Élections présidentielles au Portugal, 24 janvier 2021
Eduardo Paz Ferreira
Président de l'Institut européen de l'université de LisbonneIssue
Issue #1Auteurs
Eduardo Paz Ferreira21x29,7cm - 107 pages Issue #1, Septembre 2021 24,00€
Élections en Europe : décembre 2020 – mai 2021
L’élection présidentielle au Portugal s’est déroulée dans une période où chaque événement électoral fait l’objet d’une attention particulière, à la recherche de signaux concernant l’avenir politique, la résilience des institutions démocratiques, la viabilité des différentes alternatives partisanes et la distance des électeurs au système démocratique, reflétée par le taux d’abstention.
Dans un contexte de troubles politiques très intenses et généralisés qui affectent toute l’Europe, la pandémie est un facteur de rupture sociale supplémentaire, une menace qui ne constituera probablement pas un facteur d’union et de réduction de la conflictualité au sein des sociétés.
La réélection de Marcelo Rebelo de Sousa au premier tour de l’élection présidentielle était largement attendue et perpétuait la tradition, confirmée par tous les Présidents de la République élus en démocratie depuis le 25 Avril et la Constitution de 1976, qui voit le chef de l’État exercer les deux mandats autorisés par la Constitution.
Rôle institutionnel du Président de la République portugais
Dans le système semi-présidentiel portugais, le président a des pouvoirs qui sont loin d’être décisifs, car il n’est pas simultanément Premier ministre, et le gouvernement n’est pas tributaire de la confiance présidentielle. Malgré cela, le président possède de larges compétences, parmi lesquelles :
a) Convoquer de façon extraordinaire l’Assemblée de la République ;
b) Communiquer de manière directe avec l’Assemblée de la République et avec les assemblées législatives des régions autonomes ;
c) Dissoudre l’Assemblée de la République, dans le respect des dispositions de l’article 172, après avoir entendu les parties qui y sont représentées et le Conseil d’État ;
d) Nommer le Premier ministre, conformément au paragraphe 1 de l’article 187 ;
e) Révoquer le Gouvernement, conformément au paragraphe 2 de l’article 195, et révoquer le Premier Ministre, conformément au paragraphe 4 de l’article 186 ;
f) Nommer et révoquer les membres du gouvernement, sur proposition du Premier ministre.
Un autre aspect important de son pouvoir consiste en un droit de saisir la Cour constitutionnelle à propos de la constitutionnalité des textes que lui transmettent l’Assemblée de la République et le Gouvernement.
D’autre part, sa présence dans les médias et sa communication au travers de messages adressés à l’Assemblée ou directement aux électeurs est un autre pouvoir du Président de la République qui constitue un facteur très important pour son image parmi les citoyens portugais.
Si les taux d’abstention aux élections présidentielles sont, en général, plus élevés qu’aux élections législatives, ils restent à des niveaux qui suggèrent que les Portugais sont à l’aise avec l’institution présidentielle.
Une rapide analyse historique révèle qu’en général, lorsque les présidents et les gouvernements n’appartenaient pas aux mêmes partis, le niveau de cohabitation restait raisonnable, malgré quelques difficultés inévitables.
Les pouvoirs du président sont inchangés depuis la révision constitutionnelle de 1982, qui a supprimé à la capacité du président de révoquer le gouvernement sans invoquer aucun motif, mettant fin à une situation très proche du présidentialisme et créant une marge de manœuvre beaucoup plus large pour le gouvernement.
Les scrutins présidentiels portugais depuis 1975
Au cours des quarante-cinq années de démocratie, le Portugal a connu cinq présidents aux caractéristiques très différentes et qui ont également entretenu des relations différentes avec les gouvernements. Au cours de cette période, on peut distinguer deux phases : dans la première, l’élection présidentielle constituait avant tout un enjeu pour les militaires, plus ou moins liés aux partis politiques et représentant différentes manières d’envisager la démocratie — élections de 1976 et 1980 — alors que dans la seconde, à quelques exceptions près, les candidats étaient des civils liés aux partis ou indépendants de ceux-ci.
Même si le poste de Président convient particulièrement aux candidatures indépendantes, les candidats élus sont, en règle générale, ou présentés ou soutenus par des partis, sans que cela ait un impact significatif sur leur légitimité.
Symptomatiquement, une fois élus, et parfois dès la campagne électorale, les candidats insistent pour se présenter comme présidents de tous les Portugais, cherchant à élargir leur base de soutien.
Le premier président démocratiquement élu fut le général Ramalho Eanes, personnage clé du 25-avril et de la confirmation de la démocratie, le 25 novembre 1975.
Soutenu par la plupart des partis politiques du centre et de droite, sa première élection a été facile et le taux d’abstention bas (24,6%), Ramalho Eanes recueillant 61,5% des voix. Malgré cela, un candidat d’extrême gauche, Otelo Saraiva de Carvalho, stratège du 25-avril, a obtenu 15,5%. Un troisième militaire sans soutien partisan, l’amiral Pinheiro de Azevedo, a quant à lui recueilli 14,5% des suffrages. Le seul civil à se présenter, Octávio Pat, soutenu par le Parti communiste portugais (PCP, GUE/NGL), a obtenu 7,5% des suffrages.
Cette élection pacifique n’a soulevé aucun problème particulier, mettant notamment en évidence la montée en puissance de la gauche révolutionnaire liée à certains secteurs militaires. Ceux-ci avaient pourtant vu leur pouvoir diminuer, après le coup militaire du 25 novembre 1975 qui a consolidé les secteurs modérés dans les forces armées nombre de voix, a été réélu au premier premier tour avec 53%, suivi du candidat PS et BE, Manuel Alegre (19,6%) et du candidat indépendant Fernando Nobre (14,1%). Le PCP — Francisco Lopes — est resté à 7,7%.
Ces deux dernières élections montrent ainsi une certaine difficulté pour le Parti socialiste à gérer les élections présidentielles.
En 2016, Marcelo Rebelo Sousa, qui en tant que leader du PSD n’avait auparavant pas obtenu de résultats positifs, a remporté l’élection avec 52% des suffrages, soutenu par les partis de droite et recueillant un vote important des socialistes et des indépendants. Sa carrière de commentateur politique à la télévision et des sondages extrêmement favorables ont joué en sa faveur. Son principal adversaire, Sampaio da Nóvoa, ancien recteur de l’Université de Lisbonne qui comptait sur les voix du PS, a finalement obtenu 22,8% des voix, alors que le parti n’a pas non plus soutenu un autre de ses dirigeants, Maria do Belém Roseira (4,24%).
La grande surprise a été le résultat de la candidate du BE Marisa Matias (10,12%) et le faible score du candidat PCP.
Résultats du scrutin de janvier 2021
La réélection de Marcelo Rebelo de Sousa, en 2021, après un premier mandat marqué par une grande popularité, est sans surprise. Elle s’inscrit dans la logique des élections précédentes, dispensant le candidat victorieux, élu avec plus de 60% des voix, de second tour. Le taux d’abstention est également remonté à 54%, un chiffre qui doit, dans tous les cas, être lu à la lumière du pic de la pandémie qui coïncidait avec ces élections.
Le résultat a consolidé la position de Marcelo Rebelo de Sousa et suggère qu’il conservera un rôle central dans la vie politique portugaise. Le soutien implicite du PS devrait conduire à la persistance d’une cohabitation et d’une coopération intenses entre le président de la République et le Premier ministre, puisque plusieurs figures du PS ont apporté leur soutien exprès à Marcelo Rebelo de Sousa. Le premier ministre et secrétaire général du PS, António Costa, l’a fait implicitement.
Une fois de plus, le PS n’a présenté aucune candidature, même si l’un de ses dirigeants, Ana Gomes, généralement placée à l’aile gauche, était en deuxième position (12,97%), soutenue par le petit parti Personnes-Animaux-Nature (PAN, Verts/ALE). Le résultat de la candidate, inférieur à celui de Sampaio da Nóvoa lors des précédentes élections, pourrait renforcer son rôle au sein du parti, sans pour autant entraîner de changements radicaux.
Une nouveauté, mais d’une portée plus limitée, est le score du candidat de l’Initiative libérale (IL, ADLE), qui disposait de soutiens dans les médias ; celui-ci a obtenu 3,22% des voix. Cependant, il est peu probable que le libéralisme, peu implanté au Portugal, y soit promis à un grand avenir électoral.
Les résultats des candidats de gauche s’établissent à un niveau bas assez bas, João Ferreira du PCP obtenant 4,32% des voix et Marisa Matias 3,95%, apparemment victimes du vote utile à Ana Gomes pour empêcher qu’André Ventura (CHEGA, ID) n’emporte la seconde place. Les prochaines échéances diront si ces partis sont en capacité de retrouver leur poids électoral précédent.
André Ventura, candidat du parti d’extrême droite Chega, récemment fondé, est arrivé troisième avec 11,9% des voix ; son score est probablement la plus importante nouveauté de ces élections.
L’extrême droite, qui n’avait qu’un seul député à l’Assemblée parlementaire pourra s’institutionnaliser et s’intégrer à l’establishment auquel il dit s’opposer. La normalisation du discours de haine et des appels xénophobes et racistes a bénéficié d’une énorme tolérance médiatique, et le parti est désormais susceptible de suivre une trajectoire similaire à celle d’autres partis européens comparables.
Conséquences du scrutin
Le début du second mandat de Marcelo Rebelo de Sousa s’est déroulé dans des termes différents du premier, principalement en raison de la pandémie de Covid-19 et de ses effets économiques et sociaux, qui ont parfois rendu un peu moins facile l’entente entre le Président et le Gouvernement ainsi que la définition des domaines de compétence.
Malgré cela, Marcelo Rebelo de Sousa semble déterminé à éviter toute crise politique et aura tendance à maintenir les conditions actuelles de gouvernement. Cela a permis une excellente présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2021, malgré toutes les difficultés, et a mis le pays sur la bonne voie pour recevoir le soutien des mécanismes d’aide européens, après approbation du programme national.
Au cours du second mandat, nous avons assisté à un durcissement progressif du débat politique, le discours politique cédant la place aux querelles partisanes et aux tentatives de remplacer le débat par la révélation de scandales vrais ou faux.
Bien que les médias soient tous opposés au Gouvernement, de nouveaux journaux numériques ou même imprimés continuent d’apparaître selon les mêmes lignes politiques et les réseaux sociaux ont atteint des niveaux d’indignité jamais imaginée et proches de ceux qui ont émané de la présidence de Trump.
Malgré cela, le Parti socialiste et, en général, l’ensemble des forces de gauche sont toujours largement favorisés dans les sondages avec peu de variation.
L’hypothèse d’un bloc central s’éloignant de plus en plus, l’option qui se présente comme la plus probable est que les socialistes continuent de gouverner à l’aide de soutiens ponctuels, surtout du PCP qui ne semble pas disposé à donner à la droite la moindre opportunité de retour au pouvoir par voie électorale.
Comme mentionné précédemment, le Président de la République préfère également cette solution à toute autre qui pourrait créer une impasse politique, puisque rien n’indique qu’une majorité de droite sera formée.
Les partis de la droite traditionnelle, quant à eux, ont connu une érosion importante au profit de l’extrême droite, avec laquelle ils entretiennent une relation ambiguë : se rapprochant parfois, comme c’est le cas avec le gouvernement régional des Açores, une région politique, où le gouvernement régional est soutenu au parlement par Chega ; s’en éloignant d’autres fois en refusant les coalitions.
Dans ce cadre, le plus petit parti traditionnel, le CDS, semble être le plus menacé, avec des chiffres montrant une baisse très significative.
Dans une situation de difficulté, les partis de centre- droit radicalisent leur discours et le rapprochent des positions d’extrême droite, perdant ainsi des voix du centre, sans pour autant empêcher les transferts vers la droite.
Chega est, de tous les partis d’extrême droite, celui qui a le plus progressé, sur la base d’un discours raciste et xénophobe qui profite du mécontentement populaire.
En octobre prochain, les élections locales seront un baromètre important pour l’avenir, qui nous permettra de voir si le système politique changera de manière très significative, ce qui ne semble pas probable, ou s’il conservera plus ou moins le même schéma, en composant avec le nouveau venu, Chega.
Du point de vue du mandat présidentiel, je ne pense pas qu’il y aura de grands changements, mais seulement un renforcement pour favoriser un plus grand rapprochement politique.
Les données
citer l'article
Eduardo Paz Ferreira, Élections présidentielles au Portugal, 24 janvier 2021, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 27-30.