Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection présidentielle en Autriche, 9 octobre 2022
Issue #3
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Issue #3

Auteurs

Christina Walcherberger , Julia Partheymüller , Sylvia Kritzinger

Numéro 3, Mars 2023

Le 9 octobre 2022, Alexander Van der Bellen a été réélu à la présidence de l’Autriche pour un second et dernier mandat. Dans la suite de cet article, nous décrirons le rôle institutionnel du président autrichien, certains aspects historiques, et enfin les élections de 2016 et 2022, qui sont étroitement liées. 

Rôle institutionnel du président autrichien 

L’Autriche peut être classée dans la catégorie des systèmes semi-présidentiels car « […] tous les actes du président fédéral, sauf disposition contraire de la Constitution, [doivent] être pris sur proposition du gouvernement fédéral ou du ministre fédéral autorisé par celui-ci [… et] nécessitent […] la contre-signature du chancelier fédéral ou des ministres fédéraux compétents ». Suivant la définition présentée par Elgie et al. (2011), le semi-présidentialisme est défini comme un système politique dans lequel la constitution d’un pays prévoit à la fois un président élu au suffrage direct comme chef d’État et un premier ministre et un cabinet qui sont collectivement responsables devant le corps législatif. Comme cette définition ne dépend pas des compétences accordées au président par la Constitution, elle rend l’identification des régimes semi-présidentiels relativement aisée, car il n’est pas nécessaire de déterminer si un président est suffisamment puissant pour qu’un pays soit classé comme semi-présidentiel. 

Dans le cas de l’Autriche, le président dispose de facto d’un pouvoir décisionnel très limité, tout en étant de jure doté de droits et d’obligations multiples. Les principales compétences du président autrichien sont la nomination et la dissolution du gouvernement, la dissolution du Conseil national et la représentation extérieure de la République. En outre, le président est le commandant en chef des forces armées, est responsable de la certification de l’entrée en vigueur constitutionnelle des lois fédérales, peut prendre des décrets d’urgence, dispose du droit de grâce, et « représente la République dans son ensemble ». Par le biais de ces activités, il est également possible au président d’imposer un ton et de signaler son approbation ou sa désapprobation. Si, depuis 1929, la présidence fédérale autrichienne peut être considérée comme une institution politique forte, elle ne joue néanmoins qu’un rôle relativement passif dans la politique quotidienne, car elle ne peut agir que sur proposition du gouvernement. Les raisons de cette « faible » composante présidentielle sont (1) l’historique de la fonction, marqué par une certaine retenue, (2) le rôle relativement fort des partis politiques en Autriche et (3) le manque des ressources bureaucratiques nécessaires à l’exercice d’une plus grande influence. Ainsi, les présidents autrichiens se sont jusqu’à présent perçus, et ont agi, comme une autorité de réserve

Les élections présidentielles autrichiennes depuis 1949 

Ce n’est que depuis 1951 que le président autrichien est élu au suffrage universel. Les présidents autrichiens sont élus pour un mandat de six ans. L’exercice de la fonction présidentielle est limité à deux mandats consécutifs. La règle électorale prévoit une procédure à deux tours : un candidat est élu président s’il obtient 50 % des voix plus une ; si aucun candidat n’obtient ce résultat au premier tour, un second tour est organisé, auquel seuls les deux premiers candidats du premier tour sont autorisés à se présenter. Un résultat de 50 % plus une voix est ainsi garanti. 

Les anciens présidents autrichiens étaient généralement assez âgés – l’âge médian lors de la première élection est de 66 ans – et, jusqu’à présent, ils étaient exclusivement des hommes. Souvent, les candidats à la présidence n’étaient pas les principaux représentants d’un parti, mais presque tous avaient auparavant occupé des postes politiques importants, par exemple la présidence du Conseil national ou un ministère. L’élection présidentielle est avant tout une élection personnelle. 

De 1945 à 1974, tous les présidents autrichiens étaient issus du parti social-démocrate (SPÖ) (Karl Renner, Theodor Körner, Adolf Schärf et Franz Jonas). Rudolf Kirchschläger, qui n’était officiellement affilié à aucun parti mais était désigné par le SPÖ, a été président de 1974 à 1986, tandis que de 1986 à 1992, Kurt Waldheim – désigné par le Parti populaire autrichien (ÖVP) mais également sans affiliation partisane – a occupé le poste. La candidature de Waldheim à la présidence fut extrêmement controversée car, pendant la campagne électorale, il fut révélé qu’il avait été membre des SA sous le régime nazi et qu’il avait participé à une mission de guerre dans les Balkans pendant la Seconde Guerre mondiale. Pendant sa présidence, il est ainsi resté relativement isolé en matière de politique étrangère. Il a été remplacé, de 1992 à 2004, par un candidat de l’ÖVP, Thomas Klestil, lui-même remplacé par le membre du SPÖ Heinz Fischer de 2004 à 2016. 

En 2016, pour la première fois sous la Seconde République autrichienne, l’élection présidentielle a été remportée par un candidat non désigné par les partis dominants SPÖ ou ÖVP : Alexander Van der Bellen était membre de longue date des Verts, parti qu’il avait dirigé pendant de nombreuses années. Alexander Van der Bellen s’est officiellement présenté en tant que candidat indépendant mais a été fortement soutenu par son parti. Il est devenu président après une campagne électorale particulièrement longue, marquée par de nombreux événements inédits dans l’histoire politique autrichienne. 

Lors de l’élection présidentielle de 2016, six candidats se sont présentés à la présidence. Au premier tour, les candidats du SPÖ et de l’ÖVP n’ont obtenu respectivement que 11,28 et 11,12 % des voix. La candidate indépendante Irmgard Griss, soutenue par le parti NEOS et ancienne présidente de la Cour suprême, est arrivée en troisième position avec près de 19 % des voix. Le futur président Van der Bellen a obtenu 21,34 % des voix au premier tour de l’élection, tandis que Norbert Hofer, qui se présentait pour le FPÖ (Parti autrichien de la Liberté, droite radicale populiste), a obtenu 35,05 % des voix – les deux candidats, occupant des positions idéologiques très différentes sur l’échiquier politique, ont ainsi été qualifiés pour le second tour. Après le dépouillement des votes du second tour, le 22 mai 2016, Van der Bellen a été proclamé vainqueur avec une marge très étroite : Il a obtenu 50,35 % des voix, Hofer 49,65 % (voir la figure a). 

a • Parti vainqueur par commune lors de l’élection présidentielle de 2016 (1er tour)

Cependant, le FPÖ a contesté le résultat de l’élection, estimant que les votes n’avaient pas été comptés correctement. La procédure devant la Cour constitutionnelle a révélé que le principe constitutionnel du scrutin secret et les dispositions de la loi fédérale sur l’élection présidentielle avaient été violés dans 14 circonscriptions autrichiennes lors du dépouillement des bulletins de vote par correspondance. Environ 77 000 voix ont été affectées par les procédures de dépouillement non conformes, alors que la différence de voix entre les deux candidats ne s’élevait qu’à environ 30 000 voix. En conséquence, le résultat du second tour a été annulé par la Cour constitutionnelle le 1er juillet 2016, et le second tour de l’élection présidentielle a donc dû être répété. Le nouveau second tour a eu lieu le 4 décembre 2016. À cette occasion, le registre électoral a été mis à jour, conduisant à l’inscription de plus de 42 000 électeurs supplémentaires sur les listes. Lors du scrutin, Alexander Van der Bellen a pu obtenir le soutien, non seulement des partis de centre-gauche, mais aussi du centre-droit, et a finalement remporté l’élection avec 53,8 % des voix. L’importance de cette élection présidentielle particulière s’est reflétée dans le taux de participation : 74,2 % des électeurs éligibles ont participé à la répétition du second tour des élections, contre 68,5 % au premier tour et 72,2 % au premier second tour en mai. 

La préparation de l’élection présidentielle de 2022 

La période précédant l’élection présidentielle de 2022 a été marquée par des circonstances particulières et plusieurs nouveautés. Alors que la présence de sept concurrents au premier tour constituait un record, aucune femme ne figurait parmi ceux-ci – une première depuis 1980. Le grand nombre de candidats était également exceptionnel dans la mesure où les partis traditionnels, ÖVP et SPÖ, n’avaient désigné aucun candidat, soutenant comme en 2016 le sortant Van der Bellen aux côtés des Verts. Le parti libéral NEOS n’avait quant à lui désigné ni soutenu aucun des participants. Van der Bellen a gardé un profil relativement bas pendant la campagne électorale et n’a annoncé que tardivement qu’il se représenterait à la présidence. Le seul parti parlementaire à avoir désigné son propre candidat était le FPÖ. Il s’est lancé dans la course électorale avec Walter Rosenkranz, membre de longue date du FPÖ. 

Tous les autres candidats étaient soit membres de très petits partis marginaux non représentés au Parlement, soit des « personnalités » indépendantes. Dominik Wlazny (également connu sous le nom de Marco Pogo) était le candidat du Parti de la Bière, parti satirique qu’il avait fondé en 2015. Le Parti de la Bière avait jusqu’à présent limité ses activités à la ville de Vienne, où il avait remporté plusieurs sièges dans onze conseils municipaux lors des élections régionales et municipales de 2020. Michael Brunner, membre du parti anti-vax nouvellement fondé Menschen – Freiheit – Grundrechte (MFG – Peuple, liberté, droits fondamentaux) s’est également présenté comme candidat à la présidence. Pendant la campagne électorale, Brunner, avocat de profession, a attiré l’attention principalement par ses déclarations anti-vaccins et antiscientifiques.

Trois autres candidats se sont présentés en tant qu’indépendants : (a) Tassilo Wallentin, un chroniqueur conservateur du plus grand tabloïd autrichien Kronenzeitung ; (b) Gerald Grosz, un ancien politicien du FPÖ et du Bündnis Zukunft Österreich (BZÖ – un parti fondé par Jörg Haider en 2005 et depuis dissous), désormais actif en tant que blogueur, connu pour ses vidéos TikTok et pour avoir été le premier candidat à la présidence ouvertement homosexuel ; et (c) Heinrich Staudinger, un entrepreneur et fabricant de chaussures qui s’était fait connaître du public pour son conflit avec l’autorité autrichienne de régulation des marchés financiers au sujet d’une affaire de crowdfunding. Pendant la campagne électorale, il a attiré l’attention par des déclarations douteuses, suggérant notamment que la CIA était derrière le mouvement MeToo

Alors que le nombre de candidats à la présidence était très élevé, l’élection n’a pas suscité un grand intérêt de la part du public. L’attention s’est principalement concentrée sur le président sortant Van der Bellen et, dans une moindre mesure, sur le candidat du FPÖ Rosenkranz, les autres candidats étant plutôt sous-représentés – probablement en raison du fait qu’aucun grand parti ne les soutenait. En ce qui concerne le contenu de la campagne, les revendications habituelles ont surgi, l’une d’entre elles appelant à un président plus « actif », notamment vis-à-vis du gouvernement. Comme indiqué auparavant, la constitution autrichienne permettrait un rôle plus actif, mais les titulaires n’ont pas fait usage de ces dispositions jusqu’à présent. Par ailleurs, le président sortant Van der Bellen a été critiqué, notamment par ses rivaux, pour ne pas avoir participé aux débats télévisés avec les autres candidats. Pourtant, il est courant en Autriche que les présidents sortants ne participent pas aux débats télévisés. 

Les résultats de l’élection de 2022 

Après une campagne électorale plutôt courte et peu animée, l’élection a eu lieu le 9 octobre 2016. Le président sortant Alexander Van der Bellen a pu conserver son poste, obtenant 56,7 % des voix au premier tour. Walter Rosenkranz (FPÖ) est arrivé en deuxième position avec 17,7 %. Tassilo Wallentin et Dominik Wlazny ont tous deux obtenu un peu plus de 8 %. Si l’ancien politicien Gerald Grosz a réussi à obtenir 5,6 %, Michael Brunner du parti MFG et Heinrich Staudinger n’ont obtenu que 2,1 et 1,6 %, respectivement (voir encart « les données »). Le taux de participation a été de 65,2 % – en nette baisse depuis la dernière élection présidentielle – ce qui reflète bien le fait que l’élection présidentielle de 2022 n’a pas connu la même dynamique partisane qu’en 2016. 

Si les résultats de 2022 témoignent de la popularité de Van der Bellen, il convient de souligner certaines particularités régionales. Ainsi, dans certaines circonscriptions de Carinthie, dans le sud de l’Autriche, le candidat du FPÖ Rosenkranz a obtenu de meilleurs résultats que le président (voir encart « les données »). Ceci ne signifie pas que le succès électoral de Van der Bellen était menacé, mais plutôt qu’une certaine polarisation idéologique peut être observée à travers le pays. 

Si l’on compare les résultats de 2022 avec ceux du premier tour de 2016 (figure a), on peut avoir l’impression que le paysage politique a changé de manière assez importante. La raison principale en est toutefois que les partis traditionnels se sont unis et ont soutenu le sortant en 2022, alors qu’ils avaient leurs propres candidats concurrents en 2016, de sorte que le vote s’était réparti entre plusieurs candidats, à l’avantage de Nobert Hofer. 

Les conséquences de l’élection 

L’élection présidentielle de 2022 a été moins dramatique que celle de 2016. Hormis la nature différente des candidats et la moindre importance des conflits partisans, la campagne électorale a été peu animée et a suscité peu de passions. Cela peut sembler surprenant au vu des pouvoirs étendus (de jure) du chef de l’État. Les présidents n’ont toutefois jamais fait grand usage de leurs pouvoirs jusqu’à présent, s’en tenant principalement à une interprétation symbolique de leur fonction. En fin de compte, l’élection de 2022 s’est déroulée « comme d’habitude », puisque la plupart des présidents autrichiens de la deuxième République ont été réélus pour un second mandat. La question de savoir si un rôle plus actif du président est souhaitable nécessiterait une discussion plus intensive que celle qui a eu lieu pendant la campagne de 2022.  Peut-être cette discussion pourra-t-elle être menée avant la prochaine élection présidentielle prévue pour 2028. 

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Christina Walcherberger, Julia Partheymüller, Sylvia Kritzinger, Élection présidentielle en Autriche, 9 octobre 2022, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2023, 131-134.

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