Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections régionales en Saxe-Anhalt, 6 juin 2021
Issue #2
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Auteurs

Christian Stecker

21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€

Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021

Introduction

Les élections régionales sont souvent interprétées comme des tests pour le gouvernement fédéral, surtout lorsqu’elles ont lieu la même année qu‘une élection fédérale. En effet, de nombreuses élections régionales s’avèrent être imprégnées par la politique nationale (Burkhart 2005 ; Völkl 2009). Les élections régionales de Saxe-Anhalt du 6 juin 2021, dernier scrutin au niveau régional avant les élections fédérales, n’auraient pas pu contredire plus clairement ce modèle. Ces élections ont souligné l’autonomisation croissante de la compétition politique dans les Länder, de plus en plus marquée par des ministres-présidents populaires, des systèmes de partis et des budgets thématiques distincts et — dans l’est du pays — par la confrontation avec l’AfD. Ces facteurs seront examinés plus en détail dans les paragraphes suivants et associés à une analyse d’autres aspects des résultats électoraux. De nombreux éléments empiriques se basent sur les résultats des sondages d’infratest dimap (2021) et du Forschungsgruppe Wahlen (2021).
A première vue, les élections régionales se sont déroulées dans l’ombre des élections fédérales qui devaient avoir lieu à peine dix semaines plus tard, le 26 septembre. La SPD et son candidat à la chancellerie Olaf Scholz, qui se trouvait début juin 2021 à 15 % dans les sondages, espéraient avoir le vent en poupe. Les Verts pensaient que leur bonne dynamique se traduirait enfin par des gains de voix lors d’une élection en ex-RDA. À la CDU/CSU, la la Saxe-Anhalt était également considérée comme un test pour le candidat à la chancellerie fraîchement désigné, Armin Laschet. Le président de la CDU et ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie ne s’était imposé que fin avril 2021 face au président de la CSU, Markus Söder, au terme d’une lutte de pouvoir acharnée. La candidature de Laschet restait controversée, notamment parce que Söder pouvait non seulement se prévaloir d’un plus grand soutien de la population, mais aussi de l’appui d’une partie importante de la CDU, notamment à l’Est. Haseloff lui-même s’était clairement positionné en faveur de Söder. Certains observateurs s’attendaient ainsi à ce qu’une défaite cuisante de la CDU/CSU remette en question le choix du candidat à la chancellerie.
Si l’on retire le filtre de la politique fédérale, des facteurs de politique régionale, qui se sont avérés décisifs par la suite, sautent rapidement aux yeux. Il y a d’abord la grande popularité du ministre-président, Reiner Haseloff. Haseloff, membre de la CDU depuis l’époque de la RDA, est entré pour la première fois au gouvernement du Land en 2002 sous la présidence de Wolfang Böhmer (CDU) en tant que secrétaire d’État. Lors des élections régionales de 2011, il a mené la CDU en tant que tête de liste et a obtenu un résultat nettement supérieur à la tendance nationale. En avril 2011, il a été élu ministre-président d’une grande coalition entre la CDU et la SPD. Le fait que 10 députés de la coalition lui aient (mathématiquement) refusé leur allégeance lors de l’investiture devait à nouveau jouer un rôle dix ans plus tard. Lorsque la grande coalition a perdu sa majorité lors des élections de 2016 (Holtmann et Völkl 2016), Haseloff a tenté une expérience politique : il a forgé la première coalition nationale dite kényane — une alliance entre la CDU, la SPD et les Verts. Cela est d’autant plus remarquable qu’en Saxe-Anhalt, une fédération régionale de la CDU très conservatrice fait face à une fédération régionale des Verts très progressiste. Les querelles au sein de la coalition étaient donc inévitables. Les agriculteurs de Saxe-Anhalt, particulièrement influents au sein de la CDU régionale, ont soudain dû tolérer une ministre verte de l’Environnement et de l’Agriculture, et les Verts ont dû vivre avec un partisan de la ligne dure de la CDU, Holger Stahlknecht, au ministère de l’Intérieur. Le SPIEGEL parlait de la plus grande alliance conflictuelle d’Allemagne (Lehmann 2021) et l’on a souvent frôlé de peu la rupture prématurée de la coalition. Le Landtag de Magdebourg a ainsi été régulièrement sous les feux des projecteurs au niveau national. Aux querelles de coalition, qui ont failli dégénérer six mois avant les élections régionales sur la question de la redevance audiovisuelle, s’est ajoutée la question cruciale du positionnement de la CDU vis-à-vis de l’AfD (Höhne 2020). Une partie de la CDU ne semblait pas hostile à une coopération avec l’AfD qui, particulièrement radicale en Saxe-Anhalt, avait fait une entrée fracassante au Landtag en 2016 avec 24,3% des voix.
La coalition kényane n’a obtenu que des taux de satisfaction moyens. Selon les sondages, environ la moitié de la population était satisfaite de son travail (Infratest dimap 2021). Les taux de satisfaction de Haseloff — et c’est une explication importante du résultat électoral ultérieur — dépassait de loin celle de sa coalition. Selon les sondages, 70 % des électeurs voyaient en lui un « bon » ministre-président. Haseloff se classait ainsi dans la même catégorie que des ministres-présidents populaires comme Bodo Ramelow (Die Linke) de Thuringe ou Michael Kretschmer (CDU) de Saxe, et n’était devancé que de peu par Winfried Kretschmann (Verts) du Bade-Wurtemberg (75 pour cent d’approbation). Il n’existe pas d’estimations de la popularité pour les autres candidats de premier plan en Saxe-Anhalt, et notamment Katja Pähle (SPD) — ces candidats étaient si peu connus qu’il n’a pas été possible de réaliser des évaluations représentatives. Ses niveaux élevés de popularité et de notoriété ont rendu extrêmement difficile pour les adversaires de Haseloff de trouver un angle d’attaque.
Outre la personne de Haseloff, la question cruciale dans la politique des Länder de l’Est — à savoir les relations avec l’AfD — devait jouer un rôle décisif dans l’issue du scrutin. Les jours précédant les élections ont été dominés par un coude à coude entre la CDU et l’AfD, amplifié par les médias. Un sondage INSA publié deux jours avant les élections régionales dans le journal BILD donnait l’AfD à 26 % et la CDU à 27 %. La Saxe-Anhalt risquait ainsi de devenir le premier Land où l’AfD pourrait devenir la force dominante dans un parlement régional. Les challengers d’Haseloff issus de la SPD, de Die Linke et des verts ont également encadré les élections régionales comme une question de politique démocratique et ont insinué que l’Union CDU/CSU ne représentait pas un rempart crédible contre l’AfD dans le Land : le lendemain des élections, on pourrait, suggérait-on en substance, se réveiller avec une coalition noire-bleue, couleurs respective de la CDU et de l’AfD. Une grande majorité de la population et des partisans de la CDU étaient opposés à une coopération entre la CDU et l’AfD.
Néanmoins, ce discours des challengers d’Haseloff a probablement été une erreur stratégique. Non seulement l’attention s’est focalisée sur la course entre l’AfD et la CDU, mais Haseloff lui-même avait répondu à la question cruciale de manière si claire et convaincante que presque aucun électeur n’a douté qu’une coopération avec l’AfD sous son autorité soit exclue. Haseloff et le président du Landtag, Sven Schulze, avaient clairement exclu toute coopération avec l’AfD. De plus, Haseloff avait limogé son ministre de l’Intérieur Holger Stahlknecht six mois avant les élections, après que celui-ci eut laissé entendre qu’après les prochaines élections, un gouvernement minoritaire de la CDU pourrait également être toléré par l’AfD. Dans le sprint final de la campagne électorale, Haseloff s’est lui-même érigé en rempart contre l’AfD, en qualifiant sa CDU régionale de « garante de cette démocratie, ici en Saxe-Anhalt ». Même si cela n’est pas clairement démontrable empiriquement, on peut supposer qu’un nombre important d’électeurs qui auraient plutôt voté pour les Verts, la SPD ou Die Linke ont donné leur voix à la CDU afin d’éviter que l’AfD ne devienne le premier parti dans la région.
Ces deux conditions importantes de l’élection ne sont pas propres à la Saxe-Anhalt. La personnalisation croissante autour de la personne des ministres-présidents a également été observée la même année lors des élections régionales dans le Bade-Wurtemberg et en Rhénanie-Palatinat. L’effet « course de chevaux » (horse-race effect) est, une fois de plus, un phénomène principalement est-allemand. Il permet par exemple de mieux comprendre le succès de Bodo Ramelow lors des élections régionales de Thuringe en 2019.

Résultats et variations des résultats électoraux

La Saxe-Anhalt copie sur des points importants le scrutin proportionnel personnalisé pratiqué au niveau fédéral. Les électeurs et électrices accordent deux voix. La première voix est attribuée à un candidat direct dans l’une des 41 circonscriptions électorales. Le candidat qui obtient le plus de voix dans la circonscription remporte le mandat. Le second vote permet d’élire une liste de parti fermée. Tous les partis qui ont obtenu au moins 5 % des voix au niveau régional participent à la répartition des mandats ; c’est avant tout le pourcentage des secondes voix qui est déterminant dans le calcul du nombre total de mandats attribués à un parti, ce qui garantit une grande proportionnalité. Le système électoral de la Saxe-Anhalt est donc un système mixte compensatoire.
Les résultats des élections régionales ont été une grande surprise. Avec une augmentation de 7,4 points de pourcentage par rapport à 2016, la CDU a été remporté ce qui a été décrit par les médias comme une victoire éclatante. Avec 20,8 %, l’AfD a été clairement distancée. Die Linke subi de lourdes pertes, tombant à 11,0 %. Avec 8,4 % des deuxièmes voix, le SPD a perdu 2,2 points de pourcentage par rapport aux élections régionales de 2016. Les pertes à long terme des deux partis sont dramatiques — en 1998, le SPD avait encore obtenu 36 % et le PDS, prédécesseur de Die Linke, 20 %. Malgré une légère progression de 0,8 points, les 5,9 % des Verts du Land ont été une cruelle déception. Au même moment, les Verts fédéraux se situaient à environ 22 % dans les sondages. Avec 6,4 % des voix, le FDP a fait son retour au Landtag de Magdebourg pour la première fois depuis 2011. Les Freie Wähler, qui se recrutent principalement parmi les anciens politiciens déçus de la CDU, sont restés bien en dessous de la barre des 5 %, avec 3,1 %. Le taux de participation a été de 60 %, soit à peu près le même niveau qu’en 2016.
La carte des circonscriptions gagnantes était presque entièrement noire. La CDU a remporté 40 mandats directs, n’en laissant qu’un seul à l’AfD dans la ville de Zeitz, limitrophe de la Saxe. En 2016, l’AfD avait remporté 15 mandats directs.
Le traitement médiatique du résultat des élections a surtout mis en avant le vainqueur Reiner Haseloff. Dans un photomontage, le journal de centre-gauche taz a placé la tête de Haseloff sur le corps de la star de Baywatch David Hasselhoff en tenue de maître-nageur et a titré « Le sauveur de la CDU ». Ce titre était également une référence aux nombreux journalistes et politiciens (pour la plupart d’origine ouest-allemande) qui prononçaient le nom de famille du gagnant de manière obstinément incorrecte, comme le nom de famille de l’acteur américain. Le rôle des sondeurs a fait l’objet d’une discussion critique, car le sondage INSA semblait avoir mis en scène un duel qui n’avait pas grand-chose à voir avec la réalité.

a • Scores des Verts par commune. Les communes urbaines sont entourées d’un liseré rouge.

Quels sont les thèmes qui ont déterminé le choix des électeurs ?

En sciences politiques, il est bien connu que les personnes et les positions ne sont pas les seules à jouer un rôle important lors des élections. L’importance des thèmes est également significative (Bräuninger et al. 2020 ; Meguid 2008). Les partis peuvent profiter d’une réputation de compétence sur les thèmes qui sont particulièrement importants pour les citoyennes et les citoyens. Il est vrai que l’agenda thématique ne peut être manipulé que de manière limitée par les partis et qu’il est souvent soumis à des influences externes (par exemple le Covid-19).
Depuis la réunification, les élections régionales dans les Länder de l’est de l’Allemagne sont marquées par un conflit portant sur la perception d’un désavantage subi par l’Est. Des indicateurs objectifs et subjectifs indiquent que ce désavantage se traduit notamment par des retraites et des salaires toujours plus bas, mais aussi par une plus faible représentation des Allemands de l’Est aux postes à responsabilité (Vogel 2020). En effet, 74 % des électeurs ont approuvé l’affirmation selon laquelle « les Allemands de l’Est sont encore des citoyens de seconde classe à de nombreux endroits ». Ainsi, le fait qu’Haseloff soit perçu par 65 % des sondés comme un défenseur sûr des intérêts est-allemands s’est ajouté à son capital de sympathie.
L’examen des priorités thématiques dans les décisions électorales montre que le contexte politique de la Saxe-Anhalt, région est-allemande, est totalement différent de celui de l’Ouest — une particularité qui peut surtout jouer en défaveur des Verts. Les thèmes de la protection sociale, de l’économie et de l’éducation ont été déterminants pour plus de 70 % des personnes interrogées, l’environnement et le climat n’arrivant qu’en quatrième position avec 8 %. Lors des élections régionales en Bade-Wurtemberg et en Rhénanie-Palatinat en mars de la même année, plus de deux fois plus de personnes interrogées plaçaient l’environnement en tête. Les partisans des différents partis ne se sont pas tous prononcés de la même manière sur le choix du thème. Sans surprise, le thème de l’environnement a dominé pour les électeurs des Verts, tandis que pour les électeurs de l’AfD, c’est surtout la migration et l’intégration qui ont été déterminantes.
Les Verts régionaux n’ont pas réussi à mettre en vant la question du changement climatique, sujet dont l’importance croissant dans l’opinion avait contribué à leur popularité au niveau fédéral. Un débat lancé par les Verts fédéraux sur l’augmentation du prix de l’essence est également arrivé au mauvais moment (Tagesspiegel 2021), car en Saxe-Anhalt, un nombre de personnes supérieur à la moyenne doit parcourir de grandes distances en voiture pour se rendre au travail. Le slogan officiel et de longue date du Land, « Nous nous levons plus tôt », s’appuyait ironiquement sur un sondage qui soulignait le fait que les habitants de la région se levaient tôt à cause de leurs déplacements.
Il est intéressant de noter que le traitement de la pandémie de Covid-19 n’a joué un rôle décisif que pour 6 % des citoyens. Les élections régionales ont eu lieu dans une phase de relative détente épidémique ; de nombreuses restrictions avaient entre-temps été retirées. Cela pourrait également expliquer en partie le mauvais résultat de l’AfD, qui a surtout tenté de se profiler en critiquant les mesures sanitaires des gouvernements régional et fédéral.
En ce qui concerne les compétences attribuées à chaque parti (Forschungsgruppe Wahlen 2021), la CDU était nettement en tête pour tous les thèmes pertinents. Ce n’est qu’en matière de politique climatique que les Verts devançaient la CDU/CSU, avec 30 contre 19 %, ce qui ne s’est pas traduit dans les urnes pour les raisons déjà évoquées. De même, en matière de politique des étrangers, 27 % attribuaient la plus grande compétence à la CDU et seulement 19 % à l’AfD. Cela a sans doute également contribué au succès limité de l’AfD avec son programme résolument nativiste (Pesthy, Mader, and Schoen 2021). Il convient toutefois de noter que l’attribution de compétences est fortement corrélée à l’identification du parti et à l’intention de vote. Par conséquent, les citoyens ne peuvent évaluer les compétences des partis que de manière limitée dans certains domaines conflictuels.

Tendances géographiques

Comparée aux Länder d’Allemagne de l’Ouest comme le Bade-Wurtemberg ou la Hesse, la variance sociodémographique de la Saxe-Anhalt est nettement plus faible. Néanmoins, l’observation spatiale des résultats électoraux met en évidence plusieurs tendances bien connues de la recherche électorale. Ainsi, la CDU et, de loin, l’AfD ont surtout eu du succès dans les zones rurales qui couvrent une grande partie du Land. Dans les centres urbains, les Verts ont obtenu des résultats bien supérieurs à la moyenne. Dans la ville la plus importante du Land, Halle, les Verts ont remporté près de 14 pour cent des deuxièmes voix et même presque un mandat direct dans une circonscription électorale de cette ville. Malheureusement pour les Verts, seuls 20 % environ des habitants de Saxe-Anhalt vivent dans des centres urbains.
Une analyse des composantes principales du comportement électoral montre qu’outre les Verts, la SPD, Die Linke et la FDP ont également connu un succès supérieur à la moyenne dans les zones urbaines. Concrètement, l’analyse en composantes principales chiffre à 14% les différences de voix entre les communes qui s’expliquent principalement par le soutien à ces partis dans les villes.

Formation du gouvernement et de la coalition

En tant que vainqueur incontesté des élections, Haseloff a eu le rôle de former le prochain gouvernement du Land de Saxe-Anhalt. La répartition des sièges suggérait une solution évidente — en théorie : la CDU et la SPD contrôlaient ensemble exactement une majorité absolue de 49 voix au Landtag de Magdebourg et auraient donc pu former une coalition minimale. Les coalitions minimales, c’est-à-dire les coalitions majoritaires auxquelles ne participe aucun parti qui ne serait pas nécessaire pour obtenir la majorité absolue (Müller and Strøm 2006), sont le modèle standard en Allemagne au niveau fédéral et régional (Bräuninger et al. 2019). Les gouvernements minoritaires (Klecha 2010) ou les coalitions non-minimales sont très rares. Gouverner même avec des majorités très minces n’est pas inhabituel ; cela s’est observé, à la même époque, avec la coalition noire-jaune dirigée par Armin Laschet en Rhénanie du Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé d’Allemagne. Dans la pratique, cependant, cette majorité à une voix près apparaissait trop fragile à Haseloff.
Pour diverses raisons, Haseloff ne pouvait pas être sûr de la cohésion absolue de son groupe parlementaire. Le nouveau groupe comptait au moins trois députés qui auraient pu avoir au moins un motif de refuser de lui faire allégeance. Ainsi, deux députés, Ulrich Thomas et Lars-Jörn Zimmer, ont été rétrogradés de vice-présidents de groupe à simples députés après avoir été élus, notamment parce qu’ils ont manifesté à différentes occasions une proximité avec l’AfD. Le prince héritier honni de Haseloff, Holger Stahlknecht, était revenu au Landtag de Magdebourg avec un très bon résultat dans sa circonscription. A cela s’ajoutait un nombre indéterminé de députés CDU qui ne soutenaient qu’à contre-cœur la stratégie d’une prise de distance claire avec l’AfD.
Haseloff devait surtout s’inquiéter de l’élection du ministre-président. Cette élection a lieu à bulletins secrets — ce qui pose divers problèmes de théorie démocratique (Decker 2020), et a récemment provoqué un tollé en Thuringe avec l’élection éphémère d’un ministre-président du FDP élu avec les voix de l’AfD (Debes 2021). En cas de vote à bulletins secrets, les éventuels dissidents ne sont pas identifiables et peut, libérés de toute obligation de transparence, poursuivre des mobiles différents lors du vote. Après l’élection, l’unité du groupe est ainsi plus facile à établir. Dans la vie parlementaire habituelle, le vote se fait de manière ouverte (à main levée ou en se levant de son siège) (Stecker 2015) et tout député qui ne serait pas fidèle au « sauveur de la CDU » aurait dû présenter des arguments très convaincants pour préserver sa position au sein du groupe.
C’est probablement pour ces raisons que Haseloff a cherché à obtenir une plus grande majorité parlementaire pour son nouveau gouvernement. La CDU a ainsi sondé le SPD, le FDP et les Verts à la recherche d’autres combinaisons gouvernementales. Parmi les choix possibles figurait la reconduction de la coalition kényane avec le SPD et les Verts, avec une majorité de six voix. Mais cette solution n’était guère envisageable pour les conservateurs de la CDU et la coalition kényane comptait parmi les constellations les plus impopulaires au sein de la population. Il en allait de même pour une coalition « jamaïcaine » — mathématiquement possible — entre la CDU, le FDP et les Verts. Les Verts eux-mêmes ont exclu de rejoindre une coalition en tant que partenaire surnuméraire.
La Saxe-Anhalt a donc à nouveau donné lui à la mise en place d’un nouveau modèle de coalition — une alliance entre la CDU, la SPD et la FDP, également appelée coalition « allemande » (noir, rouge, jaune) par les médias. Ce qui est inhabituel dans cette coalition, c’est que la FDP n’est pas nécessaire pour atteindre la majorité absolue — la coalition est non minimale. La dernière occurence de ce schéma remontait aux années 1950.
Le 16 septembre 2021, le Landtag a procédé à l’élection du ministre-président. Le premier tour de scrutin devait confirmer les craintes de Haseloff. Il n’y a pas obtenu la majorité nécessaire : seuls 48 députés ont voté pour lui, alors que la coalition réunissait en réalité 56 députés. Au second tour, Haseloff a toutefois été réélu au poste de ministre-président avec 53 voix. Le nouveau gouvernement noir-rouge-jaune comprend, outre le ministre-président, six ministres de la CDU, deux du SPD et un du FDP.
Les élections régionales ont eu certaines implications au niveau fédéral. La candidature d’Armin Laschet à la chancellerie semblait stabilisée par la victoire éclatante d’Haseloff et la CDU envisageait à ce moment-là une victoire électorale au Bundestag. Moins de trois mois plus tard, cependant, les élections fédérales ont pratiquement inversé le rapport des voix en Saxe-Anhalt. Avec 25,4 % des voix, la SPD a relégué la CDU (21 %) et l’AfD (19,6 %) en Saxe-Anhalt au second plan. De ce point de vue, les élections régionales du 6 juin 2021 en Saxe-Anhalt peuvent être considérées comme clairement marquées par une dynamique politique régionale.

Références

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Christian Stecker, Élections régionales en Saxe-Anhalt, 6 juin 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 23-29.

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