Élections parlementaires en Bulgarie, 4 avril 2021
Dobrin Kanev
Professeur associé à la Nouvelle université bulgare (Sofia)Issue
Issue #1Auteurs
Dobrin Kanev21x29,7cm - 107 pages Issue #1, Septembre 2021 24,00€
Élections en Europe : décembre 2020 – mai 2021
Le 4 avril 2021, les onzièmes élections législatives depuis le début de la démocratisation ont eu lieu en Bulgarie. Les 6,789 millions d’électeurs officiellement inscrits ont été invités à élire les candidats parmi 30 partis et coalitions pour la 45ème Assemblée nationale. Les élections se sont déroulées selon le système de représentation proportionnelle avec une option de préférence unique et un seuil de 4%.
Éléments de contexte
Le contexte des élections a été marqué par quelques spécificités importantes.
La première est qu’elles se sont déroulées au milieu de la troisième vague de la pandémie de Covid-19, qui a laissé des traces sur de nombreux aspects du processus électoral. La Bulgarie était l’un des pays les plus touchés, notamment en termes de mortalité ; le processus de vaccination était lent ; la politique du gouvernement était contradictoire et orientée vers des objectifs électoraux. Néanmoins, d’une manière générale, la situation a joué en faveur du gouvernement. L’anxiété des citoyens a alimenté les attitudes en faveur du maintien du statu quo. En outre, l’état d’urgence a permis au Premier ministre de dépenser pendant la campagne électorale d’importants fonds publics avec un minimum de contrôle. La pandémie a eu un impact négatif sur les partis dont l’électorat est plus âgé, dans la mesure où de nombreuses personnes âgées ne sont pas allées voter par crainte d’être infectées. Par exemple, selon une enquête d’Alpha Research, 25 % des sympathisants du parti socialiste bulgare (BSP, S&D) ont exprimé une forte inquiétude, contre une moyenne de 10% à l’échelle nationale (Alpha Research, 2021).
Contrairement à l’opposition parlementaire et extraparlementaire, les partis au pouvoir disposent d’importantes ressources financières et organisationnelles. Le rapport des observateurs de l’OSCE a conclu que « l’utilisation massive des ressources de l’État a donné au parti au pouvoir un avantage significatif ». Le parti au pouvoir, Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB, PPE), et ses partenaires de coalition ont également pu compter sur un confort médiatique exceptionnel, qualifié dans ce rapport de « manque de diversité éditoriale ».
La spécificité suivante est liée à l’effet des manifestations de masse de l’été et de l’automne de l’année dernière. Celles-ci ont duré plus de trois mois, exprimant le mécontentement de la population à l’égard du modèle de démocratie illibérale mis en place par le GERB au cours de la dernière décennie : un modèle caractérisé par la tendance à fusionner le parti au pouvoir avec l’État, la détérioration de l’État de droit, la neutralisation de l’indépendance du système judiciaire, le contrôle des médias et une mise sous pression de l’opposition. Les effets économiques et sociaux de ce modèle étaient visibles dans le fait que la Bulgarie est restée le pays le plus pauvre, celui dont le salaire moyen est le plus bas et le niveau d’inégalité le plus haut (DG EMPL, 2020), mais aussi le pays avec le plus haut niveau de corruption dans l’UE (Transparency, 2020). Les manifestants ont exigé la démission du Premier ministre Borissov (GERB) et du Procureur général Geshev. Tous deux ont ignoré ces demandes ; refusant de démissionner, ils ont finalement conservé leur poste jusqu’à la fin des manifestations. Lors des élections, les mouvements anti-corruption semblent avoir pris leur revanche. Les attitudes anti-gouvernementales qui se sont exprimées dans les urnes ont plus que compensé les avantages dont disposaient les partis au pouvoir.
Participation
L’une des caractéristiques électorales les plus importantes, qu’il était difficile de prévoir avant ces élections, était le taux de participation. La plupart des observateurs prévoyaient un taux de participation bien inférieur à 50% (en chiffres absolus, environ 2,5 millions de votes) en raison des craintes d’infection, de l’absence de vote par correspondance et de la concentration du vote sur un seul jour.
Étonnamment, ces prévisions ont été démenties, puisque plus de 3,334 millions de personnes, soit plus de la moitié (50,61%) des électeurs, ont participé aux élections. Ce n’est pas une proportion élevée, mais dans ces circonstances, un tel pourcentage signifie une mobilisation relativement importante. Au moins, il est comparable aux dernières élections tenues dans des situations normales : 51,33% en 2013 ; 48,66% en 2014 ; 54,07% en 2017. Ce taux de participation plus élevé que prévu est en grande partie dû à un nouveau phénomène — la mobilisation des jeunes électeurs. Selon les sondages à la sortie des urnes, si en 2017, la part des électeurs âgés de 18 à 30 ans était de 14,9%, en 2021, elle sera de 18,2%.
Résultats des partis
Les électeurs ont envoyé au parlement six partis politiques/coalitions (voir encart « les données »). Ce nombre est relativement élevé — supérieur à la valeur moyenne de 5,18 partis parlementaires depuis 1990, et se classe troisième après les huit partis au parlement en 2014, et les sept en 2005.
Trois de ces partis obtiennent pour la première fois une représentation parlementaire. Ensemble, ils ont remporté 31,83% des voix, occupant 38,33% des sièges au parlement (voir encart « les données »). Cette situation n’est pas nouvelle dans l’histoire du système de partis bulgare. Elle a été marquée par de fréquents revirements, des changements brusques dans les préférences des électeurs, des passages soudains des électeurs vers des partis nouvellement formés. Au début du millénaire, la déception à l’égard des « vieux » partis s’est fortement accrue. Le premier mouvement à exploiter cette tendance aura été le Mouvement national Simeon II (NDSV) qui a remporté en 2001 avec facilité près de 2 millions de voix et la moitié des sièges au parlement. L’année 2009 a vu la répétition du même phénomène, dans une ampleur plus limitée. Le GERB, fondé quelques années plus tôt, a obtenu près de 1,7 million de voix lors de ses premières élections parlementaires. Aujourd’hui, c’est le parti « Il y a un tel peuple » (ITN, indépendant) qui assume ce rôle, mais à une échelle beaucoup plus réduite.
Le GERB (Boïko Borissov)
Les résultats des élections montrent que, malgré les manifestations et le grand mécontentement à l’égard du gouvernement, le GERB (en coalition avec l’Union des forces démocratiques, dont le rôle est secondaire) a pu confirmer sa position de parti politique le plus fort. Il a obtenu 837.707 voix (26,18%) et 75 des 240 sièges du Parlement (31,21%). De manière générale, le GERB a conservé sa position de leader dans la plupart des municipalités bulgares (voir encart « les données »), et par rapport à 2017, on constate à la fois des reculs (notamment dans la capitale Sofia) ainsi que quelques gains. La différence de voix avec les partis suivants s’est réduite (encart « les données », figures a et b). Comme d’habitude, la structure du vote pour ce parti est très proche de la structure pour l’ensemble du pays, mais la perte de voix dans la capitale et dans les grandes villes est également évidente dans la performance du parti en termes de densité de population (figure c).
Toutefois, les résultats du GERB pour 2021 constituent la pire performance électorale du parti depuis sa première participation en 2009. Le GERB a subi une perte importante de voix, recevant plus de 300 000 voix de moins qu’en 2017, et avec 75 mandats, vingt sièges de moins au parlement. Pour la première fois, le parti a reçu moins d’un million de voix. Et ce à condition que le GERB ait profité pleinement de sa position de parti de gouvernement dans un contexte de pandémie. Cette « victoire » ressemble à une victoire à la Pyrrhus, puisque le parti n’est pas en mesure de gouverner seul et qu’aucun autre parti parlementaire n’est prêt à le soutenir au parlement. En ce sens, le principal résultat des élections est que le GERB aurait dû passer dans l’opposition après avoir été au pouvoir pendant onze ans — si l’Assemblée nationale avait été capable de former une majorité et un gouvernement.
ITN (Slavi Trifonov)
Un autre résultat significatif des élections a été la deuxième place inattendue d’ITN. Le parti a été créé par l’animateur de télévision et chanteur populaire Slavi Trifonov en 2019, sans idéologie précise. Son programme semblait se limiter à l’agenda populiste et très probablement néfaste pour la démocratie bulgare d’un référendum initié en 2016 par Trifonov : pour un système électoral majoritaire avec une majorité absolue à deux tours ; pour un vote obligatoire ; pour des réductions sévères du financement public des partis (de 8 BGN à 1 BGN par vote).
Bien qu’il ait été quasiment absent de la campagne électorale officielle et qu’il n’ait fait campagne que sur la propre chaîne de télévision de Trifonov et sur les réseaux sociaux, le parti a connu un certain succès grâce à son discours anti-gouvernemental et anti-establishment. 565 014 électeurs bulgares (17,66%) ont soutenu le parti, y compris la majeure partie du vote protestataire et surtout les jeunes électeurs. 30% des électeurs âgés de 18 à 30 ans ont voté pour le parti. Pour sa première participation aux élections, l’ITN a même réussi à devenir le parti le plus fort dans certaines municipalités (encart « les données »). Ses bastions électoraux ont été les chefs-lieux de district, les villes et les villages (figure d).
La répartition et l’ampleur du soutien électoral dont a bénéficié ITN n’étaient pas surprenants. Ce qui est plus surprenant, c’est que bien que n’étant que la deuxième force politique au Parlement (51 sièges, 21,25% des mandats), le parti de Trifonov est devenu le seul parti ayant des chances réalistes de former une coalition gouvernementale opérationnelle. Ce rôle de « faiseur de roi » a permis à ITN de passer pour le véritable vainqueur des élections.
Les socialistes du BSP
Un autre résultat électoral important a été la performance extrêmement faible du BSP, qui a permis à ITN de dépasser ce parti qu’on attendait à la dernière place. Pendant la transition, les socialistes ont certes connu des hauts et des bas. Cependant, leur résultats de 2021 ont été historiquement mauvais, les plus faibles lors d’une élection parlementaire en nombre absolu de voix depuis 1990. Seuls 480 146 (15,01%) citoyens ont voté pour le BSP, contre 955 490 (27,93%) lors des précédentes élections 2017. Il a perdu la moitié de ses électeurs de 2017 et est passé pour la première fois sous la barre du demi-million de voix. Le groupe parlementaire du BSP a également été presque divisé par deux et il ne contabilisera que 43 députés au nouveau parlement, contre 80 en 2017. Les anciens électeurs socialistes n’ont pas voté ou ont changé de préférence, se reportant sur d’autres partis et coalitions anti-gouvernementaux. Selon les estimations, le parti a perdu environ 60 000 voix au profit de l’ITN et 40 000 autres au profit de la formation protestataire « Debout ! Les voyous dehors ! » (ISMV, indépendant). Enfin, le BSP subit une contre-performance dans les circonscriptions. En 2021, le BSP n’était en tête que dans une seule des 31 circonscriptions que compte le pays ; en 2017, il était le parti le plus fort dans sept. La comparaison entre les résultats de ces deux élections montre que le BSP a désormais perdu son rôle de leader dans un grand nombre de municipalités (encart « les données », figure e). La plupart de ses électeurs sont concentrés dans les villes petites et moyennes (figure e, à droite).
Plusieurs raisons expliquent les mauvais résultats de l’ancien plus grand parti bulgare, notamment les graves erreurs politiques de la direction du parti qui ont déstabilisé et démobilisé nombre des ses partisans.
Les autres partis
Le quatrième plus grand parti à l’Assemblée nationale est le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS, RE), représentant de longue date des citoyens d’origine turque. Cette spécificité du parti est à l’origine de la concentration territoriale de son électorat, qui couvre les zones de résidence de ce groupe ethnique (encart « les données », figure f). Traditionnellement, il conserve ses bastions dans les petites localités (figure f, à droite).
Cette fois-ci, le DPS n’aura pas été en mesure de maintenir sa position traditionnelle de troisième force au Parlement, bien que ses résultats aient été légèrement meilleurs qu’en 2017. Avec ses 336 306 électeurs, le DPS a obtenu 10,51 % des voix, un peu plus qu’en 2017 (9,24 %, 315 976 électeurs), mais un grand recul par rapport à son bien meilleur résultat de 14,84 % (487 134 électeurs) de 2014. Cette configuration se répète dans le nombre de sièges : 30 en 2021 et 26 en 2017, mais 38 en 2014. L’augmentation des votes et du nombre de députés en 2021 semble minime, étant donné que lors de ces élections, le DPS est resté largement en tête dans ses bastions. En 2017, il avait un concurrent sérieux : le parti DOST de l’ancien président du DPS, Mestan, qui avait alors obtenu 100 479 voix (2,94%).
La cinquième formation la plus forte au Parlement est la Bulgarie démocratique (DB), une coalition de centre-droit entre le parti Oui, Bulgarie de l’ancien ministre de la Justice Hristo Ivanov, le parti Démocrates pour une Bulgarie forte (DSB), fondé par l’ancien Premier ministre Ivan Kostov, et le Mouvement vert (ZD). En ce qui concerne l’affiliation aux groupes politiques du PE, le tableau est ambivalent : Oui Bulgarie n’est pas encore affilié, DSB est membre du PPE, et ZD est membre des Verts. La répartition des sièges est la suivante : Oui Bulgarie (indépendant) 13 ; DSB (PPE) 8 ; Mouvement Vert 4 (Verts/ALE) ; Quota citoyen (indépendant) 2. En général, le DB est considéré comme représentant la droite dite traditionnelle qui était autrefois rassemblée dans le grand parti qu’était l’Union des forces démocratiques (SDS). En 2017, trois partis de droite en conflit les uns avec les autres se sont présentés seuls aux élections, mais chacun a obtenu moins de quatre pour cent des voix et tous sont restés en dehors du parlement. Lors des élections de 2021, c’est la nouvelle coalition DB qui a incarné cette tradition politique. En tant qu’opposition extra-parlementaire hostile au GERB et au gouvernement de Borissov, DB a été l’une des forces motrices des manifestations de l’été dernier.
DB a obtenu 302 280 voix (9,45%) et 27 sièges au parlement — un résultat légèrement meilleur que les voix et les sièges obtenus par une coalition similaire (bloc réformiste) en 2014. La réalisation la plus remarquable de la formation a sa victoire dans la capitale, Sofia. Cependant, DB a toujours des problèmes pour atteindre les autres régions du pays et reste plus ou moins un « parti de Sofia » (figure g).
Le dernier parti à être entré au Parlement est un autre mouvement protestataire, l’ISMV. Il s’agit d’une alliance entre certains des leaders des manifestations et l’ancienne médiatrice Maya Manolova. Officiellement, l’ISMV est une coalition électorale formée par trois petits partis. Elle est considérée comme étant orientée vers le centre-gauche, bien que l’un des partis qui la soutiennent soit membre du PPE. 150 949 voix (4,72%) ont été exprimées en faveur de cette coalition qui compte désormais 14 députés.
Conclusion
Les résultats des élections ont montré, avant tout, que la majorité des électeurs bulgares souhaitaient un changement. Le soutien au gouvernement a changé depuis 2017 et on observe un déclin évident de ce soutien dans la plupart des régions du pays (figure b). Le GERB est toujours la première force politique, mais se retrouve entièrement isolé et incapable de former un cabinet. Trois des partis parlementaires sont des nouveaux venus et leur succès est lié aux manifestations antigouvernementales de l’été 2020. Le BSP a toujours été un opposant au parti de Borissov. Le DPS, bien qu’ayant soutenu le GERB lorsque cela était nécessaire au cours de la précédente législature, a maintenant déclaré ouvertement qu’il était prêt à soutenir les partis protestataires. De cette façon, une ligne de démarcation entre le GERB et tous les autres partis parlementaires s’est formée.
En même temps, il existe une deuxième ligne de démarcation, qui complique considérablement la situation et les perspectives du pays après les élections. Il s’agit de la ligne de démarcation entre les « partis du status quo » (qui comprennent les « anciens » partis parlementaires GERB, BSP et DPS) et les nouveaux « partis du changement ». Cependant, ces derniers ne disposent que de 92 sièges au Parlement et sont loin de la majorité requise de 120+1. Leur réticence à discuter avec d’autres partis (et à obtenir ou même à accepter un soutien parlementaire, au moins de la part du BSP), a rendu extrêmement difficile la formation d’un gouvernement.
La prédominance de la deuxième ligne de démarcation sur la première est devenue évidente lorsque les trois tentatives de formation d’un cabinet prévues par la Constitution ont échoué. L’incapacité de former une majorité et un gouvernement par un parlement nouvellement élu est une première depuis la transition de la Bulgarie vers la démocratie. Le président Radev a dû dissoudre le Parlement, nommer un gouvernement intérimaire et programmer de nouvelles élections. Des élections anticipées auront donc lieu le 11 juillet. Il s’agit d’une situation sans précédent dans la vie politique bulgare, qui entre ce faisant dans des territoires inexplorés.
Bibliographie
Alpha Research (2021, mars). Attitudes du public à la fin de la campagne. En ligne [consulté le 21 août 2021].
DG EMPL (2020). Employment and Social developments in Europe. Leaving No One Behind and Striving for More: Fairness and Solidarity in the European Social Market Economy. Annual review, Directorate-General for Employment, Social Affairs and Inclusion, Directorate A, Luxembourg : Office des publications de l’Union européenne, pp. 31-50.
Transparency International (2020). Corruption perception index. En ligne [consulté le 21 août 2021].
Les données
citer l'article
Dobrin Kanev, Élections parlementaires en Bulgarie, 4 avril 2021, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 64-69.