Élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 20-27 juin 2021
Issue
Issue #2Auteurs
Christine Pina , Gilles Ivaldi21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€
Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021
Loin de se solder par un bouleversement des équilibres politiques moult fois annoncé, les élections régionales de 2021 en région Sud-PACA ont toutefois nuancé quelques tendances observables depuis les années 1990-2000.
Des élections régionales en région Sud sous haute surveillance
En région Sud, les élections régionales auraient pu passer inaperçues tant elles semblaient soldées avant même d’avoir eu lieu. Quelques semaines avant l’échéance de juin 2021, se dessine en effet un duel RN-LR probable au 2nd tour construit par les sondages pré-électoraux. Les huit sondages publiés en juin avant le premier tour donnent la liste Thierry Mariani (RN, ex UMP) à 42 % en moyenne des voix, contre 33 % pour la liste du président sortant, Renaud Muselier, et à peine 15,5 % pour la liste d’union de la gauche emmenée par l’écologiste Jean-Laurent Félizia (EELV).
Ce cadrage, amplement relayé par les médias, donne à ces élections locales un arrière-goût de déjà-vu. Outre qu’il fait la part belle aux commentaires sur une région PACA promise au Front national-RN, il traduit aussi l’implantation politique de l’extrême droite dans le sud-est depuis les années 1990, que ce soit dans les instances municipales, départementales et régionales, quand bien même les législatives de 2017 avaient acté d’un recul du mouvement lepéniste en région Sud.
Des différences de taille viennent toutefois donner à ces élections de 2021 un petit air de nouveauté : tout d’abord, le président sortant, Renaud Muselier, dirige la région depuis le retrait du Président élu Christian Estrosi en 2017. C’est donc la première fois qu’il mène campagne comme tête de liste. Ensuite, ces élections ont un goût de revanche pour la gauche, qui, privée de représentation régionale depuis sa défaite en 2015, assure ne pas vouloir se retirer en cas de second tour à l’avantage de l’extrême droite. Les appels à l’unité et à la mobilisation des électeurs viennent témoigner du double enjeu de ces élections régionales : éviter une victoire RN et peser à nouveau dans les assemblées, alors même qu’à Marseille par exemple, les élections municipales ont donné quelques espoirs aux militants et aux élus de gauche. Enfin, et la différence est de taille, alors qu’en 2015, les sondages d’intention de vote donnaient l’avantage à la droite républicaine, en 2021, c’est bien la liste Thierry Mariani (RN, ex UMP) qui, dès début mai 2021, apparaît comme la probable vainqueur du scrutin.
Loin de la répétition annoncée de 2015, ces élections de 2021 ont mis en évidence des changements qui ne sont pas anecdotiques. Retenons d’abord que ces élections régionales ne se sont pas déroulées dans le silence partisan. En annonçant le 2 mai dans le JDD le retrait de la liste LREM au bénéfice de la liste Muselier, Jean Castex, premier Ministre, démontrait combien ces élections régionales constituaient un enjeu de taille pour le parti macroniste dans la perspective de la présidentielle à venir, laissant entrevoir le positionnement droitier de LREM. Christian Estrosi, maire de Nice, et Hubert Falco, maire de Toulon, favorables à cette « recomposition politique » (selon les termes du premier Ministre) en profitaient pour quitter les Républicains, en dénonçant au passage les jeux d’appareils parisiens et la surdité du parti face au risque d’une victoire d’extrême droite.
De son côté, le parti Les Républicains se déchirait entre deux camps : celui des favorables à des négociations au cas par cas avec le parti présidentiel ; celui des élus et militants considérant toute alliance avec LREM comme une ruse, voire une trahison et représentés par Éric Ciotti (député des Alpes-Maritimes) et Bruno Retailleau.
Autre changement de taille : la recomposition de la gauche dans la région. En 2015, Christophe Castaner (PS) menait la liste régionale de la gauche tandis qu’EELV faisait cavalier seul derrière Sophie Camard. En 2021, c’est l’écologiste Jean-Laurent Félizia (EELV) qui incarne cette famille politique en réussissant à rallier le PS, le PC et Génération.s sur une même liste. Au-delà de la poussée écologiste dans les urnes depuis les années 2010 en région Sud, cette nouveauté illustre bien la fragilité d’une gauche partisane (PS et PC) bousculée dans les scrutins locaux par EELV, en quête de leader après les conversions à LREM en 2017 et contrainte de jouer les forces d’appui pour ne pas disparaître des assemblées.
Au final, 9 listes s’affrontent en région Sud au 1er tour : aux trois citées précédemment, il faut ajouter entre autres, la liste conduite par Jean-Marc Governatori (Cap Écologie) nouvel élu au conseil municipal de Nice et la liste conduite par Isabelle Bonnet pour Lutte Ouvrière.
Une participation et un RN en baisse, la gauche à l’étiage
Les taux de participation, comme dans de nombreuses régions françaises, chutent très fortement par rapport à 2015 : sur l’ensemble de la région, le taux d’abstention progresse de 18,2 points, pour attendre 66,3 %. Si en 2015, l’abstention était majoritaire dans les seules Bouches-du-Rhône, en 2021, elle l’est dans tous les départements.
L’abstention paraît avoir affecté de manière inégale les différentes forces politiques. En pourcentages des électeurs inscrits, les deux forces qui reculent le plus sont le Rassemblement national et la gauche. Le RN semble d’une manière générale avoir moins mobilisé que la droite classique au sein de son pool électoral potentiel : Renaud Muselier perd trois points par rapport au score de Christian Estrosi en 2015 ; pour le Rassemblement national, c’est presque neuf points, et pour la gauche plus de six.
Au deuxième tour, la tendance abstentionniste se confirme, même si la participation frémit. Cette tendance abstentionniste est tout sauf nouvelle : outre qu’elle fait suite à des records déjà observés lors des municipales de 2020, elle témoigne du faible engouement des électeurs pour ce type de consultation. Dans un contexte encore marqué par les incertitudes de la crise sanitaire, les électeurs, en PACA comme ailleurs, se sont tournés vers les partis en place au niveau régional.
Au soir du premier tour, 3 listes peuvent prétendre se maintenir : la liste de Thierry Mariani, arrivée en tête avec 36,4% des suffrages, la liste de Renaud Muselier qui la talonne avec 32% et la liste d’union de la gauche (cf. figure a). Les résultats soulignent l’extrême faiblesse de cette dernière : avec 17 % des voix, la gauche marque un recul sensible par rapport à 2015 (24 %
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) face au duopole droite-RN. La liste conduite par Jean-Laurent Félizia doit, comme en 2015, choisir entre deux options : se retirer pour ne pas obérer une victoire de la droite ou se maintenir pour espérer siéger à nouveau. Finalement, après 24 heures de tractations et de consultations, le chef de fil du « Rassemblement écologique et social » annonce le retrait de sa liste, laissant une nouvelle fois la droite et l’extrême droite s’affronter seules au second tour.
Si la liste de Renaud Muselier l’emporte finalement le 27 juin avec 57,3 % des suffrages, l’explication ne tient pas seulement au renoncement de la gauche. Elle tient à la fois dans les revirements de position au sein des Républicains (Éric Ciotti finit par apporter son soutien à la liste Muselier) mais aussi dans les résultats en baisse du Rassemblement national dans la région. En effet, que ce soit au 1er ou au 2nd tour, le parti perd des suffrages (sauf dans les Alpes-Maritimes où il progresse), en particulier dans les Bouches-du-Rhône mais aussi dans le Vaucluse où la liste de Marion Maréchal-Le Pen était majoritaire au second tour des régionales de 2015.
En 2021, si la liste de Thierry Mariani arrive en tête dans 4 des 6 départements de la région au soir du 1er tour (exceptions faites des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes) (cf. figure c), le 2e tour scelle les effets d’un front républicain construit dans l’urgence mais pas sans regrets (cf. figure b). Au final, les résultats attestent de l’échec relatif de la stratégie de « dédiabolisation » du RN au travers du choix de confier la tête de liste à l’ex-UMP Thierry Mariani qui échoue à ravir la région.
Avec 84 sièges, la liste de Renaud Muselier solidifie sa domination au sein du Conseil régional et doit composer, à nouveau, avec une opposition constituée uniquement d’élus du RN.
Dynamiques spatiales : une région plurielle
On observe dans les départements qui composent la région des dynamiques assez différentes liées à des identités politiques spécifiques (cf. figure a et figure c). La liste Félizia obtient ses meilleurs scores dans les deux départements alpins — Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence — marqués de longue date par l’influence de la gauche et du syndicalisme, ainsi que dans les Bouches-du-Rhône traditionnellement plus orientées à gauche.
La liste Mariani arrive en tête dans quatre des six départements — à l’exception des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes — et réussit ses meilleures performances dans le Var et le Vaucluse, deux bastions traditionnels de l’extrême-droite dans la région.
Dans les Alpes-Maritimes, les résultats du premier tour confirment le rééquilibrage à droite qui s’est opéré dans le département au profit du parti de Marine Le Pen depuis les précédentes régionales de 2015 (Ivaldi & Pina 2016). Contrairement aux autres départements côtiers, les résultats de la liste Muselier en 2021 sont plus faibles que ceux de la liste Estrosi six ans auparavant, dans un contexte marqué par les profondes dissensions au sein de LR entre partisans d’une alliance avec LREM, tel Christian Estrosi, le maire de Nice, et ceux, comme Eric Ciotti, qui s’y sont farouchement opposés.
Au second tour, la liste Muselier arrive en tête dans tous les départements de la région, bénéficiant partout, en partie au moins, du front républicain soutenu, en particulier, par MM. Félizia et Governatori.
Le président sortant du conseil régional fait ses meilleurs scores notamment dans les trois départements où la gauche a obtenu ses meilleurs résultats au premier tour, à savoir les deux départements alpins et les Bouches-du-Rhône. C’est également là qu’il enregistre ses plus fortes progressions entre les deux tours, témoignant d’une mobilisation plus forte de l’électorat modéré dans ces deux zones. La liste RN réalise quant à elle ses meilleures performances dans ses bastions traditionnels du Var et du Vaucluse, ainsi que dans les Alpes-Maritimes.
L’analyse au niveau des communes des corrélations entre les gains de R. Muselier entre les deux tours et le niveau des différentes listes au premier tour confirme que la progression de la droite classique a été plus forte en moyenne là où les scores en faveur de la gauche et de la liste Governatori étaient plus élevés
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. En revanche, on n’observe aucune corrélation significative entre le niveau des deux finalistes, l’abstention ou le regain de participation au second tour.
A gauche, les corrélations les plus fortes sont visibles dans les Hautes-Alpes, les Alpes-Maritimes, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône : les gains de la liste conduite par le président sortant du Conseil régional y sont d’autant plus élevés que la gauche était forte dans la commune au premier tour (cf. figure e). Dans le Var ou les Alpes-de-Haute-Provence, en revanche, les corrélations apparaissent beaucoup plus faibles et les reports de la gauche vers la liste Muselier semblent y avoir été moins systématiques.
Logiques socio-démographiques : chômage et vote des communes populaires
Derrière les performances des principales listes se dessinent aussi les grandes lignes de clivages socio-démographiques qui structurent généralement le vote en PACA. Avec en premier lieu l’importance du vote RN dans les grandes agglomérations de la région : au premier tour, la liste Mariani totalise 37,1 % des suffrages exprimés à Nice, 36,5 % à Toulon, 31,9 % à Marseille et 34 % en Avignon. Cette implantation plus urbaine de l’extrême-droite en PACA tranche avec sa faiblesse dans la plupart des grandes villes françaises : au premier tour, le parti de Marine Le Pen recueille à peine 7,9 % des voix à Paris, 10,1 % à Lyon ou 11,2 % à Toulouse, par exemple.
On retrouve également en PACA la dimension populaire du vote en faveur du RN avec, cependant, des effets différentiels selon les contextes. Ainsi que l’illustre la figure g, la présence ouvrière a un effet positif et significatif sur le vote Mariani dans les départements les plus pauvres de la région, en particulier le Vaucluse. Dans les zones plus riches, telles les Alpes-Maritimes, le vote RN est négativement corrélé avec le pourcentage d’ouvriers dans la population active
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.
A l’inverse, le vote Muselier du premier tour apparaît plus concentré dans les communes plus riches. On observe une corrélation négative significative en fonction du taux de chômage dans les communes (cf. figure g) : le candidat de la droite et du centre obtient ses meilleurs résultats dans les communes où le chômage est faible ; ses scores sont beaucoup plus faibles en revanche là où le chômage est plus élevé et cet effet est relativement comparable dans l’ensemble des départements de la région.
S’agissant, pour terminer, du vote en faveur de la liste de gauche, on note une corrélation positive avec le taux de chômage dans la commune, avec, ici aussi, des effets différentiels selon les départements. L’impact du chômage sur le vote Félizia est particulièrement notable dans les Alpes-de-Haute-Provence où le candidat a semble-t-il mobilisé dans des zones plus rurales. A l’inverse, le vote en faveur de la gauche est beaucoup plus faible dans les communes du Vaucluse où le taux de chômage est plus élevé et dont on a souligné qu’elles se sont tournées, pour l’essentiel, vers la liste RN conduite par Mariani (cf. figure g).
Ces clivages s’estompent au second tour sous l’effet de la logique du front républicain dressé face à la liste RN, quand bien même le vote en sa faveur demeure plus élevé en moyenne dans les communes plus populaires et les plus affectées par le chômage, à l’instar des communes du Vaucluse notamment.
Conclusion
Les élections régionales de 2021 en région Sud-PACA ont au final livré un résultat assez proche des grandes tendances observées au niveau national : en dépit de sondages prometteurs, le RN a échoué une nouvelle fois à s’emparer d’une région qui lui semblait promise. Cet échec en PACA, auquel ont fait écho les déconvenues du RN dans plusieurs grandes autres régions que l’on pensait à sa portée, montre les limites de la stratégie de normalisation du parti voulue par Marine Le Pen et prive cette dernière du grand marchepied électoral qu’elle avait espéré dans la perspective de la présidentielle de 2022.
Comme en 2015, la gauche entame une nouvelle traversée du désert au niveau régional. Absente du conseil depuis six ans, son poids dans la région a encore baissé en 2021 pour se retrouver à l’étiage.
En PACA, comme dans nombre d’autres régions, le scrutin régional a mis en évidence les faiblesses organisationnelles de LREM et l’absence d’implantation locale du parti présidentiel, contraint de forger alliance avec la droite classique, éléments essentiels d’une très probable candidature d’Emmanuel Macron à un second mandat.
A droite, enfin, le psychodrame qui s’est joué autour de la constitution de la liste Muselier témoigne des difficultés de LR de se positionner aujourd’hui dans un espace politique entre LREM et le RN. La capacité des Républicains de résoudre cette équation stratégique sera, à n’en pas douter, une des clés de la présidentielle et, pour ce qui concerne PACA, des législatives.
Références
Ivaldi, G. & Pina, C. (2016, 16 janvier). PACA, une victoire à la Pyrrhus pour la droite ? Revue politique et parlementaire, numéro spécial « Élections régionales 2015 », n°1078.
Notes
- Pour la comparaison avec 2015, nous avons additionné les scores des listes conduites par Ch. Castaner (PS) et S. Camard (EELV).
- Sans qu’il soit naturellement possible ici d’en inférer les comportements individuels des électeurs.
- Ces probabilités sont calculées dans une régression linéaire multiple au niveau des 946 communes de PACA, en contrôlant l’effet de la densité de population, du taux de chômage dans la commune et du pourcentage d’ouvriers qui y résident.
citer l'article
Christine Pina, Gilles Ivaldi, Élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 20-27 juin 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 64-69.