Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Référendum et élection présidentielle en Moldavie, octobre-novembre 2024
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Auteurs

Florent Parmentier

Numéro 5, Janvier 2025

Élections en Europe : 2024

La Moldavie a traversé une période électorale intense à l’automne 2024, marquée par un référendum constitutionnel (20 octobre 2024) et une élection présidentielle (20 octobre et 3 novembre 2024). Le pays, peuplé de 2,6 millions d’habitants et doté d’une forte diaspora, s’exprimait deux ans après le début de la guerre en Ukraine, avec laquelle il partage une frontière de 939 kilomètres. Les deux scrutins ont mis en lumière les dynamiques politiques internes et les influences externes qui façonnent l’avenir du pays. Le référendum visait à inscrire l’orientation européenne de la Moldavie dans sa Constitution, tandis que l’élection présidentielle a vu la réélection de la très pro-européenne Maia Sandu. Cette analyse explore les enjeux, les stratégies, ainsi que les influences géopolitiques qui ont marqué ces consultations électorales.

Le référendum de 2024 : un suspense jusqu’au bout de la nuit

Le référendum constitutionnel moldave avait pour objectif d’inscrire l’orientation européenne du pays dans sa Constitution. En effet, la modification de la Constitution devait précisément définir l’intégration dans l’UE comme un « objectif stratégique » et reconnaître l’« identité européenne du peuple de la République de Moldavie ». Cette consultation revêtait une importance politique majeure, non seulement comme affirmation symbolique du rapprochement avec l’Union européenne (UE), mais également comme test de la capacité du pays à construire un consensus démocratique sur son avenir stratégique.

Pour être considéré comme valide par la Cour constitutionnelle, le référendum devait réunir une majorité de voix avec une participation d’au moins un tiers du corps électoral. Selon les données de la Commission Electorale Centrale, le référendum a été validé avec 50,4 % des voix, juste au-dessus du seuil nécessaire, permettant l’adoption in extremis du texte. Ce résultat beaucoup plus serré qu’attendu, dont la tendance a été inversée grâce aux votes de la diaspora, a surpris les observateurs et le camp pro-européen, qui pensait bénéficier d’une marge plus conséquente.

La campagne électorale a été largement menée par le camp du « oui », soutenu par la présidente Maia Sandu et plusieurs partis pro-européens. En face, sans surprise, certains partis ont appelé au boycott ou ont milité pour le « non », à l’exemple du Parti des socialistes de l’ancien président Igor Dodon et du Parti pour le développement et la consolidation de la Moldavie (PDCM) de l’ancien Premier ministre Ion Chicu qui ont appelé au boycott du référendum.

Les résultats ont montré une forte polarisation, avec des régions comme la Gagaouzie votant massivement contre l’intégration européenne (95% de non). En termes de géographie électorale, les préférences régionales ont révélé des signes de continuité avec les précédents scrutins législatifs, témoignant d’un niveau élevé de polarisation, notamment en matière d’orientation géopolitique (Parmentier, 2024b). La diaspora a joué un rôle déterminant dans la victoire du « oui », ayant convaincu 77 % des quelque 235 000 votants s’étant exprimés. En fin de compte, le vote négatif au référendum n’a été observé qu’en Russie, en Turquie, en Israël et en Bulgarie.

La Russie a cherché à délégitimer le référendum, combinant contestation directe des résultats, manipulation narrative et mise en cause des mécanismes électoraux. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a publiquement déclaré que les résultats du référendum avaient été falsifiés par les autorités moldaves, notamment par la présidente Maia Sandu (Kirillov, 2024). Moscou a également critiqué les conditions de vote, en particulier celles des Moldaves de la diaspora, un groupe majoritairement favorable à l’intégration européenne.

En revanche, les acteurs européens et américains ont soutenu le processus, dénonçant l’ingérence russe et soulignant l’engagement de la Moldavie pour la démocratie et l’État de droit. Le Parlement européen, en soutenant la demande d’adhésion de la Moldavie et en lui accordant le statut de pays candidat, a renforcé la légitimité de tout processus visant à solidifier cette orientation. La stratégie de légitimation du référendum, tant pour l’OSCE que pour le Parlement européen et le Haut Représentant de l’Union européenne, repose sur la reconnaissance de la validité du vote malgré les défis externes, le soutien à la souveraineté de la Moldavie et l’engagement à résister aux tentatives de déstabilisation étrangères.

Élection présidentielle moldave de 2024 : la nouvelle victoire de Maia Sandu

La réélection de Maia Sandu en novembre 2024 a été marquée par une nette victoire avec 55,3% des voix au second tour, contre Alexandre Stoianoglo, ancien député (2009-2014) et candidat soutenu par le Parti des socialistes. Cette victoire contraste avec le rejet puissant de Maia Sandu dans plusieurs segments de la société, notamment dans les régions pro-russes du Sud et du Nord de la Moldavie. Au premier tour, qui avait mobilisé 51,4 % de l’électorat, la présidente sortante avait obtenu 42,5% des suffrages, contre 26% pour son opposant. Ce dernier a devancé Renato Usatîi (Notre parti, 13,8%), qui n’avait pas donné de consigne de vote, et la candidate indépendante gagaouze Irina Vlah (5,4%), les sept autres candidats obtenant chacun moins de 5%.

Le second tour a vu une mobilisation accrue, avec une participation de 54,3 %, contre 52,7 % au deuxième tour en 2020, Maia Sandu recevant quasiment le même nombre de voix qu’en 2020 (930 000 voix en 2024 contre 943 000 en 2020), en dépit de circonstances adverses pendant son mandat précédent. La géographie électorale a révélé des clivages importants, avec des régions comme la Gagaouzie (97%), le district bulgare de Taraclia (94%) et la Transnistrie (79,4%) votant massivement pour Stoianoglo. Contre toute attente, c’est Alexandre Stoianoglo qui l’a emporté sur le territoire moldave même avec 51,2 % des voix. Par contraste, la candidate Sandu l’a emporté à 57% sur l’ensemble de Chisinau, ou encore à l’Ouest (raion de Nisporeni, 69,3% des voix) et au Centre (raion de Ialoveni, 75,5%). Enfin, parmi les 328.000 votants de la diaspora (sur 1,695 millions), Maia Sandu s’est assuré un confortable score de 82,8%.

L’opposition entre Maia Sandu et Alexandre Stoianoglo a donné lieu à des passes d’armes autour des enjeux de justice. La présidente Sandu, connue pour son intégrité personnelle et ses engagements en matière de réforme de l’État de droit, a été critiquée par Stoianoglo pour l’absence de progrès sur ce dossier. Stoianoglo, ancien procureur général, s’est lui-même présenté comme une victime du pouvoir en place, capitalisant sur les mécontentements vis-à-vis de la présidence Sandu. Maia Sandu déplorait pour sa part l’absence de progrès sur les grandes affaires de corruption, dont celle du « milliard volé » qui remonte à 2014, quand le même Stoianoglo occupait le poste de procureur général. En outre, sur les questions judiciaires, l’ombre de l’oligarque pro-russe Ilan Șor, qui a quitté la Moldavie pour la Russie en avril 2019, a pesé sur la campagne électorale.

En effet, cette dernière a été marquée par une ingérence russe importante, avec des accusations de manipulation des votes et d’achats de voix orchestrés par Ilan Șor lui-même. Ce dernier a été impliqué dans un énorme scandale d’achats de vote lors de la présidentielle concernant jusque 130 000 personnes selon la police. Veronica Dragalin, procureur en chef du Bureau des poursuites anti-corruption, a dénoncé cette tentative de falsification des élections, affirmant que des millions de dollars avaient été envoyés par la Russie en Moldavie pour soudoyer les électeurs (Infotag, 2024b).

Les acteurs européens et américains ont dénoncé l’ingérence russe, soulignant que ces activités compromettaient la légitimité du processus électoral et la stabilité politique de la Moldavie. Le porte-parole de la Maison blanche, John Kirby, a affirmé que des dizaines de millions de dollars avaient été investis par mois dans des organisations à but non lucratif diffusant des récits conformes aux intérêts russes (Infotag, 2024a). L’OSCE a souligné que les campagnes électorales en Moldavie se sont déroulées dans un contexte de menace accrue pour la sécurité nationale, exacerbée par la guerre en Ukraine et l’ingérence russe.

Conclusion

Les résultats du référendum et de l’élection présidentielle de 2024 en Moldavie montrent une société profondément polarisée, avec des clivages géopolitiques et régionaux marqués. La réélection de Maia Sandu et la validation du référendum en faveur de l’intégration européenne représentent des victoires pour le camp pro-européen, mais ces succès sont fragilisés par les accusations d’ingérence et de manipulation. À l’avenir, la Moldavie devra naviguer dans un contexte géopolitique rendu encore plus complexe du fait des dynamiques russes, américaines et roumaines, avec des défis internes et externes, afin de consolider sa trajectoire européenne et renforcer ses institutions démocratiques. Enfin, ces élections révèlent certainement la nécessité d’un cadre institutionnel renforcé pour protéger les processus électoraux et d’une communication inclusive pour rassembler les citoyens autour d’un projet commun.

Les données

Élection présidentielle : premier tour

Élection présidentielle : second tour

Référendum

Bibliographie

Infotag (2024a, 16 octobre). John Kirby: Russia seeks to disrupt the Moldovan election process. Infotag.

Infotag (2024b, 23 octobre). Head of anti-corruption prosecutor’s office says investigation into voter corruption case continues. Infotag.

Kirillov, M. (2024, 22 octobre). «Сеяли страх и панику» Молдавия проголосовала за вступление в ЕС. Почему половина страны с этим не согласилась? Lenta.ru.

Parmentier, F. (2024a, 22 octobre). Moldavie : après une victoire étriquée au référendum sur l’Union, le spectre du « syndrome Gorbatchev ». Le Grand Continent.

Parmentier, F. (2024b, 4 novembre). Moldavie : que cache la réélection de Maia Sandu ? Le Grand Continent.

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Florent Parmentier, Référendum et élection présidentielle en Moldavie, octobre-novembre 2024, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2025,

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