Le droit au temps du coronavirus
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Hugo Pascal , Vasile Rotaru21x29,7cm - 80 pages Issue #0, juin 2020 12,90€
Le droit au temps du coronavirus
Le Groupe d’études géopolitiques lance la Revue européenne du droit (RED), une publication scientifique bilingue éditée semestriellement. Au carrefour de la géopolitique, des relations internationales, des sciences sociales et économiques, elle se veut une source de débats critiques autour des principales questions du monde contemporain abordées d’un point de vue juridique et stratégique, et sous un prisme européen.
La crise est le laboratoire du droit
La crise nie le droit. L’exigence de mesures exceptionnelles, urgentes et inédites en effacent le présupposé et le pari anthropologique fondamental, la prévisibilité des comportements et la régularité des situations. Sa rigidité, indispensable pour en faire un repère en d’autres circonstances, devient alors un obstacle ; ses tergiversations, ses temps de réflexion et d’analyse, autant d’actions manquées. Bref, aux faits nouveaux un droit nouveau.
Sa première réaction est donc de s’effacer ; l’essentiel est d’éviter que n’en découlent aveuglement des conséquences indésirables. Ses formalités sont allégées : tel est le cas du droit des sociétés ou du droit des entreprises en difficulté, pour éviter que les insuffisances de trésorerie aboutissent sur des liquidations inopportunes en chaîne. Ses contraintes sont relâchées : tel le régime des aides d’État, pour libérer l’action de l’État providence, qui retrouve subitement toute sa grandeur. Tout le cadre ne peut pourtant pas être ignoré : en témoignent les réponses disparates des États membres et l’impuissance institutionnelle européenne, tout sauf implacable. Ses bornes traditionnelles commencent à céder : la crise n’est pas le temps des libertés, dit-on, seul « l’homme probable » est parfaitement gérable.
Le tout sans en ignorer l’usage lorsqu’il s’avère utile, pour protéger les lanceurs d’alerte ou pour arguer de l’occurrence d’une force majeure justifiant la non-exécution des obligations contractuelles. Il en va de même lorsque l’on cherche à obliger Amazon à uniquement livrer des produits essentiels, à condamner Axa à indemniser les pertes d’exploitation de restaurateurs parisiens pendant la période de confinement ou encore, pourquoi pas, à chercher la responsabilité de l’État pour une gestion fautive de l’épidémie.
Le droit n’est pas à l’arrêt. Le temps de crise n’étant que temporaire, les mesures exceptionnelles doivent s’insérer dans une toile cohérente : comment les interpréter et en gérer les conséquences dans un monde plus complexe que celui conçu par les rédacteurs des textes écrits en toute urgence ? Les juristes sont monolingues, leurs concepts et termes, construits soigneusement à travers le temps, subissent difficilement les perturbations exceptionnelles : nier le droit n’est pas nier ses locuteurs.
Vient enfin la question d’un après-Covid. La nouvelle réalité sociale et économique entraînera, sans doute, des changements plus ou moins profonds des équilibres institutionnels. Nous commençons à en percevoir les contours. Faudra-t-il renforcer l’autorité de l’Union européenne en matière de santé, afin d’apporter une réponse coordonnée et solidaire à toute crise future ? Est-on en train de connaître les prémisses d’un véritable changement de paradigme du système de commerce international, un basculement vers le nationalisme et l’isolationnisme économique ? Comment traiter les dettes souveraines, dont le remboursement n’est plus envisageable ? De manière encore plus profonde, comment le droit du travail s’adaptera-t-il aux changements provoqués par cette crise sans précédent ?
La crise veut nier le droit, mais elle ne nie pas la réflexion qui lui est propre. Bien au contraire, la science normale étant remise en question, ses forces innovantes y trouvent un véritable laboratoire ; leur mobilisation n’est jamais aussi urgente. C’est l’objectif du présent dossier spécial que d’offrir à nos lecteurs un aperçu de cet effort de compréhension et construction d’un droit adapté aux temps. Nous remercions nos auteurs de nous en avoir offert l’occasion.
citer l'article
Hugo Pascal, Vasile Rotaru, Le droit au temps du coronavirus, Groupe d'études géopolitiques, Juil 2021, 2.