Revue Européenne du Droit
Le rôle de l’énergie dans l’atténuation du changement climatique : bilan et perspectives d’avenir
Issue #6
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Auteurs

Fatih Birol

Une revue scientifique publiée par le Groupe d'études géopolitiques

Les économies contemporaines ont besoin de beaucoup d’énergie 1 . Bien que dans les économies avancées, la demande énergétique ait atteint son pic il y a plusieurs décennies et ait diminué malgré la croissance économique, dans d’autres régions du monde, il est encore nécessaire d’augmenter la consommation d’énergie. L’énergie alimente l’industrialisation, apporte confort et commodité aux ménages et est indispensable aux services numériques modernes et à l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, cependant, plus de 700 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité et près de 2 milliards continuent de cuisiner avec des combustibles polluants. Cela a des répercussions néfastes sur l’éducation, la santé, le bien-être des femmes et la croissance économique.

Dans le même temps, le secteur de l’énergie est le plus grand contributeur aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. En 2024, les émissions liées à l’énergie s’élevaient à environ 42 milliards de tonnes d’équivalent CO2 (MTCO2e). Cela représente environ 75 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Loin d’avoir atteint leur pic, les émissions liées à l’énergie ont continué à augmenter. Afin de comprendre comment le secteur de l’énergie peut contribuer plus fortement à l’atténuation du changement climatique, cet article revient sur les tendances des dix dernières années et se projette dans la décennie à venir.  

La transition énergétique s’accélère, mais reste trop lente et inégale

Au cours de la dernière décennie, la demande énergétique mondiale a continué de croître, mais à un rythme plus lent que le PIB mondial. Depuis 2015, la demande mondiale en énergie a augmenté de 15 %, soit l’équivalent de la consommation énergétique totale des États-Unis. Cette augmentation de la demande provient entièrement des marchés émergents et des économies en développement, la demande en énergie des économies avancées ayant diminué malgré la croissance de leur PIB. Le monde a connu des progrès importants en matière d’amélioration de l’accès à l’énergie, 400 millions de personnes ayant désormais accès à l’électricité et 770 millions à des modes de cuisson propres. Néanmoins, comme mentionné plus haut, trop de personnes restent exclues du système énergétique moderne. L’accès à l’énergie, notamment sa composante financière, ont été affectés par la flambée des prix mondiaux de l’énergie lors de la crise énergétique mondiale déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En 2022, les factures d’énergie des consommateurs ont augmenté de 1 600 milliards de dollars, malgré les quelque 1 000 milliards de dollars de subventions énergétiques supplémentaires versées par les gouvernements.

En 2014, un an avant la négociation de l’Accord de Paris, un traité historique, eles technologies énergétiques propres étaient une offre de niche, coûteuse. Depuis, une véritable révolution s’est produite. Les coûts des technologies essentielles telles que le solaire photovoltaïque et les batteries lithium-ion ont chuté au point de concurrencer fortement les énergies fossiles sans subventions. La croissance mondiale des capacités installées des énergies renouvelables a largement dépassé les prévisions. La part de l’éolien et du solaire photovoltaïque est passée de 5 % à 15 % dans la production mondiale d’électricité. Celle des véhicules électriques est passée de 0,7 % à 20 % du marché automobile mondial entre 2015 et 2024. Les investissements dans les énergies propres ont atteint 2 000 milliards de dollars, et pour chaque dollar investi dans les combustibles fossiles, deux sont investis dans les énergies propres. La croissance des technologies énergétiques propres a également apporté d’importants avantages connexes, notamment en fournissant un outil supplémentaire pour garantir la sécurité énergétique.

Mais jusqu’à présent, les changements ont été trop parcellaires pour entraîner un pic et un déclin des émissions mondiales. Les émissions mondiales liées à l’énergie ont augmenté de 1 % en 2024 et ont dépassé de 10 % le niveau de 2015. Cette augmentation est entièrement imputable aux marchés émergents et aux économies en développement. Les émissions ont diminué d’environ 10 % dans les économies avancées, malgré une croissance économique continue de 20 %. La Chine a enregistré la plus forte augmentation des émissions (supérieure à celle de tous les autres marchés émergents et économies en développement réunis) et ses émissions par habitant sont désormais près de deux fois supérieures à la moyenne mondiale. 

Toutes les technologies n’ont pas connu le même essor que le solaire photovoltaïque et les véhicules électriques. Les capacités éoliennes ont augmenté, mais les prix élevés des matières premières, l’augmentation des taux d’intérêt et les obstacles liés à l’octroi de permis en ont freiné la croissance ces dernières années. L’énergie nucléaire suscite aujourd’hui un regain d’intérêt politique et fait l’objet d’innovations technologiques. Il n’en reste pas moins que la production d’énergie nucléaire n’a augmenté que de 10 % au niveau mondial au cours de la dernière décennie. Les sorties progressives du nucléaire dans certaines économies avancées ont contrebalancé l’effet de l’ajout de nouvelles capacités dans les économies émergentes et en développement et le redémarrage progressif des réacteurs japonais après l’accident de Fukushima. 

L’efficacité énergétique est un autre domaine qui a pris du retard, avec une amélioration de seulement 1,5 % par an au cours des dix dernières années. Il est inquiétant de constater que le rythme des améliorations en matière d’efficacité semble ralentir dans la période post-Covid. Les améliorations mondiales en matière d’efficacité énergétique ont été de 1,2 % entre 2019 et 2024. 

Le déploiement des technologies énergétiques propres a également été trop concentré géographiquement. Depuis 2015, les économies avancées et la Chine ont représenté 80 % des investissements dans les énergies propres. Certains signes indiquent que cette situation est en train de changer, avec par exemple la forte croissance récente des véhicules électriques dans les marchés émergents et les économies en développement autres que la Chine.

Des enseignements émergents

L’Accord de Paris a joué un rôle essentiel dans la promotion d’une action collective et dans la prise en compte du changement climatique dans tous les pays, tous les secteurs et toutes les institutions. Les projections relatives à l’augmentation de la température mondiale dans un scénario « business as usual » avant l’accord de Paris tablaient sur une hausse d’environ 3,5°C d’ici 2100. Selon l’analyse de l’AIE, cette augmentation est désormais ramenée à environ 2,5 °C dans le cadre des politiques actuelles. Ce chiffre reste supérieur à l’objectif de l’Accord, qui est de limiter le réchauffement à 2 °C et de poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 °C. Mais il s’agit d’un indicateur important des progrès réalisés.

Dans le secteur de l’énergie, les politiques visant à promouvoir la transition ont été ecnouragées par une combinaison de facteurs, notamment la sécurité énergétique, la réduction de la pollution locale et la politique industrielle. Cependant, dans de nombreux cas, il existe encore un écart entre les mesures que les pays s’engagent à prendre au niveau international et l’orientation de leurs propres politiques. C’est pourquoi il est important d’examiner à la fois les engagements pris par les pays au niveau international et ce qui est fait au niveau domestique. 

La sécurité énergétique reste une considération essentielle, mais sa nature évolue à mesure que la transition énergétique progresse. Les récentes tensions géopolitiques dans les principales régions productrices de combustibles soulignent l’importance continue de la sécurité énergétique sur les marchés du pétrole et du gaz naturel. Mais la réaction plutôt modérée des marchés énergétiques au cours des derniers mois démontre également la valeur des amortisseurs qui ont été constitués ces dernières années sur les marchés énergétiques. Dans le même temps, de nouvelles préoccupations en matière de sécurité apparaissent. L’électricité est de plus en plus indispensable aux économies modernes, alimentant des industries manufacturières à forte valeur ajoutée et des services numériques. Mais la sécurité de l’approvisionnement en électricité est confrontée à une série de défis complexes et interdépendants, notamment le retard des investissements dans les réseaux, la variabilité et la décentralisation croissantes de l’offre et de la demande, la numérisation et la cybersécurité, ainsi que les menaces croissantes liées aux impacts du changement climatique.

Un autre domaine présentant des risques émergents concerne les chaînes d’approvisionnement en minéraux et en technologies énergétiques critiques. Celles-ci prennent encore plus d’importance dans le contexte actuel de fragmentation géopolitique. La Chine est le principal raffineur pour 19 de 20 minéraux stratégiques liés à l’énergie et ayant des applications multisectorielles dans les domaines de la technologie, de l’aérospatiale et de la fabrication de pointe, avec une part de marché moyenne d’environ 70 %. La Chine détient également des parts de marché tout aussi élevées dans la fabrication de technologies énergétiques propres telles que les panneaux solaires photovoltaïques et les batteries lithium-ion. Une telle concentration sur n’importe quel marché suscite des inquiétudes quant au risque de rupture de l’approvisionnement. D’autre part, la baisse des coûts et l’augmentation des exportations de technologies à faibles émissions de la Chine vers d’autres pays en développement ont accéléré leur adoption ces dernières années. Trouver le juste équilibre entre sécurité énergétique, commerce, sécurité de la chaîne d’approvisionnement et transitions énergétiques apparaît comme l’un des défis les plus importants pour l’avenir.

Un deuxième défi majeur concerne l’augmentation des investissements dans les actifs énergétiques à forte intensité capitalistique. Les investissements énergétiques en Afrique seront inférieurs d’un tiers en 2025 par rapport à 2015, car la baisse des dépenses dans le secteur pétrolier et gazier n’a été que partiellement compensée par des investissements plus importants dans les énergies propres. L’Afrique ne représente que 2 % des investissements dans les énergies propres, alors qu’elle compte 20 % de la population mondiale. Renverser cette situation est un défi. La situation des finances publiques est tendue dans de nombreuses économies, les taux d’intérêt ont augmenté et le secteur privé s’est quelque peu détourné de son enthousiasme récent pour la finance durable. La mobilisation de financements internationaux pour les investissements dans les énergies propres dans les économies émergentes et en développement devra être combinée avec le développement des marchés de capitaux nationaux.

Perspectives

Le monde dispose des outils et des technologies nécessaires pour réduire considérablement les émissions à court terme. Les mesures clés comprennent l’intensification de l’utilisation des énergies renouvelables, le développement de l’énergie nucléaire dans les pays qui souhaitent l’utiliser, l’amélioration de l’efficacité énergétique, l’électrification de la consommation d’énergie et la réduction des émissions de méthane du secteur énergétique. Il s’agit également de mesures bien comprises, basées sur des technologies commerciales largement disponibles et, dans de nombreux cas, rentables. Les objectifs énergétiques adoptés lors de la COP28 constituent un bon guide pour se remettre sur la bonne voie. Mais ils nécessitent un soutien politique pour corriger les défaillances du marché, déployer des infrastructures favorables et développer des chaînes d’approvisionnement diversifiées et sûres. La coopération multilatérale reste cruciale, mais elle doit également s’adapter à mesure que le contexte évolue et que de nouvelles questions apparaissent pendant la transition.

Notes

  1. L’original en anglais de ce texte est publié dans la version anglaise de ce numéro
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Fatih Birol, Le rôle de l’énergie dans l’atténuation du changement climatique : bilan et perspectives d’avenir, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2025,

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