon č. 247/1995 Sb. Zákon o volbách do Parlamentu České republiky a o změně a doplnění některých dalších zákonů.

Červenka, J. (2024, 11 septembre). Důvěra ústavním institucím – léto 2024. Centrum pro výzkum veřejného mínění.

Petrů, V. (2024, 11 novembre). Novým předsedou Pirátů je Hřib. Stranu chce posunout do středu. Deník Referendum.

Stuchlíková, L. (2023, 16 août). Rekordní nedůvěra ve vládu. Fialovi už nevěří ani vlastní voliči. Seznam Zprávy.

volby.cz (2024). Résultats électoraux. Český Statistický Ůřad.

Notes

  1. Le mot SPOLU signifie « Ensemble ».
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APA

Michal Kubát, Michal Pink, Élections régionales et sénatoriales en République tchèque, septembre 2024, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2025,

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