Revue Européenne du Droit
Un nouveau concept stratégique pour l’Alliance atlantique
Issue #5
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Auteurs

José Manuel Albares

Revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques en partenariat avec le Club des juristes

Peu après l’annonce du sommet de 2022 à Madrid, le retrait de la mission « Resolute Support » de l’OTAN en Afghanistan s’est transformé en une opération militaire complexe et dramatique suivie de près par une opinion publique euro-atlantique qui a assisté, déconcertée, à l’évacuation de milliers de civils, en même temps que celle de nos propres troupes. Elle a également surpris une opinion publique mondiale qui se demandait comment plus de dix ans d’efforts alliés n’avaient pas réussi à empêcher les talibans de reprendre le pouvoir.

Aujourd’hui, ce sont les missiles tombant sur Kiev, le massacre de Boutcha, le bombardement sanglant de la maternité de Marioupol, l’utilisation de la guerre comme instrument politique, en somme, qui a transformé la sécurité euro-atlantique de la manière la plus profonde et qui en a fait la clef de voûte des travaux qui occuperont la prochaine réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance.

Pour l’Espagne, le sommet qui s’ouvre à Madrid les 29 et 30 juin marque une étape importante dans notre adhésion à l’OTAN, puisqu’il coïncide avec le 40e anniversaire de notre adhésion à l’organisation. Quarante années au cours desquelles l’Espagne a été un allié loyal et engagé, pour lequel l’appartenance à l’Alliance a été le moteur d’une modernisation matérielle et d’un changement de doctrine de nos forces armées, fondés sur l’interopérabilité et le déploiement conjoint de moyens et de capacités, l’Espagne étant l’un des principaux contributeurs aux missions et opérations de l’Alliance.

De ce point de vue, ce sommet devra répondre à quatre objectifs principaux : élaborer une réponse ferme à la menace russe, donner de la visibilité aux menaces provenant du flanc sud, montrer un soutien sans équivoque à l’adhésion de la Finlande et de la Suède et, surtout, projeter une image d’unité et de cohésion entre les alliés. Cela devra être reflété dans le nouveau concept stratégique qui sera adopté par l’Alliance.

Parmi les questions que l’Alliance devra aborder, la définition de la posture de dissuasion et de défense a gagné en importance, l’accent étant mis principalement sur le flanc oriental. C’était une question importante avant le 24 février, étant donné l’attitude agressive de la Fédération russe depuis l’invasion de la Crimée et le conflit dans le Donbass en 2014, mais le constat sur le terrain que la menace russe est devenue une réalité rend clairement nécessaire de renforcer notre déploiement pour sécuriser les frontières de l’OTAN. Au cours de ses plus de 70 ans d’existence, l’Alliance a travaillé sur différentes options pour contenir la menace sur ce flanc. Cela fait donc partie de son ADN, et nous avons la doctrine et les capacités pour nous adapter et répondre de manière appropriée. Depuis l’Espagne, nous avons également démontré notre engagement en contribuant au renforcement de la dissuasion de l’Alliance à l’Est, à la sécurité de laquelle nous contribuons actuellement par le biais de deux missions principales : garantir la sécurité de l’espace aérien balte, avec le déploiement de huit F-18 dans l’opération de police aérienne balte, et également dans la mission de présence avancée renforcée en Lettonie, dans laquelle nous avons actuellement plus de 500 troupes déployées, en plus des véhicules blindés et des chars de combat. Il s’agit d’une démonstration claire de notre conception de la sécurité européenne comme un tout indivisible, de la mer Baltique à la Méditerranée.

Précisément, une conception univoque de la sécurité européenne exige également de prêter attention aux menaces sur d’autres fronts, notamment sur le flanc sud. La priorité incontestable du flanc oriental est et doit être compatible avec la nécessité pour l’Alliance de maintenir une « approche à 360 degrés » pour faire face à ses menaces. Aujourd’hui, la Méditerranée et le Sahel sont tous deux confrontés à une crise multidimensionnelle qui affecte directement la sécurité de notre continent.

La région est devenue l’épicentre de l’activité terroriste djihadiste, alimentée par une crise humanitaire et désormais aggravée par une crise alimentaire due aux problèmes d’approvisionnement en céréales de l’Ukraine et à la hausse des prix des denrées alimentaires de base. Cette situation, associée à la détérioration de la situation politique et des normes démocratiques au Sahel, ainsi qu’à une présence russe accrue dans la région, nous oblige à renforcer notre engagement en faveur de la stabilité et de la prospérité sur le flanc sud.

La dimension sud est également particulièrement sensible à l’utilisation des migrations et de l’énergie comme moyen de pression, dans un phénomène similaire à celui déjà observé sur le flanc est. L’OTAN doit donc accorder une attention particulière à sa capacité de répondre aux menaces hybrides, notamment en renforçant la cybersécurité.

L’impact international du défi lancé à l’OTAN par l’attaque de la Russie contre le plus important partenaire du voisinage oriental de l’Alliance nous oblige également à réfléchir à l’avenir des partenariats de l’OTAN dans le nouveau contexte de sécurité. La sécurité coopérative est l’une des tâches essentielles de l’OTAN, au même titre que la dissuasion, la défense et la gestion des crises. L’Alliance doit être en mesure de transférer efficacement son soutien aux partenaires qui en ont besoin, mais aussi pour que les partenaires contribuent à la sécurité de l’OTAN.

Dans notre voisinage immédiat, le soutien aux partenaires – tels que la Géorgie, la Moldavie ou la Bosnie-Herzégovine – ainsi que la politique de la porte ouverte de l’Alliance sont les instruments qui permettent de structurer l’avenir de la relation. Sur le flanc sud, il est nécessaire de revitaliser des cadres tels que le dialogue méditerranéen – particulièrement important pour l’Espagne – ou l’initiative de Coopération d’Istanbul. 

Cela devrait se refléter dans le concept stratégique de l’OTAN. Ce document décrit l’objectif et la nature de l’organisation, ses tâches essentielles en matière de sécurité et de défense, ainsi que les défis et les opportunités auxquels elle est confrontée. Il précise également les éléments de l’approche de sécurité de l’Alliance et fournit des lignes directrices pour son adaptation politique et militaire. Son élaboration génère l’un des débats les plus importants qui puissent avoir lieu au sein de l’Alliance, auquel s’ajoute une composante importante de communication stratégique et de dissuasion puisque les concepts stratégiques sont rendus publics après leur adoption.

À ces débats sur le concept stratégique s’ajoute la question de l’élargissement de l’OTAN. L’agressivité russe a eu l’effet inverse de celui que Poutine avait probablement calculé avant l’invasion de l’Ukraine : elle a conduit les deux pays de son voisinage nord, la Suède et la Finlande, à demander leur adhésion immédiate à l’OTAN après des décennies de neutralité.

La future adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, que l’Espagne soutient, nous amène à un élément fondamental de la sécurité euro-atlantique : la relation entre l’Union européenne et l’OTAN.

Bien que formellement « partenaires », la relation entre les deux organisations est bien plus étendue et complexe que cette définition. Il suffit de réfléchir à la toile d’intérêts communs générée par le fait que 21 des 30 Alliés sont en même temps membres de l’Union.

Si certains ont remis en question cette coopération par le passé, la crise ukrainienne a mis en évidence la symbiose entre les actions des deux organisations. La combinaison de la dissuasion militaire traditionnelle de l’OTAN et du levier économique de l’Union, associée au financement des livraisons d’équipements militaires à l’Ukraine par la Facilité européenne pour la paix, s’avère cruciale dans notre réponse à la crise.

Pendant des décennies, on a assisté à une division des tâches de facto entre l’Union et l’OTAN : à l’une le leadership politique et économique, à l’autre le leadership militaire. Mais à mesure que l’Europe de la défense s’est développée – avec la mise en œuvre de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), puis de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) – et que l’OTAN a progressé dans le renforcement de ce que l’on pourrait appeler « l’interopérabilité politique », l’interaction est progressivement passée à un niveau supérieur.

En ce sens, il est essentiel de renforcer les synergies et la complémentarité des efforts entre les deux organisations. Le nouveau scénario qui s’ouvre dans le paradigme de la politique de sécurité de l’Union européenne, avec l’adoption en avril 2022 de sa Boussole stratégique, offre une opportunité de renforcer la relation avec l’OTAN.

L’Espagne a toujours été à l’avant-garde du développement des initiatives de défense européenne, dans la conviction absolue qu’une Europe forte dans ce domaine renforce l’OTAN et vice versa. Et nous espérons que Madrid pourra être le point de départ d’un nouveau cadre de relations entre l’Union et l’OTAN. La prochaine déclaration conjointe Union européenne-OTAN devrait donc tenir compte des expériences de ces derniers mois et chercher à canaliser le potentiel révélé par l’invasion russe en Ukraine.

Pour l’Espagne, qui assumera la présidence du Conseil de l’Union européenne au second semestre 2023, le sommet de Madrid offre une occasion extraordinaire de transmettre à nos citoyens, à nos partenaires – et aux autres pays – l’unité entre les Alliés et les États membres de l’Union dans la défense des valeurs et des principes de la démocratie et du droit international.

Les questions qui agitent aujourd’hui l’OTAN montre clairement que leur pertinence va au-delà de celle d’une réunion ordinaire des chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance. Les circonstances sont en effet exceptionnelles. Nous sommes responsables devant nos citoyens, devant nos partenaires, non seulement de la défense de l’espace euro-atlantique, mais aussi d’un modèle de société internationale fondé sur des règles qui doivent repousser les acteurs, étatiques ou non, qui utilisent la violence pour atteindre leurs objectifs. Ceux d’entre nous qui se réuniront en juin 2022 à Madrid sont obligés de répondre ensemble au défi de ceux qui cherchent à s’imposer par la force.

En ce moment critique de l’histoire de notre Alliance, notre responsabilité à l’égard de nos engagements au titre du Traité de Washington, au service d’un avenir démocratique et sûr, nous conduit à renforcer encore l’unité qui a fait de notre organisation l’alliance militaire la plus réussie de l’histoire.

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José Manuel Albares, Un nouveau concept stratégique pour l’Alliance atlantique, Groupe d'études géopolitiques, Juin 2023,

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