Élection régionale en Castille-et-León, 13 février 2022
Luis Mena Martínez
Professeur à la faculté d’histoire et géographie de l’Université de SalamanqueIssue
Issue #3Auteurs
Luis Mena MartínezNuméro 3, Mars 2023
Élections en Europe : 2022
Pour la première fois, des élections sont organisées dans la communauté autonome de Castille-et-León, de manière indépendante ; les élections précédentes avaient eu lieu en même temps que les élections municipales, et avec la plupart des communautés autonomes. Cette nouveauté s’est traduite par une légère baisse de participation par rapport à 2019 (de 65,8 % à 63,4 %), un score très similaire à celui de 2011, mais qui reste le plus faible taux de participation à une élection autonome.
Pour comprendre ce qui s’est passé lors de ces élections, nous allons analyser l’évolution des résultats aux élections régionales depuis 2011 (2011, 2015, 2019 et 2022).
En Castille-et-León, le Parti populaire (PP) a obtenu la majorité absolue de 1991 à 2019, et gouverne depuis 1987, soit 35 années ininterrompues. Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a remporté les premières élections (1983) et celles de 2019 (sans toutefois parvenir à gouverner). Lorsque le Parti populaire n’a pas obtenu la majorité absolue, il a reçu le soutien d’autres groupes de droite pour gouverner (Centre démocratique et social lors de la législature 1987-1991, Ciudadanos lors de la législature 2019-2022 et Vox lors de la législature actuelle).
Malgré l’absence d’alternance, des changements importants ont eu lieu depuis 2011 (les dernières élections avec des résultats « traditionnels »). Ces changements seront analysés selon trois axes :
- Sur l’axe idéologique droite-gauche ;
- Entre les partis traditionnels hégémoniques et les nouveaux partis ;
- Entre les partis nationaux et les partis provinciaux (jamais un parti orienté vers la communauté dans son ensemble n’a obtenu de représentation parlementaire).
Axe 1 : Droite et gauche
Tant l’électorat que les élus de cette communauté sont marqués à droite, si l’on cumule les partis identifiés à ces axes (PSOE, PODEMOS et Izquierda Unida à gauche ; PP, Ciudadanos, Vox et Unión Progreso y Democracia à droite) 1 . Il y a eu des variations dans la répartition des votes et des sièges entre les partis, mais l’axe gauche-droite est resté assez stable, avec un pourcentage de votes et de sièges de plus de 50 % pour la droite, tandis que la gauche a à peine réussi à dépasser 40 % dans ses meilleurs résultats. De plus, les partis qui ne sont pas structurés selon cet axe (essentiellement les partis provinciaux) ont fait perdre des voix au bloc de gauche lors des dernières élections.
Axe 2 : Partis traditionnels hégémoniques et nouveaux partis
Jusqu’en 2011, les deux partis traditionnels hégémoniques détenaient la quasi-totalité des sièges du parlement régional, favorisés par le système électoral (en termes de votes, ils représentaient environ 80%). Cette hégémonie des deux partis a été brisée lors des élections de 2015 et s’est stabilisée depuis, avec un peu plus de 20 % des sièges et 33 % des voix. L’actuel parlement régional est celui qui compte le plus de partis dans l’histoire de la région.
Depuis 2011, on observe un changement de comportement électoral, expression d’un désenchantement vis-à-vis des partis traditionnels. Ceci a conduit à l’émergence de nouveaux partis disposant d’une représentation parlementaire, malgré le fait que le système électoral concentre les sièges sur les grands partis. La diversification induite par l’émergence de nouveaux partis nationaux dotés d’une représentation parlementaire (Podemos, Ciudadanos et Vox) a été transférée à la communauté autonome. Il convient de noter que la représentation de ces nouveaux partis, bien que stable dans son ensemble, a varié dans sa composition lors de ces trois élections.
Podemos a été le protagoniste des élections de 2015, obtenant 12 % des voix et des sièges. Mais en 2019, il ne conserve que 5 % des voix et 2,5 % des sièges, tandis que le PSOE passe de 26 % à 35 % des voix, et de 30 % à 43 % des sièges, concentrant le vote de gauche. Lors des dernières élections, malgré sa coalition avec Izquierda Unida, Podemos est resté bloqué à 5 % des voix et n’a remporté qu’un seul siège. Son vote était urbain et, en 2015, il était concentré dans les circonscription des grandes capitales et de leurs zones métropolitaines, de certaines capitales provinciales moins peuplées (Soria, Zamora) et d’autres villes non capitales (Ponferrada, Villablino, Aranda de Duero, Miranda de Ebro), avec une faible présence rurale.
Ciudadanos est également apparu lors des élections de 2015, avec 6 % des sièges et 10 % des voix. Ses meilleurs résultats ont été obtenus en 2019, avec 1 % des voix et des sièges. Mais il dégringole aux élections de 2022, tombant à 4,5 % des voix et n’obtenant qu’un seul siège. En 2019, Ciudadanos a concentré son vote dans les communes périphériques des métropoles, et dans certaines circonscriptions des capitales provinciales.
Vox est le dernier des nouveaux partis à réussir. En 2015, il a obtenu 1 % des voix, en 2019, il est passé à 5,5 % et a remporté son premier siège. En 2022, il atteint 17,5 % des voix et remporte 16 % des sièges. Son vote est beaucoup plus équitablement réparti sur le territoire, avec un poids plus important des municipalités rurales.
Dans les cas de Ciudadanos et de Vox, l’élément commun à noter est le fort poids du nationalisme espagnol, renforcé au niveau national par la dynamique d’autres nationalismes périphériques. Les dynamiques politiques nationales sont mieux connues et plus pertinentes que la réalité politique des régions autonomes. Le changement de vote suit une dynamique nationale. Le meilleur exemple est le succès de Vox en 2022 : son candidat était inconnu au niveau régional et la campagne s’est concentrée sur le leader national (Santiago Abascal). Le succès tient beaucoup plus à l’acronyme national qu’aux propositions et aux candidats régionaux.
Malgré ces éléments communs, il n’y a pas eu de transfert direct de voix entre Ciudadanos et Vox. On peut le constater en comparant la répartition territoriale des votes pour Ciudadanos en 2019 et pour Vox en 2022.
Axe 3 : Partis nationaux et partis provinciaux
Pour les élections de 2022, la grande nouveauté est la forte augmentation de la présence parlementaire des partis provinciaux, qui passent de 1 à 7 sièges (9 % du parlement). Il convient de noter qu’il s’agit de partis dont le discours n’est pas régional mais provincial — les candidatures régionales sont toujours absentes. Cependant, dans trois des neuf provinces, les partis à vocation provinciale sont représentés.
Castille-et-León est une très vaste communauté autonome dans lequelle le sentiment d’appartenance est faible. Chaque province a sa propre dynamique et ses propres intérêts, ce qui se traduit par des tendances électorales différentes. Des différences importantes existent, y compris concernant les résultats des grands partis.
Dans l’ensemble de l’Espagne, de nouveaux partis ayant une composante territoriale non nationaliste apparaissent (le modèle est Teruel Existe, un parti provincial qui a obtenu une représentation au parlement national). En Castille-et-León, ce phénomène s’est articulé autour du sentiment d’abandon des zones les moins urbaines et les plus dépeuplées, dans ce que l’on a appelé « l’Espagne vide ».
En trois ans, les partis provinciaux sont passés de 5 % des voix et 2,5 % des sièges à 9 % des voix et des sièges. Reste à savoir si cette tendance se poursuivra comme elle l’a fait avec les nouveaux partis depuis 2015.
Bien que des candidats provinciaux aient été présentés dans toutes les circonscriptions, seuls trois d’entre eux ont été représentés. La Unión de Pueblo Leonés (UPL) était traditionnellement une parti dont la représentation parlementaire était centrée sur une seule province de la Communauté (bien que son discours parle de la région de León — León, Zamora et Salamanque — dans la pratique, il n’obtient une représentation que dans la province de León), et a été renforcé par la croissance de l’axe territorial. Soria Ya (SYA) est un mouvement social qui mène, avec Teruel Existe, les revendications autour de l’« Espagne vide » depuis des années. Il a gagné dans sa province, principalement aux dépens du PSOE. Enfin, Por Ávila (XAV) est un parti de nature provinciale, une scission du Partido Popular centré sur la figure de son leader et non intégré dans le mouvement de l’Espagne vide, qui a maintenu sa représentation parlementaire de 2019.
Analyse en composantes principales des résultats par commune
Une analyse en composantes principales des résultats au niveau communal a été effectuée pour identifier les communes qui s’écartent des résultats globaux de la Communauté et de son comportement électoral moyen.
Six composantes ont été identifiées, tant en 2019 qu’en 2022, qui s’écartent significativement du comportement électoral de l’ensemble de la Communauté. Le contenu de chacune d’entre elles est différent entre les deux élections et est reflété dans les tableaux des figures f et g.
La composante qui explique la plus grande partie de variance entre les municipalités correspond à notre premier axe d’analyse, c’est-à-dire la différence entre la gauche et la droite représentée par les deux grands partis (PP et PSOE). Il est clair que la variance expliquée par cet axe est plus élevée en 2019 qu’en 2022. La répartition territoriale est différente comme le montrent les graphiques suivants.
En ce qui concerne le deuxième axe, on peut observer que plusieurs composantes présentent un poids plus faible des deux partis hégémoniques (valeur négative). Alors qu’en 2019, deux composantes sont concernées par ce phénomène (2 et 3), en 2022, celui-ci s’étend aux cinq autres composantes.
En 2019, trois composantes (2, 3 et 5) sont configurées avec un poids plus important des nouveaux partis nationaux : la composante 1 avec un poids plus important du vote pour Ciudadanos (mais aussi avec un vote plus important pour Podemos et Vox), qui explique 17 % de la variance ; et la composante 3 qui vote moins pour Ciudadanos, le PP et le PSOE et plus pour les options provinciales (UPL, XAV), Podemos et Vox, qui explique 7 % de la variance. La composante 5 concentre son vote sur Podemos (et Por Ávila), avec moins de votes pour les autres nouveaux partis et le PSOE, expliquant 4 % de la variance.
Pour 2022, nous nous concentrerons sur les composantes avec un poids clair des nouveaux partis nationaux (3 et 6). Pour la composante 3, le vote est concentré sur Vox, avec un certain poids de la UPL, XAV et Ciudadanos, ce qui explique 17% de la variance. La composante 6, qui n’explique que 4 %, concentre le vote sur Podemos, Ciudadanos et les candidats sans députés de l’Espagne vide.
La répartition territoriale de la composante ayant obtenu le plus de voix pour le nouveau parti le plus performant (Ciudadanos en 2019 : composante 1, et Vox en 2022 : composante 2) est également différente. Vox est présente en 2022 dans beaucoup plus de municipalités, essentiellement rurales.
Ce second axe (partis anciens/nouveaux) expliquerait environ un tiers de la variance et est configuré avec une composante centrée sur le nouveau parti le plus performant (Ciudadanos en 2019 et Vox en 2022), et une seconde, moins pondérée, avec moins de votes pour l’option majoritaire et plus pour les autres nouveaux partis.
Le troisième axe, opposant partis nationaux et provinciaux, est celui qui marque les plus grandes différences entre 2019 et 2022. En 2019, deux composantes (4 et 6) présentent un vote plus élevé pour les options provinciales (UPL et XAV), qui expliquent 7 % de la variance. En 2022, une composante liée au vote pour Soria Ya (composante 2, qui explique 22% de la variance) apparaît, et celles pour UPL (composante 4) et Por Ávila (composante 4 se maintiennent. Ensemble, ils expliquent 26 % de la variance.
L’électorat des partis provinciaux est concentré sur les provinces qu’ils entendent représenter (Ávila, León et Soria). Mais il est intéressant de noter, surtout dans le cas de Soria, que les partis locaux ont agi comme un frein à l’expansion territoriale de Vox dans les petites municipalités ; dans les cas de León et d’Ávila (toujours en raison des différences territoriales dans la Communauté), cet effet n’est pas aussi clair.
première composante, 2019 première composante, 2021 deuxième composante, 2019 troisième composante, 2021
Note finale : les erreurs tactiques nationales qui expliquent les résultats régionaux
Les résultats de ces élections sont en grande partie le produit de deux erreurs tactiques commises par les deux partis au pouvoir depuis 2019, toutes deux dues au fait que les dirigeants nationaux des partis ont surévalué les résultats des enquêtes d’opinion et ont subordonné leurs décisions régionales aux intérêts des partis.
Après son succès aux élections anticipées dans la région de Madrid quelques mois auparavant et les estimations des sondages électoraux de l’époque, le Partido Popular a décidé de mettre fin au gouvernement de coalition qu’il formait avec Ciudadanos. Cela s’est fait dans le cadre d’une stratégie régionale conditionnée par le succès futur du président national du PP de l’époque aux élections nationales (Pablo Casado, qui a depuis démissionné, en partie à cause de son échec à ces élections).
Ciudadanos était initialement un parti libéral qui allait ajouter des éléments centristes aux gouvernements du PSOE (Andalousie 2015) et du Partido Popular. Les élections nationales d’avril 2019 lui auraient permis de gouverner en coalition avec le PSOE. Cependant, certains sondages de l’époque suggéraient qu’il pourrait dépasser le Parti populaire et devenir la force majoritaire du centre-droit. Le PP a donc choisi de rejeter cette coalition et de forcer la tenue de nouvelles élections générales. Cette tactique a été généralisée à toutes les régions autonomes, avec des alliances exclusives avec des partis de droite. En Castille-et-León, lors des élections de 2019, le résultat a permis un gouvernement du PSOE (qui avait remporté les élections) avec Ciudadanos. La direction nationale de Ciudadanos l’a subordonné à sa stratégie nationale consistant à ne pas conclure d’accords avec la gauche afin de conquérir la droite, ce qui a donné le gouvernement au Partido Popular. Lors des élections suivantes, celles de 2022, Ciudadanos a perdu les trois-quarts de ses électeurs, n’obtenant qu’un seul élu au parlement.
Conclusion
La Castille-et-León est une communauté autonome qui vote majoritairement pour des partis de droite, et où le Partido Popular gouverne depuis 35 ans.
Depuis 2015, suivant les tendances électorales dans l’ensemble de l’Espagne, de nouveaux partis (Podemos, Ciudadanos et Vox) y ont obtenu une représentation parlementaire. Les grands partis traditionnels (PP et PSOE) continuent de concentrer la majorité des votes (plus de 60%) et des sièges (plus de 70%). Mais les nouveaux partis nationaux représentent 25 % des votes et 18 % des sièges depuis cette date, bien que le parti non traditionnel ayant les meilleurs résultats ait changé lors des élections suivantes, comme dans le reste de l’Espagne.
La nouveauté de 2022 est la croissance des partis provinciaux, et notamment de leur représentation parlementaire. De 5 % des voix et 2,5 % des sièges en 2019, ils sont passés à 9 % des voix et des sièges en 2022. Le discours d’abandon institutionnel de certaines des provinces ayant les plus grandes pertes démographiques et la plus faible densité de population s’est traduit par une représentation politique (d’abord dans d’autres parties de l’État, puis en Castille-et-León). Il reste à voir s’il sera consolidé lors des élections suivantes, comme cela s’est produit avec les nouveaux partis nationaux. Il faut noter que Vox a su tirer profit de ce discours puisque, contrairement aux deux autres nouveaux partis, il a également obtenu de bons résultats dans les zones moins urbaines de la Communauté.
Notes
citer l'article
Luis Mena Martínez, Élection régionale en Castille-et-León, 13 février 2022, Groupe d'études géopolitiques, Oct 2022,