Élections régionales en Guadeloupe, 20-27 juin 2021
Fred Reno
Professeur de science politique à l'Université des AntillesIssue
Issue #2Auteurs
Fred Reno21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€
Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021
A la différence de la Martinique et de la Guyane, la Guadeloupe est à la fois un département et une région. Les deux collectivités se superposent et partagent le même territoire formant un DROM (département/région d’outre-mer) dont l’appellation n’a pas de correspondance juridique. Au regard de la loi et de la constitution, seuls le département et la région existent.
En 2021 les électeurs « dromotisés » étaient appelés, le même jour, à voter pour désigner séparément, mais dans les mêmes bureaux, des conseillers départementaux élus au scrutin majoritaire à deux tours dans des cantons et des conseillers régionaux désignés, eux, au scrutin de liste majoritaire à deux tours sur l’ensemble du territoire.
Cette complexité du jeu électoral n’a pas eu d’incidences majeures sur le déroulement des élections, ni sur les résultats attendus.
Mais, comparé à l’élection régionale de 2015, le scrutin de 2021 est marqué par des différences notables dont le premier est le quasi plébiscite du président sortant.
En effet, Ary Chalus de la liste « Continuons d’avancer » a été réélu au second tour avec un score très élevé.
En 2015, il avait été élu avec 57, 49 % des votes, obtenant 28 des 41 sièges et éliminant Victorin Lurel (42,51 % et 13 sièges), ancien ministre et secrétaire général de la fédération socialiste locale.
En 2021, ratant de 600 voix sa réélection au premier tour, Chalus recueille 72,43 % des suffrages au second tour et 33 sièges. Il devance Josette Borel Lincertain de la fédération du parti socialiste à la tête de la liste « péyi-gwadloup » et présidente sortante du conseil général. Courant deux lièvres à la fois, elle enregistre un double échec. Battue aux régionales (22,57 % et 8 sièges), elle l’est aussi dans son canton, ce qui lui ferme les portes du conseil départemental qu’elle présidait.
Autres différences, le taux élevé d’abstention et l’augmentation du nombre de listes en compétition.
En 2021, 12 listes s’affrontent âprement, mais le nombre n’empêche pas une abstention record qui atteint 64 % des inscrits. En 2015, il y avait 10 listes et une abstention de 43 %. L’élection-plébiscite d’Ary Chalus s’accompagne donc d’une participation électorale peu élevée.
Comparé aux autres territoires français des Caraïbes, la Guadeloupe compte le plus fort taux d’abstention. En 2021, la Martinique enregistre un taux d’abstention de 56 % et la Guyane un taux de 54 %. Cette différence est d’autant plus surprenante que lors des dernières élections régionales de 2015, l’archipel guadeloupéen avait le taux de participation le plus élevé. Le taux d’abstention était de 42,68 % Guadeloupe, de 53,35 % en Guyane et de 47,66 % en Martinique.
Il est fort probable que l’augmentation du taux d’abstention en 2021 soit associée à la situation sanitaire et aux conséquences dramatiques de la diffusion du COVID 19 aux Antilles et singulièrement en Guadeloupe. Des électeurs dont la mobilisation est faible ou aléatoire en temps normal ont certainement évité de prendre des risques en allant voter.
Mais parallèlement à cette hypothèse, il faut prendre en compte une offre politique nouvelle et jeune notamment en Guadeloupe qui a vraisemblablement limité l’abstention en dépit de son score élevé.
Ce n’est pas en Guadeloupe que l’offre politique est la plus étoffée. Si il y 4 listes en Guyane, en Martinique on en compte 14.
Les quatre listes guyanaises ont la caractéristique d’être des coalitions et de faire une place importante, à la société civile, ce qui a réduit la profusion de listes.
Les listes guyanaises tendent à regrouper plusieurs partis alors que les principales listes martiniquaises présentes à la dernière élection ont implosé, favorisant ainsi une multiplication de listes.
En Guadeloupe on assiste aussi à l’irruption de la « société civile » à travers plusieurs listes qui s’en réclament sous l’appellation de « listes citoyennes ».
On y trouve notamment des personnalités qui expriment leur mécontentement sur les réseaux sociaux et qui ont utilisé l’élection régionale pour s’opposer à la vaccination, au passe sanitaire et qui ont fait la promotion d’une représentation individualiste de la liberté.
La conséquence quasi-inévitable de ces choix est un discours populiste mêlant refus des radars, arguments complotistes sur les nouveaux vaccins ou encore droit de disposer de son corps.
Les résultats électoraux de ces listes sont très faibles oscillant entre à 0,58 % et 2,88 %.
La plupart des commentateurs interprètent la participation de ces listes « citoyennes » comme un regain d’intérêt pour la politique. L’argument est objectivement vérifié même si les résultats sont faibles, mais il faut ajouter à l’explication la défiance et l’insatisfaction croissantes à l’égard d’une classe politique qui ne répondrait pas aux attentes de la population.
C’est vraisemblablement une des explications de la surprise « NOU » à cette élection régionale.
La liste NOU n’est pas « citoyenne », elle se proclame nationaliste. Elle est composée de jeunes candidats au profil sociologique inédit (plusieurs chefs d’entreprises figurent sur la liste), utilisant des méthodes de communication modernes et efficaces et démontrant une capacité de mobilisation étonnante. Elle n’obtient pas de sièges mais devient la troisième force politique du territoire avec 9,39% des suffrages au premier tour.
La dernière participation d’une organisation politique se réclamant du nationalisme date de 2004. Elle avait obtenu 3,94% des votes.
L’échec électoral de cette liste est perçu par son « capitaine » comme une victoire politique en raison de l’intérêt croissant de son discours et le nombre d’adhérents que le groupe enregistrerait depuis les régionales.
L’ampleur de la victoire d’Ary Chalus, associée à celle de son partenaire politique : Guadeloupe unie solidaire et responsable (GUSR) présidé par Guy Losbar, pourrait entrainer une recomposition du paysage politique. La première victime de cette recomposition en cours est la fédération locale du parti socialiste, fortement affaiblie au conseil régional et dépossédée de la présidence du conseil départemental. Le maire du Lamentin, un de ses principaux élus, participe à la fondation d’un nouveau mouvement dont le sigle est évocateur : Gwadloup plurielle et solidaire (GPS).
Cette recomposition s’opère autour d’un mot d’ordre plus ou moins explicite, la domiciliation du pouvoir qui a été un des thèmes de la campagne des régionales. Chacun y adhère en le déclinant diversement.
Par delà les différences d’interprétation, le sentiment d’appartenance à un territoire, à une identité culturelle fait son chemin. La langue créole est parlée sans complexe dans tous les espaces et par tous. Même l’ancien préfet de Guadeloupe, devenu directeur de cabinet du ministre des outre-mer n’hésitait pas à prononcer quelques mots en créole pour conclure des entretiens. Le drapeau du parti indépendantiste Union populaire pour la libération de la Guadeloupe (UPLG) est devenu, pour ceux, de plus en plus nombreux qui le portent, un emblème « national » sans être associé à l’indépendance. Autant de signes d’une guadeloupéanité renouvelée qui gagne en affirmation identitaire tout en perdant en vitalité contestataire. Autrement dit l’affirmation identitaire ne signifie pas que les électeurs soient prêts à sortir d’une dépendance qui à leurs yeux est pourvoyeuse de ressources (Reno 2001 ; Reno 2021). Sur ce terrain peu de listes prennent le risque de proposer un aménagement de cette dépendance en posant ouvertement la question de l’autonomie. D’accord pour l’autonomie alimentaire, d’accord pour l’autonomie énergétique sans comprendre qu’il s’agit vraisemblablement des dimensions possibles d’une formulation crédible de l’autonomie politique. Le contexte mondial, le discours des représentants de l’Etat et les revendications locales plaident pourtant en faveur de cette autonomie.
Le contrat de gouvernance concertée, signé après les élections régionales et départementales entre Ary Chalus candidat à la présidence de la Région et Guy Losbar candidat à la présidence du département, est de ce point de vue intéressant.
L’objectif est de rapprocher les deux assemblées afin d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques publiques locales plus performantes.
Ce contrat serait le moyen d’éviter les enchevêtrements que génère le DROM et d’améliorer la prise de décision locale.
Dès le préambule du document cet objectif est précisé :
« Nous soussignés, candidats aux élections régionales et départementales des 20 et 27 juin 2021, affirmons par notre signature notre volonté de fonder un Contrat de Gouvernance Concertée au service de l’efficacité de nos politiques publiques et du développement de la GUADELOUPE.
Le sens du pays exige une concertation et une cohérence entre l’action régionale et l’action départementale. » (Contrat 2021 : 2)
On y voit même la préfiguration d’un changement statutaire.
La démarche est explicite : « C’est en ce sens qu’il faut Penser Guadeloupe et Agir Guadeloupe, pour garder le cap d’un aménagement profond de l’organisation de nos institutions, tout en gérant tout d’abord l’urgence d’un fonctionnement plus cohérent et efficace des actions départementale et régionale » peut-on lire dans ce document (Contrat 2021 : 2).
Toutes les hypothèses de gradation de l’autonomie sont ouvertes.
« Notre réflexion pourra donc utilement porter sur un réaménagement de l’organisation institutionnelle, une nouvelle répartition des compétences, voire un véritable pouvoir normatif local dans certains domaines de compétence » (Contrat 2013 : 3)
En réalité, ces perspectives ne sont pas garanties par le rapprochement des deux exécutifs.
La sacro-sainte théorie des blocs de compétences est invoquée ; ce qui peut signifier que l’architecture institutionnelle actuelle pourrait demeurer. Pourtant, il suffit de lire un des derniers rapports de l’Assemblée nationale sur le bilan de la décentralisation (Questel & Schellenberg 2019) pour comprendre qu’au niveau local, les politiques publiques sont nécessairement intersectorielles et donc loin d’être étanches comme pourrait laisser penser cette croyance dans la répartition du pouvoir en blocs de compétences. La conclusion de ce rapport est sans appel : la théorie des blocs de compétences est une impasse. Le contrat de gouvernance concertée né avant les élections locales pourrait lui aussi être une impasse s’il aboutit à conforter le DROM.
Au delà de ces nouveautés, deux listes sur les douze en compétition ont publiquement et pour la première fois, utilisé les notions d’ethnie pour l’une (Parti socialiste), d’indo-guadeloupéens et d’afro-guadeloupéens pour l’autre (Rassemblement national) pour signifier la représentativité de leur liste sur un territoire où ces notions sont rarement utilisées.
Dans ces deux cas, la finalité de la démarche n’est pas de protéger une communauté menacée mais de présenter la société comme un ensemble de communautés que l’on a rassemblé.
Les communautés que l’on n’identifie pas explicitement ou que l’on sélectionne sont unies par un logo multicolore et donc une liste multiculturelle à l’instar du « péyi Gwadloup » représenté par une mosaïque.
Comme l’ont montré des anthropologues à propos des peuples autochtones d’Amérique, l’ethnicité peut être un outil pour transcender les identités locales et construire des solidarités plus larges, c’est peut-être l’objectif que s’assigne cette liste dont la caractéristique est de réunir des ethnies inconnues dont les seules signes de reconnaissance seraient les phénotypes des personnes qui les composent.
Lors des régionales l’Europe est peu présente dans la campagne électorale.
Elle devient un enjeu politique lorsque se pose la question du changement politique du territoire. La question se résume généralement à l’intérêt ou pas du maintien de la collectivité dans l’espace communautaire et du statut européen souhaitable : RUP (Région ultrapériphérique) ou PTOM (Pays et territoire d’outre-mer) ? En 2003 et en 2010, lorsqu’il a fallu répondre sur le choix entre les régimes juridiques offerts par la constitution, le débat a été vif.
Les partisans de l’identité législative (article 73) étaient persuadés que c’était la seule option pour maintenir le statut de RUP. La nouvelle rédaction de la constitution après la révision de mars 2003 et le cas de Saint Martin montre que l’offre statutaire de l’Etat et le statut européen du territoire dépendent avant tout de la volonté politique des élus et du consentement de la population.
Références
Contrat (2021). Le Contrat de Gouvernance Concertée : pour une région et un département en capacité de répondre ensemble aux besoins des guadeloupéens. En ligne.
Questel, B. & Schellenberger, R. (2019, décembre). Rapport d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe). Assemblée nationale, commission des lois constitutionnelles n° 2539.
Reno, F. (2001, janvier). Qui veut rompre avec la dépendance ? In Autrement, La Guadeloupe, Temps incertains, 123, pp. 236-249.
Reno, F. (2021). La départementalisation, la dépendance consentie : le paradoxe guadeloupéen. In Justin Daniel et Carine David (dir.), 75 ans de départementalisation, L’Harmattan.
citer l'article
Fred Reno, Élections régionales en Guadeloupe, 20-27 juin 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 75-78.