Élection parlementaire en Italie, 25 septembre 2022
Issue
Issue #3Auteurs
Carolina Plescia , Sofia MariniNuméro 3, Mars 2023
Élections en Europe : 2022
Introduction
Le 25 septembre 2022, des élections législatives anticipées ont eu lieu en Italie. Au terme d’une campagne politique plus brève que de coutume, et tournant principalement autour des relations au sein des différentes coalitions, les Italiens ont été appelés à renouveler les deux chambres du Parlement. Bien que les détails techniques du système électoral et la réduction substantielle du nombre de députés aient ajouté une légère incertitude aux résultats finaux de l’élection, l’identité du vainqueur n’a guère surpris. Comme prévu, la coalition de droite a obtenu une majorité dans les deux Chambres. Cependant, elle n’a pas obtenu la majorité des deux tiers qui lui aurait permis de modifier la Constitution sans avoir recours au référendum. Le nouveau gouvernement dirigé par Giorgia Meloni a prêté serment avec une rapidité sans précédent, moins d’un mois après les élections. Giorgia Meloni devient ainsi la première femme Première ministre du pays, et son gouvernement est probablement le plus à droite de l’histoire républicaine italienne. Néanmoins, la composition de son gouvernement s’inscrit dans une continuité avec les précédents gouvernements de droite de l’ère Berlusconi, et son atlantisme assumé a rassuré les observateurs internationaux.
Cet article commencera par présenter le contexte général des développements politiques de la dernière législature, qui ont conduit à la dissolution du Parlement et à des élections anticipées. Il soulignera ensuite les spécificités de la campagne électorale et décrira les résultats finaux, pour conclure sur la formation du gouvernement et ses implications politiques.
Le contexte
Les élections législatives qui se sont tenues en Italie en mars 2018 ont été suivies de la formation de ce qui a été considéré par la plupart des observateurs comme le “premier gouvernement entièrement populiste de l’Europe occidentale d’après-guerre” (Newell 2019 : 205). Les deux partis formant le gouvernement étaient respectivement le parti arrivé en tête aux élections de 2018 avec 34 % des voix – le Mouvement 5 étoiles (Movimento 5 Stelle, M5S) dirigé par Luigi Di Maio – et la Lega (Ligue, anciennement Ligue du Nord) de Matteo Salvini, qui s’était imposée comme la principale force politique au sein de la coalition électorale de centre-droit (avec 17 % des voix). Giuseppe Conte, un professeur de droit politiquement inconnu mais idéologiquement proche du M5S, a été nommé Premier ministre. Le gouvernement Conte I n’a toutefois duré que 14 mois. À la suite des élections au Parlement européen (PE) qui se sont tenues le 26 mai 2019, la Ligue est devenue le plus grand parti d’Italie. Quelques mois plus tard, son leader, Matteo Salvini, espérant des élections anticipées et la possibilité de devenir Premier ministre, a déclenché une crise gouvernementale qui a conduit à la démission de Conte. Cependant, au lieu d’appeler à un nouveau scrutin, le président Sergio Mattarella a donné mandat à Conte pour tenter de former un gouvernement composé du M5S, du Partito Democratico (Parti démocratique, PD) de centre-gauche et du parti de gauche Liberi e Uguali (Libres et égaux, LeU) (Giannetti et al. 2020).
Le gouvernement Conte II a duré jusqu’à ce que l’ancien Premier ministre Matteo Renzi lui retire le soutien de son parti au début de l’année 2021. À la suite de la démission de Giuseppe Conte, le mandat a été confié à Mario Draghi, ancien président de la Banque d’Italie, puis de la Banque centrale européenne (BCE), de former un exécutif large. Motivé à sa création par la nécessité d’une gestion adéquate des quelque 200 milliards d’euros du fonds de relance de l’Union européenne 1 , le gouvernement Draghi reçoit les votes de confiance confirmatifs de tous les partis représentés au Parlement, à l’exception de Fratelli d’Italia (Frères d’Italie, FdI) de Giorgia Meloni et d’une frange du M5S. Le gouvernement Draghi entrerait dans la catégorie des “gouvernements partisans dirigés par des technocrates”, car il comprenait huit ministres technocrates et quinze ministres partisans (Garzia et Karremans 2021). Parmi les investisseurs, et même au-delà, nombreux étaient ceux qui espéraient que l’homme crédité d’avoir sauvé l’euro lors de la crise de la dette souveraine de 2012 pourrait être le fer de lance des réformes à venir – des réformes qui stimuleraient la croissance et relanceraient un pays dont les performances furent longtemps en-deçà de ceux de ses pairs européens, créant une pression sur l’ensemble de la zone euro. Cependant, un peu plus d’un an plus tard, le gouvernement Draghi a subi une crise politique irréversible, déclenchée initialement par le M5S mais ensuite aggravée par les relations tendues entre les membres d’une coalition gouvernementale disparate et conflictuelle. Après la chute du gouvernement, qui a conduit à une impasse parlementaire, le président Sergio Mattarella a dissous le parlement le 21 juillet et a convoqué de nouvelles élections.
La campagne électorale
La campagne électorale a été caractérisée par trois aspects principaux. Tout d’abord, c’était la première en Italie depuis la Seconde Guerre mondiale à se dérouler pendant l’été. Le mois d’août, qui est sans doute le mois le plus chaud de l’année en Italie, est généralement consacré aux vacances, et peu propice à la réflexion politique au sein de la population. Sachant cela, les partis politiques n’ont commencé à faire réellement campagne pour les élections qu’au début du mois de septembre, ce qui en fait, sans doute, l’une des campagnes électorales les plus courtes et les moins mouvementées de l’histoire républicaine de l’Italie. De plus, le calendrier était relativement serré, avec un peu plus de deux mois pour mener la campagne politique et un mois seulement pour finaliser les choix des coalitions (et recueillir des signatures pour permettre à de nouveaux partis de se présenter aux élections). Les listes complètes devaient en effet être présentées avant la fin du mois d’août. Cette situation a conduit à une mobilisation relativement limitée des électorats, doublée d’une cimentation de l’utilisation des outils et des plateformes numériques par les leaders politiques, en particulier à droite.
Le deuxième aspect majeur a été la fragmentation relativement faible du système politique italien, habituellement très fragmenté. Cela est principalement dû à l’effet de la loi électorale qui pénalise les petits partis isolés. La loi électorale, communément appelée Rosatellum du nom de son auteur 2 , prend la forme d’un système électoral mixte dans lequel, pour les deux chambres, 37% des sièges sont attribués par un système majoritaire à un tour dans autant de circonscriptions uninominales et 61% des sièges sont répartis proportionnellement entre les coalitions et les listes individuelles (fermées) qui ont franchi les seuils requis au niveau national 3 . En outre, le voix disjoint n’est pas autorisé : les électeurs doivent choisir le candidat pour la circonscription uninominale associé à la liste proportionnelle pour laquelle ils ont voté. La loi électorale exige que chaque liste présente son propre programme et déclare sa tête de liste ainsi que, le cas échéant, l’affiliation à une ou plusieurs listes afin de créer des coalitions : l’existence d’une coalition, unique au niveau national, oblige les listes coalisées à ne présenter qu’un seul candidat dans chaque circonscription uninominale. L’affiliation partisane des candidats dans les circonscriptions uninominales et, plus largement, la formation de coalitions préélectorales ont ainsi dominé la campagne électorale.
Alors qu’à droite, la formation de la coalition a été plutôt simple avec les Frères d’Italie (FdI) de Giorgia Meloni, la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, à gauche, la route était plus cahoteuse. Il y a d’abord eu des spéculations sur la possibilité d’une alliance du Parti démocrate (PD) avec le M5S, mais elles n’ont pas duré longtemps en raison des relations tendues entre le leader du PD Enrico Letta et le leader du M5S Giuseppe Conte. Au lieu de cela, Letta a signalé son intention de former une coalition avec Carlo Calenda et son parti libéral modéré Azione (Action), qui enregistrait environ 4 % des intentions de vote à l’époque. Cependant, les incompatibilités de leadership ainsi que l’ouverture de Calenda au parti de Matteo Renzi, Italia Viva, ont rendu impossible la coalition entre les trois forces de centre-gauche. Finalement, le PD s’est présenté avec trois petits partis de gauche, qui ont tous obtenu un score d’environ 1 à 2 % (Plus d’Europe, +E, Engagement civique, IC, et l’Alliance des Verts et de la Gauche, AVS), tandis que Calenda et Renzi se sont présentés ensemble au sein d’une force politique connue sous le nom de Terzo Polo ou Troisième Pôle.
Le troisième aspect majeur de la campagne électorale a été l’importance relativement faible donnée aux sujets politiques proprement dits par rapport à la question des coalitions préélectorales. Giorgia Meloni, largement considérée comme le vainqueur probable de l’élection, a été en mesure de mettre à l’ordre du jour de la campagne les thèmes de prédilection de son parti : la pauvreté, les bas salaires et l’ordre public – en lien avec la problématique de l’immigration illégale. Les autres partis, et le PD en particulier, ont tenté sans succès de mettre l’accent sur des questions qui auraient pu affaiblir Meloni, comme l’intégration européenne et l’avortement. En fait, alors que ces deux sujets n’étaient pas prioritaires pour de nombreux Italiens, les positions de Meloni étaient clairement en désaccord avec celles de la majorité de la population dans ces domaines – cette dernière étant beaucoup plus progressiste sur ces questions. Meloni a cependant réussi à changer rapidement le rapport de forces sur ces sujets, diffusant ses positions et réduisant l’attention qui y était consacrée. Les sondages ont été remarquablement stables pendant la courte campagne électorale. Ils ont clairement montré que FdI allait remporter les élections et que la coalition de droite allait obtenir une majorité parlementaire nette. Dans ce contexte, la campagne a surtout porté sur des scénarios post-électoraux.
Les résultats
La participation électorale a atteint un niveau historiquement bas (63,8 %), avec un taux de participation de 30 % dans certaines régions du sud du pays. Ce résultat est assez remarquable car l’Italie a enregistré un taux de participation relativement élevé par rapport à la plupart des pays avancés – mais ce n’est peut-être pas surprenant compte tenu de la campagne électorale relativement courte et sans incident, comme nous l’avons vu plus haut. Il s’agit tout de même du plus grand changement de participation dans l’Italie républicaine, avec une baisse de 9 points de pourcentage par rapport à l’élection de 2018 (Garzia 2022). Le vainqueur clair et incontesté de l’élection a été le parti de Meloni, les FdI, avec 26 % des voix et un changement de 21,6 points de pourcentage par rapport à l’élection générale précédente de 2018 (voir la figure ci-dessous). Tous les autres partis ont clairement été les perdants de l’élection, puisqu’ils ont reçu moins de voix que ce que les sondages avaient prédit et beaucoup moins que ce qu’ils avaient reçu en 2018. Cependant, aucun dirigeant n’a reconnu sa défaite, à l’exception du chef du Parti démocratique, Enrico Letta, qui a obtenu 19,1 % des voix, soit presque autant qu’en 2018. La Ligue de Matteo Salvini a obtenu 8,8 % des voix, soit plus de 8,5 points de pourcentage de moins qu’en 2018 ; le M5S a obtenu 15,4 % des voix, soit environ 17,3 points de pourcentage de moins qu’en 2018 et Forza Italia de Berlusconi a obtenu 8,1 % des voix, soit une baisse d’environ 5,9 points de pourcentage par rapport à 2018. Le Troisième Pôle (Azione–Italia Viva) a obtenu 7,8 % des voix, ce qui est un résultat relativement bon pour une nouvelle formation politique.
Comme en 2018, les résultats des élections ont à nouveau montré que l’Italie est divisée entre Nord et Sud, mais avec une nette différenciation : si le M5S est à nouveau le grand vainqueur dans le Sud du pays, il a remporté en 2022 beaucoup moins de circonscriptions qu’en 2018, les FdI étant les grands vainqueurs du scrutin presque partout ailleurs (voir les cartes ci-dessous ; cf. Garzia 2022). Le PD n’est resté le plus grand parti que dans certains de ses bastions historique de la “zone rouge“ d’Italie centrale. Il est clair que tous les partis au pouvoir ont subi des pertes et ont été punis par les électeurs. En fait, et bien que les enquêtes postélectorales ne soient pas encore disponibles, il est plausible, au niveau global, que le FdI ait attiré des électeurs non seulement de la droite radicale, mais aussi de tout le spectre idéologique. En ce qui concerne la répartition des sièges, il est intéressant de noter sur la dernière figure que si les élections ont été disputées par trois coalitions principales, le parlement qui en résulte est plutôt fragmenté en raison de la fragmentation interne de ces mêmes coalitions. Il faut noter que le référendum organisé en Italie en septembre 2020 avait vu la réduction significative du nombre de députés à la chambre basse (de 630 à 400) et à la chambre haute (de 315 à 200). Il est donc devenu plus difficile pour les partis d’anticiper les effets distorsifs du système électoral, notamment lors de la constitution des listes.
Conclusions
Compte tenu de la formation de la coalition préélectorale et de la majorité des sièges dont dispose la coalition de centre-droit, la constitution du gouvernement a été l’une des plus rapides de l’histoire électorale italienne récente. Le 21 octobre, Giorgia Meloni a été nommée première femme Première ministre d’Italie à la tête d’un gouvernement de droite. En outre, étant donné le soutien beaucoup plus fort reçu par les FdI par rapport à ses partenaires de coalition (Ligue et FI), la nouvelle Première ministre, Giorgia Meloni, a pu imposer ses choix dans l’attribution des postes ministériels. Les FdI ont obtenu 9 ministères et 4 vice-ministères, tandis que la Ligue et FI en ont obtenu 5 chacun, les 5 porte-feuilles restants allant à des indépendants. Symboliquement, Matteo Salvini (Ligue) et Antonio Tajani (FI) ont été nommés vice-présidents du Conseil des ministres. Alors que plusieurs ministères clés comme l’Intérieur sont allés à des non-membres du parti, les FdI conservent des ministères-clés comme la Défense, la Justice et les affaires européennes. Dans l’ensemble, plusieurs ministres du cabinet Meloni sont des noms connus de longue date dans la politique italienne, avec une expérience dans les précédents gouvernements Berlusconi – un choix qui souligne la continuité au sein de la coalition de droite et qui vise probablement à rassurer les observateurs internationaux sur le fait que, malgré son passé post-fasciste, elle ne poursuivre a pas une politique radicale.
Toutefois, si l’on considère spécifiquement certaines propositions politiques, l’impact pratique du nouveau gouvernement sur les droits civils, politiques et sociaux (en bref, certains aspects de la qualité de la démocratie italienne) pourrait être important. Meloni soutient une réforme constitutionnelle qui, en permettant l’élection directe du président de la République, pourrait faire passer l’Italie d’une république parlementaire à une république présidentielle. En ce qui concerne l’économie, le gouvernement a proposé une nouvelle réforme des retraites (“Quota 41”), une flat tax et un relèvement du plafond d’utilisation de l’argent liquide – des dispositions qui pourraient accroître encore la dette publique et encourager l’évasion fiscale. En ce qui concerne les questions culturelles et identitaires, l’agenda tourne principalement autour de la restriction de l’immigration (en empêchant les navires des ONG de débarquer des migrants dans les ports italiens) et de la sauvegarde des valeurs familiales traditionnelles (en s’opposant fermement aux communautés LGBTQ+ et en limitant les droits reproductifs). Sur la scène internationale, à l’inverse, Meloni a mis en avant des positions atlantistes et atténué son ancien euroscepticisme, en essayant d’apparaître comme une interlocutrice légitime et plutôt modérée. Dans l’ensemble, cependant, l’impact du nouveau gouvernement dépendra de la stabilité de la coalition elle-même, qui repose sur un délicat équilibre des pouvoirs.
Références
Garzia, D. (2022). The Italian parliamentary election of 2022: the populist radical right takes charge. West European Politics, 1-11.
Garzia, D., & Karremans, J. (2021). Super Mario 2: comparing the technocrat-led Monti and Draghi governments in Italy. Contemporary Italian Politics, 13(1), 105-115.
Giannetti, D., Pinto, L., & Plescia, C. (2020). The first Conte government: ‘government of change’ or business as usual?. Contemporary Italian Politics, 12(2), 182-199.
Newell, J. L. (2019). Italian politics: The ‘yellow-green’ government one year on. Contemporary Italian Politics, 11(3), 205-207.
Notes
- L’Italie est l’un des principaux bénéficiaires des fonds alloués par la Facilité pour la reprise et la résilience de l’Union européenne, visant à soutenir les États membres les plus touchés par la pandémie de coronavirus. La Commission européenne a approuvé le plan de redressement et de résilience de l’Italie en juillet 2021, mettant à disposition du pays 191,5 milliards d’euros (correspondant à 10 % du budget total). Meloni a cependant affirmé à plusieurs reprises qu’elle voulait renégocier l’accord.
- Ettore Rosato, du PD, a rédigé la loi en 2017.
- Pour les listes uniques, le seuil électoral est de 3% des voix obtenues au niveau national ou de 20% des voix obtenues au niveau régional valables uniquement au Sénat. Pour les coalitions, le seuil électoral est de 10 % des voix obtenues au niveau national, à condition qu’elles comprennent au moins une liste ayant franchi l’un des autres seuils. Les 2% de sièges restants sont attribués sur la base des votes des Italiens vivant à l’étranger.
citer l'article
Carolina Plescia, Sofia Marini, Élection parlementaire en Italie, 25 septembre 2022, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2023, 109-113.