Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection présidentielle en République tchèque, 13-14 janvier 2023
Issue #4
Scroll

Issue

Issue #4

Auteurs

Michal Kubát

Numéro 4, Janvier 2024

Élections en Europe : 2023

Introduction

L’élection présidentielle tchèque de 2023 s’est déroulée dans un contexte de tension politique et de lassitude sociale causée par la pandémie de coronavirus et la guerre en Ukraine. Au plan intérieur, l’élection, organisée environ un an et demi après une élection parlementaire qui a vu les forces populistes être défaites de justesse par une large coalition, présentait l’occasion d’un dépassement du discours populiste qui a dominé la politique tchèque depuis 2017. Le scrutin était également considéré comme une occasion de remettre en question le style et l’orientation politiques du président sortant Zeman, tout en offrant à l’opposition une plateforme pour exprimer son mécontentement à l’égard des politiques du gouvernement en poste. Les inquiétudes et les attentes était donc nombreuses, et ce particulièrement parmi les forces pro-démocratiques et pro-occidentales, qui y voyaient une étape décisive dans la lutte pour l’avenir politique de la République tchèque. De fait, malgré leurs pouvoirs constitutionnels limités, les présidents tchèques ont de longue date exercé une influence politique et sociale significative, ce qui explique le niveau élevé d’attention et d’intérêt porté par les électeurs au scrutin présidentiel.

Ce texte entend permettre au lecteur de se familiariser non seulement avec les résultats de cette élection présidentielle, mais aussi avec son contexte politique plus large. Il est divisé en trois parties. Tout d’abord, on caractérise le rôle institutionnel du président tchèque. Ensuite, on présente un bref historique des élections présidentielles passées. Enfin, on analyse le contexte de l’élection et ses résultats.

La présidence de la République tchèque: une institution unique

L’institution de la présidence tchèque est très spécifique, les présidents jouissant traditionnellement d’une position privilégiée dans la société et la politique du pays. Dans son rôle de chef d’État, le président tchèque a tendance à se voir attribuer des qualités irrationnelles, une perception également entrenue au sein de la société et de la classe politique dans son ensemble. Le président bénéficie ainsi d’une image quasi-monarchique, apparaissant comme le détenteur d’une autorité universellement acceptée. Il convient toutefois de noter que la présidence, si elle est prestigieuse, n’est pas dotée de pouvoirs exécutifs forts ; l’influence du président est moins exécutive que politique et morale.

Les raisons de ce statut privilégié sont à chercher dans l’histoire et la culture politique tchèques, et en particulier dans la grande popularité de François-Joseph Ier en Bohème à l’époque de l’empire austro-hongrois. Après 1918, une partie de ce prestige monarchique a été repris et développé par le « Président-Libérateur » Tomáš Garrigue Masaryk et après lui, quoique de manière plus partielle, par le « Président-Constructeur » Edvard Beneš. L’institution présidentielle était tellement respectée et prestigieuse qu’elle ne fut pas abolie par les communistes après le coup d’État de février 1948, malgré la tendance des États d’inspiration soviétique à introduire des présidences collégiales ; la Tchécoslovaquie fut ainsi l’unique pays communiste européen à avoir eu un président de la République pendant toute la durée son existence. Après la chute du communisme en 1989, Václav Havel (1989-2003) joua un rôle important dans la perpétuation de la tradition d’exceptionnalisme présidentiel tchèque. Son successeur à ce poste, Václav Klaus (2003-2013), poursuivit également cette logique. Toutefois, sous la présidence de Václav Klaus, et en particulier au cours de son second mandat, le prestige de la fonction présidentielle commença à décliner, une amnistie générale controversée en 2013 causant des dommages importants à la réputation institutionnelle de la présidence. Mais c’est finalement le successeur de Klaus, Miloš Zeman (2013-2023), qui, par le style populiste de son exercice du pouvoir, porta le coup le plus sévère au prestige de la présidence. En plus de rejeter ce populisme, une part importante de l’électorat tchèque est opposé aux positions pro-russes de M. Zeman. Les électeurs attendent majoritairement du nouveau président Petr Pavel qu’il rétablisse le sérieux et la dignité traditionnels de l’institution. C’est là l’un des facteurs – et, sans doute, le facteur principal – ayant contribué à son élection.

Un bref historique des élections présidentielles tchèques

L’élection présidentielle de 2023 n’est que la troisième élection présidentielle directe de l’histoire de la République tchèque. Précédemment, les présidents tchèques (et tchécoslovaques) étaient élus par le parlement. De 1918 à 1992, 19 élections présidentielles eurent ainsi lieu en Tchécoslovaquie. Le record du nombre de mandats effectués est détenu par le premier président tchécoslovaque, Tomáš Garrigue Masaryk, qui effectua quatre mandats (1918, 1920, 1927 et 1934). Bien que, selon la Constitution, une personne ne pût être élue que pour deux mandats consécutifs, Masaryk bénéficia d’une exception à cette règle et put donc être réélu plus d’une fois. La durée du mandat présidentiel était alors de sept ans. Le deuxième président tchécoslovaque fut Edvard Beneš, élu pour la première fois en 1935 et réélu avec succès en 1946. Enfin, après la dissolution de la première république tchécoslovaque, Emil Hácha fut élu président (en 1938), avant de devenir président d’État du Protectorat de Bohême et de Moravie (1939-1945).

Une situation similaire se produisit après le coup d’État communiste de 1948. Le mandat était alors toujours de sept ans (ramenés à cinq ans en 1960) et un président ne pouvait être élu pour plus de deux mandats consécutifs (cette restriction fut été levée en 1960). Il y eut cinq présidents communistes : Klement Gottwald (élu en 1948), Antonín Zápotocký (1953), Antonín Novotný (1957, 1964), Ludvík Svoboda (1968, 1973) et Gustáv Husák, élu à trois reprises (1975, 1980 et 1985).

Après la chute du régime communiste, Václav Havel fut été élu président en 1989, puis réélu en 1990. La dernière élection présidentielle tchécoslovaque eut lieu en 1992, sans que le parlement réussît à s’accorder sur le nom d’un nouveau chef de l’État. En Tchécoslovaquie, les présidents furent généralement élus sans opposition, sauf lors des élections de 1920 à 1935 – au cours desquelles Masaryk et Beneš faisaient face à un seul adversaire – et de l’élection de 1992, à laquelle participèrent six candidats. La plupart des scrutin eurent lieu à bulletin secret, sauf en 1918 (par acclamation), de 1948 à 1964 et en 1989, où l’on eut recours au scrutin public.

Le parlement de l’État tchèque contemporain a élu le président à quatre reprises. Václav Havel fut élu en 1993 et 1998 et Václav Klaus en 2003 et 2008. Des élections présidentielles directes et générales ont été introduites en 2012, la première élection directe ayant eu lieu en 2013. Miloš Zeman a été élu président en 2013 et réélu en 2018. Dans les deux cas, Zeman a été élu au second tour, obtenant 54,8 % des voix en 2013 et 51,36 % en 2018.

Système électoral

Le président de la République tchèque est élu au scrutin universel direct, à bulletin secret, pour un mandat de cinq ans. Tout citoyen de la République tchèque âgé de plus de 40 ans et désigné par 20 députés, 10 sénateurs ou 50 000 citoyens peut être candidat. Un système électoral majoritaire à deux tours est utilisé. Au premier tour, tout candidat ayant obtenu la majorité absolue des voix est élu. À défaut, un second tour a lieu 14 jours plus tard, auquel accèdent les deux candidats arrivés en tête du premier tour. Au second tour, le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de voix est élu. Le second tour a lieu même si un seul candidat se présente, un cas de figure qui ne s’est cependant jamais produit jusqu’à présent.

Comme pour les élections législatives, le vote se déroule traditionnellement sur deux jours, toujours le vendredi (de 14h à 22h) et le samedi (de 8h à 14h). Les électeurs doivent voter en personne, dans des bureaux de vote classiques ou dans les ambassades tchèques à l’étranger. Il n’y a pas de possibilité de vote par correspondance.

Le contexte politique de l’élection et la campagne électorale

Huit candidats étaient en lice à l’occasion de l’élection présidentielle de 2023 : le député et ancien Premier ministre tchèque Andrej Babiš (mouvement ANO, RE), le député Jaroslav Bašta (Liberté et démocratie directe, SPD, ID), l’homme d’affaires Karel Diviš (ind.), le sénateur Pavel Fischer (ind.), le sénateur Marek Hilšer (ind.), l’économiste et ancien recteur de l’université Mendel de Brno Danuše Nerudová (ind., la seule femme parmi les candidats), le général à la retraite et ancien chef d’état-major de l’armée de la République tchèque et ancien président du comité militaire de l’OTAN Petr Pavel (ind.) et le professeur de médecine et ancien recteur de l’université Charles Tomáš Zima (ind.). Pavel Fischer et Marek Hilšer étaient candidats pour la deuxième fois, s’étant déjà présentés en 2018.

Les sondages réalisés au début de la campagne donnaient Andrej Babiš, Danuše Nerudová et Petr Pavel en tête. Cependant, alors qu’elle avait un temps dépassé la barre des 20 %, la part de voix de Danuše Nerudová a progressivement diminué, et Andrej Babiš et Petr Pavel sont dès lors apparus comme les deux candidats les plus susceptibles d’accéder au second tour de l’élection – un scénario qui s’est finalement réalisé. Danuše Nerudová représentait les secteurs les plus libéraux de la société et a soulevé plusieurs thématiques « progressistes » lors de sa campagne, parmi lesquels les droits LGBT et la question du développement durable. Avant le second tour, Petr Pavel a intégré certaines de ces thématiques à sa campagne dans le but d’élargir sa base électorale.

Au second tour, deux personnalités très différentes s’affrontaient. Petr Pavel se présentait comme un candidat politiquement modéré, antipopuliste et pro-occidental, adoptant des positions libérales et conservatrices. À la veille du second tour, il était soutenu par la coalition de droite SPOLU, composée du Parti démocratique civique (ODS, ECR), de l’Union chrétienne-démocrate – Parti populaire tchécoslovaque (KDU-ČSL, EPP) et de TOP 09 (EPP). Sa candidature était également appuyée par les Pirates (Verts/ALE) et les Maires et Indépendants (STAN, PPE). Il s’agit là des partis de gouvernement qui, ensemble, ont battu ANO lors des élections législatives de 2021. Petr Pavel était par ailleurs soutenu par une majorité de personnalités culturelles tchèques. Entre les deux tours de scrutin, il a gagné le soutien de ceux des candidats malheureux du premier tour qui avaient fait campagne sur un programme pro-démocratique et anti-populiste : Danuše Nerudová, Pavel Fischer et Marek Hilšer. Il convient de souligner que la candidature de Pavel a également été soutenue publiquement par certaines figures d’ANO, notamment le maire d’Ostrava Tomáš Macura (Ostrava est la troisième plus grande ville de la République tchèque) et le gouverneur régional de Moravie-Silésie Ivo Vondrák.

Pour sa part, Andrej Babiš n’a pas renoncé à son orientation et à sa rhétorique populistes. Outre son mouvement ANO, dont il est à la fois le fondateur, le principal donateur et le président, Babiš a également reçu le soutien du président Miloš Zeman et de diverses forces d’extrême gauche et d’extrême droite, dont le Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSČM, GUE/NGL), le Mouvement citoyen tricolore et – implicitement – le parti d’extrême-droite SPD. Sans soutenir ouvertement la candidature de Babiš, le dirigeant du SPD, Tomio Okamura, a appelé ses électeurs à ne pas voter pour Pavel.

Les différences entre les deux principaux candidats se sont également manifestées dans leurs campagnes électorales respectives. Petr Pavel a mené une campagne relativement modérée sous le slogan « Rétablissons l’ordre et la paix en République tchèque ». Il a souligné son souhait de restaurer la dignité de la fonction présidentielle et a clairement exposé ses convictions pro-occidentales. Babiš a quant à lui adopté un ton beaucoup plus vif et agressif. La confrontation s’est intensifiée avant le second tour des élections lorsque Babiš a fait sien le « plan de paix » proposé par Viktor Orbán. Babiš a alors mené une campagne d’affichage qui suggérait que Pavel, général à la retraite et partisan de l’Ukraine, entraînerait la République tchèque dans la guerre (le président n’a pas ce pouvoir) ou qu’il ne croyait pas en la paix. Cette campagne a suscité l’indignation et a été qualifiée de trompeuse, amorale et contraire à l’éthique. En conséquence, Marek Prchal, l’un des créateurs de la campagne, a été exclu de l’association des professionnels de la publicité Art Directors Club Czech Republic le 25 janvier 2023.

Résultats

Au premier tour, aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue nécessaire pour être élu. Petr Pavel l’a emporté de justesse sur Andrej Babiš. Danuše Nerudová, un temps considérée comme la favorite du scrutin (voir ci-dessus), n’a finalement pas obtenu les résultats escomptés. Comme le prévoyaient les instituts de sondage, aucun des autres candidats n’a attiré une part significative de l’électorat. Un seul d’entre eux, Petr Fischer, a obtenu plus de 5 % des voix.

Andrej Babiš et Petr Pavel accèdent au second tour, que Pavel remporte largement, obtenant 959 403 voix de plus que Babiš (Pavel obtient 3 359 301 voix, Babiš 2 399 898 voix). Les enquêtes d’opinion prévoyaient un résultat plus serré.

Candidat% des voix
1er tour2nd tour
Andrej Babiš34,9941,67
Jaroslav Bašta4,45
Karel Diviš1,35
Pavel Fischer*6,75
Marek Hilšer**2,56
Danuše Nerudová13,92
Petr Pavel35,4058,32
Tomáš Zima0,55
a · Résultats des élections
* Pavel Fisher a obtenu 10,23 % lors des élections présidentielles de 2018.
** Marek Hilšer a obtenu 8,83 % lors des élections présidentielles de 2018.
Source : https://www.volby.cz

Petr Pavel l’a emporté dans 11 régions (y compris la capitale Prague), obtenant ses meilleurs résultats dans les métropoles, tandis qu’Andrej Babiš s’est classé premier dans seulement trois régions : la Moravie-Silésie, Ústí nad Labem et Karlovy Vary. Les régions gagnées par Babiš figurent parmi les plus défavorisées de la République tchèque, tant sur le plan économique que social.

L’élection présidentielle a été caractérisée par un taux de participation élevé au regard des normes nationales. Le taux de participation a notamment été plus élevé que lors des précédentes élections présidentielles de 2018 et 2013. La participation a également été plus élevée au second tour qu’au premier (un phénomène similaire avait été observé lors de l’élection de 2018). À titre de comparaison, le taux de participation aux élections à la Chambre des députés a oscillé entre 60 et 65 % entre 2002 et 2021, avec un record d’environ 75 % dans les années 1990.

202320182013
1er tour2nd tour1er tour2nd tour1er tour2nd tour
68,2470,2561,9266,6061,3159,11
b · Participation (en %) – Source : https://www.volby.cz

Conclusion

Bien que les pouvoirs constitutionnels du président tchèque soient limités, les élections présidentielles revêtent une importance significative dans le paysage politique du pays. Elles ne peuvent donc pas être considérées comme des « élections de second ordre ». Les élections présidentielles tchèques sont des élections de premier ordre, les plus importantes à l’échelon national après les élections à la Chambre des députés, et suscitent un intérêt important du public et des médias. Cela a été particulièrement évident lors de l’élection présidentielle de 2023, qui a créé de grandes attentes. De nombreux électeurs ont exprimé leur désir de changement et ont rejeté à la fois les controverses associées au mandat du président Miloš Zeman et le chaos populiste figuré par Andrej Babiš, son parti ANO et ses partisans.

Les données

Premier tour

Second tour

Bibliographie

Balík, S. et al. (2003). Politický systém českých zemí 1848–1989. Brno : MPÚ MU.

Brunclík M., & Kubát M. (2019). Semi-presidentialism, Parliamentarism and Presidents. Presidential Politics in Central Europe. Londres et New York : Routledge.

March, M. (2000). Second-Order Elections. In Rose, R. (éd.), International Encyclopedia of Elections (p. 287-289). Macmillan.

Odvárková, D., & Pohůdka, P. (2023, 23 janvier). Andrej Babiš kandiduje na prezidenta. Program, názory a priority bývalého premiéra. e15.cz.

Odvárková, D. (2023, 7 janvier). Danuše Nerudová: Volební program, názory a kandidatura na prezidentku 2023. e15.cz.

Odvárková, D., Sudová, K., & Kanta, A. (2023, 23 janvier). Generál Petr Pavel: Program, názory a kandidatura na prezidenta 2023. e15.cz.

iRozhlas (2023, 1 février). Od roku 2026 by se mohlo volit jen jeden den. Vláda schválila novelu zákona. iRozhlas.

Trousilová, A. (2023, 26 janvier). Marketéři vyloučili ze svých řad Prchala. Novinky.cz.

Parlament de la République tchèque. Historie parlamentarismu a české ústavnosti. En ligne.

Hromková, D., & Dohnalová, A. (2023, 18 janvier). Stojíme za Babišem, tvrdí ANO. Vondrák a Macura ale nejsou jediní, kdo volí Pavla. Aktuálně.cz.

+--
voir le planfermer
citer l'article +--

citer l'article

APA

Michal Kubát, Élection présidentielle en République tchèque, 13-14 janvier 2023, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2023,

notes et sources +
+--
voir le planfermer