Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection à l'Assemblée d'Irlande du Nord, 5 mai 2022
Issue #3
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Issue #3

Auteurs

Clare Rice

Numéro 3, Mars 2023

L’Assemblée d’Irlande du Nord

L’Assemblée d’Irlande du Nord est un organe législatif britannique qui a la compétence pour légiférer sur une série de thématiques décentralisées 1 . Depuis la signature de l’accord de Belfast en 1998 (GFA), la conception des institutions politiques en Irlande du Nord exige que les partis concluent un accord de partage du pouvoir après les élections. Cet accord est fondé sur le consociationalisme, un modèle de partage du pouvoir qui est utilisé sous différentes formes, notamment dans le cadre de la gestion de conflits ou de différends à l’international. En Irlande du Nord, ce système constitue l’héritage du conflit prolongé et violent, communément appelé « les Troubles », qui a profondément ancré la division de l’Irlande du Nord entre, d’une part, la communauté protestante/unioniste/loyaliste (PUL) et, d’autre part, la communauté catholique/nationaliste/républicaine (CNR). Bien qu’il ne fournisse qu’une description très simplifiée d’une division complexe et nuancée, le clivage ci-dessus rend compte de l’enchevêtrement de la politique constitutionnelle et de la religion dans le conflit historique, tout en mettant en lumière les bases identitaires profondes et omniprésentes sur lesquelles la division a proliféré. Le partage du pouvoir est apparu comme la seule forme de gouvernance susceptible d’emporter l’adhésion, puisqu’elle empêche une communauté de prendre l’ascendant sur l’autre, ce qui n’était pas le cas avec le système majoritaire initialement adopté après la création de l’Irlande du Nord.
Ce modèle comporte un certain nombre de caractéristiques essentielles : une coalition obligatoire de plusieurs partis au sein de l’exécutif, la représentation proportionnelle et un veto mutuel, qui existe sous la forme de la « pétition de préoccupation » (Petition of Concern). En outre, des votes intercommunautaires peuvent être organisés concernant certains sujets, notamment ceux qui nécessitent le soutien d’une majorité de représentants unionistes et nationalistes pour être adoptés. Ces éléments opérationnels repose sur l’obligation pour les membres de l’Assemblée législative (MLA) de se désigner officiellement comme « unioniste », « nationaliste » ou « autre » lors de leur élection. La taille de chaque groupe au sein de l’Assemblée est importante, notamment pour déterminer quel parti peut proposer des candidats aux postes de premier ministre et de vice-premier ministre, qui, malgré leur appellation, sont égaux et exercent une fonction commune.
Chaque groupe comprend des membres de plusieurs partis politiques, et la concurrence électorale est plus courante au sein même de ces groupes plutôt qu’entre eux — par exemple, les partis situés aux extrémités opposées de l’éventail politique de l’Irlande du Nord ne sont pas en concurrence directe les uns avec les autres pour obtenir des voix. Le centre du terrain — les « autres » partis d’identification dans ce contexte — se distinguent un peu, car les partis de ces groupes attirent des électeurs de tous les horizons. Toutefois, les structures institutionnelles donnent la priorité aux appellations « unioniste » et « nationaliste », qui sont les groupes au centre de la division de l’Irlande du Nord.
L’Assemblée a été confrontée à de nombreuses difficultés politiques et a été suspendue à plusieurs reprises. Entre 2017 et 2020, les députés ne se sont pas réunis pendant trois ans et depuis peu, elle traverse une nouvelle crise à la suite de la démission du Premier ministre en février 2022.

Contexte de l’élection de 2022

Il est nécessaire de réfléchir à certains événements clés qui ont précédé l’élection de 2022 afin de contextualiser les résultats et d’être ainsi en mesure de leur donner du sens.
Avant les élections, le parti unioniste démocratique (DUP) était le plus grand parti de l’Assemblée, et ce depuis 2003. En février 2022, le parti a mis fin aux fonctions du premier ministre de l’exécutif, donnant ainsi le ton de l’élection — cette action, les raisons qui l’ont motivée et ses conséquences sur la gouvernance ont été largement évoquées lors de la campagne électorale par tous les partis. Du fait de cette démission, les ministres n’ont pu prendre aucune décision interministérielle ou en initier de nouvelles, et seuls les projets législatifs déjà engagés au sein de l’Assemblée ont pu être poursuivis. Les institutions ont ainsi fonctionné dans l’ombre jusqu’à la dissolution de l’Assemblée avant les élections de mai.
Pour le DUP, cette décision s’inscrit dans le cadre d’une protestation contre le protocole irlandais, qui fait partie des accords conclus entre le Royaume-Uni et l’UE dans le cadre du Brexit. Depuis son entrée en vigueur début 2021, le protocole est une source de contestation en Irlande du Nord, notamment pour la communauté unioniste. La démission a été décrite par le chef du parti, Sir Jeffrey Donaldson, comme un moyen de signaler à Westminster la gravité des problématiques qui découlent de l’application du protocole et de s’assurer que les préoccupations des unionistes seraient prises en compte (Donaldson 2022). De fait, le protocole était dès le départ un élément clé de la campagne électorale du DUP.
La démission était aussi bien le résultat de pressions politiques et électorales externes qu’une tentative de faire entendre les préoccupations de la communauté unioniste, elles-mêmes sous-tendues par les réactions politiques au Protocole. La concurrence électorale pour les votes de première préférence et les transferts des unionistes, combinée à l’impact persistant des bouleversements internes de l’année précédente (Rice 2021), a contraint le parti à adopter une ligne très claire sur la question du protocole. Il a choisi de prioriser l’atténuation du transfert d’électeurs vers le parti Traditional Unionist Voice (TUV) en adoptant une approche plus dure, demandant que le protocole soit « supprimé et remplacé » (BBC 2022), contrairement à la position de l’Ulster Unionist Party (UUP) qui était plus favorable au maintien et à la réforme du protocole.
Un autre enjeu de la campagne électorale était de savoir si le DUP remporterait le plus de votes, et serait donc en mesure de proposer une nouvelle candidature au poste de Premier ministre. Les sondages successifs indiquaient que le Sinn Féin était susceptible de devenir, pour la première fois, le parti le plus important. Cette potentielle victoire revêtait une importance symbolique, l’Irlande du Nord ayant été historiquement découpée afin de rendre ce résultat improbable. Les divisions du camp unioniste étaient source d’une pression supplémentaire pour le DUP, en tant que plus grand parti unioniste ; une partie du message électoral du parti consistait précisément à se présenter comme le seul remède à l’accession au pouvoir d’un Premier ministre du Sinn Féin.
Le DUP a fait l’objet d’une grande attention au cours de la période pré-électorale, et souhaitait élargir sa base d’électeurs afin de maintenir son résultat de 2017. Cela a toujours été une tâche ardue, rendue plus difficile encore par la décision de prioriser la neutralisation des votes attendus en faveur du TUV. Cette position impliquait également qu’il ne serait pas évident pour le parti de revenir au partage du pouvoir après l’élection, étant donné les raisons pour lesquelles l’exécutif s’était effondré trois mois auparavant. Par ailleurs, les votes pour le parti seraient également considérés comme autant de signaux de soutien à une ligne dure concernant le Protocole.
Les partis nationalistes et « autres » ont opéré dans des circonstances très différentes avant les élections. Pour le Sinn Féin et le Parti social-démocrate et travailliste (SDLP), il existait un large consensus sur la nécessité d’une mise en œuvre complète du protocole après la réforme, ce qui ne constituait donc pas un point de clivage. Pour le Sinn Féin, il ne s’agissait pas d’une élection dont l’objectif était de gagner des sièges supplémentaires ; au contraire, le parti devait s’efforcer de maintenir son vote de 2017, compte tenu des pertes prévues pour le DUP. Il a mené une campagne au style plus présidentiel, mettant en avant le rôle de son futur Premier ministre, et s’est focalisé sur les questions sociales, déclarant que les aspirations constitutionnelles du parti pour la réunification de l’Irlande n’étaient pas une priorité immédiate (Young 2022). Le protocole n’était pas non plus une question essentielle pour les partis centristes. Le parti de l’Alliance, le parti des Verts et le parti « People Before Profit » ont pu capitaliser sur d’autres dynamiques, se présentant comme des alternatives à la politique traditionnellement binaire de l’Irlande du Nord et à ses défis.
Les partis nationalistes et « autres » auraient pu adoptés des stratégies similaires en faisant du protocole un sujet secondaire, mais les actions du DUP à cet égard ont façonné la manière dont les récits et les objectifs politiques des partis dans cet espace se sont articulés, ce qui a fait du protocole un sujet omniprésent.
Ces dynamiques ont rendu les résultats de l’élection difficiles à prévoir, tout en créant la potentialité d’un bouleversement de la politique contemporaine en Irlande du Nord telle qu’elle était connue jusqu’alors.

Un pas de trois : Aperçu et analyse des résultats des élections de 2022

Le taux de participation a varié dans les 18 circonscriptions 2 . Le taux de participation global était de 63,6 %, en baisse par rapport à 2017 (64,8 %), qui avait enregistré le taux de participation le plus élevé depuis la première élection de l’Assemblée, du fait des facteurs politiques à l’œuvre à l’époque (RTÉ 2017). Le taux de participation plus élevé a été principalement observé dans les circonscriptions où le Sinn Féin est arrivé en tête du scrutin, en partie pour deux raisons : premièrement, le Sinn Féin a toujours su mobiliser ses électeurs ; et deuxièmement, la perspective de devenir le plus grand parti et de pouvoir nommer le Premier ministre a incité les électeurs à se rendre aux urnes.
Le Sinn Féin est arrivé en tête du scrutin (c’est-à-dire qu’il a obtenu le plus de votes de première préférence) dans 9 circonscriptions, le DUP dans 6 et l’Alliance dans 3. Le TUV a connu la plus forte augmentation de sa part de voix (+5,1 %) tandis que le DUP a connu la plus forte baisse (-6,7 %). North Antrim est maintenant la circonscription la plus diversifiée en termes de représentation politique, avec des représentants de cinq partis différents. Cinq circonscriptions ont trois représentants ou plus venant d’un même parti, en l’occurrence le Sinn Féin. Le DUP ne détient pas plus de deux sièges dans une circonscription, mais il est le plus représenté de tous les partis, avec des députés dans 17 des 18 circonscriptions (L’Ouest de Belfast faisant exception). Le parti de l’Alliance a connu le plus grand changement dans sa représentation, gagnant des sièges dans 4 circonscriptions supplémentaires par rapport à 2017.
Cette élection n’a rien de remarquable pour le Sinn Fein qui ne voit pas de grand changement dans sa représentation. Cependant, son succès notable a été de conserver le même nombre de sièges et d’augmenter sa part de voix de première préférence de 1,1 %. En conséquence, le parti est désormais le plus important de l’Assemblée et, pour la première fois, le Premier ministre sera issu du Sinn Féin. Le parti a bénéficié d’attention due à la symbolique de sa position pendant la campagne électorale, et en se concentrant sur le maintien des sièges plutôt que d’essayer d’en augmenter le nombre (ce qui aurait pu entraîner une perte de sièges), il a suscité un moment important de l’histoire politique de l’Irlande du Nord.
Le DUP a adopté une approche prudente et a présenté 8 candidats de moins qu’en 2017. Le taux de réussite de ses candidats était le plus élevé de tous les partis (83 %), cependant, sa part des votes de première préférence a diminué de 6,7 % avec un total de 25 sièges remportés, soit une perte de trois par rapport à 2017. Les transferts des électeurs du TUV ont contribué à atténuer l’impact de la baisse des votes de première préférence, une situation favorisée par le fait que le TUV est un parti relativement peu favorable aux transferts, ce qui a contrebalancé son augmentation de 5,1 % des votes de première préférence.
Le parti de l’Alliance a connu une augmentation considérable de sa part des voix et de son nombre de sièges. Il a augmenté sa part des votes de première préférence de 4,5 % et a plus que doublé sa représentation à l’Assemblée, passant de 8 à 17 sièges. Fait crucial pour le parti, il a gagné de nouvelles régions, dont North Antrim et South Down, pour la première fois. Il a également remporté un deuxième siège à Belfast Sud, au détriment du leader du Parti vert. Le parti est plus fort dans les circonscriptions de l’est, il est donc remarquable qu’il ait augmenté sa part de voix dans les régions de l’ouest. Ses gains ont été obtenus aux dépens de plusieurs partis : le DUP, l’UUP, le Parti vert et le SDLP.

a • Participation par circonscription, 2022

Le SDLP, qui a conservé ses 12 sièges en 2017 malgré une réduction du nombre total de députés de 108 à 90, a vu une réduction de près de 3 % de ses votes de première préférence. Il s’agit d’une élection difficile pour le parti, qui a perdu 4 sièges, dont le ministre des Infrastructures en exercice à Belfast Nord, et son deuxième siège de longue date à South Down, deux sièges historiquement sûrs pour le SDLP. Pour l’UUP, le tableau est similaire – il a perdu un siège, celui d’un pilier du parti à East Antrim, et a vu sa part de voix baisser de 1,7%.
Le vote a été favorable à trois points de l’échiquier politique nord irlandais : à ses deux extrêmes, et au centre. Les partis positionnés ailleurs ont souffert en conséquence. L’UUP et le SDLP étaient les plus grands partis d’Irlande du Nord lorsque les institutions de partage du pouvoir ont été mises en place à la suite du GFA ; ils sont maintenant respectivement les 4e et 5e partis.
Sur les 18 « autres » sièges remportés lors de cette élection, le parti de l’Alliance en détient 17, et People Before Profit en détient 1. Cette progression de l’Alliance s’est faite au détriment des Verts. Bien que l’Alliance ait réussi à s’imposer comme le troisième parti lors de cette élection, le groupe désigné comme « Autre » n’est pas assez important pour rivaliser avec les groupes « Unioniste » (37 députés, dont 2 indépendants) et « Nationaliste » (35 députés) au sein de l’Assemblée.
En résumé, les résultats des élections renforcent l’existence d’une triple division de la politique nord irlandaise, chaque pilier étant dominé par un seul parti — une nouveauté par rapport à la division politique binaire qui a dominé dans l’ère suivant les Accords du Vendredi saint.

Situation post-électorale

Depuis l’élection, le DUP a renforcé sa protestation contre le protocole en boycottant l’Assemblée. Sans président en place, le corps législatif ne peut pas fonctionner et l’exécutif ne peut pas être formé. Les ministres du mandat précédent restent actuellement en poste à titre intérimaire, mais leurs pouvoirs sont limités.
La suite des événements dépend presque entièrement de facteurs extérieurs à l’Irlande du Nord. Un mouvement suffisant pour encourager le DUP à revenir à Stormont n’était pas prévu avant que Boris Johnson ne quitte ses fonctions, et son successeur, Liz Truss, a donné peu d’indications quant à un changement d’approche à cet égard. La législation controversée 3 visant à annuler certains aspects du protocole, introduite à Westminster en juin 2022 par le nouveau Premier ministre, qui était alors chargé de mener les négociations avec l’UE, a rendu la situation encore plus complexe.
La nouvelle Première ministre devra trouver un moyen de trouver un équilibre délicat entre la prise en compte des préoccupations de l’Irlande du Nord pour assurer le rétablissement du partage du pouvoir, l’apaisement des adversaires au sein de son propre parti et la recherche de solutions négociées avec l’UE concernant le protocole, afin de garantir une solution pragmatique à la situation actuelle. Ce ne sera pas une tâche facile, ce qui laisse présager une période indéfinie d’instabilité politique pour l’Irlande du Nord.

Bibliographie

BBC (2022, 3 mai). BBC Election Northern Ireland 2022: The Leaders’ Debate. BBC.
Burton, M. (2022). Northern Ireland Assembly Elections: 2022. Research Briefing. House of Commons Library. En ligne.
Donaldson, J. (2022, 3 février). Restoring Fairness. Discours. En ligne.
Rice, C. (2021, 21 juillet). DUP difficulties, governance in Northern Ireland, and the 2022 (?) election. PSA Blog. En ligne.
RTÉ (2017, 2 mars). Key issues in the Northern Ireland election campaign. RTÉ. En ligne.
Young, D. (2022, 5 avril). People are not waking up thinking about Irish unity — Michelle O’Neill. Belfast Telegraph. En ligne.

Notes

  1. Pour plus d’information : https://education.niassembly.gov.uk/post_16/snapshots_of_devolution/gfa/devolution.
  2. Voir les données complètes sur https://www.eoni.org.uk/.
  3. Northern Ireland Protocol Bill. Le protocole législatif peut être suivi ici : https://bills.parliament.uk/bills/3182.
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Clare Rice, Élection à l’Assemblée d’Irlande du Nord, 5 mai 2022, Groupe d'études géopolitiques, Oct 2022,

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