Géopolitique, Réseau, Énergie, Environnement, Nature
Charleroi, de la ville fortifiée vers la ville désirée
Issue #4
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Charleroi, Ville de Grands Projets 

La ville de Charleroi a une histoire très particulière. Depuis sa création, elle s’est développée au travers de grands projets. Elle a été conçue par Vauban en 1666 comme une forteresse, construite au-dessus d’un éperon rocheux. Ses lignes de défense ont été agrandies par étapes successives. 

Deux cents ans plus tard, après la découverte des gisements dans la région, Charleroi est devenue le centre de l’extraction du charbon. En 1911, un tout nouveau quartier est construit pour accueillir l’Exposition Universelle, apothéose de sa belle époque. 

Ainsi la ville de Charleroi n’a pas connu un développement organique ni linéaire. Elle s’est développée pour répondre à une utilité très précise : d’abord la défense, ensuite l’extraction. De ce fait, Charleroi n’a pas été conçue comme une ville « habitable ». Les habitants étaient l’effet secondaire d’une autre intention. Depuis la crise industrielle, elle a perdu son dernier objectif. Trois cent cinquante ans après sa création, Charleroi est une ville en quête d’une histoire pour lui inspirer un nouvel avenir. 

La redynamisation urbaine de la ville haute s’inscrit parfaitement dans la logique de grands projets. Elle offre l’opportunité rare d’imaginer une nouvelle histoire, inspirée par les qualités intrinsèques de cette ville extraordinaire. Après la ville fortifiée et isolée, après la ville industrielle et exploitée, nous imaginons la ville ouverte et attractive, désirée et durable. Une ville ancrée dans son territoire et connectée à son paysage environnant. 

Du Pays Noir au Paysage Métropolitain 

Charleroi bénéficie d’une localisation exceptionnelle. Un éperon rocheux avait été choisi comme lieu de fortification, naturellement protégé par la vallée de la Sambre et deux de ses affluents. La citadelle est devenue la ville haute et les paysages entourant ce promontoire ont été modifiés au travers du temps.

Au Nord de la ville s’est érigée une chaîne de terrils, conséquence de l’extraction du charbon. Les terrils produisent des microclimats différents du climat naturel de la région et deviennent ainsi un refuge à des espèces animales et végétales rares en Belgique. Ils façonnent un paysage topographique exceptionnel qui offre un arrière-plan unique à la ville. 

À l’époque de l’extraction du charbon, ces monts étaient desservis par un chemin de fer, qui est devenu une voie de mobilité douce reliant les différents terrils. Réalisé au-dessus du ballast des rails, ce chemin ressemble à un fleuve asséché. 

Au sud de la citadelle se trouve la vallée de la Sambre et le canal qui avait été creusé dans un de ses affluents. Ensemble ces cours d’eau marquent une vallée humide le long de laquelle sont installées de nombreuses industries, aujourd’hui vouées à une reconversion certaine. 

Ces trois grandes figures — éperon rocheux, chaîne de terrils, vallée humide — sont contenues au nord par les champs du Brabant, et au sud par les massifs forestiers qui annoncent les Ardennes. 

Dans son livre emblématique sur Los Angeles, Reyner Banham définit cette ville insaisissable à travers des ‘écologies’, des systèmes spatiaux avec leur propre géomorphologie, logique interne, usage et identité. À travers cette nouvelle lecture de l’environnement urbain, Banham a bouleversé et élargi le regard traditionnel sur la ville. 

À Charleroi ces figures paysagères peuvent être considérées comme des ‘écologies banhamiennes’. Une lecture méticuleuse des éléments physiques existants permet d’en distiller les plus pertinents et résilients. Cette cartographie révèle et renforce les trois écologies de Charleroi : l’éperon rocheux, la chaîne de terrils et la vallée humide de la Sambre. Ensemble, ces trois écologies produisent un paysage métropolitain, un référent à grande échelle qui ancre tous les éléments dans le territoire : les terrils, les autoroutes, le métro, la citadelle, la Sambre et son héritage industriel. 

Le Pays Noir évolue vers un Paysage Métropolitain, et Charleroi devient ainsi le Los Angeles de la Belgique.

Plateau & Glacis

Les constructions successives de la fortification correspondaient avec une transformation graduelle des éléments du paysage naturel. Le plateau de l’éperon rocheux avait été aménagé en citadelle fortifiée, tandis que les pentes autour étaient modifiées en glacis découverts. Par la suite, le plateau et le glacis se sont développés séparément suivant leur propre logique.

Sur le plateau, les rues de la citadelle étaient construites pour garantir la meilleure défense, avec des longues lignes droites. Les rues n’ont pas été plantées pour garantir une visibilité optimale. Toutes les rues conduisent vers la place centrale, conçue autour d’une source, en forme hexagonale. Elle représente l’épicentre de la fortification.

Le terrain autour de la citadelle avait été aménagé en glacis. Le terme militaire désigne « un terrain découvert, généralement aménagé en pente douce, situé aux abords d’un ouvrage fortifié, afin de dégager le champ de vision ». Après le démantèlement des fortifications, la surface plane du glacis a permis aux grands équipements publics de s’y installer. On y trouve entre autres le stade de football, l’hôpital, le BPS 22, la bibliothèque, l’hôtel de police, le tribunal, et le palais des Beaux-Arts. Ces équipements sont souvent accompagnés de grandes surfaces de stationnement. 

La superposition de la carte des dernières fortifications hollandaises et belges sur le tissu urbain actuel, révèle la transformation des éléments militaires en formes urbaines. À l’intérieur des fortifications, on retrouve le système des rues orthogonales. À l’extérieur, on retrouve les équipements publics, des surfaces de stationnement et des parcs fragmentés. Sur l’emprise des anciennes fortifications, de larges boulevards ont été aménagés. L’autoroute circulaire prend place sur les anciens affluents de part et d’autre du rocher. 

Le double système plateau-glacis était basé sur la topographie naturelle. Le projet urbain permet de révéler à nouveau cet ancrage dans le territoire, en inversant la logique militaire. 

Le réaménagement des rues et des places du plateau offre l’opportunité de redéfinir l’identité de ces espaces publics. La ville fortifiée est ainsi transformée en ville désirée avec un réseau de places et l’introduction de végétaux dans les rues. 

Le glacis, jadis découvert, devient un système de parc autour du plateau, intégrant les équipements de la ville dans une figure spatiale compréhensible.

Plateau

Nous distinguons trois figures urbaines sur le plateau : les boulevards, les rues et les places. Après le démantèlement des fortifications, des grands boulevards ont été réalisés sur l’emprise des remparts. Grâce à leurs alignements de grands arbres, ils produisent une continuité visuelle. Ces alignements forment une ‘boucle d’arbres’ autour du centre, qui sert de repère dans le tissu urbain. 

Les rues étaient envahies par la voiture. Le projet a réduit la largeur des voiries afin d’agrandir les trottoirs. Des arbres ont été plantés dans les rues, à travers des rectangles découpés dans l’espace minéral. 

Ces arbres garantissent la présence visuelle de végétaux tout en proposant une emprise minimale sur l’espace public. Ils sont disposés de manière à aider à organiser le stationnement. Tels des ‘pixels’ de nature, ces rectangles plantés rappellent les arbres pionniers qui se sont installés sur les.

La troisième figure est constituée par les espaces publics. La place Charles II, la place du Manège et le square du Monument offrent des lieux de respiration dans le tissu urbain dense de la ville haute. Ces places concédaient trop de place aux voitures. Le projet les repense comme un réseau connecté. 

Glacis

La lecture du site met en évidence trois entités situées sur l’emprise de l’ancien glacis : les équipements publics, les surfaces de stationnement et les fragments de parc. Les équipements forment un anneau autour du centre-ville, en complément du tissu urbain dense de la ville haute. Les larges surfaces de stationnement peuvent être plantées afin de renforcer les fragments de parc existants. Ainsi ces trois éléments aident à réaliser un ‘glacis arboré’, un véritable ‘système de parcs’, tel que décrit par des paysagistes comme Frederick Olmsted et Nicolas Forestier. 

Un réseau de places 

Les différentes places de la ville haute offrent la possibilité de créer un véritable réseau d’espaces publics. Pour chaque place une identité spécifique est proposée afin de créer un ensemble avec des ambiances et des caractères variés. La place Charles II retrouve son rôle d’épicentre du centre-ville, la place du Manège devient la place du marché et le square du Monument une placette et aire de jeux pour le quartier.

Les places sont mises en réseau par le réaménagement des rues environnantes. La rue Dauphin relie la place Charles II et la place du Manège, tandis que la rue de la Régence la connecte avec le square du Monument. À ce réseau de places s’ajoute la nouvelle gare de bus, aménagée au-dessus du toit du métro. 

Ce réseau d’espaces publics offre de l’air dans la ville dense tout en mettant en valeur les bâtiments publics, tels que l’Hôtel de Ville, la Basilique, et le palais des Beaux-Arts. Les places aident à organiser à la fois les événements de Charleroi, le marché hebdomadaire, un concert exceptionnel, et améliore la qualité de vie au quotidien. 

Place Charles II

La place Charles II devient une place centrale piétonne. La figure concentrique de l’hexagone est transformée en une figure entoilée, cherchant des connexions avec les rues environnantes. 

Le projet reprend la forme hexagonale comme élément essentiel de l’espace. Un dessin graphique au sol constitué d’hexagones emboîtées transforme l’emprise hexagonale de la forteresse en une figure dynamique. Les lignes en pierre naturelle contrastent avec les pavés en pierres bleues de la place. Ces lignes sont utilisées pour installer des jets d’eau. De beaux temps, la place est ainsi transformée en une fontaine d’eau géante, offrant du rafraîchissement aux habitants et visiteurs. 

Au centre où se trouvait le puits d’eau de l’ancienne forteresse, un miroir d’eau est installé, marquant l’épicentre de la ville, qui reflète le ciel tout en créant un moment d’intimité et d’infinité. Un jet d’eau central peut être activé pour des moments spéciaux. Il peut concentrer la force des tous les jets autour pour monter plusieurs mètres au-dessus de la place. 

Place du Manège

Le parking à ciel ouvert a été aménagé en espace public dédié aux piétons, situé entre le Palais des Beaux-Arts et le Beffroi de l’Hôtel de Ville. 

Une trame d’arbres de haute tige a été plantée à un grand intervalle, créant une place dégagée et sobre. Cette large distance garantit la connexion visuelle entre la place Charles II et le palais des Beaux-Arts, et permet toutes sortes d’usages comme l’installation du marché ou une partie du carnaval. Les installations demandant plus de place peuvent être localisées sur la place Charles II et sur la terrasse du toit du métro. 

Les arbres dessinent une trame au sol, marquée par des bandes en pierre bleues. L’arbre retenu pour la place est le Ginkgo biloba. À la fois très élancé et très graphique, cet arbre occupe peu de place tout en introduisant une vraie nature. Suivant les saisons, ses couleurs changent d’un vert électrique au printemps vers un jaune intense en automne. La place du Manège obtient ainsi sa propre identité, tout en permettant plusieurs usages. 

Square du Monument

La place du Monument était un îlot entouré de rues. Le projet a supprimé la rue d’un côté ainsi que la connexion entre les deux rues. La place est ainsi agrandie et réaménagée de façade à façade. Le square a la vocation de devenir un lieu de rencontre pour les riverains. Le revêtement en stabilisé permet différents types de jeux, comme le jeu de boules. 

Le mobilier urbain a été conçu avec les designers Muller Van Severen comme des objets qui invitent à l’exploration. Le réaménagement de la place du Monument lui confère une toute nouvelle identité, invitant aux nouveaux usages.

La voirie végétalisée

Il existe deux types de voiries sur le plateau : les boulevards et les rues. Les boulevards se trouvent sur l’emprise des anciennes fortifications et sont presque deux fois plus larges que les rues se trouvant à l’intérieur de la forteresse.

Boulevards

Les boulevards ont été plantés de grands arbres et forment une boucle autour du centre-ville. Nous proposons de renforcer cette ‘boucle d’arbres’, qui crée le lien entre le centre-ville et les équipements autour. Elle a la vocation de devenir une figure urbaine augmentant la lisibilité du tissu urbain, aidant à orienter les habitants et les visiteurs. 

Le réaménagement du Boulevard Jacques Bertrand s’inscrit dans cette logique. La boucle d’arbres a été renforcée, la voirie a été réduite et de grands trottoirs ont été créé le long des façades.

Rues

Les rues étaient envahies par les voitures. Le projet a agrandi les trottoirs et quand c’était possible, un rectangle a été découpé du revêtement pour installer une strate arborée. Nous proposons de planter les mêmes espèces pionnières qui ont végétalisées les terrils afin d’introduire des pixels de nature dans la ville dense et minérale.

Ces rectangles rythment les stationnements et aident à lutter contre les îlots de chaleur. Les végétaux et les trottoirs plus larges aident à transformer la ville fortifiée en une ville accueillante et agréable. 

Glacis arboré

Un nouveau modèle pour le Campus

Pour l’Exposition Universelle, de prestigieux bâtiments avaient été érigés à la limite extérieure de la dernière fortification. Aujourd’hui ils ont pour ambition de devenir un Campus, véritable lieu de rencontre entre étudiants, à l’image des campus américains. L’espace public attenant est composé d’une esplanade surélevée, située au-dessus du tunnel. La reconversion de la trémie a permis de repenser l’espace public au-dessus. La réduction de la voirie permet quant à elle l’installation d’une grande pelouse ponctuée d’arbres de part et d’autre de la trémie. Une série de ‘placettes’ est aménagée aux entrées des bâtiments. Aujourd’hui la boucle d’arbres est interrompue à cause de la trémie. De nouvelles plantations de part et d’autre de celle-ci complètent la boucle traversant le Campus. Ainsi le campus se connecte avec la ville à travers cette boucle d’arbres, tout en s’inscrivant dans le système du Glacis arboré. 

Transformation du Tunnel 

La trémie du boulevard Gustave Roullier a été transformée en parking souterrain grâce à une étude précise des coupes transversales. Le réaménagement de la rampe d’entrée au nord réduit l’emprise de la voirie. Le projet a permis de démolir la structure qui dépasse sur le terrain naturel devant l’Université du Travail, pour garder la dalle partout au même niveau.

Le projet remplace la rampe de sortie avec un grand escalier s’ouvrant vers la place du Manège et le Palais de Beaux-Arts. Le parking est connecté avec la ville par deux pavillons d’entrée marquants : un sur la place devant la Bibliothèque Alfred Langlois, l’autre au niveau du boulevard Solvay. Ces ouvertures créent une ventilation naturelle et permettent à la lumière de pénétrer amplement dans le parking. La lumière naturelle annonce ainsi les escaliers et les ascenseurs qui montent vers le campus.

Paysage & Climat

À partir de la lecture de l’existant nous proposons trois grandes figures pour la redynamisation de la ville haute de Charleroi : le réseau de places, la voirie végétalisée et le glacis arboré. Ensemble ces figures créent un paysage autonome et durable. La plantation d’arbres augmentera l’évapotranspiration. Dans la même logique, les fosses de plantations sont conçues pour pouvoir stocker les eaux pluviales. Une végétation spécifique est sélectionnée pour chaque figure. Le choix prend en compte deux enjeux majeurs : les conditions du lieu (ensoleillement, vent, végétation existante, etc.), et les rôles que peuvent jouer la végétation dans ce lieu précis (contribution à la lutte contre l’îlot de chaleur urbain, création d’ambiances et identité paysagère).

Conclusion

Après avoir été désigné lauréat du concours en 2014 il a fallu presque 10 ans pour finaliser les travaux. Le projet s’inscrit dans le dynamisme qui caractérise la ville de Charleroi depuis sa conception : celle de la transformation de l’existant.

Le parking de la place du Manège devient une véritable place plantée, le Square du Monument devient un air de jeux pour le quartier, le Campus est installé dans un parc, les rues étroites sont ponctuées d’arbres, le tunnel et la trémie sont convertis en parking souterrain, le toit du métro est aménagé comme gare des bus, et la Place Charles II retrouve son rôle d’épicentre de la ville.

Trois cent cinquante ans après la construction de la citadelle, la ville de Charleroi commence une nouvelle étape, celle de la ville désirée et attractive.

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Bas Smets, Charleroi, de la ville fortifiée vers la ville désirée, Groupe d'études géopolitiques, Jan 2024, 114-120.

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