Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection régionale en Andalousie, 19 juin 2022
Issue #3
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Issue #3

Auteurs

Leticia M. Ruiz Rodríguez , David H. Corrochano

Numéro 3, Mars 2023

Les élections de juin 2022 dans la Communauté autonome d’Andalousie se sont soldées par une majorité absolue pour le PP (Partido Popular) avec 43,11% des voix, soit 58 des 109 sièges qui composent le Parlement andalou. Ces élections ont également confirmé le déclin du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) dans la région : avec 24% des voix et 30 sièges, le parti a perdu son statut historique de parti le plus voté en Andalousie.

Système électoral et caractéristiques socio-démographiques de l’Andalousie

L’Andalousie est l’une des quatre régions espagnoles qui possèdent leur propre calendrier électoral, contrairement aux treize autres régions qui organisent généralement leurs élections simultanément. Pour cette raison, la compétition électorale andalouse tourne davantage autour de questions spécifiques au territoire, le poids des questions nationales étant moindres. Comme pour les élections générales, le système électoral pour les élections andalouses applique la formule proportionnelle de D’Hondt, qui est corrigée par un seuil électoral à hauteur de 3% des votes valides exprimés. Les partis présentent des listes fermées et bloquées dans chacune des huit provinces, où le nombre de sièges en jeu est attribué selon des critères de population. Séville est la circonscription qui élit le plus de députés régionaux (dix-huit).

Parmi les caractéristiques sociodémographiques les plus remarquables de l’Andalousie, il est à souligner que cette communauté autonome représente 18% de la population totale de l’Espagne selon les données de l’INE de 2022. Comme dans d’autres régions espagnoles, on observe également dans les provinces andalouses un déséquilibre entre les zones rurales, moins peuplées, et les zones urbaines. En outre, plusieurs des provinces andalouses figurent parmi celles où le taux de chômage est le plus élevé du pays. Il n’est donc guère surprenant que l’emploi constitue la principale préoccupation de 47 % des Andalous, loin devant les autres enjeux de l’élection (Baromètre andalou, septembre 2022).

D’autre part, l’Andalousie est la porte d’entrée d’un grand nombre d’immigrants, bien qu’elle ne soit pas la communauté où la pression migratoire est la plus forte ; en effet, une grande partie de cette immigration se déplace vers d’autres régions du pays. L’une des provinces andalouses, Almería, présente nénamoins la plus forte proportion d’immigrés du pays (21,78% contre une moyenne nationale de 11,62) selon les données de l’INE (2022), notamment en raison de son intense activité agricole. En outre, l’Andalousie est, avec les îles Canaries, la région espagnole où le PIB par habitant est le plus faible. Dans ce contexte, il est compréhensible que les questions économiques et sociales aient fait l’objet d’une attention particulière de la part des partis, des candidats et des électeurs lors de la campagne électorale.

Les performances électorales du PP et du PSOE

L’intérêt pour le processus électoral andalou a transcendé le niveau régional en s’inscrivant dans une série de victoires conservatrices. Quelques mois plus tôt, le PP avait remporté les élections en Castille-et-León, l’un des fiefs des conservateurs, où il gouverne désormais en coalition avec Vox. À Madrid, en 2021, le PP avait obtenu une victoire écrasante au niveau régional, porté par la popularité de la présidente de la Communauté Isabel Díaz Ayuso. Le climat de polarisation avait donné à cette campagne une dimension nationale aux yeux des partis politiques.

En Andalousie, les sondages laissaient présager une nouvelle victoire du PP. avec à sa tête la candidate à la présidence Juanma Moreno. La question principale était de savoir si, comme en 2018, il serait nécessaire au PP de négocier la formation d’un gouvernement de coalition avec les autres partis de droite, Ciudadanos et Vox. Cet apparent manque de compétitivité, associée à une forte tendance régionale à l’abstention, peut expliquer la participation de seulement 56% des Andalous. À ceci s’ajoute le fait que les élections régionales andalouses, qui suivent leur propre calendrier, présentent une capacité de mobilisation plus limitée.

Dans ce contexte, le PP a gagné dans toutes les provinces, battant le PSOE dans 70% des municipalités andalouses. Il s’agit d’un revirement important dans le paysage politique andalous, longtemps dominé par le PSOE : à ce jour, le PSOE a gouverné pendant six législatures avec une majorité absolue des sièges, pendant une législature en tant que gouvernement minoritaire, et pendant quatre législatures avec le soutien de tiers partis. Cependant, les partis ont obtenu des résultats inégaux selon le degré d’urbanisation et le niveau de revenu. Le PP a obtenu de meilleurs résultats dans les grandes municipalités et les capitales provinciales, ainsi que dans les zones où les revenus sont les plus élevés. Ces résultats s’expliquent notamment par le transfert du vote Ciudadanos vers le PP. Ce transfert s’explique par au moins deux mécanismes. D’une part, les quatre ans de participation gouvernementale de Ciudadanos en Andalousie se sont accompagnés d’une érosion de sa marque politique dans toute l’Espagne. D’autre part, la situation économique a occupé une grande partie du débat pendant la campagne, permettant au PP de faire valoir à son profit la baisse du chômage et la croissance supérieure à la moyenne en Espagne observée pendant le précédent mandat de Moreno. Cette bonne capacité de gestion, ainsi que l’image d’honnêteté du candidat, sont les deux facteurs les plus fréquemment cités par les Andalous qui ont voté pour le PP lors des élections de juin dernier (24,4% et 13,6%, respectivement, selon les données du CIS).

Pour sa part, le mauvais résultat du PSOE andalou est le produit d’une érosion progressive des trois piliers sur lesquels reposait son succès : (1) la culture et la mémoire politique d’une communauté de gauche ; (2) sa contribution à la modernisation de la région au cours de ses précédents mandats gouvernementaux, tâche dans laquelle il a été soutenu par les fonds européens destinés aux régions moins développées ; (3) mais aussi l’articulation d’un modèle de clientélisme électoral lié à l’administration de ces fonds. (Cazorla 1992 ; 1994). Ainsi, si, à partir de 2012 le PSOE a continué à gouverner, d’abord en coalition avec Izquierda Unida puis en minorité, il l’a fait en perdant des électeurs (45,5% pour le PP contre 35,5% pour le PSOE). Lors des élections suivantes, en 2015 et 2018, bien qu’ayant obtenu le plus grand de voix, il a subi une baisse notable de son soutien dans les urnes, ce qui l’a finalement empêché, en 2018, de former un gouvernement.

Le PP a profité de cette période pour gagner du terrain parmi l’électorat urbain et les classes moyennes, tandis que les effets de la crise de 2008, le chômage devenu structurel ainsi que les affaires de corruption traitées par les tribunaux contribuaient à l’érosion du pouvoir socialiste. En 2011 s’ouvre l’affaire dite « ERE », qui ne sera close par la Cour suprême qu’en novembre 2019 et à l’issue de laquelle, entre autres charges importantes, José Antonio Griñán, président du PSOE en Andalousie entre 2012 et 2015, est condamné à six ans de prison pour prévarication et détournement de fonds publics.

La période pré-électorale du PSOE andalou a été marquée par une confrontation entre la direction régionale du parti et sa direction nationale. La résolution du conflit interne a conduit à l’organisation de primaires pour choisir le candidat aux élections régionales de 2022, un processus qui a montré aux électeurs la division du parti entre un secteur plus centriste et un autre plus favorable à la coalition gouvernementale nationale avec Unidas Podemos et Izquierda Unida. Le gagnant de ce processus a été Juan Espadas, le candidat favori de la direction nationale et qui, bien qu’étant maire de Séville, n’a pas réussi à se faire connaître de l’électorat de la communauté autonome. À partir de ce moment, et conformément aux sondages, la campagne socialiste s’est concentrée sur la menace d’une participation de Vox à un futur gouvernement du PP. Un message qui faisait appel au passé et que les socialistes partageaient avec le reste des partis de gauche. Mais ce message, loin d’éloigner l’électorat du vote de centre-droit, pourrait en définitive avoir favorisé le PP. Il lui a en effet permis de se positionner comme une option centrale, modérée et utile qui, si elle obtenait une majorité absolue, écarterait tout risque de radicalisme lors de la législature à venir-

Autres partis politiques à travers le spectre idéologique

Outre le PSOE, d’autres options de gauche présentaient également des signes de fragmentation. Malgré l’ouverture d’un processus de négociation, Adelante Andalucía (AA), formation anticapitaliste et régionaliste, n’a pas été intégrée au sein de la coalition Por Andalucía (PA). Le parti n’avait jamais exercé le pouvoir aux côtés du PSOE en Andalousie dans le passé, et ne l’exerçait pas non plus au niveau national dans le contexte post-pandémique. Mais cette différence entre les deux formations est passée au second plan, au profit d’une logique d’unité antifasciste, à mesure que s’accroissait la présence de Vox et d’un andalousisme de plus en plus virulent vis-à-vis de l’État espagnol.

AA a finalement obtenu deux députés : un pour la circonscription de Séville, la plus grande, et un autre pour Cadix, où le parti gouverne la capitale provinciale. Pour PA, ces élections ont constitué un nouveau chapitre dans le conflit opposant les organisations membres de la coalition pour le leadership à gauche, dans la perspective des prochaines élections générales. Tant lors de la sélection des candidats, que, plus tard, pendant la campagne elle-même, Unidas Podemos, et en particulier ses ministres au sein du gouvernement national, ont été marginalisés par la participation de ministres de l’IU et du PCE, parmi lesquels Alberto Garzón et Yolanda Díaz, aux réunions publiques de la coalition. La campagne de PA a exploité non seulement la peur de la droite radicale, mais aussi les réalisations du gouvernement central en matière de politique sociale, attribuées aux partenaires de gauche du PSOE. Cette revendication n’a pas empêché le PSOE de chuter de 17 à 6 sièges, parachevant la débâcle de la gauche dans son ensemble en Andalousie.

Au centre et à droite, plusieurs partis se sont disputé les suffrages des électeurs. Lors des élections de 2018, le centre était représenté par Ciudadanos, entré au gouvernement en tant que partenaire du PP. Le dirigeant régional du mouvement, Juan Marín, était vice-président du gouvernment régional, permettant au parti et à son leader de s’établir dans la communauté. Cependant, en 2022, le parti disparaît pratiquement de l’ensemble de l’Espagne après un échec retentissant lors des élections générales de novembre 2019, où Ciudadanos perd 37 députés nationaux et 3 millions de voix par rapport aux précédentes élections nationales organisées seulement huit mois plus tôt. Les sondages prévoyaient que l’Andalousie n’échapperait pas à cette tendance. Dans les faits, le transfert prévu de l’électorat de Ciudadanos vers le PP a été renforcé par le rôle de Marín dans la campagne. Celui-ci a agi comme caution d’un exécutif dont il avait été membre, alors même que celui-ci était dirigé par le PP. Lors du débat télévisé électoral, le candidat de Ciudadanos a été le seul à ne pas interroger Moreno Bonilla, leader du PP, sur une potentielle participation de Vox à un futur gouvernement. À l’issue du vote, Ciudadanos s’est finalement retrouvé sans représentation au Parlement andalou.

De son côté, Vox, devenu le principal protagoniste de la campagne – notamment grâce au cadre posé par la gauche -, s’était fixé un objectif de nette croissance dans cette communauté où il avait obtenu ses premiers succès nationaux en 2018. Le parti pariait sur le fait que son rôle serait essentiel dans le processus de formation du futur gouvernement, et qu’il y disposerait d’une grande capacité de négociation. Le premier objectif a été atteint, bien que dans une ampleur plus faible qu’attendue : Vox a obtenu deux députés supplémentaires, atteignant quatorze sièges. Le deuxième objectif a échoué en raison de l’obtention d’une majorité absolue des sièges par le PP. Cela a conduit Vox à interpréter le résultat comme une défaite, provoquant une remise en question de sa stratégie de campagne et une crise interne. Le parti avait notamment dû improviser un programme électoral lorsque les médias avaient souligné son absence de propositions pour la communauté. Le parti avait par ailleurs choisi de présenter une candidate de stature nationale, Macarena Olona, mais qui n’avait pas de racines en Andalousie. La candidate a effectué une campagne très idéologique et personnalisée dans laquelle elle a essayé de forcer le candidat du PP à reconnaître le rôle que Vox jouerait dans un futur gouvernement. Après l’échec de cette stratégie, Olona a démissionné de son poste de membre du parlement andalou et a commencé à s’éloigner publiquement de Vox. Ainsi, le processus régional autonome d’Andalousie a montré que, bien qu’il existe un potentiel pour la droite radicale dans certains secteurs de l’électorat, la forte centralisation de Vox peut constituer un obstacle à son développement au niveau régional.

L’année 2023 en termes électoraux

Les élections andalouses de 2022 ont été les dernières élections à se tenir en Espagne jusqu’aux élections municipales de 2023 et aux élections régionales dans les régions possédant un calendrier électoral commun. Des élections générales auront également lieues, vraisemblablement au cours du dernier trimestre de 2023. La faible nationalisation du système de partis espagnol, marqué par des clivages, des enjeux et des partis nationalistes et régionaux, rend difficile toute projection basée sur une élection autonome. Néanmoins, il est probable que, au moins au niveau national, deux tendances observées lors des élections andalouses soient amenées à se répéter. D’une part, la gauche non socialiste tend à se fragmenter en partis ou coalitions ayant une présence nationale par le biais de multiples marques locales, comme dans le cas présent AA. D’autre part, la lutte entre le PP et VOX pour les électeurs de droite est engagée. Le Parti Populaire semble bénéficier de la faveur des anciens électeurs de Ciudadanos et de sa capacité à articuler un modèle de gestion libéral alternatif au modèle social-démocrate, susceptible d’attirer l’électorat modéré.

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Leticia M. Ruiz Rodríguez, David H. Corrochano, Élection régionale en Andalousie, 19 juin 2022, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2023, 94-97.

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