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Issue #2Auteurs
Francesco Giovanni Truglia21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€
Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021
Introduction
Mete (2020), se référant aux élections régionales de janvier 2020 — mais les mêmes considérations peuvent probablement être étendues à celles d’octobre 2021 — évoquait « l’abandon politique et médiatique » de la Calabre, attribuant ce manque d’intérêt non seulement à la « marginalité économique, politique et démographique » de la région, mais aussi à la prévisibilité du résultat des élections qui, comme le souligne un autre spécialiste des faits calabrais, Roberto De Luca, « sont gagnées avant d’avoir eu lieu » (2021).
La prévisibilité des choix du peuple calabrais semble en effet répondre, au moins depuis les élections régionales de 2000, à une sorte de déterminisme électoral qui mène généralement à la défaite du président sortant.
Il est encore trop tôt pour dire si la reconfirmation du centre-droit à la tête de la région lors des élections d’octobre dernier constitue la fin de cette règle, étant donné la proximité temporelle des élections précédentes et les circonstances qui ont conduit à ces nouvelles élections.
Les mécanismes qui déclenchent cette alternance à la tête de la région ne sont pas tant à chercher dans la dialectique qui caractérise les systèmes de partis dans les sociétés démocratiques que, comme le prouve désormais une vaste littérature spécialisée, dans la capacité éprouvée des têtes de liste des différents partis de gagner à leur propre cause un petit nombre de « notables »
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qui, d’une élection à l’autre, peuvent changer de camp en fonction de leurs intérêts particuliers (De Luca 2015, Emanuele et Marino 2016).
Cette alternance sans alternative dans la gestion des affaires publiques, certifiée par des indicateurs économiques, sociaux et culturels, bloque ou, au mieux, freine le développement de la région et empêche la formation d’une classe dirigeante dotée d’une solide expérience politico-administrative. Les répercussions sur la population calabraise en termes de déception et de frustration sont également importantes, celle-ci voyant se dérober les engagements pris par ses propres administrateurs à chaque nouvelle échéance électorale (Mete, p30-31, op.cit.).
L’alternance à la tête de la région, l’instabilité et l’incertitude de l’action gouvernementale qui en découlent ne sont donc pas seulement imputables à la dialectique normale des partis, mais aussi à l’incapacité ou à la réticence de la classe dirigeante, tant calabraise que nationale, à soigner un système politico-électoral infecté par le virus du « notabilato ». Il s’agit d’un système de domination et de soumission des affaires publiques aux intérêts privés, répandu dans tout le sud de l’Italie, mais qui, en Calabre, semble particulièrement enraciné et efficace, et qui peut être rattaché au phénomène, largement étudié par la sociologie, du « familismo amorale » (Cartocci, 1985).
D’un point de vue politique, la question calabraise semble s’inscrire pleinement parmi les cas de désinstitutionnalisation de la vie publique qui, dans cette région, n’est toutefois pas tant imputable à la naissance-mortalité des partis politiques (Sartori, 1976 ; Casal Bértoa, 2014) qu’au caractère temporaire de la position politique des « notables », dont le poids dans l’arène électorale est également accru par le mécanisme des préférences. Dans le cas de la Calabre, les conséquences de la désinstitutionnalisation sont donc également aggravées par les effets des mécanismes du « candidate-based system » (Fabrizio et Feltrin, 2007).
Ces considérations et la littérature citée forment le cadre théorique et fournissent une clé interprétative pour les analyses présentées ci-dessous, qui s’insèrent dans une perspective de moyen-long terme (élections locales 2010-2021) et mettent en évidence les aspects géo-électoraux en utilisant certains outils de la statistique spatiale.
Démographie électorale et abstentionnisme
Les 3 et 4 octobre, après avoir été reportées d’un an en raison de la pandémie de Covid-19, des élections anticipées ont été organisées — suite au décès prématuré de la présidente Jole Santelli — pour le renouvellement du Conseil et le Président de la Région.
Depuis 2010, c’est la quatrième fois (un record que la Calabre partage avec le Latium) que les Calabrais se rendent aux urnes pour élire les plus hautes institutions politico-administratives de la région. Lors de trois des quatre élections, le président de la région élu était issu du centre-droit (CD ; Scopelliti en 2010, Santelli en 2019 et Occhiuto lors de la dernière) et seulement lors d’une seule, en 2014, du centre-gauche (CG ; Oliverio). Au moins au cours de cette dernière décennie, l’orientation des électeurs a favorisé le CD. Toutefois, pour évaluer la signification politique de ce résultat, il convient de tenir compte de certaines données sur l’abstentionnisme, qui est désormais un phénomène endémique en Calabre (Truglia, 2011).
Lors des quatre élections considérées, le nombre de Calabrais ayant le droit de vote a fluctué autour de 1,88 million (figure a), dont, en 2010, environ 2 sur 5 ne se sont pas rendus aux urnes ; cette proportion a considérablement augmenté lors des élections suivantes jusqu’à dépasser la moitié des électeurs.
Par rapport à la taille démographique des communes, l’abstention est de loin la plus importante dans les communes de moins de 1 000 habitants. Cependant, depuis 2014, on constate une augmentation générale de ce comportement, avec des niveaux supérieurs à 55 % même dans les communes d’au moins 15 000 habitants, signe que l’abstention commence à s’enraciner même dans les zones les plus urbanisées.
Ce phénomène peut être attribué à des facteurs tant démographiques que politico-électoraux. En ce qui concerne les aspects démographiques, deux aspects doivent être soulignés. D’abord, entre 2010 et 2021, la population calabraise a diminué de plus de 150 000 personnes (-7,5 %), mais la réduction la plus constante (-116 000) a été enregistrée à partir de 2014, et s’élève désormais à -5,9 %. L’importance de ces chiffres indique que le dépeuplement concerne aussi bien les petites que les grandes municipalités (Natale, Santacroce, Truglia 2016). En outre, il faut tenir compte du fait que ceux qui quittent la Calabre sont principalement des jeunes qui, par nécessité ou par choix, décident d’émigrer vers d’autres régions ou à l’étranger (ISTAT 2021 : 156-157) et ne reviennent donc souvent pas voter (Mete 2020 : 32). Le deuxième aspect, lié à ce qui vient d’être dit, concerne le vieillissement de la population, dont l’âge moyen en Calabre entre 2010 et 2021 passe de 42 à 45 ans, tandis que l’indice de vieillesse
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passe de 130,2 à 169,5.
Il est clair, cependant, que lorsque le taux d’abstention dépasse les 40%, il n’est plus possible d’attribuer ce comportement à la seule « paresse » (Guelmini, 2013, Tuorto 2006, Corbetta, 1994), mais qu’il est également lié à des causes politico-culturelles. Parmi celles-ci, il y a en premier lieu l’incapacité de la classe politique à mettre sur la table une offre électorale adéquate et crédible. Dans ce cas, le choix de ne pas voter est davantage motivé par un choix politico-électoral précis que par la paresse (Truglia, 2013). Lorsque, comme dans le cas de la Calabre, on observe également une persistance temporelle de ce comportement, il est possible d’y voir un phénomène structurel (Truglia, 2011), comme cela ressort également des résultats présentés ci-dessous.
L’indice de corrélation entre les taux d’abstention pour les quatre années électorales est toujours positif, avec des valeurs comprises entre 0,604 (années 2021/2010) et 0,827 (années 2020/2014). La persistance temporelle de ce phénomène semble donc confirmer qu’il ne s’agit pas seulement d’un désintérêt des Calabrais pour les urnes. Dans ce sens, si nous regardons les corrélations entre les taux d’abstentionnisme et le vote pour chacune des deux coalitions, nous pouvons voir comment les valeurs de cette statistique sont généralement très proches de zéro (l’indicateur n’est supérieur à 0,10 qu’en 2010 et pour le CD en 2021), signe que l’offre politique n’est pas en mesure de canaliser dans la compétition électorale une partie substantielle de l’électorat calabrais. Selon toute vraisemblance, c’est donc plutôt la méfiance envers la classe politique, jugée incapable de remédier à des problèmes anciens et qui transparaissent clairement dans les principaux indicateurs socio-économiques et culturels, qui est la cause du comportement abstentionniste. À cet égard, il est intéressant de noter qu’au cours de la décennie considérée, le PIB par habitant de la Calabre est resté presque stationnaire à environ 28 000€, le taux de chômage étant de 20,1 % (+8,2 % par rapport à 2010) et le taux de chômage féminin de 22,6 % (+8,7 % par rapport à 2010), tandis que le nombre de jeunes diplômés (30-34 ans) est de 20,7 %. Ce chiffre place la région en avant-dernière position devant les Pouilles (19,8 %) et la Sicile (18,6 %). Dans ces deux régions, le nombre des jeunes diplômés a augmenté respectivement de 4 % et 4,4 % par rapport à 2010, alors qu’en Calabre, ils n’a augmenté que de 1,6 %.
Coalitions, partis et dirigeants
Lors des dernières élections, 424 666 électeurs ont voté pour le CD, soit 55,7 % des votants. Par rapport à 2010 et 2020, années où cette coalition a remporté les élections régionales, le CD perd respectivement 1,8 et 1,4 points de pourcentage. Cependant, ces deux pourcentages très similaires recouvrent des pertes très différentes en termes absolus. Dans le premier cas, le CD perd environ 20 000 électeurs, alors qu’il en perd 167 000 dans le second(soit à peu près la population de la ville de Reggio di Calabria).
Le CG en 2021 obtient 27,4 % des voix, soit un peu plus de 200 000 électeurs, en baisse de 1,8 points de pourcentage par rapport à l’année précédente et de 7,4 points par rapport à 2010. Comparé à la meilleure performance récente du CG, en 2014, le résultat de 2021 présente une baisse massive de 34,7 %, soit 273 808 électeurs.
Quant aux « troisièmes pôles » — à la seule exception du groupe dirigé par De Magistris, qui a dépassé 15 % des voix —, ils ne dépassent pas 9 % des voix. Ce pourcentage, s’il est considéré uniquement d’un point de vue arithmétique, ne peut pas combler la différence de voix entre la coalition gagnante et l’autre ; une différence qui est de 22 points en 2010, de 38 points en 2014 et de 27 points lors des deux dernières élections.
Cependant, la présence du « troisième pôle » a sans aucun doute une signification politique qui va au-delà de l’arithmétique. Elle peut être comprise à la fois comme un indicateur de la capacité de la classe dirigeante nationale et locale à servir de médiateur en conciliant les différents intérêts et demandes, et comme un signe de l’activisme de la société civile, qui continue à chercher des solutions plus conformes aux besoins régionaux que celles proposées par les forces politiques traditionnelles.
La figure c montre les valeurs de l’indice de corrélation pour les coalitions qui ont obtenu au moins 3% des voix ; les « troisièmes pôles » sont indiqués, à l’exception des M5S, avec les noms des candidats à la présidence de la région. Une première observation peut être faite sur la base de la comparaison entre les différentes années électorales pour le CD (en bleu clair) et le CG (en rose). La valeur de l’indice de corrélation sur les périodes 2010-2014, 2014-2020 et 2020-2021 est assez faible : pour le CG, il oscille entre 0,242 et 0,307 ; pour le CD, entre 0,294 et 0,449. Il semble cependant, à l’aune de ces données, que le CD soit mieux à même de fidéliser son électorat que le CG.
En 2021, la corrélation entre les votes pour De Magistris et ceux pour le CG et le CD est respectivement de -0,265 et -0,488, de sorte que dans les municipalités où De Magistris est plébiscité, le soutien au CG et, dans une plus large mesure, au CD diminue. Les valeurs de l’indice de corrélation d’intensité moyenne-haute indiquent une augmentation du niveau de compétition entre la coalition dirigée par De Magistris et les deux autres coalitions, et en particulier avec l’électorat CG sur lequel il exerce très probablement une certaine attraction politico-idéologique. Enfin, il faut noter que la popularité de De Magistris dans l’électorat calabrais est attestée par son succès personnel — pour l’élection à la présidence de la région, il a obtenu 16,2 % des voix, soit 1 % de plus que le total des voix obtenues par les listes qui le soutenaient.
Parmi les divers éléments qui différencient les deux camps en termes d’évolution dans le temps, on peut certainement souligner le type de candidat présidentiel et le rôle joué par les partis nationaux au sein des deux coalitions.
En ce qui concerne le premier aspect, il semble que la stratégie de chacun des deux camps ait évolué par rapport à 2010 : lors des deux dernières élections, le CG a davantage misé sur la « personnalité » du candidat présidentiel, tandis que le CD est plus fort en termes de votes de liste. Cette considération est également confirmée par la « nature » différente des candidats à la présidence, qui pour le CD sont issus de la « politique « (Scopelliti de l’AN, Ferro, Santelli et Occhiuto du PdL ou de la FI). Pour le CS, seuls Loiero et Oliverio sont des « hommes de parti », alors que lors des deux dernières élections, Callipo et Bruni appartenaient à la « société civile ».
L’étude du poids électoral des principales forces politiques permet d’évaluer leur implantation régionale, et donc leur propension à prendre en charge des problèmes spécifiques et à trouver des ressources et des solutions qui ne concernent pas toujours la seule région.
Lors des élections de 2010 à 2021, le Parti démocratique (PD, S&D) a maintenu une position centrale au sein du CG. En revanche, la position du Peuple de la Liberté (PdL) et de son successeur Forza Italia (FI, PPE) au sein du CD semble moins stable ; elle est en tous cas menacée par les ambitions des dirigeants de la Ligue (ID) et des Frères d’Italie (FdI, CRE) de diriger le CD au niveau national. L’un des effets du dynamisme électoral de Salvini et Meloni est certainement le déplacement du centre de gravité de la coalition vers la droite.
Lors des dernières élections, le PD était à la tête d’une coalition de sept partis et a recueilli à lui seul plus de 13% des voix, soit une baisse de 2 points de pourcentage par rapport à 2020 et de 10,6 points par rapport à 2014. Cependant, malgré cette baisse, l’incidence du PD au sein du CG reste très importante, allant de 38,4 % en 2010 à 51,9 % en 2020.
En 2020, Santelli est à la tête d’une coalition composée de six partis, dont trois d’envergure nationale. Dans ces élections, FI est rejoint par la Ligue, qui après le virage « nationaliste » de Salvini n’est plus un parti du Nord (Passarelli et Tuorto 2018 ; Truglia 2018) ; celle-ci conquiert 12,3 % de l’électorat calabrais. Le troisième parti de la coalition sont les FdI, qui recueillent un peu plus de 10 % des voix.
Le succès de la Ligue et des FdI dans le sud a connu un coup d’arrêt lors des dernières élections, non seulement en raison du déclin du FdI (-2,1 %) et de la Ligue (-3,5 %) et de la croissance simultanée de FI (+5 %), mais aussi parce que le nouveau président Occhiuto est issu des rangs de FI, un parti dont il était le chef de file à la Chambre des députés, réaffirmant ainsi sa centralité au sein du CD.
Territorialisation du consensus électoral
Lors des quatre échéances électorales, le nombre de municipalités remportées par la coalition gagnante a toujours dépassé 300. En 2014, le CG a obtenu la majorité des voix dans 394 des 404 municipalités qui composent le territoire calabrais (figure d). Cette dynamique semble être transversale tant par rapport aux provinces que par rapport à la taille démographique des communes. En particulier, les dynamiques électorales des 18 municipalités ayant une population d’au moins 15 000 habitants sont quasiment parallèles.
Ces larges victoires se traduisent également par des différences importantes entre les scores obtenus par les différentes forces politiques au niveau provincial. À l’exception des élections de 2010 pour la province de Cosenza, où la différence entre CD et CG est de 7,3 points, dans tous les autres tours électoraux cet écart est toujours supérieur à 10 points de pourcentage ; dans 20 cas, il dépasse 20 points de pourcentage, et dans le cas de la province de Cosenza en 2014 et de Reggio Calabria en 2020, il est même supérieur à 40 points de pourcentage (figure e).
Une analyse plus poussée permet d’identifier des groupes géo-électoraux composés de municipalités à la fois similaires en termes de comportement électoral et géographiquement contiguës. Cette approche analytique a été largement utilisée dans divers domaines disciplinaires, notamment dans des études pour lesquelles il est fondamental d’évaluer les effets de contamination ou de débordement entre les différentes unités d’analyse. Dans le domaine de l’analyse électorale, il faut mentionner, concernant l’Italie, les travaux d’Agnew, dont certains sont signalés dans la bibliographie.
D’un point de vue statistique, les indices auxquels il est fait référence sont l’indice d’autocorrélation spatiale (Anselin, 1980, 1986) et la statistique Gi* de Getis et Ord (1992). En restant dans le contexte des élections italiennes, cette statistique est également utilisée par Ignazi et Wellhofer dans leur étude sur le « vote catholique » (2017).
Avant de poursuivre l’illustration des résultats, il convient de donner quelques informations sur cette statistique, qui peut être formalisée comme suit :
où :
- xj est le pourcentage de consensus d’une force politique dans la j-ème municipalité ;
- Mx et Sx sont respectivement la moyenne et l’écart-type de la variable x ;
- wij sont les éléments d’une matrice de contiguïté W qui sont égaux à 1 ou 0 selon que deux municipalités partagent ou non une section frontalière 3 .
Les scores de cet indice, convenablement standardisés, permettent d’évaluer la significativité statistique (valeur p < 0,05) de la distance entre xi et Mx et d’identifier des partitions géo-électorales spécifiques, qui sont étiquetées comme suit :
- Hot : municipalités à soutien électoral élevé, contiguës d’autres municipalités à soutien électoral élevé ;
- Cold : municipalités à soutien électoral faibles, contiguës d’autres municipalités à soutien électoral faible ;
- Ns : municipalités des différences non significatives par rapport à la moyenne régionale.
La configuration territoriale de l’électorat calabrais aux élections locales de 2010, qui dans ce travail sert de référence géo-électorale, est caractérisée par la présence de deux grands clusters de soutien élevé qui sont situés, pour le CD, au sud et au centre, et pour le CG, dans la partie centre-nord de la région (figure f).
Le cluster de vote CD élevé est composé de 63 (16%) municipalités, la plupart dans la province de Reggio Calabria et, dans une moindre mesure, dans la province de Catanzaro. Plus étendu, mais avec un nombre inférieur de municipalités (53), le cluster de vote CG élevé s’étend le long de la partie centre-est de la province de Cosenza. Environ un quart du soutien pour le CD ,et un peu moins pour le CG, provient des électeurs de ces deux groupes, qui comprennent également les villes de Reggio di Calabria (CD) et Cosenza. (CG).
h) CG 2020 h) CD 2020 i) CG 2021 i) CD 2021
Le fait le plus évident dans la géographie électorale de 2014 est la forte réduction — plus importante pour le CD, qui est passé de 63 à 36 municipalités — des clusters de soutien des deux coalitions et la fragmentation territoriale conséquente de leurs bassins géo-électoraux respectifs (figure g).
La reconquête du leadership de la région par le CD en 2020 a deux effets géo-électoraux. Le premier est la formation d’un cluster de fort vote pour le CD composé de 68 municipalités, dont seulement 5 sont situées en dehors de la province de Reggio Calabria (figure h). Par rapport à 2010, le cluster présentant un faible taux de soutien au CD a considérablement changé, ne s’étendant plus seulement aux municipalités de la province de Cosenza, mais englobant une grande partie de la région de Crotone (figure i). Le deuxième effet est le fort remaniement et le déplacement du cluster « CG Hot » de la province de Cosenza à celle de Catanzaro. En fait, la zone de haut soutien au CG dans la région de Cosenza se réduit à un groupe plus restreint de municipalités autour du Pollino. Au même moment, dans la province de Catanzaro, un nouveau pôle apparaît, comprenant le même chef-lieu et un groupe de communes s’étendant le long de l’arrière-pays de la Serre jusqu’à la frontière sud de Vibo Valentia.
La géographie électorale dessinée par les urnes en 2021 confirme dans l’ensemble la configuration spatiale des zones de fort soutien des deux coalitions et, pour le CG, de ses zones de faible soutien (fig h, i).
Les changements les plus importants par rapport à 2020 sont : i) la sortie de la ville de Reggio di Calabria de la zone de fort soutien ; ii) la réduction de l’ampleur territoriale de ce groupe de 68 à 50 municipalités ; iii) la réduction significative du groupe à faible soutien.
Conclusion
Trois facteurs politiques et électoraux semblent avoir guidé le choix du peuple calabrais entre 2010 et 2021. La première est sans doute la plus grande capacité du CD à présenter une candidature unifiée capable de rassembler les différentes tendances de cet espace politique. La seconde, qui est en quelque sorte liée à la première, concerne la personnalité du candidat à la présidence de la région, qui, dans le cas du CD, vient toujours de la « politique » et non de la « société civile » et est peut-être perçu, au moins par ceux qui se rendent aux urnes, comme plus « équipé » sous l’aspect politico-administratif pour diriger la Région et plus lié aux partis nationaux. Le troisième élément est le rôle du parti de Berlusconi (FI) qui, malgré la pression de Salvini et de Meloni, reste fondamental tant en termes de votes qu’en termes d’ancrage territorial. Ce rôle est confirmé par le fait que deux des trois présidents du CD sont issus des rangs de FI.
La géographie électorale des années considérées montre une stabilité spatiale et temporelle importante dans la distribution des votes, qui contraste avec la discontinuité des majorités qui se sont succédé à la tête de la région. Cette contradiction n’est qu’apparente car ces deux aspects sont les deux faces d’une même pièce. Le fait que ce sont les votes qui, dans des zones spécifiques de la région, migrent entre les deux pôles électoraux qui décident de la victoire ou de la défaite électorale confirme, d’une part, la capacité des « seigneurs des préférences » (les notables locaux, cf. Emanuele et Marini 2015) à déplacer le consensus et, d’autre part, confirme l’efficacité de leur contrôle du territoire.
Lors des quatres échéanges électorales considérées, les électeurs ont voté massivement pour l’une ou l’autre coalition ; les Calabrais ne semblent donc pas connaître de « demi-mesures ». Ce comportement n’est certainement pas imputable à une particularité anthropologique de la population ; il s’agit plutôt d’une confirmation supplémentaire de l’« égarement » politique des électeurs ; ces revirements sont une conséquence, importante mais non exclusive, de la fragmentation de l’offre électorale et de la faiblesse — plus culturelle que politique — de la société civile, qui tend à se réfugier dans l’abstentionnisme.
Si l’on considère la différence de soutien entre les deux coalitions et le nombre de municipalités qui sont passées de l’une à l’autre, on a l’impression que les élections régionales en Calabre ressemblent à un jeu à somme nulle où celui qui gagne prend tout et celui qui est battu perd tout. Ce résultat, cependant, ne semble pas être dû, comme on l’observe dans d’autres régions, ni à la présence d’une force politique fortement radicalisée qui réussit à faire le vide autour d’elle, ni même à l’arrivée sur le terrain d’un candidat particulièrement charismatique. Dans le cas de la Calabre, ce jeu semble être largement alimenté par la faible fidélisation des électeurs, dont le vote va davantage à une personnalité qu’à un parti (Mete, 2020). Dans de nombreux cas, ce faible sentiment d’appartenance est probablement aussi alimenté par le souvenir de programmes électoraux qui n’ont jamais été réalisés. Cela conduit les citoyens calabrais à croire que les deux coalitions sont interchangeables entre elles comme dans une sorte de processus auto-entretenu de différences et de répétitions, selon le mot de Deleuze. De ces deux termes, c’est cependant bien le second qui donne corps à la dynamique électorale — donnant naissance une stationnarité politico-institutionnelle qui permet, dans une large mesure, de connaître à l’avance tant le résultat électoral que l’avenir politique du gouvernement régional.
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Notes
- Selon Prezzia (2020), lors des élections de 2020, le mouvement de cinq « notables » du centre-gauche vers le centre-droit a fait gagner à Santelli plus de 26 000 voix.
- Formule : (population > 64 ans) / (population < 15 ans) * 100.
- La contiguïté spatiale peut être opérationnalisée de différentes manières : distance entre barycentres, k plus proches voisins etc. Dans cet article, on considérera l’adjacence entre communes.
citer l'article
Francesco Giovanni Truglia, Élections régionales en Calabre, 3-4 octobre 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 104-112.