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Après Kaboul, un point de bascule pour les Européens ?

La chute de Kaboul a suscité un grand nombre de réactions et de commentaires sur ses répercussions en matière de politique internationale. Des observations de Charles Michel sur le manque de consultations avec les partenaires européens dans son interview au Grand Continent au témoignage d’Anthony Blinken devant la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, le retrait d’Afghanistan a été un test majeur pour les relations transatlantiques. L’alliance AUKUS entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni a également été un moment important de réflexion pour les Européens sur la signification pratique de l’autonomie stratégique et s’il existe un point de vue partagé sur cette question. Ces deux éléments peuvent être compris comme faisant partie d’une séquence au cours de laquelle les Etats-Unis formalisent et réorientent leur stratégie vis-à-vis de la région Indo-Pacifique.

Le Groupe d’études géopolitiques a réalisé une enquête rassemblant les contributions de 13 experts internationaux des quatre coins de l’Europe et au-delà, aux points de vue et aux parcours divers, sur l’état des relations transatlantiques après le retrait d’Afghanistan et l’alliance AUKUS. Cette nouvelle enquête fait suite à deux éditions précédentes sur l’autonomie stratégique européenne en 2020 et sur la présidence Biden. 

Afin d’évaluer l’état des relations transatlantiques dans une perspective multidimensionnelle, nous avons demandé aux contributeurs de se positionner sur une échelle de 0 à 5 en répondant à deux questions : 

Question 1 (Q1) Les événements d’août et septembre 2021 auront-ils un effet transformateur sur les relations transatlantiques à long terme ?

0 (aucun effet) à 5 (changement radical)

Question 2 (Q2) Cette question est-elle pertinente ?

0 (Non, ce n’est pas la bonne façon de voir les choses) à 5 (Oui, c’est une question cruciale)

Les notes des contributeurs sont représentées dans un graphique. Afin de leur permettre de développer leurs choix, nous avons également demandé à chacun d’étayer son point de vue par un court texte.

Sven Biscop

Directeur du programme L’Europe dans le monde à l’Institut royal Egmont pour les relations internationales

(Q1) 2,5/5

(Q2) 5/5

Les relations transatlantiques se sont transformées depuis le « pivot » vers l’Asie annoncé par Obama en 2012 – même si beaucoup nient encore cette évidence. Certains veulent se rassurer face à l’affirmation de l’assertivité russe en se disant que, quoi qu’il arrive, les renforts américains seront toujours là pour les protéger. D’autres ont besoin d’excuses pour justifier la faiblesse de leurs propres efforts de défense. Si vous vous convainquez que les États-Unis s’occuperont de toute façon des choses, alors rien n’est urgent. Comme beaucoup se persuadent que rien ne changera, alors ni l’évacuation de Kaboul ni l’accord AUKUS ne changeront fondamentalement leur analyse. Ces deux événements confirment toutefois une tendance nette : pour les États-Unis, c’est désormais « la Chine d’abord ». Si tous les membres de l’UE et de l’OTAN ne sont pas encore prêts à affronter cette réalité, ceux qui le sont devraient peut-être agir en dehors de ces deux cadres. Rien ne les empêche de créer un noyau dur qui va de l’avant avec l’intégration des efforts de défense, et qui ouvre la voie à une politique étrangère européenne plus volontariste.

Maja Bucar

Professeure d’études sur le développement à la faculté des sciences sociales de l’université de Ljubljana

(Q1) 3/5

(Q2) 4/5

La discussion sur l’autonomie stratégique européenne devrait se renforcer et passer du statut de sujet académique à celui de domaine politique. La dépendance de l’UE vis-à-vis de l’OTAN et des États-Unis est remise en question, non seulement dans le domaine de la sécurité, mais aussi dans un certain nombre d’autres domaines. La coopération sera toujours présente, mais l’UE doit développer ses propres ressources et concevoir une stratégie qui lui permettra progressivement d’adopter une position plus autonome. La réussite de l’UE dans ce domaine dépend de l’acceptation d’une telle politique par l’ensemble des États membres et, à cet égard, il est déjà possible de percevoir certaines différences, certains étant plus favorables à une alliance étroite avec les États-Unis et d’autres mettant en garde contre la nécessité de renforcer l’autonomie. 

Ce n’est peut-être pas la question la plus cruciale pour l’avenir de l’UE, mais c’est certainement une question importante qui, avec le comportement de ses principaux partenaires (États-Unis, Royaume-Uni), gagne en importance. Elle soulève également la question de l’unité entre les États membres et de leur politique extérieure commune.

Florence Gaub

Directrice adjointe de l’EUISS

(Q1) 4/5

(Q2) 5/5

Nous débattons depuis un certain temps de l’élargissement de nos cercles d’amis au-delà de l’OTAN ; les formats proposés étaient par exemple, à l’origine, celui de la Communauté des démocraties ou des formats similaires, qui pourraient inclure l’ensemble de l’UE, de l’OTAN, l’AUKUS, une partie de l’ASEAN, et tous les États partageant les mêmes idées mais qui ne font partie d’aucun de ces groupes (par exemple le Japon, la plupart des États d’Amérique latine, certains États africains, etc.) Je pense que l’Occident ira dans cette direction et fera perdre de sa pertinence au terme « transatlantique » – non pas parce que la relation est affaiblie, mais parce qu’elle n’est plus exclusive.

Shada Islam

Analyste des affaires de l’Union européenne

(Q1) 3/5

(Q2) 4/5

En dépit de la vision unidimensionnelle et romancée des relations transatlantiques, considérées comme spéciales, solides et sans faille – un discours souvent véhiculé par les responsables politiques, les groupes de réflexion et les médias des deux côtés de l’Atlantique – la vérité est que, si les États-Unis et l’Union européenne peuvent travailler ensemble lorsque leurs intérêts sont alignés, ils sont aussi des concurrents et des rivaux permanents aux priorités et aux préoccupations très différentes. 

Cela est particulièrement évident dans le domaine des affaires et du commerce – tant au niveau bilatéral que multilatéral – mais c’est également vrai en matière de géopolitique. Bien avant l’intérêt actuel pour l’Indo-pacifique, c’est la présence et l’influence écrasantes des États-Unis en Asie (y compris en Chine) qui ont encouragé l’UE à établir sa propre relation avec cette région. En Afrique, les États-Unis et l’Europe sont également en concurrence pour l’influence et les marchés. Il en va de même en Amérique latine. 

Donald Trump a peut-être décrit l’UE comme un « ennemi », mais tous les présidents américains récents ont considéré l’UE comme un partenaire junior vers lequel vous vous tournez lorsque vous avez besoin d’aide – par exemple pour présenter un « front commun » face à la Chine ou la Russie – mais que vous pouvez ignorer et négliger en toute tranquillité lorsque tout va bien. C’est exactement ce que fait Joe Biden.

Les plaies laissées par le manque de consultation et de transparence concernant l’alliance trilatérale AUKUS et l’accord secret entre les États-Unis et l’Australie sur les sous-marins nucléaires ne seront pas faciles à panser. Mais plus que l’AUKUS, plus que la crise financière de 2008, la guerre en Syrie, le chaos en Libye ou les années Trump, c’est la débâcle afghane qui a mis fin à toute croyance magique dans la capacité des États-Unis à assurer un leadership mondial bienveillant ou dans la force de l’alliance transatlantique. La confiance transatlantique sera difficile à reconstruire.

Juha Jokela

Directeur du programme de recherche l’Union Européenne à la FIIA, Finnish Institute of the International Affairs

(Q1) 3/5

(Q2) 4/5

Le retrait chaotique d’Afghanistan et l’accord de défense AUKUS – négociés dans le dos de la France et de l’UE – ont assurément suscité des inquiétudes dans de nombreuses capitales européennes. Bien que celles-ci aient été mises en garde contre les conséquences du pivot stratégique des États-Unis, l’administration Biden était toutefois censée reconstruire les principales alliances, y compris l’alliance transatlantique. Le manque d’influence des Européens sur la fin des opérations en Afghanistan et sur les questions géostratégiques mondiales les a amenés à réfléchir à leur position dans une ère d’intensification de la concurrence stratégique. Par conséquent, les Européens devront probablement poursuivre leurs efforts pour renforcer leurs capacités militaires afin d’assumer davantage de responsabilités en matière de sécurité et de défense. S’ils considèrent toujours les États-Unis comme un allié indispensable et l’OTAN comme la pierre angulaire de la sécurité européenne, ils reconnaissent de plus en plus qu’une Europe plus forte est indispensable pour conserver son importance vis-à-vis de Washington. Cela suppose toutefois que les Européens trouvent la volonté politique d’agir au niveau régional et mondial, une tâche ardue pour eux en raison de la diversité de leurs cultures stratégiques et de leurs intérêts en matière de sécurité.

Ben Judah

Nonresident Senior Fellow chez The Atlantic Council

(Q1) 4/5

(Q2) 4/5

Les historiens analyseront cette séquence comme le moment où la géopolitique occidentale s’est éclaircie pendant le brouillard de la pandémie. Lorsque le virus est apparu, le discours stratégique était obsédé par quatre questions depuis l’élection de Trump, sans trouver de réponses concrètes: 

Quelle pouvait être la réponse des Occidentaux face à la Chine ? Quel sera l’avenir de l’OTAN, compte tenu des propos d’Emmanuel Macron à propos de sa « mort cérébrale » ? Quelle sera la réponse occidentale à une Turquie de plus en plus belliqueuse ? Enfin, après le Brexit, y a-t-il un avenir stratégique pour la Grande-Bretagne ? 

Humiliation majeure pour la France, l’annonce soudaine de l’accord AUKUS a été particulièrement importante en tant que réponse brutale aux questionnements sur la Chine et la Grande-Bretagne. Une nouvelle sous-alliance des pays anglo-saxons va désormais tenter de contenir la Chine et la « Global Britain » en fera partie intégrante. 

En Europe, l’accord de défense qui a rapidement suivi, entre la France et la Grèce, n’en est pas moins important. Paris a donné sa réponse à la fois à la question de l’OTAN et à celle de la Turquie : un nouveau pacte avec Athènes, pour maîtriser Ankara. Le nouvel âge des sous-alliances est arrivé. Il n’y aura pas de réponse collective de la part de l’Occident face à la Chine ou à la Turquie. Au lieu de cela, un monde plus volatile de coalitions se dessine.

Nicole Koenig

Chercheuse au Jacques Delors Institut – Berlin sur les questions politico-institutionnelles

(Q1) 2/5

(Q2) 4/5

Ces évènements ont assurément eu l’effet d’un électrochoc pour  les Européens, désireux de relancer les relations transatlantiques après les difficiles années Trump. Cet effet n’est toutefois pas transformateur.

L’Afghanistan et AUKUS sont des symptômes de tendances à long terme qui ont déjà commencé sous l’administration Obama. Premièrement, l’opinion publique américaine est de moins en moins disposée à payer le prix d’opérations lointaines qui ne sont pas dans l’intérêt premier du pays, et leurs présidents agissent en conséquence. Nous l’avons déjà constaté lorsqu’Obama a décidé de « mener de l’arrière » dans la crise libyenne en 2011 et s’est ensuite abstenu d’intervenir en Syrie malgré le franchissement de « lignes rouges ». Deuxièmement, l’AUKUS montre que le pivot américain vers le Pacifique est réel et que Washington n’est pas prêt à attendre les partenaires européens pour montrer ses muscles dans la région.

Les Européens se remettront tôt ou tard de l’Afghanistan et de l’AUKUS, mais ces événements constituent un autre signal d’alarme : il est temps de développer notre capacité d’action autonome, car les États-Unis ne seront pas toujours à nos côtés.

Cette question est pertinente car elle débouche sur une question encore plus intéressante : Les Européens vont-ils réellement se réveiller et développer des réponses communes à ces tendances de fond ? La réponse façonnera les prochains documents stratégiques de l’UE et de l’OTAN et donnera ainsi le ton de la prochaine décennie de coopération euro-atlantique en matière de sécurité.

Elena Lazarou

Cheffe de l’unité Politiques externes du Service de recherche du Parlement européen (EPRS)

(Q1) 2,5/5

(Q2) 5/5

La pertinence de cette question ne fait aucun doute : un recalibrage des relations transatlantiques a eu lieu au cours de la dernière décennie – dans une large mesure en raison de la montée en puissance de l’Asie et du pivot américain vers cette région. Cela a des implications pour l’avenir de la coopération en matière de sécurité et de défense. Le retrait d’Afghanistan ainsi que l’annonce du pacte de défense AUKUS ont mis en évidence la nécessité d’intensifier les travaux liés au renforcement de l’alliance transatlantique en termes de coordination et de partage des renseignements. Ces événements ont également relancé un débat majeur sur les priorités respectives des défenses européenne et américaine. Bien que déclenché par un point de discorde, ce débat, s’il est mené de manière constructive, pourrait déboucher sur de nouvelles modalités de coopération dans des régions critiques telles que l’Indo-pacifique et le Sahel. De plus, ces événements ont servi de catalyseurs pour que le débat sur la future identité de défense de l’UE revienne au premier plan de l’agenda européen après une période où la pandémie a remplacé certaines préoccupations. La capacité de l’UE à agir en cas de besoin dans la poursuite de ses propres objectifs et ambitions opérationnelles, ainsi que le plan de renforcement de ses capacités constitueront une part importante des délibérations d’ici 2022, et l’Afghanistan et AUKUS seront souvent évoqués dans ce contexte.

Alessandro Marrone

Chef du programme de défense de l’IAI

(Q1) 2/5

(Q2) 3/5

Le retrait d’Afghanistan des forces de l’OTAN mené par les États-Unis a suscité une certaine frustration en Europe en raison de l’effondrement rapide de l’État afghan, mais ces derniers étaient néanmoins conscients de ce risque, souvent occulté par le souhait de l’ensemble des acteurs de quitter le pays. Actuellement, et dans un avenir proche, les nations occidentales auront peu d’appétit politique pour la gestion des crises et/ou les opérations de stabilisation. Les relations transatlantiques s’adapteront pour traiter davantage de l’Indo-Pacifique et moins de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. L’OTAN se concentrera davantage sur la défense collective et la concurrence entre grandes puissances avec la Russie et la Chine. Il s’agit d’une tendance évolutive plutôt que transformatrice, déjà amorcée depuis les années 2010. 

Les effets négatifs de l’accord sur les sous-marins australiens avec les États-Unis et le Royaume-Uni ne concernent que la France : ils n’ont pas d’impact sur les autres membres, ni sur l’UE ou l’OTAN en tant que telle. Il est probable qu’il accentue la poussée française en faveur de l’autonomie stratégique européenne, mais d’autres grands pays européens conserveront plus ou moins la même position sur l’équilibre entre la défense de l’OTAN et celle de l’UE (notamment l’Italie). Dès lors, il est intéressant de réfléchir aux relations transatlantiques après 20 années d’une guerre en Afghanistan qui a impliqué jusqu’à 40 000 soldats de pays européens et qui s’est terminée de manière très négative.

Sur l’AUKUS, il est normal que les Etats-Unis concluent des accords diplomatiques, militaires et industriels avec des partenaires en Asie de l’Est afin de contenir la Chine, et que le Royaume-Uni essaie de suivre. Il y a eu des polémiques assez excessives à Paris à la suite de cette perte pour l’industrie navale française. 

Garima Mohan

Membre du programme Asie du German Marshall Fund of the United States

(Q1) 2/5

(Q2) 3/5

L’annonce surprise de l’accord AUKUS et le retrait soudain de l’administration Biden d’Afghanistan ont provoqué des ondes de choc dans le monde entier, mais surtout en Europe. Si ces annonces ont entraîné quelques tensions dans les liens transatlantiques, elles ne devraient pas avoir de conséquences à long terme. D’une certaine manière, ces deux décisions n’étaient pas surprenantes puisqu’elles sont conformes aux priorités politiques annoncées dès le début par l’administration Biden – qui souhaite déplacer l’attention et les ressources vers le théâtre indo-pacifique. Il est également clair qu’en matière d’évaluation des menaces et d’approche de la Chine, les États-Unis ont plus en commun avec leurs partenaires de la Quad (Australie, Inde et Japon) qu’avec l’Europe. 

La relation transatlantique repose sur de nombreux piliers. À l’heure où l’Europe tente de formuler son approche vis-à-vis de la Chine et pivote vers l’Indo-Pacifique, elle devrait davantage discuter avec les États-Unis. Le Conseil du commerce et de la technologie est l’une de ces opportunités. En parallèle, les États-Unis ont également indiqué clairement qu’ils souhaitaient rétablir leurs relations avec la France, qui est un acteur important de la région indo-pacifique. Espérons que cela se traduira par une plus grande coordination entre les États-Unis et l’Europe dans la région.

Joseph Nye

Professeur émérite de l’université de Harvard et ancien doyen de la Kennedy School of Government de Harvard

(Q1) 2/5

(Q2) 4/5

Pour une administration qui disait vouloir réparer et renforcer les alliances que Trump avait affaiblies, l’administration Biden a été étonnamment et inutilement maladroite dans la consultation de ses alliés concernant le retrait d’Afghanistan et l’annonce de l’accord sur les sous-marins AUKUS. Il y a forcément un prix à payer pour la confiance et le soft power.

À plus long terme, toutefois, ces effets seront éclipsés par l’importance fondamentale de contenir la montée en puissance de la Chine. Les alliés européens se sont plaints du manque de consultation sur le retrait de l’Afghanistan, mais les alliés asiatiques ne l’ont pas fait car ils se sont réjouis de son impact sur la mise en œuvre du pivot initialement annoncé par Obama. La France s’est opposée à l’accord AUKUS non seulement pour des raisons économiques, mais aussi en raison des conséquences sur son image de puissance implantée dans le Pacifique, alors que les effets concrets de l’accord à l’égard de la Chine seront clairs à plus long terme. La question qui se pose actuellement est donc de savoir si une diplomatie plus adroite peut réparer une partie des dommages à court terme.

Patrycja Sasnal

Responsable de la recherche à l’Institut polonais des affaires internationales

(Q1) 2/5

(Q2) 3/5

Deux événements ont ébranlé les relations transatlantiques en septembre : le retrait des États-Unis et de leurs alliés d’Afghanistan et l’accord de défense AUKUS. Tous deux doivent être considérés comme les conséquences de tendances plus larges, et non comme leurs causes. Le retrait a révélé le peu d’attention que les États-Unis accordent à leurs alliés Européens : il y a eu peu de coordination entre les Américains et les Européens et les États-Unis ont apparemment ignoré la demande des Européens de prolonger le délai de retrait. 

Si l’administration Biden a pris la bonne décision, l’accord AUKUS entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, scellé au détriment des intérêts français, est une pilule amère à avaler. 

L’accord a confirmé non seulement la préoccupation de Biden à l’égard de la Chine, à la limite de l’obsession – nous le savions déjà en Europe – mais aussi sa disposition à mettre à mal le lien transatlantique à cet égard. Cela révèle qu’à long terme, les États-Unis ne considèrent pas les Européens comme des partenaires de choix comme contrepoids de la Chine. Si derrière les subtilités d’un Biden atlantiste se cache la conviction que les États-Unis peuvent faire cavalier seul ou avec le Quad plutôt qu’avec les Européens, alors c’est une évolution inquiétante. Les relations transatlantiques ont connu des moments plus difficiles, mais si, en fin de compte, les deux parties commencent à voir moins de valeur dans la coopération et s’embarquent dans des politiques de sécurité et économiques distinctes sans tenir compte l’une de l’autre, la Chine et la Russie gagnent.

Luis Simon

(Q1) 2/5

(Q2) 3/5

Les épisodes du retrait d’Afghanistan et d’AUKUS ont provoqué une hausse des appels à l’autonomie stratégique européenne. Ces deux épisodes sont néanmoins cohérents avec la décision américaine de faire de la Chine sa priorité. Cela obligera certainement les Européens à renforcer leur contribution à la sécurité en Europe et dans son voisinage, et les incitera à chercher des moyens plus efficaces d’apporter leur valeur ajoutée stratégique en Asie. Toutefois, les récents appels à l’autonomie stratégique européenne doivent être relativisés. Trop de crises de sécurité survenues au cours des trente dernières années ont été perçues comme un catalyseur d’une plus grande autonomie stratégique européenne. Parmi les exemples les plus marquants, citons les crises des Balkans, la décision d’Obama de se rééquilibrer vers l’Asie et de « mener par derrière » en Libye et surtout, la guerre d’Irak de 2003 qui est considérée par les irréductibles de l’autonomie européenne comme la genèse de tous ces catalyseurs. Tous ces événements n’ont soi-disant pas laissé d’autre choix aux Européens que de prendre les questions de sécurité en main? Toutefois, malgré certains progrès dans le domaine de l’industrie de la défense, les avancées enregistrées au cours des trente dernières années dans la politique de défense de l’UE sont restées modestes.

Le fait que la France et l’Allemagne aient des vues si radicalement différentes sur le rôle de la puissance constitue certainement un obstacle structurel. En outre, de nombreux pays d’Europe centrale et orientale considèrent le lien entre les États-Unis et l’OTAN comme la seule assurance fiable contre la menace russe, et préféreraient continuer à structurer la sécurité européenne autour de la relation transatlantique.

L’évolution des priorités américaines obligera les Européens à assumer de plus grandes responsabilités en matière de sécurité. Toutefois, les lacunes en matière de culture stratégique et de perception des menaces continuent de limiter l’autonomie de l’UE en matière de défense. Ainsi, un effort européen plus important dans le cadre de la relation transatlantique, et un rééquilibrage de la relation UE-OTAN, constituent probablement la voie la plus réaliste à suivre.

Andris Strazds

Membre du conseil de l’ECFR et professeur invité à la Stockholm School of Economics

(Q1) 1/5

(Q2) 1/5

Les relations transatlantiques avaient déjà changé bien avant le mois d’août. Les événements d’août et de septembre n’ont pas constitué un retournement de situation en tant que tel. Tout au plus ont-ils peut-être brisé des espoirs largement déraisonnables de remonter dans le temps, en 2016.  C’est la prise de conscience par certains responsables politiques européens que l’administration Biden n’est pas une sorte d' »administration Obama version 2.0″ comme ils l’avaient espéré, qui cause tant de maux de tête en Europe actuellement. Cependant, dans le domaine stratégique, la folie consiste à faire la même chose encore et encore et de s’attendre au même résultat. Pour citer directement les propos du président Biden le 31 août : « Il y a une chose essentielle à comprendre : Le monde change ». Il est grand temps que l’Europe se ressaisisse et investisse dans l’approfondissement de sa souveraineté, qu’il s’agisse de renforcer ses capacités de défense ou de développer ses propres solutions technologiques.

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Sven Biscop, Maja Bucar, Florence Gaub, Shada Islam, Juha Jokela, Ben Judah, Nicole Koenig, Elena Lazarou, Alessandro Marrone, Garima Mohan, Joseph Nye, Patrycja Sasnal, Andris Strazds, Après Kaboul, un point de bascule pour les Européens ?, Groupe d'études géopolitiques, Oct 2021,

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