Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection régionale en Sarre, 27 mars 2022
Issue #3
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Les élections régionales sarroises de 2022 étaient les premières depuis l’élection d’Olaf Scholz (SPD) comme chancelier aux élections fédérales de 2021 et celle de Friedrich Merz à la tête de la CDU. Si l’élection s’annonçait difficile dans tous les cas pour les chrétiens-démocrates sarrois — qui tenaient la Chancellerie de la Sarre depuis 22 ans mais risquaient de la perdre selon les sondages (Infratest Dimap 2022a) — elle apparaissait dans le débat public comme le premier test d’opinion publique pour deux figures nationales nouvellement élues. L’interdépendance des différents niveaux du système politique allemand n’est pas un phénomène nouveau (Detterbeck et Renzsch 2008 ; Minas 2021) et les élections peuvent avoir un impact certain sur d’autres élections. Cependant, des personnalités et des préoccupations spécifiques peuvent elles aussi avoir leur impact au niveau régional et fédéral, comme cette élection l’a montré.
Le climat politique à Berlin au printemps 2022 se concentrait autour de la guerre en Ukraine et de ses conséquences ; les affaires étrangères, la sécurité, le commerce et la défense sont des compétences principalement fédérales. Cependant, malgré la présence de la guerre, les préoccupations et personnalités principales de ces élections sarroises furent régionales (Forschungsgruppe Wahlen 2022; John 2022: 6). Comme nous le montrerons dans cette analyse, ces élections semblent représenter une forme d’exception à l’habituelle interdépendance de la politique fédérale et régionale 1 .
Ainsi, contrairement à une hypothèse fréquemment soulevée, ce scrutin ne peut servir qu’à la marge de baromètre de l’opinion publique aux sujets de la politique fédérale et des futures élections régionales de Schleswig-Holstein et de Rhénanie du Nord-Westphalie en mai, qui ont toutes les deux eu leurs propres dynamiques électorales, et ont placé au premier plan des préoccupations et personnalités régionales (lire à ce sujet Drewes (2022) et Wurthmann (2022) dans cet exemplaire). Cette analyse étudie les résultats des élections sarroises de 2022 à travers des prismes différents couramment utilisés en analyse électorale, et particulièrement les questions socio-démographiques, géographiques, partisanes et économiques ainsi que le rôle des têtes de liste.
« La Sarre fait face à une montagne de problèmes » (Kirch 2022a: 7), qui s’additionnent entre eux. En plus d’une constante faiblesse fiscale, le développement démographique dans le deuxième Land le moins peuplé d’Allemagne inquiète. En 25 ans, la Sarre a perdu près de 100 000 habitants (environ 983 000). De plus, son économie est en pleine mutation; traditionnellement, l’industrie (lourde) formait la colonne vertébrale économique du Land. Or, alors que les emplois dans le secteur du charbon ont disparu depuis des années, les secteurs automobiles et sidérurgiques, vus comme polluants, sont maintenant eux aussi sous pression (ibid.).
Le résultat de ces élections était ainsi à la fois une décision sur les politiques publiques à implémenter pour poursuivre ces objectifs et sur la personne que les Sarrois croyaient la meilleure pour mener ces politiques.

Les résultats électoraux en perspective: la Sarre voit rouge

Les résultats chiffrés

En 2022, 51 députés étaient élus dans 3 circonscriptions sarroises au scrutin proportionnel de liste. Tous les citoyens allemands de plus de 18 ans résidant en Sarre depuis plus de 3 mois et n’étant pas explicitement exclus du scrutin sont électeurs (Kollmann 2020: 361) 2 . Chaque électeur ne dispose que d’un vote, qu’il peut donner à un parti ou mouvement politique, dont les candidats sont présentés par liste. Les partis et mouvements peuvent soumettre une liste par circonscription ainsi qu’une liste globale pour l’ensemble de la Sarre, sur laquelle ils peuvent placer leurs candidats à leur guise (ibid.: 366 sqq.). Les sièges sont alloués sur la base de la méthode du maximum d’Hondt, avec un seuil à 5 % des suffrages exprimés. Sur les 51 députés du Landtag, 41 sont élus via les listes de circonscription et 10 via les listes régionales 3 .
Comme on le voit dans l’encadré « les données », et en prenant en compte les résultats du commissaire à l’élection régionale (2022), le Parti Social-Démocrate Allemand (SPD ; S&D) apparaît comme le principal vainqueur de cette élections — plus encore que les sondages ne le prédisaient (Infratest Dimap 2022a) dans les mois avant l’élection. Avec 43,5 % des voix, il a gagné 29 sièges sur les 51 du Landtag, obtenant ainsi la seule majorité absolue dans un Landtag allemand. L’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU ; PPE) a recueilli 28,5 % des suffrages le jour de l’élection, soit 19 sièges au Landtag. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD ; ID) a obtenu 5,7 % des votes, soit les 3 sièges restants — aucun des autres partis et mouvements ne sont entrés au Parlement. Alliance 90/Les Verts (Bündnis90/Die Grünen ; EFA) ont manqué le seuil de peu avec 4,99502 % des voix, soit 23 voix manquantes (Kirch 2022b: B1). Le Parti Libéral-Démocrate (FDP ; RE) a manqué son accession au Parlement pour la troisième fois consécutive, avec 4,8 % des voix. Die Linke 4 (GUE/NGL), un parti assez fort dans ce Land, manqua sa réélection au Parlement avec 2,6 %. Les petits et très petits partis, comme le Parti pour la Protection des Animaux 5 (Tierschutzpartei), FREIE WÄHLER 6 (RE), die Basis 7 , bunt.saar 8 , Die Partei 9 et tous les autres partis et mouvements ont échoué à entrer au Landtag 10 .
Par rapport aux élections régionales de 2017, parmi les partis présents à la nouvelle législature du Landtag, seul le SPD a réussi à améliorer son score. Il a effectué une percée, avec un gain de 13,9 points. Alliance90/Les Verts (+1,0) et le FDP (+1,5) ont eux aussi connu une légère amélioration. Si l’AfD n’a vu qu’une légère baisse de 0,5 point, la CDU (-12,2) et Die Linke (-10,3) ont subi une chute drastique de leurs résultats. Les « autre partis » ont cumulé 9,9 % des voix en 2022, soit +6,5 points par rapport à leurs 3,4 % combinés en 2017. La composition de l’hémicycle, où siégeaient précédemment 4 partis (CDU, SPD, Die Linke, AfD) est maintenant redistribuée entre 3 d’entre eux (SPD, CDU et AfD). Le Landtag est moins polarisé depuis la disparition du Parti de Gauche (Die Linke).
Sur 746 307 inscrits, 458 113 électeurs se sont rendus aux urnes, avec une participation de 61,4 % (69,7 % en 2017). Le taux de vote par correspondance s’élève à 43,5 % (SR.de 2022). La figure a montre le taux de participation par commune, dont on note qu’elle est élevée en zone rurale — c’est à dire dans le sud-est, le centre et le nord de la région — tandis qu’elle était relativement plus basse en zone urbaine ; les raisons de cette différence sont expliquées plus bas. Plus de la moitié de la population sarroise vit dans une agglomération urbaine en forme de V (Loth 2021: 572 ; voir la ligne rouge sur la figure a). Cette zone comprend la plupart des grandes villes du Land 11 et les taux d’abstention les plus haut cette année. Cette circonstance est d’importance, particulièrement pour les Verts, qui engrangent habituellement beaucoup de vote dans les zones urbaines.
Les raisons qui poussent à voter pour un parti sont multiples. Les résultats de ces élections seront donc analysés au travers de prismes différents. Cette analyse se fonde sur le modèle socio-psychologique bien connu d’Ann Arbor, selon lequel les « facteurs pertinents » comme les caractéristiques socio-démographiques et géographiques sont temporairement supplantés par « l’intensification partisane », ceux-ci étant pour leur part dominés par « le candidat » et « l’orientation programmatique » à l’approche du scrutin (voir à ce propos Campbell et al. 1960 ; Schoen 2009).

a • Participation en 2022 par commune
Paysage socio-démographique et politique

Dans la socio-démographie sarroise, un point spécifique se distingue, qui a pu jouer un rôle dans les résultats de l’élection. « Depuis le XIXe siècle, l’économie du Land est dominée par l’industrie lourde » (Loth 2021: 573), en particulier la sidérurgie, les mines de charbon et l’industrie automobile — c’est-à-dire précisément les secteurs économiques subissant la pression de changements structurels. Un regard spécifique sur les décisions de vote de certains groupes sociaux montre que « la victoire écrasante » du SPD peut être expliquée par-dessus tout par le fait qu’il a su regagner son ancien électorat principal : les ouvriers et employés, les seniors et les personnes à faible niveau d’éducation (Kruse et Müller-Hansen 2022). Parmi les ouvriers, 39 % ont donné leur vote au SPD (CDU : 20 %) ; 42 % des employés ont aussi voté SPD (CDU : 25 %). Parmi les fonctionnaires et les entrepreneurs, la CDU (36 et 37 %) avait en revanche l’avantage sur le SPD (31 et 27 %) (Infratest Dimap 2022c : 2). Le critère gênérationnel montre a également un effet intéressant sur les résultats : le SPD a une franche avance dans chaque groupe d’âge. Un changement notable par rapport à 2017 est visible dans le groupe des plus de 60 ans. Une hausse de 20 points permet au SPD d’atteindre 49 % dans ce groupe (CDU : 33 %) (ibid.) qui représente 40 % de l’électorat (John 2022 : 9). Le FDP et les Verts signent quant à eux une performance notable parmi la jeune génération, en cohérence avec la tendance de la dernière élection fédérale. La CDU n’y a recueilli que 19 % des voix — son groupe d’âge le plus faible (Infratest DImap 2022c ; Forschungsgruppe Wahlen 2022 : 2). L’AfD a surtout recueilli des voix parmi les hommes de la quarantaine et la cinquantaine (ibid.). Si l’on regarde l’élection selon le critère de l’éducation, on voit que plus le niveau d’éducation est élevé, moins le vote socio-démocrate est haut. Si 55 % des votants avec un diplôme secondaire inférieur ont voté pour le SPD, seulement 37 % de ceux avec un diplôme universitaire ont fait ce choix. La CDU n’a pas dépassé les 30 %, quel que soit le niveau d’éducation, et les Verts et le FDP ont bénéficié de la baisse des performances du SPD dans les votes d’éducation supérieure (Kruse et Müller-Hansen 2022).
Sur un plan géographique, le vote sarrois est tout en nuances de rouge (voir encadré « les données ») : le SPD l’emporte en effet dans l’ensemble des communes de la région (Forschungsgruppe Wahlen 2022 : 2) 12 . La CDU (figure d) a recueilli de très bons résultats dans la 3e circonscription au nord-est (Neunkirchen) (30,7 %), mais n’a obtenu que 25,5 % dans la première circonscription (Saarbrücken). Si ses meilleurs résultats sont dans les communes rurales du nord-est de la Sarre (voir l’analyse en composantes principales figure f), l’AfD (figure c) a engrangé de bons résultats relativement à son électorat dans le sud-est, ainsi que dans des communes éparpillées dans le Land. Dans 15 communes, elle a réussi à légèrement améliorer ses résultats de 2017, mais a régressé partout par rapport à ses résultats de l’élection fédérale de l’année dernière. Curieusement, les Verts (figure d) ont recueilli beaucoup de votes dans le sud-est par rapport à leur habitude. Cependant, à l’inverse de l’AfD, ils ont recueilli leurs votes principalement dans les deux villes les plus peuplées — Sarrebruck et Sarrelouis (voir l’analyse en composantes principales figure f). Dans 42 des 52 communes, ils ont augmenté leur score par rapport à la précédente élection régionale, de manière marginale ou plus significative. À la différence de ses résultats dans le reste du Land, le FDP (figure e) a bien réussi dans les communes proches de la frontière luxembourgeoise au nord-ouest, ce qui peut être confirmé par l’analyse en composantes principales (figure f). Le FDP a progressé dans l’ensemble des communes par rapport à 2017, mais en comparaison avec les élections fédérales de 2021 (11,5 % dans la Sarre), son résultat est très faible (John 2021 : 3f).

Les grands et petits partis

La prochaine étape de notre analyse consiste à étudier le rôle des partis. Dans les figures h et i, un portrait mitigé apparaît. Alors que le nombre de votants s’apparentant au SDP et au FDP a diminué par rapport à la période précédente, la CDU a connu une forte augmentation de sa loyauté partisane, Die Linke et l’AfD une augmentation modérée et les Verts une légère augmentation 13 . Cependant, cette évolution ne concerne que l’électorat habituel des partis, comme le révèlent clairement les statistiques des flux électoraux 14 . En effet, en plus du fort soutien de son propre électorat, le SPD a su récupérer des votants de tous les autres partis, bénéficiant notamment de nombreux reports de la CDU (environ 32 000 électeurs) et de Die Linke (environ 17 000 électeurs). Cette dernière a aussi perdu quelques 12 000 électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes cette année ; la CDU en a quant à elle perdu 19 000. L’AfD a aussi bénéficié de reports d’électeurs de Die Linke (4 000 votants) (Infratest Dimap 2022c).
L’image des partis (Forschungsgruppe Wahlen 2022) montre un portrait opposé à celui de la fidélité partisane. Dans ce domaine, le SPD a su grimper l’échelle de -5 à +5 de 1,9 en 2017 à 2,1 et le FDP de -0,5 à -0,1 dans la même période. Tous les autres partis ont reculé : la CDU de 2,1 à 1,1 ; l’AfD de -3,6 à 3,8 ; les Verts de -0,4 à -1 ; Die Linke de -0,1 à -1,8. Le SPD a bien plus bénéficié de l’image globalement positive de la Grande Coalition que la CDU 15 (Infratest Dimap 2022b). La piètre performance des Verts et de Die Linke peut être expliquée, entre autres, par les querelles internes qui parcourent les partis depuis l’année précédente. Si ces désaccords n’eurent aucune conséquence pour l’AfD lors du scrutin, celles de Die Linke et de l’Alliance90/Les Verts ont mené à l’apparition de la liste dissidente bunt.saar, qui a recueilli 1,4 % des suffrages exprimés — un résultat particulièrement critique pour l’Alliance90/Les Verts qui a manqué son entrée au Parlement à 23 voix près, alors même que leurs querelles internes, qui ont atteint leur acmé avec l’inadmissibilité de leur liste aux élections fédérales de 2021, étaient considérées comme révolues (John 2022 : 8). Die Linke a aussi dû payer pour ses divisions internes en quittant le Parlement ; de plus, la controverse avec sa tête de proue Oskar Lafontaine a joué un rôle significatif, qui sera étudié de plus près dans la prochaine partie.

Le facteur personnel

Le rôle des personnalités dans le débat public ainsi que dans la vie politique quotidienne est croissant depuis des années (Karvonen 2010 ; Bittner 2011 ; Rahat et Kenig 2018). Ceci est devenu encore plus clair dans le contexte des élections et campagnes électorales. Ces élections régionales n’ont pas fait exception — bien au contraire. La campagne électorale ainsi que le débat public autour de l’élection se sont concentrés avec une rare intensité sur les personnalités des différentes têtes de liste.
Comme mentionné plus haut, l’accent fut mis sur l’ancienne figure de proue du parti Die Linke, Oskar Lafontaine. Cet ancien Ministre-président de la Sarre (1985-1998) — à cette époque sous la bannière du SPD — co-fonda Die Linke en 2007, parti qui à partir de 2009 obtint systématiquement des scores à deux chiffres en Sarre, à la différence de son prédécesseur, le PDS (Winkler 2018 : 48). La forte position du parti, qui obtenait de piètres résultats dans les Länder occidentaux et s’imposait principalement à l’est, pouvait être attribuée tant aux spécificités socio-économiques du Land qu’à la figure d’Oskar Lafontaine (Winkler 2018 : 41 sqq. ; Hirndorf et Roose 2022 : 4). Le facteur personnel est plus net encore lorsqu’on met en perspective les résultats de Die Linke en Sarre cette année avec la décision de Lafontaine de ne pas se représenter pour un autre mandat législatif (Saarbrücker Zeitung 2022), qui a finalement abouti à sa démission du parti (Krich 2022c). Après son départ de Die Linke, le parti se retrouve au niveau de son prédécesseur, le PDS, avant que Lafontaine ne le rejoigne aux élections régionales de 2004 : juste au-dessus de 2% des suffrages exprimés.
En plus de la non-candidature de ce sortant, les prétendants au poste de Ministre-président jouèrent tout de même un rôle, si ce n’est le rôle le plus important, dans cette élection. Contrairement, par exemple, aux élections régionales de Mars 2021 en Rhénanie-Palatinat (Minas 2021) et au Bade-Wurtemberg (Drewes 2021), on ne peut parler de prime au sortant pour le Ministre-président Tobias Hans (CDU) qui était candidat à sa propre succession dans la Sarre en 2022 (Fahrenholz 2022). Hans, assez inconnu avant cela, a succédé à Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU) à la Chancellerie régionale de la Sarre en 2018. Si cette dernière aurait clairement gagné son duel contre Anke Rehlinger (SPD) dans une élection directe virtuelle au poste de Ministre-président avec 52 % des voix contre 38 %, en 2017, Hans a perdu cette année dans cette même élection virtuelle avec 33 % contre 49 % contre la même Anke Rehlinger, qui n’a créé son avance qu’à partir de novembre 2021 (Infratest Dimap 2022c.). Le chrétien-démocrate a aussi perdu du terrain par rapport à la sociale-démocrate dans les sondages (ibid. ; Forschungsgruppe Wahlen 2022; Hirndorf et Roose 2022: 5). Les sondages décevants de Hans avaient des raisons multiples : le sortant était avant tout critiqué pour sa gestion vacillante de la pandémie de Covid-19 (Fahrenholz 2022), mais aussi pour avoir commis une erreur durant la campagne avec une vidéo Twitter où il dénonçait le prix de l’essence et accusait le gouvernement fédéral d’en être responsable, opérant une distinction largement dénoncée entre « personne à faible revenus » et « personnes travaillant dur ».
La figure h résume l’importance de la personnalité des têtes de liste et du programme dans les décisions de vote. Parmi les électeurs de la CDU, moins d’un tiers ont choisi le parti en raison de la personnalité de Tobias Hans. Les têtes de listes des petits partis n’ont également joué qu’un faible rôle dans la décision de leur donner le scrutin. Cependant, le rôle important de la sociale-démocrate Rehlinger dénote. La tête de liste du SPD est parvenue a créer une dynamique autour de sa personne qui n’avait été observée récemment que chez Malu Dreyer en Rhénanie-Palatinat (John 2022 : 6 ; Minas 2021). En définitive, 49 % des électeurs du SPD disent avoir voté pour ce parti du fait de la tête de liste. Aucun autre parti ne s’approche d’un tel chiffre. Pendant son mandat en tant que ministre, Rehlinger s’est constituée une « prime à la sortante » bien au-delà de son électorat social-démocrate — un avantage que les stratèges du SPD ont bien compris. Comme ministre aux affaires économiques, l’emploi et la gestion des changements structurels dans le Land étaient au centre de ses attributions. Or, ces sujets étaient aussi au centre des préoccupation des électeurs, comme on le verra plus en détail dans la prochaine partie. Sa campagne très personnalisée prit forme avec son affiche (figure g) sur laquelle la photo de Rehlinger était accompagnée d’un texte à gros caractères « Notre candidate pour le poste de ministre-présidente ». Si « Notre ministre-présidente » se lisait distinctement, le reste du texte était moins visible — une stratégie du parti pour mettre en valeur le rôle de la tête de liste et sa prime à la sortante dans la campagne électorale.

g • Affiche de campagne d’Anke Rehlinger

« It’s the economy, stupid! »

Un peu moins d’un mois avant l’élection, un quart des Sarrois sondés disaient que la menace de chômage dans le Land était leur préoccupation principale du moment. Les préoccupations suivantes étaient la pandémie de Covid-19 (21%), les transports (18%), l’économie et les changements structurels (17%) et l’éducation (16%). La protection de l’environnement et le réchauffement climatique arrivaient en sixième position avec 10% (Infratest Dimap 2022a). Les conséquences (en termes d’emplois) et la résilience face aux changements économiques structurels constituaient ainsi la priorité des Sarrois, ce qui n’est guère surprenant au vu de la dépendance de l’économie sarroise aux secteurs industriels clés. Il est ainsi intéressant d’observer le jugement des électeurs sur la capacité des partis à gérer ces politiques publiques (figure i). On constate que le SPD a une avance particulière sur ces adversaires dans la majorité des préoccupations principales. Le SPD est clairement en tête sur les questions de sécurité de l’emploi et création d’emplois, dans le progrès économique, ainsi que dans la catégorie plus abstraite de résoudre les plus grands problèmes de la Sarre. Même dans la gestion de la pandémie de Covid-19, le SPD est devant la CDU, ce qui peut être imputé aux revirements de la tête de liste chrétienne-démocrate Hans dans sa gestion de la crise. Sur la question de la protection de l’environnement et du réchauffement climatique, les Verts sont premiers, tandis que sur les questions d’éducation, le SPD est vu comme le parti le plus compétent. Infratest Dimap (2022a) donnait des résultats similaires, mais moins nets, un mois avant l’élection. La CDU n’a pas seulement perdu par rapport au SPD dans la plupart des catégories, mais elle a aussi vu une baisse de son image de compétence par rapport à la dernière élection de 2017 (Hirndorf et Roose 2022 : 5f).

Perspectives

Au vu des raisons électorales et contextuelles décrites plus haut, il apparaît que le choix des électeurs s’est porté sur la social-démocratie, mais surtout sur Anke Rehlinger. Malgré le mode de scrutin défini par la loi électorale sarroise, la personnalité de la tête de liste a eu une influence décisive sur le vote de nombreux Sarrois. Un autre facteur est le fait que les préoccupations principales des Sarrois faisaient partie du portefeuille de Anke Rehlinger lorsqu’elle était ministre aux affaires économiques.
La question des coalitions n’était formulée qu’avant l’élection. Malgré la coalition feu tricolore récemment élue (SPD, Verts, FDP) au gouvernement fédéral et la malaimée grande coalition CDU-SPD au niveau fédéral, les Sarrois préféraient clairement cette dernière pour ces élections régionales. En plus des priorités thématiques, il était clair que ces élections n’avaient qu’un caractère régional, c’est-à-dire qu’elles ne pouvaient représenter un indicateur de l’opinion du gouvernement fédéral ou une prévision des autres élections régionales. Du fait de la faiblesse des petits partis, qui — à l’exception de l’AfD — ont tous échoué à entrer au Parlement, les Socio-Démocrates ont gagné la majorité absolue au Landtag et gouverneront la Sarre seuls, tandis que la CDU devrait se réinventer en tant que force d’opposition. Même si l’AfD a perdu des voix, elle peut toujours se reposer sur un électorat restreint mais solide dans la Sarre qui est prêt à regarder outre les querelles internes. Ce n’est pas le cas pour l’Alliance90/Les Verts. Les Verts et le FDP continuent de rencontrer des difficultés à s’implanter dans la Sarre, ce qui est en partie lié à la socio-démographie et aux questions économiques du Land. Après le départ d’Oskar Lafontaine, on peut être dubitatif quant à la capacité de Die Linke de regagner du terrain dans la politique sarroise.

h • Motivation des électeurs (évolution par rapport à 2017 entre parenthèses)
i • Compétence assignés aux partis par les électeurs (%)

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Notes

  1. Nous laissons ici ouverte la question de la généralisation de ce constat à d’autres élections régionales, du caractère de nouveauté (ou non) de cette dynamique entre niveau régional et fédéral.et de ses causes.
  2. Cf. Article 64 (1) de la Constitution de la Sarre.
  3. Pour plus d’information sur les lois électorales, le système de scrutin et la distribution des sièges dans la Sarre, voir Kollman (2020).
  4. Die Linke avait obtenu aux élections précédentes 12,8 % (2017), 16,1 % (2012) et 21,3 % (2009) des suffrages respectivement.
  5. 2,3% des voix.
  6. 1,7% des voix.
  7. 1,4% des voix.
  8. 1,4% des voix.
  9. 1,0% des voix.
  10. Autres partis ou mouvements recueillant moins de 1 % des voix: FAMILIE, Volt, Parti Pirate (EFA), ÖDP (EFA), SGV, Gesundheitsforschung, Die Humanisten.
  11. D’ouest en est: Merzig, Dillingen, Saarlouis, Völklingen, Saarbrücken, Neunkirchen, Homburg.
  12. Dans la commune de Rehlingen-Siersburg de la deuxième circonscription (Sarrelouis), le SPD a atteint la majorité absolue avec 50,5% des suffrages exprimés (Landeswahlleiterin 2022).
  13. Une explication possible pour cela est le fait que les valeurs indiquées sont relatives les unes par rapport aux autres. D’un côté, une tête de liste sociale-démocrate forte a accentué le facteur d’influence du candidat au détriment du facteur de loyauté partisane. De l’autre, une tête de liste chrétienne-démocrate faible a réduit le facteur d’influence du candidat au profit du facteur de loyauté partisane.
  14. Une représentation animée des reports d’électeurs est disponible au lien suivant : https://www.tagesschau.de/inland/waehlerwanderung-saarland-103.html. Cependant, les données sont celles des sondages à la sortie des urnes publiés par Infratest Dimap concernant les flux électoraux.
  15. Cette appréciation porte sur le gouvernement régional sortant (CDU/SPD) et la coalition désirée par les personnes sondées avant l’élection.
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Marius Minas, Élection régionale en Sarre, 27 mars 2022, Groupe d'études géopolitiques, Oct 2022,

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