Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections régionales en Occitanie, 20-27 juin 2021
Issue #2
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Auteurs

Julien Audemard

21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€

Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021

Les élections régionales des 20 et 27 juin 2021 sont les premières depuis la fusion des anciennes régions françaises intervenue en 2015. La région Occitanie, née de la fusion des anciennes régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées en 2015, représente désormais 13% du territoire métropolitain français, avec ses six millions d’habitants répartis sur 13 départements, 4454 communes, et 162 intercommunalités, dont les deux métropoles de Toulouse et Montpellier.
Sur fond de contexte pandémique, le taux d’abstention atteint des niveaux records (66,7 % au premier tour, 65,3 % au second). Ces élections sont également marquées par un statu quo des équilibres politiques : aucune région de France métropolitaine ne bascule d’un camp vers l’autre. Les élections de juin 2021 consacrent ainsi l’hégémonie territoriale deux grands partis de gouvernement traditionnels, le Parti Socialiste (PS) et Les Républicains (LR), dont la position dominante aux niveaux national et municipal a été largement remise en question depuis plusieurs années par l’émergence de nouvelles forces — La République En Marche (LREM) — ou l’affirmation de forces d’opposition — La France Insoumise (LFI), Europe Écologie Les Verts (EELV) et le Rassemblement National (RN).
Le déroulement du scrutin en Occitanie n’a pas fait figure d’exception. L’abstention y a été très conséquente — 62,8 % pour le premier tour, 62,2 % au second — en très forte hausse par rapport aux scrutins précédents, en 2015 (+15 points et +17,7 points). Dans ce contexte, la prime aux sortants a été, plus que jamais, d’actualité. La liste PS menée par la Présidente de région sortante, Carole Delga, arrive très largement en tête au premier tour des régionales avec 39,6 % des suffrages exprimés, devant la liste RN, qui finit loin des scores que lui promettaient les sondages pré-électoraux (22,6 %), et la liste LR (12,2 %). Les listes EELV (8,8 %), LREM (8,8 %) et LFI (5,1 %) ne parviennent pas, quant à elles, à franchir le seuil des 10 % nécessaire pour se maintenir au second tour. À l’issue de ce dernier, la liste PS l’emporte avec une large majorité (57,8 %) face à la liste RN dont le score ne progresse pas (24 %) et la liste LR (18,2 %).
La majorité de gauche détient désormais 109 sièges, contre 87 lors de la dernière législature. Au sein de cette majorité, les élus membres du groupe socialiste voient leur position renforcée, avec 69 sièges contre 50 auparavant. EELV, dont la liste n’a cette fois pas fusionné avec la liste PS au second tour, perd les 8 sièges acquis en 2015 au profit des élus communistes, qui passent de 6 à 14 sièges. Au sein de l’opposition, si les élus LR et apparentés parviennent à conserver leurs positions, le RN apparait comme le grand perdant du scrutin régional. Les élus LREM et leur alliés (3 sièges en 2015) et les élus de la minorité d’extrême gauche (6 sièges en 2015) disparaissent quant à eux du paysage de l’assemblée de Toulouse.

Le PS, parti à l’hégémonie renforcée

Malgré une position somme toute confortable, avec une solide majorité régionale acquise en 2015 1 , le contrôle de tous les exécutifs départementaux de l’Occitanie à l’exception de l’Aveyron et du Tarn-et-Garonne et le retour dans le giron socialiste de Montpellier 2 , la gauche de gouvernement pouvait nourrir quelques inquiétudes quant à l’issue de ces nouvelles élections locales pour au moins deux raisons.
La première est liée à son incapacité à se situer vis-à-vis des formes de protestation contemporaines, qu’elles soient socio-territoriales, avec les Gilets Jaunes, ou socio-environnementales, avec les mobilisations sur le thème du changement climatique. Ce qui fut longtemps l’essence de la gauche et, en particulier dans une des régions les plus pauvres de France, la marque de son hégémonie territoriale, semblait lui échapper. La seconde raison est liée à ses propres problématiques internes : fin 2017, l’union construite entre les deux tours de décembre 2015 entre le PS et ses alliés et le groupe « Un monde nouveau en commun » issu lui-même d’une alliance entre écologistes, LFI, Parti Communiste Français (PCF) et régionalistes, éclatait avec la séparation entre LFI et les autres composantes, celles-ci restant alliées à la majorité socialiste dirigée par Carole Delga. La liste PS abordait les élections régionales de 2021 en étant donc concurrencée, à sa gauche, par LFI et par EELV, fort de ses récents succès aux élections européennes de 2019 et municipales de 2020.
Le résultat du scrutin régional des 20 et 27 juin 2021 peut à ce titre apparaître surprenant. La première raison à cela tient sans doute aux divisions propres aux adversaires de gauche du PS. Une partie des forces écologistes appelèrent ainsi à voter pour Carle Delga, en particulier à Montpellier. La seconde raison tient à l’abstention massive de l’électorat occitan. Si l’on retrouve, derrière cette large démobilisation, les écarts de participation traditionnellement constatés entre catégories et milieux sociaux (Braconnier, Coulmont & Dormagen, 2017), on constate que celle-ci est très largement structurée par un clivage urbain/rural (Tarrow, 1971).
On note ainsi des écarts significatifs aux premier tour des régionales entre la Haute-Garonne (36,7 %) ou l’Hérault (33,3 %), les deux départements les plus peuplés de la région, et la Lozère (48,4 %), le département le moins peuplé, ou encore d’autres départements ruraux comme le Gers (44,7 %) et le Lot (43,8 %). Plus mobilisés, les départements ruraux sont aussi ceux où l’abstention progresse le moins par rapport au premier tour de 2015. On observe de même une relation inverse entre la taille des communes et le taux de participation au premier tour de ces régionales : 51,8 % pour les communes de moins de 500 habitants, 43,6 % pour les communes de 500 à 1000 habitants, 38,9 % pour les communes de 1000 à 5000 habitants, 35 % pour les communes de 5000 à 40 000 habitants et 30,2 % pour les 13 communes de plus de 40 000 habitants de la région.
Les forces politiques de gauche telles LFI ou EELV ne pouvaient que constater l’échec de leurs entreprises solitaires, et la faiblesse de leur enracinement territorial d’autant plus rédhibitoire dans ce contexte de faible mobilisation des milieux urbains. À l’opposé, c’est bien sur son enracinement que la majorité sortante a pu compter pour très nettement amplifier toutes les prévisions sondagières. Le vote Delga est relativement homogène sur l’ensemble du territoire, avec de nouvelles zones de force, assez inhabituelles, jadis bastions incontestés de la droite (Lozère). Seul un espace spécifique et très peu mobilisé, le vaste littoral languedocien, reste l’une de ses principales zones de faiblesse.

À droite, le RN, une hégémonie de perdant

Conforté dans sa position dominante à droite lors des dernières élections européennes, le RN nourrissait a minima l’espoir de récidiver lors de ces régionales, dans une région où, avec ses alliés, il avait réussi, lors des municipales de 2020, à conserver les villes de Beaucaire et Béziers acquises en 2014 et avaient su remporter, en plus de Moissac, sa première commune française de plus de 100 000 habitants avec Perpignan. Sans qu’il ne soit possible de parler d’un véritable ancrage, le parti pouvait donc s’appuyer sur ces victoires, ainsi que sur un contingent de 36 élus régionaux répartis dans l’ensemble des départements.
Les élections régionales en Occitanie ont permis, comme ailleurs, de souligner les faiblesses structurelles du RN. En recul par rapport à 2015 dans tous les départements, ses zones de forces sont d’autant plus concentrées sur le littoral méditerranéen, où la chute de ses scores est plus contenue qu’ailleurs. La situation du RN lors de ces régionales remet une fois de plus en question la vieille idée d’un lien positif entre les scores du parti d’extrême droite et l’abstention. Il n’est pas absurde de penser que le RN pâtit, dans un contexte de très faible mobilisation, des caractéristiques de son électorat — urbain et périurbain, issu des classes populaires et de la petite classe moyenne. Ainsi, à de rares exceptions près, les scores du RN au premier tour sont systématiquement en recul par rapport à 2015 dans les communes de plus de 1000 habitants. S’il conserve une position hégémonique à droite où il devance la liste LR partout sauf dans trois départements (Aveyron, Lot et Lozère), elle ne lui assure même pas de maintenir les positions acquises en 2015 : le RN voit ainsi le nombre de ses élus régionaux chuter à 28.
Le faible nombre d’élus RN au sein des exécutifs communaux et départementaux peut également expliquer l’incapacité du parti à mobiliser une part plus importante de sa base électorale. À l’inverse, l’ancrage de la liste LR lui garantit dans un premier temps de se maintenir au second tour de l’élection puis de réaliser un score assez proche de celui de 2015, ce qui lui permet de conserver 21 sièges à l’assemblée régionale.
Alliés au Mouvement Démocrate (MoDem) lors de l’élection de 2015, LR n’avaient pu obtenir mieux que 21,3 % des voix au second tour, loin derrière les 33,9 % du Front National (FN), désormais première force à droite dans la région. Avant l’élection de 2021, l’alliance entre la droite et le centre avait tout de même permis de gagner Toulouse lors des municipales de 2014, puis de la conserver en 2020. Pour autant, contrairement à 2015, la droite et le centre gouvernementaux faisaient cette fois listes à part, LR s’alliant à l’Union des Démocrates et Indépendants (UDI) et LREM au MoDem.
Si la liste LR accuse un déclin significatif en 2021 par rapport au premier tour de 2015 dans l’ensemble des départements de la région, et en particulier dans les départements où le vote de gauche est le mieux implanté (Ariège, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées et Tarn), elle progresse très nettement dans le Lot, où son score de 2021 (34,8 %) augmente de 58 % par rapport à 2015 (22%), sans doute au grès d’un « effet d’amitié locale » (Audemard & Gouard 2020) bénéfique à la tête de liste régionale Aurélien Pradié, « l’enfant du pays ». Sans surprise, l’absence d’alliance s’est avérée être un échec le parti présidentiel qui ne bénéficie pas d’un tel ancrage. La liste menée par Vincent Terrail-Novès ne peut ainsi se maintenir au second.

Partis et territoires : une consécration en trompe-l’œil

Présentés comme des formes modernes d’organisation en passe de supplanter les partis traditionnels et leur structuration rigide et territorialisée, les mouvements ont d’autant plus mal vécu cette séquence électorale que l’implantation territoriale a été, elle, réhabilitée. Comme Europe Écologie Les Verts, La République En Marche n’a compté ni directement (élimination dès le premier tour) ni indirectement (absence d’alliance) à l’échelle régionale. Quant à la France Insoumise, elle essuie également une déroute qui tient à une sous-estimation, de sa part, des contraintes inter-partisanes du jeu politique. Dans son cas cependant, une autre contrainte, sociologique celle-ci, l’a atteint au même titre que le Rassemblement National : la démobilisation de son électorat populaire. En lieu et place de cette résistible ascension des mouvements contre les territoires, ce sont bien ces derniers qui ont fortement joué.
Il serait pourtant inapproprié de voir dans ces résultats une consécration. La désaffection d’une grande majorité de l’électorat pour les urnes s’est à nouveau confirmée. L’impasse démocratique devant laquelle se trouvent les partis demeure — plus que jamais — inscrite à leur agenda programmatique et stratégique. Leur est d’avoir été, avec la maîtrise des exécutifs sortants, les moins affaiblis par le mouvement d’abstention massive, accentué par le contexte pandémique, auquel ces élections locales n’auront pas échappé.

Références

Audemard, J. & Gouard, D. (2020). Friends, neighbors, and sponsors in the 2016 French primary election. Revisiting a classical hypothesis from aggregated-level data. Political Geography, 83.
Braconnier, C., Coulmont, B. & Dormagen, J-Y. (2017). Toujours pas de chrysanthèmes pour les variables lourdes de la participation électorale : chute de la participation et augmentation des inégalités électorales au printemps 2017. Revue française de science politique, 67(6), pp. 1023–1040.
Négrier, E. (2021). L’analyse électorale à l’épreuve de la recomposition politique. Le cas des élections municipales en Occitanie et à Montpellier. Pôle Sud, 54, pp. 13–30.
Négrier, E., Volle, J-P. & Coursière, S. (2016). Nouveaux territoires et héritages politiques. Les élections départementales et régionales de 2015 en Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées. Pôle Sud, 44, pp. 111–132.
Tarrow, S. (1971). The Urban-Rural Cleavage in Political Involvement: The Case of France. The American Political Science Review, 65(2), pp. 341–357

Notes

  1. Pour une analyse des scrutins départementaux et régionaux de 2015 en Occitanie, voir Négrier, Volle & Coursière (2016).
  2. Pour une analyse des élections municipales de 2020, voir Négrier (2021).
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Julien Audemard, Élections régionales en Occitanie, 20-27 juin 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 54-57.

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