L’Accord de Paris fête ses dix ans en pleine décennie critique

Jorge E. Viñuales
Professeur de droit et de politique environnementale à l'université de Cambridge et de droit international à la LUISS (Rome)Issue
Issue #6Auteurs
Jorge E. Viñuales
Une revue scientifique publiée par le Groupe d'études géopolitiques
Climat : la décennie critique
Au cours de la décennie qui a suivi l’adoption de l’Accord de Paris en décembre 2015, les relations internationales ont changé de manière radicale. Il serait tentant de considérer ce changement comme un simple épiphénomène, appartenant à ce que Fernand Braudel a qualifié, en empruntant la terminologie de François Simiand, de simples changements dans l’histoire à court terme des « événements » (histoire événementielle), pour le contraster avec les processus plus profonds qui se déroulent dans la « longue durée » 1 . Cependant, deux différences fondamentales doivent nous mettre en garde. Premièrement, l’Accord de Paris a été adopté pour faire face à quelque chose de véritablement nouveau sous le soleil, pour reprendre le titre de l’ouvrage de John McNeill sur l’histoire environnementale du XXe siècle 2 . L’humanité, ou plus précisément certaines parties de celle-ci 3 , est devenue une force aux proportions géologiques qui affecte la dynamique du climat et, plus généralement, le système terrestre 4 . Il s’agit là d’un phénomène nouveau à l’échelle humaine, même au-delà de celle qui sépare l’« histoire » et la « préhistoire » de l’humanité. Deuxièmement, les « événements » de cette décennie critique 2020-2030 5 auront une incidence considérable sur l’avenir lointain, car ils pourraient déclencher et verrouiller des processus qui définiront les conditions environnementales mêmes dans lesquelles les générations futures vivront et lutteront pendant des milliers d’années.
En tant que juristes, notre rôle est d’organiser les efforts collectifs pour relever ce « défi sans précédent aux proportions civilisationnelles » 6 , et l’adoption de l’Accord de Paris a constitué une étape clé dans ces efforts. Comme l’ancien président de la COP21 et co-directeur scientifique de ce numéro spécial, Laurent Fabius, le sait trop bien, le texte de l’Accord de Paris est l’expression de nombreux compromis complexes, souvent dissimulés sous des formulations ambiguës. Mais l’esprit de Paris était et reste clair. Selon ses propres termes, « mieux, plus vite, ensemble ». Dans un avis consultatif récent, la Cour internationale de justice, statuant à l’unanimité, a insufflé une nouvelle vie à cette interprétation de l’Accord de Paris. Elle a souligné, en termes très clairs, que l’Accord de Paris impose des obligations « strictes » de diligence raisonnable, en particulier en matière d’atténuation 7 .
Au moment où j’écris ces lignes d’introduction pour notre numéro spécial, il est devenu évident que cet esprit de Paris doit trouver son expression non seulement dans les négociations de la COP30 à Belém, mais aussi dans les litiges internationaux et nationaux sur le climat, les décisions financières, les processus de gouvernance mondiale sur des questions aussi diverses que les droits de l’homme, la santé, le commerce, l’investissement et même la sécurité internationale, et bien sûr aussi dans les politiques nationales. Il existe des synergies importantes entre la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la performance économique. Pour prendre deux exemples, en 2024, les secteurs « zéro émission nette » ont connu une croissance trois fois plus rapide que l’économie dans son ensemble dans des pays tels que le Royaume-Uni 8 ou la Chine 9 . Une grande partie de cette croissance s’explique par des politiques ciblées et délibérées, inscrites dans la loi, en faveur de technologies spécifiques 10 .
Le droit imprègne et structure l’organisation de la société. Il n’en est qu’une partie. Comme l’a observé la Cour internationale de justice dans le dernier paragraphe de son récent avis consultatif sur le changement climatique : « les questions posées par l’Assemblée générale sont davantage qu’un problème juridique : elles concernent un problème existentiel de portée planétaire qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète. Le droit international, auquel fait appel l’Assemblée générale, joue un rôle important mais somme toute limité dans la résolution de ce problème. La solution complète à ce problème, qui nous accable mais que nous avons créé nous-mêmes, requiert la contribution de l’ensemble des domaines de connaissances humaines, que ce soit le droit, la science, l’économie ou tout autre » 11 . Mais le droit est un élément important, car il fixe les limites générales dans lesquelles s’inscrivent les processus socio-économiques.
Dans cette perspective plus large, il semblait opportun de consacrer un numéro spécial de RED au 10ème anniversaire de l’adoption de l’Accord de Paris et de le situer dans la décennie critique 2020-2030, où une grande partie de l’avenir de l’humanité est en jeu. Les contributions réunies dans ce numéro représentent différents points de vue. Dans certains cas, elles expriment la manière dont les principaux décideurs, politiques ou autres, perçoivent le défi et leur rôle dans celui-ci. Dans d’autres cas, elles clarifient l’architecture juridique et institutionnelle dans laquelle se déroule la lutte entre stabilité et changement. Dans d’autres encore, elles offrent des perspectives qui dépassent le cadre juridique pour mettre en lumière les fondamentaux scientifiques et économiques qui conditionnent les choix à faire. Dans tous les cas, elles fournissent des informations exploitables sur ce qu’est l’esprit de Paris et ce qu’il pourrait accomplir au cours de cette décennie critique.
Notes
- F. Braudel, « Histoire et sciences sociales : La longue durée » (1958) 13(4) Annales. Économies, Sociétés, Civilisations 725.
- J. R. McNeill, Something New Under the Sun: An Environmental History of the Twentieth-Century World (2000). Voir W. Steffen, W. Broadgate, L. Deutsch, O. Gaffney, C. Ludwig, « The trajectory of the Anthropocene: The great acceleration » (2015) 2 The Anthropocene Review 81.
- J. E. Viñuales, The Organisation of the Anthropocene – In Our Hands? (La Haye, Brill, 2018), p. 32-56.
- K. Richardson et al, « Earth beyond six of nine planetary boundaries » (2023) 9/37 Science Advances eadh2458
- O. Hailes, J. E. Viñuales, « The energy transition at a critical juncture » (2023) 26 Journal of International Economic Law 627.
- Résolution 77/276 de l’Assemblée générale des Nations unies, Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur les obligations des États en matière de changement climatique, 29 mars 2023 (adoptée par consensus), A/RES/77/276, paragraphe 1 du préambule.
- Obligations des États en matière de changement climatique, avis consultatif (23 juillet 2025), liste générale n° 187 de la CIJ, paragraphe 246.
- Confederation of British Industry (CBI) Economics, The Future is Green. The Economic Opportunities brought by the UK’s Net Zero Economy (février 2025), Executive Summary.
- Ember, China Energy Transition Review (9 septembre 2025), Executive Summary.
- Consortium EEIST, Économie de l’innovation énergétique et de la transition des systèmes : rapport de synthèse (2024), résumé.
- Obligations des États en matière de changement climatique, par. 456.
citer l'article
Jorge E. Viñuales, L’Accord de Paris fête ses dix ans en pleine décennie critique, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2025,