Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection présidentielle en Slovénie, 23 octobre 2022
Issue #3
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Issue #3

Auteurs

Meta Novak , Damjan Lajh

Numéro 3, Mars 2023

Introduction

Bien que la Slovénie possède un système politique parlementaire, le président de la République y est élu au suffrage universel direct. Les élections présidentielles sont toutefois considérées comme moins importantes que les élections législatives, notamment du fait des fonctions et responsabilités limitées que la Constitution confère au chef de l’État. Dans la pratique, le rôle du président est principalement représentatif ; il est également commandant en chef des forces de défense. Les autres pouvoirs du Président de la République comprennent l’annonce des élections parlementaires, la promulgation des lois après leur adoption, la nomination et le rappel des ambassadeurs, la délivrance des instruments de ratification, le droit de grâce, l’attribution de titres honorifiques, l’expression d’une opinion sur une question individuelle à la demande de l’Assemblée nationale, la proposition d’un candidat au poste de Premier ministre, la nomination des juges de la Cour constitutionnelle et l’exercice d’autres fonctions déterminées par la Constitution (article 107 de la Constitution). Au vu de ses fonction et pouvoirs du Président de la République, son rôle est souvent considéré comme étant essentiellement protocolaire (e-uprava, n.d.).

Le Président de la République peut exercer au maximum deux mandats consécutifs, la durée de chaque mandat étant de cinq ans. Les élections à la présidence de la République sont annoncées par le président de l’Assemblée nationale.

La moindre importance des élections présidentielles aux yeux des électeurs se manifeste dans le taux de participation à ces élections. Bien que la participation électorale ait tendance à baisser pour tous les types d’élections, le taux de participation aux élections présidentielles est généralement inférieur à celui des élections parlementaires nationales. Lors des premières élections présidentielles en 1992, le taux de participation était très élevé, à près de 86%. Aux élections de 1997 et de 2002, il était encore d’environ 70 %. En 2007, il est tombé en dessous de 60 %, puis en dessous de 50 % aux élections de 2012. En 2022, lorsqu’il est apparu clairement que les électeurs allaient élire un nouveau président car le président actuel, Borut Pahor, effectuait déjà son second mandat, le taux de participation a augmenté à un peu plus de 50 %. Le scrutin de cette année a été le seul à se dérouler la même année qu’une élection parlementaire, ce qui a pu générer un climat politique plus actif et inciter à une plus forte participation.

L’élection présidentielle se déroule en deux tours. Si aucun des candidats ne recueille plus de 50 % des votes valides au premier tour, un second tour est organisé entre les deux candidats qui ont recueilli le plus grand nombre de voix. Pour cette raison, le vainqueur de l’élection n’est généralement pas le candidat qui a recueilli le plus de voix au premier tour, mais plutôt le candidat qui était le plus acceptable pour les électeurs qui avaient initialement donné leur voix à un candidat ne figurant pas parmi les deux premiers candidats. Seul le premier président de la Slovénie, Milan Kučan, a été élu au premier tour lors de ses deux mandats. Il a pu recueillir plus de 50 % des voix malgré le nombre d’autres candidats en lice.

Les électeurs slovènes ont généralement le choix entre une option de centre-droit et une option de centre-gauche, le centre-gauche possédant une léger avantage au sein de l’électorat. Le principal clivage en Slovénie peut être qualifié de traditionnel-moderne ou de libertaire-autoritaire. Le clivage communisme-anticommunisme, étroitement lié à l’évolution de la situation pendant la Seconde Guerre mondiale, recoupe largement le clivage libertaire-autoritaire (Krašovec et Novak, 2021). Selon les données des enquêtes d’opinion, une part plus importante des électeurs slovènes se positionne à gauche du spectre politique. Ainsi, en 2021, 29,1 % des personnes interrogées se plaçaient à gauche, 24 % au centre et 22,6 % à droite (Hafner-Fink, Broder et Doušak, 2020). Un soutien plus élevé aux partis de centre-gauche et de gauche ressort également des résultats des élections de 2022, où les partis politiques de gauche entrés au parlement ont rassemblé 45,6 % des voix (Novak et Lajh, 2022).

L’élection présidentielle de 2022 était spécifique à trois égards : pour la première fois, une femme présidente a été élue ; le candidat de droite a recueilli un nombre de voix historiquement élevé ; le candidat vainqueur a fait campagne électorale en tant qu’indépendant et n’était soutenu (au premier tour) par aucun parti politique. Dans la suite de cette article, nous examinons les résultats du scrutin, en nous concentrant sur les candidats et leurs performances lors des élections.

Résultats

Premier tour

Alors qu’aux élections parlementaires, il est assez courant que les électeurs aient recours au vote stratégique en soutenant le parti qu’ils jugent le plus susceptible de gagner et de former le gouvernement – ce fut le cas, notamment lors des élections parlementaires de 2022 en Slovénie (Novak et Lajh, 2022) -, en raison du système à deux tours des élections présidentielles, les électeurs soutiennent généralement au premier tour le candidat qu’ils préfèrent, même s’il ne recueillera pas suffisamment de voix pour accéder au second tour. Au second tour, les électeurs décident alors de soutenir leur meilleure, ou moins mauvaise, option. Les votes du premier tour sont donc susceptibles d’être dispersés entre de nombreux candidats.

Lors du premier tour de l’élection présidentielle, qui s’est tenu le 23 octobre 2022, sept candidats étaient en lice. Aucun des candidats n’a recueilli plus de 50 % des voix, et un second tour a donc dû être organisé. Les candidats étaient différents de ceux qui concouraient lors de l’élection de 2017, où sept candidats étaient également en lice. Seuls trois partis politiques – le Parti démocratique slovène (SDS), Nouvelle Slovénie – Démocratie chrétienne (NSi) et les Démocrates slovènes (SD) – ont présenté des candidats aux deux élections.

Au premier tour, Anže Logar a obtenu le plus grand pourcentage de voix – 33,96%. Logar a été membre de l’Assemblée nationale et, bien qu’il soit un membre très visible du parti SDS (et même le président de sa commission du programme), il s’est présenté aux élections en tant que candidat indépendant avec le soutien de 5000 signatures de citoyens. Au premier tour, Logar l’a emporté dans une majorité de municipalités, obtenant des résultats particulièrement élevés dans les zones rurales. Ce résultat signifie également que le SDS en tant que parti a obtenu de meilleurs résultats que lors de l’élection présidentielle précédente de 2017, où il avait obtenu 13,68% des voix, et même que lors de l’élection parlementaire qui s’est tenue plus tôt en 2022, où il a obtenu 23,48% des voix (DVK, 2022). L’une des principales raisons pour lesquelles Logar s’est présenté en tant que candidat indépendant est qu’il souhaitait également attirer les électeurs qui se positionnent contre le parti SDS et, plus particulièrement, contre son leader controversé, Janez Janša. Lors des débats préélectoraux, son statut de candidat de parti plutôt que de candidat indépendant a été contesté. Malgré les doutes généralisés sur l’indépendance de sa candidature, cette ambiguïté a probablement contribué à son succès.

Nataša Pirc Musar, ancienne journaliste, commissaire à l’information et, au moment de sa nomination, avocate dans son cabinet privé, était la deuxième protagoniste de ce scrutin. Avec son mari, Pirc Musar possède plusieurs entreprises. Elle s’est présentée comme candidate indépendante, tout en recevant le soutien des deux anciens présidents, Milan Kučan et Danilo Türk. Elle a pu obtenir la deuxième plus grande part des votes (26,87 %), obtenant ses meilleurs résultats dans les zones urbaines de Ljubljana, Maribor, Koper et Murska Sobota, ainsi que dans les municipalités environnantes. Pendant la campagne électorale, Pirc Musar a été intérogée concernant le patrimoine qu’elle détient avec son mari, mais aussi concernant ses déclarations fiscales (Vrkapić et Božič, 2022). Elle a nié toutes les allégations et est même parvenue les surmonter, une performance remarquable dans la mesure où les questions de propriété ont été importantes pour les électeurs slovènes dans le passé. Au second tour de l’élection, sa candidature a été immédiatement soutenue par Robert Golob, président Mouvement pour la liberté (GS) (STA, 2022), ainsi que par le SD (Dnevnik, 2022), l’assurant ainsi de l’appui des deux plus grands partis de la coalition à l’Assemblée nationale.

Milan Brglez, membre du Parlement européen, ancien président de l’Assemblée nationale et professeur d’université, était le candidat officiel des partis SD et GS au premier tour de l’élection. Initialement, il était candidat du parti SD, mais a reçu le soutien du GS lorsque Marta Kos, ancienne vice-présidente du GS, a décidé de ne pas se présenter pour des raisons personnelles. Les 15,41 % des voix que Brglez a obtenus ont constitué, aux yeux de beaucoup, une défaite du parti vainqueur de l’élection parlementaire et, par la même occasion, de l’ensemble de la coalition. Par rapport à l’élection présidentielle de 2017, le SD a obtenu de moins bons résultats – Borut Pahor, le président slovène lors des deux précédents mandats de 2012 à 2022, était membre du SD.

Vladimir Prebilič, un candidat indépendant, a dépassé les attentes de la plupart des analystes en obtenant 10,66 % des voix. Il est professeur d’université et maire de la municipalité de Kočevje. Sa candidature a été soutenue par le nouveau parti vert extraparlementaire Vesna, qui a été créé par des acteurs de la société civile. À travers sa candidature, il a soutenu les idées écologistes et a essayé de se présenter comme un acteur relais qui serait capable de surmonter le clivage entre la gauche et la droite politiques. Après le premier tour des élections, il a même refusé de soutenir l’un des deux premiers candidats (N1, 2022). Alors qu’au début, les données de l’opinion publique montraient un faible soutien de la population à sa candidature (Žurnal24, 2022), il a pu convaincre les électeurs lors des débats télévisés préélectoraux, en utilisant ses compétences rhétoriques pour recueillir davantage de soutien. Il s’est particulièrement bien comporté dans son environnement local, dans les municipalités de Kočevje, Ribnica, Loški potok, Kostel et Osilnica, où il a terminé en tête.

Sabina Senčar, médecin et gynécologue, s’est présentée avec le soutien d’un autre parti extraparlementaire, Resni.ca. Ce parti est controversé, son leader étant à l’origine de l’organisation de manifestations anti-Covid à l’automne 2021, qui ont parfois tourné à la violence (Novak, 2022). Lors des élections législatives, Resni.ca a obtenu 2,86 % de voix, un score qui a surpris les observateurs. Certes, celui-ci n’était pas suffisant pour entrer au parlement, le seuil minimal étant fixé à 4%, mais le parti avait désormais droit à un soutien financier pour toute la durée de la législature. Le score de Senčar a également été supérieur aux attentes – avec 5,96 %, la candidate est arrivée en cinquième position. Resni.ca a analysé cette performance comme reflétant un soutien croissant au parti (Bitenc, 2022).

Janez Cigler Kralj et Miha Kordiš, qui étaient tous deux candidats avec le soutien d’un parti, ont obtenu des résultats décevants. Janez Cigler Kralj est membre du parti NSi et ancien ministre. Il n’a obtenu que 4,35% des voixi. Pour le second tour des élections, le NSi a décidé de soutenir le candidat du SDS, Anže Logar (MMC RTV SLO, 2022a). Cette décision était attendue puisque les deux partis ont souvent collaboré dans le passé.

Miha Kordiš est membre du parti la Gauche, membre de la coalition gouvernementale. Il a obtenu le score le plus faible – 2,80%. Comme les positions de son parti sont souvent radicales, il ne s’attendait pas à un soutien élevé et s’est montré satisfait des thématiques qu’il a pu développer lors de la campagne électorale (Kralj, 2022). Il a reçu des votes principalement des zones urbaines, tandis que Janez Cigler Kralj a obtenu l’essentiel de son soutien dans les zones rurales. Néanmoins, on s’attendait à ce que les représentants de ces deux partis parlementaires obtiennent de meilleurs résultats lors de ces élections.

Second tour

Le second tour de scrutin a été organisé le dimanche 13 novembre 2022 pour départager les deux candidats ayant obtenu le plus de voix au premier tour, Anže Logar et Nataša Pirc Musar. Bien que Logar ait reçu plus de voix au premier tour, il a été battu au second tour par Pirc Musar. On peut donc penser que les électeurs ne se sont pas décidés principalement entre deux candidats, mais entre deux options politiques de gauche et de droite (Zavrtanik, 2022) ou même sur la base d’un vote anti-Janša (Esih, 2022). Étant donné que davantage de Slovènes se positionnent à gauche de l’échiquier politique (Novak et Lajh, 2022), on s’attendait à ce que Pirc Musar remporte l’élection. C’est ce qui s’est produit, Pirc Musar obtenant finalement 53,89 % des voix. La candidate a été élue principalement grâce aux électeurs des zones urbaines de l’ouest et du nord de la Slovénie, où le soutien du public au gouvernement actuel est également plus élevé. Il s’agit de la première victoire d’une femme et d’une candidate indépendante à une élection présidentielle depuis la fondation de l’État slovène il y a 30 ans. Logar, pour sa part, a obtenu 46,11 % des voix et a été soutenu principalement par les zones rurales. Le taux de participation a été de 53,60 %, soit une augmentation de 2 points par rapport au premier tour. Tant au premier qu’au second tour, les bulletins nuls et blancs étaient plus fréquents dans la partie occidentale de la Slovénie. Toutefois, la proportion de bulletins nuls était plus élevée au second tour.

Conclusion

L’élection présidentielle de 2022 était à bien des égards différente des précédentes. Étant donné que le président actuel, Borut Pahor, avait déjà effectué deux mandats et qu’un nouveau président était sur le point d’être élu, la campagne s’est déroulée sans favori clair, et les partis ont cherché des candidats qui pourraient rassembler une large base soutien. À bien des égards, Anže Logar a essayé de s’adresser aux électeurs de la même manière que son prédécesseur, en se joignant à des manifestations locales et à des événements sportifs. Janez Cigler Kralj a même utilisé le slogan « Un des nôtres ». Pourtant, en définitive, il semble que ces élections présidentielles aient surtout été une compétition entre la gauche et la droite, confirmant le haut niveau de polarisation politique et sociale de la société slovène. Après les résultats du premier tour, Nataša Pirc Musar a même annoncé que cette élection présidentielle serait un « choc des valeurs », soulignant ainsi clairement le positionnement politique différent des deux candidats (MMC RTVO SLO, 2022b). C’est également l’impression donnée par le parti parlementaire vainqueur GS, qui a apporté son soutien à Nataša Pirc Musar et l’a « adoptée » comme candidate (en raison de son orientation de gauche) dès qu’il est apparu clairement que le candidat du parti ne serait pas présente au second tour. Cela a conduit à l’élection de la première femme présidente slovène et à la première victoire d’une candidate indépendante dans l’histoire de la Slovénie. Nataša Pirc Musar a réussi à s’imposer en dépit des nombreuses allégations sur son salaire et son patrimoine exprimées dans les médias pendant la campagne – des sujets qui avaient joué un rôle important dans les élections présidentielles précédentes.

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APA

Meta Novak, Damjan Lajh, Élection présidentielle en Slovénie, 23 octobre 2022, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2023, 140-144.

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