Revue Européenne du Droit
La quête d’un Pacte mondial sur les droits environnementaux
Issue #6
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Issue #6

Auteurs

Yann Aguila

Une revue scientifique publiée par le Groupe d'études géopolitiques

Ouvrant une nouvelle page dans l’histoire de la diplomatie, la Déclaration de Stockholm de 1972 a placé les défis environnementaux au premier plan des préoccupations internationales. Elle pose d’une façon solennelle de grands principes qui résonnent encore aujourd’hui. Après avoir affirmé dans son préambule que « l’homme est à la fois créature et créateur de son environnement », elle reconnaît dans son Principe 1, d’une part, son « droit fondamental (…) à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité permette une vie digne et le bien-être » et, d’autre part, tel un contrepoint, son « devoir solennel d’améliorer et de protéger l’environnement pour les générations présentes et futures ». 

Néanmoins, plus de cinquante ans plus tard, les données scientifiques sont claires : l’état de notre environnement ne cesse de se détériorer 1 . Alors que l’humanité est confrontée à une triple crise planétaire – changement climatique, perte de biodiversité et pollution -, l’intégration et la mise en œuvre effective des grands principes, droits et devoirs juridiques dans nos systèmes juridiques, avec une valeur contraignante, est devenue impérative. Cette consécration doit d’abord se faire à l’échelle mondiale. La coopération internationale est évidemment essentielle compte tenu de la nature des questions climatiques et environnementales, qui sont communes à toutes les nations et qui, par suite, dépassent les frontières nationales. 

Tel était le but poursuivi par le projet de Pacte mondial pour l’environnement, porté par la France à la suite d’une initiative de la société civile. A la suite d’une proposition de la Commission environnement du Club des juristes 2 , un avant-projet de texte avait été rédigé par un réseau international d’une centaine de juristes animé par cette commission et présidé par le président Laurent Fabius, alors président du Conseil constitutionnel 3 . Ce dernier, père de l’Accord de Paris, portait en effet la conviction que le traité sectoriel sur le climat devait être prolongé par un traité plus général portant, globalement, sur les grands principes du droit de l’environnement. Le lancement des négociations sur le projet de Pacte fut un succès, ayant l’honneur d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 10 mai 2018 intitulée « Vers un Pacte mondial pour l’environnement » 4 , adoptée à la quasi-unanimité 5 . Toutefois les discussions entre États, qui eurent lieu pour l’essentiel en 2019 à Nairobi, au siège du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), se sont soldées par un échec 6

Malgré ce revers, le projet de Pacte mondial pour l’environnement reste une référence qui a été abondamment commentée par la doctrine 7 . Il faisait d’ailleurs écho à d’autres initiatives du même type. On mentionnera notamment le projet, en 22 points, de « principes juridiques proposés pour la protection de l’environnement et un développement durable » figurant en annexe 1 du rapport Brundtland de 1987, le « Draft covenant on environment and development » proposé en 1995 par la Commission du droit de l’environnement de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) et le Conseil international du droit de l’environnement ou International Council of Environmental Law (ICEL), le projet de « Déclaration universelle des droits de l’humanité » rédigé en 2015 par un groupe de juristes présidé par Corinne Lepage, ou encore le « Pacte international relatif aux droits des êtres humains à l’environnement » proposé en 2017 par le Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDCE). 

Certes, cette exigence d’un texte fondateur des grands principes environnementaux est aujourd’hui fragilisée par un contexte de montée des populismes et de replis identitaires. Pourtant, plus que jamais, il reste nécessaire d’adopter un grand pacte mondial sur les droits environnementaux qui réaffirmerait les valeurs qui doivent guider l’action en matière d’environnement et donnerait des fondations à l’ensemble des textes environnementaux sectoriels.

Dans un exercice classique bilan / perspectives, on commencera par décrire les faiblesses du droit international de l’environnement (I), avant de montrer pourquoi et comment l’adoption d’un Pacte  mondial sur les droits environnementaux pourrait contribuer à refonder la matière (II). 

I – État des lieux : les faiblesses du droit international de l’environnement

Si l’on dressait un état des lieux complet, on pourrait sans doute identifier les forces du multilatéralisme environnemental. On relèverait ainsi notamment le dynamisme normatif de la matière, puisqu’on peut compter jusqu’à 1 500 traités concernant directement ou indirectement l’environnement 8 . Toutefois, on voudrait surtout s’attarder ici sur les faiblesses persistantes de ce domaine. 

A – Un droit fragmenté 

Le droit international de l’environnement se caractérise par des conventions traitant séparément de sujets spécifiques, comme le climat, l’ozone, la désertification, la biodiversité, la protection de certaines espèces animales, les  déchets ou l’utilisation de produits chimiques. Chacune de ces conventions sectorielles est un ensemble à part entière et fonctionne indépendamment des autres, sans coordination entre ces différents instruments juridiques. 

La multiplication des textes internationaux sectoriels entraîne un manque de lisibilité et d’accessibilité du droit international de l’environnement. Les praticiens du droit, juges et avocats, font souvent l’expérience de la découverte fortuite, au hasard d’un dossier, d’une convention internationale environnementale dont ils n’avaient jamais eu connaissance auparavant. 

En décembre 2018, le Secrétaire général des Nations Unies a publié un rapport intitulé « Lacunes du droit international de l’environnement et des instruments relatifs à l’environnement : vers un Pacte mondial pour l’environnement » 9 , qui analyse le droit international de l’environnement et les lacunes existantes dans les accords multilatéraux sur l’environnement, la gouvernance environnementale et les institutions. Le rapport souligne que « [l]a multiplication des accords multilatéraux sur l’environnement et les mandats séparés et distincts qui en résultent ne tiennent pas compte de l’unité, de l’interconnexion et de l’interdépendance de l’écosystème planétaire » et préconise l’adoption d’un instrument international « complet et unificateur » qui consacre tous les principes du droit de l’environnement. L’adoption d’un Pacte sur le droit à un environnement sain constituerait, ainsi, la pierre angulaire tant attendue du droit international de l’environnement.

B – Des institutions fragmentées

Si les normes sont éparpillées, la gouvernance l’est également, si bien que l’on retrouve aujourd’hui, non seulement l’administration du PNUE (autour de 2000 employés), mais également une constellation de services et de secrétariats qui gèrent les différentes conventions sectorielles en la matière, au premier rang desquelles le secrétariat de la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (près de 500 personnes à Bonn) ou celui de la convention sur la diversité biologique (plus de 100 personnes à Montreal). Cette multiplication d’entités génère des lourdeurs administratives et reste peu lisible pour l’ensemble des acteurs, États, entreprises et ONG. Elle peut entraîner des risques de contradictions peu propices à une solide protection de l’environnement. 

C – Un droit technique

Le droit international de l’environnement se caractérise également par la prolifération de normes ayant un caractère relativement technique. On trouve ainsi des accords portant sur les produits chimiques, les polluants, l’ozone, les déchets dangereux ou encore, naturellement, la réduction des gaz à effet de serre. 

Cet ensemble de règles que l’on regroupe parfois sous le nom de « droit de l’environnement industriel » prend une place importante, voire prédominante, en droit international. Certes, cela se justifie sans doute par l’arrière-plan scientifique de la matière, ainsi que par son objet même, qui vise en grande partie à régler l’impact des activités industrielles. Mais cela peut également s’expliquer par le fait que, dans un contexte diplomatique de tensions et de désaccords sur les valeurs fondamentales, il est parfois plus facile de s’entendre sur des normes purement techniques plutôt que sur des principes généraux. 

C’est ainsi que le droit international de l’environnement est progressivement devenu un droit de technicien, peu lisible pour les citoyens, et peu réceptif à une approche fondée sur le respect des droits fondamentaux. 

D – Un droit peu ambitieux : le dilemme du diplomate

Les États ont, historiquement, eu des difficultés à adopter des textes ambitieux et contraignants pour protéger le droit des individus à un environnement sain. 

On observe ainsi ce qu’on peut appeler le « dilemme du diplomate » : les négociateurs d’un accord doivent souvent choisir entre un texte ambitieux ou un texte universel. Mais ils ne peuvent pas obtenir les deux. Soit le texte est ambitieux, mais alors peu d’États accepteront de le signer ; soit le texte entend être universel, mais les diplomates sont alors souvent contraints de baisser le niveau des ambitions pour faire venir à bord un maximum d’États. 

E – Un droit peu contraignant 

Pour sortir de ce dilemme, une solution fréquemment retenue consiste à adopter un texte apparemment ambitieux, par son contenu, mais en réalité peu engageant pour ses signataires. C’est ainsi que les normes internationales ambitieuses ont en général un faible caractère contraignant (par exemple par la quasi absence de sanction), voire relèvent du droit souple. Tel est le cas des grandes déclarations et autres textes fondateurs qui ont été adoptés depuis cinquante ans, de Stockholm à Rio, en passant par la Charte mondiale de la nature de 1982. Tel est encore le cas des objectifs de développement durable, adoptés en 2015 sous la forme d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, sans force contraignante. Tel est le cas également de la reconnaissance, en juillet 2022, du droit à un environnement sain : celle-ci n’a réuni une majorité d’États que parce qu’elle prenait la forme d’une simple résolution de l’assemblée générale des Nations Unies, et non pas d’un véritable traité. 

L’accord de Paris lui-même n’échappe pas à cette observation : certes, il est contraignant en la forme puisqu’il a la nature juridique d’un traité international et non d’une simple déclaration ; mais il repose sur des contributions déterminées au niveau national (NDC), volontaires, laissées à la libre appréciation des États, et organise un système de sanctions allégées par rapport à son prédécesseur le Protocole de Kyoto. Il est vrai toutefois que, depuis l’avis consultatif unanime rendu par la Cour internationale de Justice le 23 juillet 2025, les contributions nationales ne sont plus perçues comme purement discrétionnaires : la Cour les considère désormais comme participant à des obligations juridiques plus contraignantes relevant, non seulement des traités internationaux, mais aussi du droit international coutumier, avec une responsabilité internationale à la clé en cas de manquement 10

La faiblesse de la contrainte se mesure aussi par celle des mécanismes de sanction. En droit international, la justice n’est qu’une option. La reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice reste facultative – la France étant d’ailleurs l’un des rares pays en Europe à l’avoir refusé. La plupart des conventions environnementales échappent aux sanctions juridictionnelles. Au mieux, elles organisent une surveillance du respect de la convention par des comités de compliance, qui, sauf de rares exceptions, ne peuvent pas être saisis par les particuliers et ne disposent que de faibles pouvoirs. Enfin, les pays peuvent toujours choisir de se retirer des accords afin d’échapper à d’éventuelles sanctions 11

F – Un droit négocié

En réalité, le droit international de l’environnement n’est que le reflet d’un système de gouvernance mondiale qui repose encore largement sur une conception contractuelle, dans laquelle seul le consentement des États à une auto-limitation peut fonder le droit. Par suite, la négociation y est permanente, laissant la part belle à la primauté des intérêts et des égoïsmes nationaux. L’adoption des textes repose sur la méthode dite du « consensus », qui aboutit souvent, en réalité, à la dicture de la minorité – à savoir la minorité des États à la fois puissants et opposés aux progrès environnementaux, au premier rang desquels figurent les États-Unis, absents de nombreux accords environnementaux. 

Ainsi, l’histoire des négociations internationales environnementales est émaillée d’une longue série d’échecs, depuis la Conférence de Copenhague de 2009, à propos de la recherche d’un accord en matière de climat, jusqu’à la 5ème session du Comité intergouvernemental de négociation d’un traité sur la pollution plastique, tenue à Genève en août 2025, en passant par la discussion du projet de Pacte mondial pour l’environnement, à Nairobi en 2019. A chaque fois, l’histoire se répète : les 193 États membres de l’ONU sont incapables d’aboutir à un accord sur un texte, souvent parce qu’une majorité, favorable au projet, se heurte à une minorité d’États qui bloque le progrès et l’ambition du traité 12 .

Une autre conception, fondée sur la reconnaissance d’un intérêt public mondial, supérieur et extérieur aux intérêts nationaux des États, comme fondement de la force obligatoire du droit international, serait sans doute possible… Mais il est probablement trop tôt pour que celle-ci devienne réalité 13 .

II – Perspectives : un Pacte mondial pour refonder le droit international de l’environnement

A – L’existence d’une lacune 

Lorsque l’on prend du recul, une évidence s’impose à l’observateur : il n’existe aucun texte international juridiquement contraignant relatif aux droits environnementaux. 

Le contraste est saisissant avec les autres droits humains. De nombreuses conventions internationales protègent des droits humains spécifiques : la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 ou encore la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Surtout, en 1966, deux traités internationaux sont venus donner force juridique aux droits de l’homme reconnus par la déclaration universelle de 1948, en distingant deux grandes catégories : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En revanche, les droits de la troisième génération, les droits environnementaux, ne font pas encore l’objet d’un tel Pacte. John H. Knox, ancien Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement, relevait ainsi que « si la Déclaration universelle des droits de l’homme était rédigée aujourd’hui, il est difficile d’imaginer qu’elle ne mentionnerait pas le droit à un environnement sain, un droit si essentiel au bien-être humain et si largement reconnu dans les Constitutions nationales, les législations et les accords régionaux » 14

Le parallèle est intéressant avec le droit français : après la Déclaration de 1789, qui concerne pour l’essentiel des droits civils et politiques, puis le Préambule de 1946 pour les droits économiques et sociaux, la Charte de l’environnement de 2004 a affirmé une nouvelle catégorie de droits, les droits environnementaux. Rien de tel sur la scène internationale. 

Certes, on trouve de grandes déclarations, telles que la Déclaration de Stockholm de 1972 ou la Déclaration de Rio de 1992. Certes, ces textes ont exercé une influence importante, comme source d’inspiration. Les principes qu’ils consacrent ont irrigué des accords internationaux comme des législations nationales. Mais ces instruments de soft law n’ont, par eux-mêmes, aucune valeur juridique et ne peuvent donc pas être invoqués devant une juridiction.

De la même manière que les Pactes de 1966 ont consolidé juridiquement les droits de la Déclaration de 1948, il est temps d’adopter aujourd’hui un troisième Pacte, afin d’inscrire dans le droit dur les principes issus de ces grandes déclarations environnementales. 

B – Le besoin d’un socle de valeurs fondamentales communes 

L’adoption d’un grand texte mondial sur les droits environnementaux signerait le retour d’un droit international de l’environnement fondé sur des valeurs fondamentales, telles qu’elles ont été affirmées dès 1972. Aujourd’hui, ce droit semble avoir perdu toute vision globale et ne s’attacher qu’à des règles techniques. Les valeurs doivent être les fondations sur lesquelles l’édifice du droit international de l’environnement se construit, et sans lesquelles il est voué à l’instabilité et à des difficulté de mise en œuvre. 

Toute société a besoin de valeurs communes. En témoignent les grands textes fondateurs, de la Magna Carta à la Déclaration universelle des droits de l’homme, en passant par la Déclaration d’indépendance. Ces valeurs ne sont pas seulement symboliques. Elles sont le ciment qui rassemble les sociétés, la boussole qui montre la direction et qui incite au dépassement des égoïsmes nationaux ou individuels. 

On reprendra volontiers ici les mots du président Barak Obama : “Nous pensons parfois que les gens ne sont motivés que par l’argent, le pouvoir ou des avantages très concrets. Mais les gens sont aussi inspirés par des histoires. Pensez aux États-Unis d’Amérique. Nous avons une très belle histoire, la Déclaration d’indépendance : « Nous tenons pour évidentes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux. Il s’agit simplement d’une bonne histoire que nous racontons sur ce qui pourrait être. Les gens ont été attirés par cette histoire. Elle a conduit à l’indépendance. Elle a inspiré des mouvements dans le monde entier. Donc, oui, les histoires que nous nous racontons les uns aux autres sont très, très importantes » 15 .

Sans un corpus de principes généraux, auxquels l’on peut se référer lorsque la tentation de ne pas respecter ses engagements internationaux grandit, le droit international de l’environnement est voué à l’instabilité et reste soumis au risque que certains adoptent une posture de passager clandestin

Il est donc nécessaire d’en revenir aux principes fondateurs qui unissent l’ensemble des États en matière de protection de l’environnement. A cet égard, un tel Pacte pourrait jouer un rôle proche de celui d’une Constitution. Dans un système juridique, la Constitution est un texte qui s’inscrit dans le temps long, réceptacle des normes fondamentales que l’on souhaite mettre à l’abri des changements conjoncturels de majorités politiques, et à l’aune duquel peuvent se mesurer les lois et règlements pris par des parlements et gouvernements par essence temporaires. De la même manière, dans une vision ambitieuse, un texte mondial rassemblant des valeurs environnementales pourrait s’apparenter à une forme de Constitution mondiale pour la protection de l’environnement. 

C – Le contenu possible d’un Pacte mondial sur les droits environnementaux 

Un tel Pacte pourrait consacrer les droits et devoirs fondamentaux en matière d’environnement et, plus largement, les principes fondateurs qui auraient vocation à devenir la base  de l’action des États en matière environnementale. Son contenu est ouvert, mais on en imagine aisément les grandes lignes. 

Certains de ces principes sont en effet présents dans des textes non contraignants déjà adoptés, singulièrement les déclarations de Stockholm de 1972 et de Rio de 1992, ainsi que la résolution de l’Assemblée générale de juillet 2022 relative au droit à un environnement sain. D’autres principes plus nouveaux mériteraient également d’être consacrés, dans le souci d’actualiser ces grandes déclarations. 

Le projet de Pacte mondial pour l’environnement rédigé en 2017 par un réseau international d’une centaines de juristes offre un exemple, parmi d’autres, des principes qui pourraient figurer dans un tel texte 16 . On y retrouve ainsi bien entendu le droit à un environnement sain et son pendant, le devoir de protéger l’environnement, qui sont les deux valeurs cardinales, matrices de toutes les autres, qui figuraient déjà en filigrane dans le Principe 1 de la Déclaration de Stockholm. Seraient également consacrés l’équité intergénérationnelle, qui inclut l’obligation de prise en compte des droits des générations futures, le principe d’intégration des exigences environnementales dans l’ensemble des politiques publiques, les trois principes liés que sont la prévention, la précaution et la réparation des dommages causés à l’environnement, le principe pollueur-payeur, les trois grands droits procéduraux que sont le droit à l’information du public, le droit à la participation du public aux décisions publiques environnementales et le droit d’accès à la justice environnementale ou encore – nouveaux principes – l’exigence de résilience et le principe de non-régression. 

La plupart de ces principes font déjà l’objet d’une reconnaissance dans de nombreux pays, à travers les législations nationales et les accords régionaux. Un texte les consacrant à l’échelle internationale devrait donc, théoriquement, pouvoir recueillir un large consensus. 

D – Les effets juridiques d’un Pacte mondial relatif aux droits environnementaux 

L’échec des négociations en 2019 sur le projet de Pacte mondial pour l’environnement a montré que l’intérêt de son adoption n’était pas toujours perçu, y compris par certains États favorables à la protection de l’environnement, qui doutaient parfois de son impact réel. Il n’est donc pas inutile de rappeler les effets juridiques d’un tel texte. 

En premier lieu, l’adoption d’un Pacte aurait un effet de consolidation et de protection des grands principes du droit de l’environnement. 

Certes, ces derniers sont déjà affirmés dans des déclarations, mais leur reconnaissance dans un traité à valeur contraignante leur donnerait une force juridique. Un tel mouvement du droit souple vers le droit dur peut se prévaloir d’un illustre précédent, avec la reprise du contenu de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dans les traités que sont les pactes internationaux sur les droits de l’homme de 1966.

Certes, ces principes sont également déjà affirmés dans les législations nationales de nombreux États. Mais d’une part, certains pays n’ont pas encore reconnu l’ensemble de ces principes. D’autre part, et surtout, inscrire dans un texte international des principes reconnus à l’échelle nationale présente l’immense avantage juridique de les sacraliser, en les protégeant des changements conjoncturels de majorité politique. Bien entendu, à la suite d’un tel changement, un États peut toujours décider de se retirer d’une convention internationale, comme on l’a vu à deux reprises avec le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris. Mais c’est alors un chemin plus compliqué vis-à-vis des opinions publiques internationales. Chaque États est ainsi placé sous le regard des citoyens du monde. 

En second lieu, l’adoption d’un tel Pacte créerait une dynamique positive sur les systèmes juridiques nationaux comme internationaux. 

D’abord les législateurs nationaux pourraient y trouver un programme de travail, puisqu’il leur reviendrait d’adopter des lois visant à mettre en oeuvre les principes du Pacte. C’est ainsi que les principes d’information et de participation du public, à la suite de leur consécration par la Convention d’Aarhus, se sont peu à peu traduits par des législations dans les États membres de cette convention. 

Ensuite, l’adoption d’un tel Pacte aurait un impact sur les juges nationaux. Même dans les pays de tradition dualiste, les principes pourraient a minima constituer une source d’inspiration pour les juridictions internes, qui pourraient tenir compte des interprétations rendues par les juridictions nationales des autres États membres. Dans les pays de conception moniste, comme la France, le Pacte pourrait même être directement invoqué devant les juridictions internes, étant précisé qu’un tel traité répondrait de toute évidence aux exigences de la jurisprudence quant à l’effet direct des conventions internationales 17

Ainsi, les juges nationaux joueraient pleinement leur rôle de « gardiens des promesses » des États 18 , en veillant au respect par ces derniers de leurs engagements internationaux en matière d’environnement. C’est dans cet esprit que, dans l’affaire Urgenda c. Pays-Bas 19 , la Cour suprême des Pays-Bas a pu juger que le gouvernement néerlandais avait violé la Convention européenne des droits de l’homme, et plus précisément l’obligation de diligence découlant des articles 2 et 8 relatifs aux droits à la vie et à la vie privée, en ne réduisant pas suffisamment les émissions de gaz à effet de serre (GES). De même, dans l’affaire Grande-Synthe 20 , le Conseil d’État français a jugé que le gouvernement français n’avait pas pris les mesures nécessaires pour réduire les émissions de GES et avait ainsi violé le droit interne tel qu’interprété à la lumière l’accord de Paris.

Enfin, à l’échelle internationale, un tel Pacte constituerait une assise pour de nouveaux développements, tant législatifs que juridictionnels. 

D’une part, pierre angulaire du droit international de l’environnement, le Pacte fournirait des orientations aux traités sectoriels à venir. À mesure que des négociations sectorielles spécifiques seront menées, les nouvelles politiques environnementales standards devront nécessairement intégrer les objectifs, valeurs et principes communs consacrés dans le Pacte. Certains traités pourraient même renvoyer expressément au Pacte, notamment en matière d’investissement : le Pacte serait le standard partagé entre tous les États en matière de droits humains environnementaux. 

D’autre part, les juridictions internationales pourraient faire application du Pacte, ou encore s’en inspirer pour établir ou développer des principes coutumiers environnementaux applicables même aux États n’ayant pas ratifié le Pacte. Un exemple de ce type de démarche est donné par l’avis consulatif de la Cour internationale de Justice du 23 juillet 2025 qui consacre le droit à un environnement sain alors même que celui-ci n’est pas expressément reconnu dans un traité 21  : celle-ci se fonde sur un ensemble d’instruments internationaux de droit souple (tels que les déclarations de Stockholm et de Rio et la résolution précitée de l’Assemblée générale des Nations Unies du 28 juillet 2022) ainsi que de droit dur (notamment des accords régionaux) pour en conclure que « au regard du droit international, le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable est essentiel à la jouissance des autres droits de l’homme ».

Pour aller plus loin, on pourrait d’ailleurs imaginer qu’une Cour internationale de l’environnement soit créée, avec pour mission principale de veiller au respect par les États des principes du Pacte. Actuellement, le contrôle de la bonne application des engagements environnementaux des États est essentiellement confiée à des comités de suivi administratifs, les « compliance committees » établis par chaque traité sectoriel, qui disposent de pouvoir d’investigation et de contrainte réduits. Les seules sanctions que peuvent infliger ces comités sont, pour la plupart d’entre eux, des contraintes liées à l’image internationale et diplomatique de leurs interlocuteurs, à travers un dispositif de name and shame. La création d’une Cour internationale de l’environnement aurait pour avantage de contribuer à l’effectivité des principes affirmés par le Pacte. Elle pourrait, dans la lignée des droits et devoirs reconnus, voir sa compétence élargie aux grands accords multilatéraux environnementaux. 

Conclusion : le Pacte, une utopie réaliste ? 

Certains pourraient objecter que la période actuelle, marquée par de fortes tensions sur la scène internationale, se prête mal à l’adoption d’un tel texte. C’est probablement vrai. Toutefois, cela ne devrait pas être un obstacle à la réflexion. Tôt ou tard, on n’échappera pas à une refondation de nos institutions internationales. Le système actuel, fondé en 1945, n’est plus adapté aux exigences de notre temps. Certes, il est difficile de savoir quand ce moment viendra : l’histoire nous enseigne que malheureusement les sociétés humaines ont besoin de catastrophes, de guerres ou autres révolutions, pour se remettre en cause. Mais cette incertitude n’interdit pas de préparer le chemin. 

A cet égard la période actuelle de bouillonnement intellectuel face aux changements du monde n’est pas sans faire penser au siècle des Lumières. Au XVIIIe siècle, les Voltaire, Montesquieu, Locke et autres Rousseau ne se préoccupaient pas de savoir quand leurs idées allaient finir par triompher. Ils forgeaient des concepts – séparation des pouvoirs, contrat social, démocratie directe – qui allaient, quelques temps plus tard, inspirer les rédacteurs de textes fondamentaux comme la Déclaration d’indépendance de 1776 ou la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Le moment venu, la refondation de la gouvernance mondiale passera probablement par l’affirmation à l’échelle internationale de grands principes, et notamment en matière de protection de l’environnement. La seule question qu’on se posera alors sera de savoir pourquoi n’a-t-on pas consacré plus tôt ces principes dans un grand texte fondateur. En ce sens, le projet de Pacte est peut-être une utopie mais il est alors, pour reprendre la formule de Mireille Delmas Marty, une « utopie réaliste » 22

Notes

  1. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Changements climatiques 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité, contribution du Groupe de travail II au sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2022 ;  Maria-Antonia Tigre, The Evolution of International Environmental Law amidst Political Gridlock: Environmental Rights as a Common Ground, S.J.D.,  Elisabeth Haub School of Law at Pace University, 2022.
  2. Commission que l’auteur de ces lignes a l’honneur de présider. Voir le rapport de la Commission Environnement du Club des juristes « Renforcer l’efficacité du droit international de l’environnement : devoirs des État, droits des individus »
  3. Pour davantage d’informations et de documentation sur le projet de Pacte mondial pour l’environnement, voir le site du Pacte. Voir également le site de la Green Rights Coalition, ONG accréditée auprès du PNUE qui vise à promouvoir cette initiative.
  4. Assemblée générale des Nations Unies, Vers un Pacte mondial pour l’environnement, A/72/51, 7 mai 2018.
  5. La résolution a été adoptée par 143 voix pour, 5 voix contre (États-Unis, Russie, Syrie, Turquie et Philippines) et 7 abstentions (Arabie saoudite, Biélorussie, Iran, Malaisie, Nicaragua, Nigéria et Tadjikistan).
  6. Pour une présentation détaillée de l’histoire du projet de Pacte, voir : Y. Aguila, « Le projet de Pacte mondial pour l’environnement : un témoignage en quatre saisons », in Immersion dans les coulisses de la diplomatie environnementale internationale, ouvrage collectif sour la direction de Michel Prieur, Emilie Gaillard et Mohamed Ali Mekouar, ed. Mare et Martin, 2023.
  7. Voir notamment l’ouvrage collectif A Global Pact for the Environment: Legal Foundations, Yann Aguila & Jorge E. Viñuales (dir.), Cambridge: C-EENRG, 2019. Pour d’autres références doctrinales, voir le site internet précité du Pacte, rubrique « documents ».
  8. Maljean-Dubois, Sandrine, « Les forces et les faiblesses du droit international face aux défis planétaires : quelles nécessaires évolutions ? », L’effectivité du droit international face à l’urgence écologique, édité par Laurence Boisson de Chazournes, Collège de France, 2024.
  9. Secrétaire général des Nations Unies, Lacunes du droit international de l’environnement et des instruments liés à l’environnement : vers un Pacte mondial pour l’environnement, décembre 2018, rapport A/73/419, réalisé en application de la résolution de l’AGNU du 10 mai 2018 précitée.
  10. CIJ, Avis consultatif, 23 juillet 2025, Obligations des États en matière de changement climatique, Rôle général n° 187, notamment §§ 234-236, 237-249, 309-315.
  11. Voir par exemple le retrait du Canada du Protocole de Kyoto en 2011, alors qu’il n’avait pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et risquait à ce titre de se voir infliger les sanctions prévues par la Convention-cadre sur le changement climatique.
  12. Pour une réflexion sur ces échecs, voir Y. Aguila et M.-C. de Bellis, « Un Martien aux Nations Unies ou réflexions naïves sur la gouvernance mondiale de l’environnement », Revue Européenne du Droit, dossier coordonné par Mireille Delmas-Marty, numéro 2, mars 2021, p. 113-123.
  13. Y. Aguila et M.-C. de Bellis, « L’intérêt public mondial : un concept pour fonder un système juridique mondial adapté à notre temps », Mélanges en l’honneur de Mireille Delmas-Marty, Mare et Martin, 2022, p. 447 ; Y. Aguila et M.-C. de Bellis, « On the concept of a Global public interest : some reflections », Environment Policy and Law, 2022.
  14. Secrétaire général des Nations Unies, Obligations relatives au droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, A/73/188, 19 juillet 2018.
  15. Barak Obama, Remarks at Yseali Town Hall, Vietnam, May 25, 2016.
  16. Le projet de Pacte rédigé en 2017 est consultable en ligne.
  17. Conformément aux exigences de l’arrêt du Conseil d’État GISTI du 11 avril 2012, il devrait facilement être admis que la plupart des dispositions d’un pacte mondial relatif aux droits environnementaux d’une part n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et d’autre part ne requièrent aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers.
  18. Aguila, Y., Petite typologie des actions climatiques contre l’État, AJDA 1853, 2019.
  19. Cour suprême des Pays-Bas, 20 décembre 2019, Fondation Urgenda.
  20. Conseil d’État français, 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe, décision n° 427301.
  21. CIJ, Avis consultatif, 23 juillet 2025, Obligations des États en matière de changement climatique, Rôle général n° 187, notamment §§ 387-393
  22. Mireille Delmas-Marty, Le travail à l’heure de la mondialisation, Paris, Bayard / Collège de France, 2013, annexe II : « Une utopie réaliste : humaniser la mondialisation ».
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Yann Aguila, La quête d’un Pacte mondial sur les droits environnementaux, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2025,

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