Libéralisme et droit de la concurrence : autour du principe d’autonomie
Guy Canivet
Premier Président honoraire de ela Cour de cassationIssue
Issue #1Auteurs
Guy Canivet21x29,7cm - 134 pages Issue #1, septembre 2020 12,90€
La compliance, une idée européenne ?
Nul n’ignore que l’origine du libéralisme est la reconnaissance de l’individu comme concept de base de l’organisation sociale ; un individu libre, à égalité de droits quelle que soit sa position, en puissance de vouloir les règles qui le gouvernent et affranchi de toute soumission naturelle tant à la religion qu’à l’État. En un mot, un individu « autonome », au sein d’une société civile, tout à la fois laïque et distincte de l’État. À partir de cette idée fondatrice, toute l’histoire intellectuelle du libéralisme fut la recherche du lien de cet individu avec la société. Si l’individu est autonome, qu’est-ce qui institue la société dans laquelle il vit ? Après diverses théories philosophiques, dans cette quête fondamentale, s’est progressivement imposée, depuis le XVIII° siècle, l’idée que ce lien résidait dans les rapports du commerce et qu’il était donc de nature économique 1 .
C’est le point de départ du concept de « société de marché », pour certains du « dogme du marché » 2 . Mais quelle que soit la nature de ce lien : soumission volontaire à un pouvoir protecteur mais absolu, le « Léviathan », chez Hobbes 3 , contrat pour la garantie du droit de propriété pour Locke 4 , adhésion à une organisation politique démocratique séparant les pouvoirs, pour Montesquieu 5 , inclusion dans la nation pour la Révolution 6 ou enfin réciprocité des intérêts individuels, pour Adam Smith 7 et à sa suite les utilitaristes (Ricardo, Bentham, Mill) 8 , le rattachement social de l’individu est nécessairement en tension avec sa liberté 9 . Il la bride plus ou moins d’une manière ou d’une autre. De cette relation entre liberté individuelle et contrainte sociale, dépend le degré d’autonomie de l’individu qui serait le principe dialectique de l’organisation politique dans une société libérale.
L’économie de marché n’échappe pas à cette logique mais elle la renouvelle 12 , il n’est aujourd’hui guère contestable que le jeu naturel et spontané du marché ne suffit pas à sa propre régulation 13 . Pour que l’économie de marché remplisse les objectifs du droit de la concurrence, qu’il s’agisse de l’efficience économique ou du bien-être du consommateur, tout opérateur doit être soumis à des règles dont le respect est imposé par l’État 14 . La doctrine ordo-libérale allemande insiste particulièrement sur la force nécessaire de ces règles 15 . L’autonomie des opérateurs n’est donc pas absolue, elle est encadrée.
Or précisément, d’autre part, la théorisation des rapports de marché par la doctrine américaine de la fin du XIXème siècle a démontré que, dans la mise en relation de l’offre et la demande de biens et services, le marché ne peut fonctionner qu’à la condition que les acteurs économiques agissent de manière autonome 16 . Par un effet miroir, pour la protection du marché, l’autonomie doit tout à la fois être imposée aux uns pour être garantie aux autres. C’est un devoir prescrit pour la protection d’un droit.
De cette analyse est né le droit anti-trust qui, depuis les États-Unis, s’est lentement répandu partout dans le monde, y compris en Europe et en France 17 .
I. L’autonomie, principe substantiel du droit de la concurrence
Appliqué à la substance du droit de la concurrence, il y a deux manières de comprendre le concept d’autonomie. Tout d’abord, comme l’estiment les ultra-libéraux, à condition d’être plus ou moins régulée, la libre concurrence suffirait à régler l’organisation de la société 18 . Ce serait un droit fondamental autonome, exclusif de toute autre intervention de l’État. De ce point de vue, le rôle de l’État serait strictement limité à la protection de la sécurité des personnes et des biens 19 . C’est ce premier aspect qui doit être soumis à critique. L’autre approche est la prise en compte du principe d’autonomie dans le contenu du droit de la concurrence ; elle consiste à examiner comment et jusqu’à quel point, pour l’individu économique, l’autonomie est imposée ou garantie par des règles impératives. L’objet du droit de la concurrence serait d’encadrer l’autonomie des acteurs pour la protection du marché. Le droit de la concurrence serait donc tout à la fois un droit autonome (A) et un droit de l’autonomie (B).
A – Un droit autonome ?
Est-il soutenable que le libre jeu de la concurrence sur le marché soit dans l’ordre juridique un droit fondamental autonome et exclusif, assurant à lui seul le bon fonctionnement de la société ? Fondateur d’un ordre concurrentiel, il primerait tout autre principe juridique, bornant le rôle de l’État et créateur du « droit constitutionnel d’un marché transcendant les règles nationales » 20 . Autrement dit, aucune loi ne devrait perturber le libre exercice de la concurrence sur le marché. Les promoteurs de cette doctrine et leurs arguments sont connus 21 , il n’est guère besoin d’y insister. Mais cette théorie correspond-elle à la réalité ?
Le vérifier consiste à examiner la position de la liberté de concurrence dans les droits fondamentaux supranationaux, dans le droit du commerce international, en droit européen et en droit constitutionnel interne, afin de comprendre comment cette liberté prend place dans l’ordonnancement juridique. Ce qui est en cause c’est sa position dans la hiérarchie des normes (1). Toute autre est la question de l’autonomie de la méthode du droit de la concurrence tant du point de vue des concepts que de la logique de raisonnement (2).
1 – L’autonomie du droit de la concurrence dans la hiérarchie des normes
Sur le plan international, la question incite à regarder la place de cette liberté dans les grandes conventions instituant des droits fondamentaux 22 : droits civiques et politiques 23 , droits économiques et sociaux 24 , droit de l’environnement 25 , etc. Il s’agit aussi de la situer dans les règles d’organisation du commerce international et notamment dans celles de l’OMC 26 . En résumé, cet examen révèle que la libre concurrence n’est pas comprise dans les droits fondamentaux de source internationale, qu’elle peine à s’instituer comme un principe effectif du commerce international et que, si, incontestablement, le marché est le vecteur de la globalisation de l’économie, ni le droit international, ni les droits nationaux ne parviennent à assurer sa protection effective à l’échelle mondial 27 . Pour le dire de façon moins négative, l’enjeu est aujourd’hui réduit à la recherche d’un modèle de coopération internationale efficace pour la protection du marché 28 .
La même démarche s’impose en droit européen. En tant que telle, la liberté de la concurrence n’est directement comprise ni dans la Convention européenne des droits de l’homme 29 ni dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE) 30 . Mais est-elle un principe fondateur de l’UE 31 ?
Depuis l’origine, la politique de la concurrence, telle que prévue par les traités successifs, s’est progressivement imposée dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) comme un facteur primordial de l’intégration économique des États membres 32 . À tel point qu’en 2004, le Traité établissant une constitution pour l’Europe a voulu élever la libre concurrence au rang des objectifs autonomes de l’Union au même titre que l’espace de liberté de sécurité et de justice (article I – 3 2°) : « L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté de sécurité et de justice sans frontières intérieures et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » 33 .
Le Traité de Lisbonne 34 , qui s’y est substitué en 2007 dans les circonstances que l’on connait, marque le recul de cette ambition 35 . L’article 3 du Traité sur l’Union européenne (TUE), qui fixe les buts de l’Union, ne cite plus expressément la liberté de la concurrence, il indique « L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique ».
Selon cet article, d’une part, l’établissement du marché intérieur n’est pas le seul but de l’Union européenne, c’est un but parmi d’autres, ce qui n’est pas nouveau, d’autre part, ce qui est plus innovant, le rappel de l’économie de marché, réduite à un des moyens d’établissement du marché intérieur, se réfère à une « économie sociale de marché » qui intègre la protection de l’emploi et le progrès social. C’est donc dans cette mesure que l’Union dispose de d’une compétence exclusive pour « L’établissement de règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur » (article 3, – 1 b du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne TFUE).
En outre, la garantie d’une concurrence non faussée n’est pas expressément reprise à l’article 26 du TFUE relatif au marché intérieur : « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités. » Enfin, on sait que la réalisation du marché intérieur est une des composantes des 24 politiques et actions internes de l’Union européenne dont traite la troisième partie du TFUE. Dans cette partie, les règles de concurrence (Chapitre 1 du Titre VII) sont évoquées sous l’angle générique des « règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations ».
Même si le Protocole 27 sur « le marché intérieur et la concurrence » annexe au traité de Lisbonne, et qui en fait partie intégrante (article 36 du TUE), rappelle que « le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article 3 du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée » 36 , et quelle que soit la portée que la CJUE donne au rappel de cet acquis communautaire 37 , il est difficile de dire que la protection de la libre concurrence est traitée de manière autonome dans les textes constitutifs actuels de l’UE. Sur ces bases, il appartient à la CJUE, qui, comme on le sait, interprète les articles 101 et 102 du TFUE en considération des objectifs du traité, de préciser l’intégration des règles de la concurrence dans l’ordre juridique de l’Union 38 .
Dans l’ordre interne, c’est d’abord au regard de l’incidence du droit de l’UE qu’il convient d’examiner l’autonomie du droit national de la concurrence, étant considéré, d’une part, que le droit européen de la concurrence est de la compétence exclusive de l’Union, d’autre part, qu’il prime les droits nationaux, s’applique directement, et de manière uniforme, en cas d’affectation du commerce entre les États membres 39 , enfin qu’il existe, en fait, une convergence quasi-absolue entre le droit national et de droit de l’UE et qu’au surplus, cette convergence est renforcée par l’institution, depuis 2003, d’un réseau européen des autorités de la concurrence qui coordonne l’action de la Commission et des autorités nationales de la concurrence tout en instaurant entre elles un système de coopération pour la mise en œuvre des règles européennes de concurrence applicables aux entreprises 40 . Seule demeure l’autonomie procédurale des États membres pour l’application de ces mêmes dispositions. Mais cette autonomie procédurale, restrictivement interprétée par la jurisprudence de la CJUE 41 est, en outre, très encadrée, notamment par la directive ECN+ du 11 décembre 2018 42 .
Toujours dans le système interne, le second point est la place du droit de la concurrence dans l’ordre constitutionnel 43 . Même s’il se fonde sur les libertés économiques garanties par la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : égalité des droits, droit de propriété, liberté d’entreprendre et liberté contractuelle – ce qui n’a rien d’étonnant puisque ce sont les principes fondateurs du libéralisme d’où est issue l’économie de marché –, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le principe de libre concurrence n’est toutefois pas de valeur constitutionnelle. Le juge constitutionnel admet, en revanche, qu’il participe de l’ordre public économique et que de ce fait, la nécessité de la protection du marché peut justifier des atteintes proportionnées aux droits et libertés garantis par la Constitution 44 .
C’est selon cette logique des restrictions justifiées et proportionnées que le principe de libre concurrence se concilie avec les exigences constitutionnelles, notamment avec les droits sociaux garantis par le préambule de la Constitution de 1946 ; ce qui n’a cependant guère été exploré. La position constitutionnelle du principe de libre concurrence est donc ambiguë ; d’un côté, il se fonde sur les libertés économiques, de l’autre, il peut leur porter des atteintes proportionnées aux objectifs qu’il poursuit.
Il en résulte que le droit de la concurrence est à combiner avec les différentes composantes de l’ordre juridique interne, droit de propriété, droit de la responsabilité, droit des contrats, droit des sociétés, droits sociaux, droit de l’environnement… 45 C’est l’affaire de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Pour beaucoup, ce travail reste à faire 46 .
En définitive, on comprend que l’autonomie du principe de libre concurrence n’est que relative, et qu’à cet égard la théorie ultralibérale est largement invalidée. Ce qui ne veut pas dire que cette matière juridique, composante essentielle du droit économique, n’ait pas développé une méthode d’application autonome.
2 – L’autonomie méthodologique du droit de la concurrence
Il est en effet incontestable que la méthode d’application du droit de la concurrence est spécifique. Elle se caractérise, d’une part, par des concepts et une logique de raisonnement qui lui sont propres, d’autre part par l’intégration de l’analyse économique dans le raisonnement juridique 47 .
L’originalité du droit de la concurrence se traduit d’abord dans la formulation de la règle. Dans l’énoncé, elle ne se réfère pas seulement à des catégories ou à des critères juridiques mais en grande partie à des notions économiques : « activité de production de distribution et de service », « marché », « entreprise », « ententes » « position dominante », etc. En outre, les prohibitions : pratiques concertées ou abus de position dominante, ne sont pas définies en termes généraux mais appliquées à une liste de comportements caractéristiques énumérés de manière non limitative. Ces interdictions sont au surplus édictées en considération de l’objet ou de l’effet anticoncurrentiel de ces pratiques. Quant aux exceptions, elles sont aussi prévues en fonction de leur « effet » de « progrès économique » et de « partie équitable de profit » réservée aux utilisateurs.
Les mêmes caractéristiques se retrouvent dans les textes relatifs aux concentrations dont le contrôle repose lui aussi sur des conditions d’« atteinte à la concurrence », de « création ou renforcement d’une position dominante », de « puissance d’achat » ou de situation de « dépendance économique », etc. Au surplus, lorsque les juridictions donnent un contenu à ces termes, elles se réfèrent à d’autres notions économiques : par exemple la notion de marché renvoie à la « substituabilité » des biens et services qui n’est pas un critère juridique 48 .
Cette particularité dans la formulation du droit de la concurrence emporte deux conséquences, l’une sur la logique du raisonnement, l’autre sur la relation nécessaire entre juristes et économistes dans sa mise en œuvre. Au stade de son application, le droit de la concurrence ne met pas en œuvre la logique déductive, en principe, propre à la méthode juridictionnelle classique, il ne consiste pas à poser une règle générale pour l’appliquer au cas particulier, selon un syllogisme, à une situation caractérisée à partir des qualifications juridiques posées par la règle.
Cette figure logico-déductive du raisonnement judiciaire, au demeurant largement remise en cause par la théorie contemporaine, est totalement subvertie en matière de concurrence où est implémentée une méthode particulière imposée par la formulation de la règle. La démarche consiste à inférer la décision – prohibition ou non d’une pratique – d’une situation de fait examinée selon les notions, calculs et modèles de l’analyse économique : délimitation et caractéristiques d’un marché, modélisation des pratiques prohibées, analyse de l’objet ou de leur effet anticoncurrentiel, mesure d’un éventuel effet de progrès économique et appréciation de l’intérêt du consommateur.
Quant au montant de la sanction, il se détermine en fonction d’un critère d’efficacité répressive qui nécessite une approche économique, ne serait-ce que pour en rechercher l’effet dissuasif. Enfin, l’octroi de réparations par les juridictions civiles, encouragé et organisé par la directive européenne du 6 novembre 2014 49 , exige tout autant le recours à l’analyse économique pour l’évaluation des dommages subis par la victime des pratiques fautives. Ceci se vérifie encore dans le contrôle des concentrations, tant en ce qui concerne la délimitation du marché pertinent, la mesure de la concentration du marché, son impact sur la concurrence que l’évaluation des gains d’efficacité 50 .
Mobilisant tout à la fois le raisonnement juridique et l’analyse économique, à tous les stades institutionnels, une étroite coopération entre juristes et économistes est nécessaire pour la mise en œuvre effective d’un droit de l’autonomie des opérateurs économiques sur le marché 51 .
B – Un droit de l’autonomie
La question est classique, l’autonomie est la notion structurante du droit de la concurrence (1). Mais cette exigence n’est pas absolue ; tant en droit européen qu’en droit national, elle connaît de nombreux accommodements (2).
1 – L’exigence d’autonomie
En principe, l’exigence d’autonomie s’impose tant en ce qui concerne l’application du droit de la concurrence, que l’imputation des pratiques anticoncurrentielles. En premier lieu, l’autonomie de comportement des opérateurs est indispensable au bon fonctionnement du marché. Par opposition à l’économie planifiée, dirigée ou administrée, les opérateurs n’exécutent pas les ordres d’une autorité publique. Ils ne doivent pas davantage être soumis à la puissance économique d’une ou d’un groupe d’entités privées qui réduirait leur faculté d’agir.
Dans le respect de la loi, ils doivent ou doivent pouvoir décider de leur politique commerciale en toute liberté. C’est cette indépendance et l’incertitude qui en résulte sur leur stratégie marchande qui permet la rencontre de l’offre et de la demande pour établir le prix d’équilibre. On comprend alors que ce mécanisme serait faussé si les opérateurs se coordonnaient, explicitement ou implicitement pour entraver le libre jeu de la concurrence sur le marché ou si un opérateur en position de domination, principalement en qualité d’offreur, éventuellement en qualité de demandeur, abusait de sa puissance pour réduire la concurrence ou encore si des opérateurs pouvaient se concentrer de manière horizontale, verticale ou conglomérale en produisant un effet identique.
Quoique par des mécanismes différents, l’exigence d’un comportement autonome s’impose tout à la fois en droit des ententes, en droit des abus de domination ou en matière de concentration d’entreprises. Tel est le fil rouge tant dans les décisions des instances de l’UE et dans celles de l’autorité nationale de concurrence que dans celles des juridictions de contrôle 52 .
Ces obligations de comportement autonome, ne peuvent évidemment être imposées qu’à des entités qui jouissent de la latitude nécessaire pour décider librement des modalités d’exercice de leur activité économique. De sorte que d’une part, le droit de la concurrence ne s’applique, exclusivement, en droit de l’Union, essentiellement en droit interne, qu’à des entités économiques, les entreprises, précisément caractérisées par leur aptitude à agir de façon autonome sur le marché, d’autre part, la sanction des pratiques illicites n’est imputable qu’aux entités qui, en fait, ont, en toute autonomie, effectivement mis en œuvre de telles pratiques.
Cette gouvernance économique autonome ne résulte pas de la forme juridique de ces entités, et notamment de ce qu’elles jouissent ou non d’une personnalité juridique ; elle s’apprécie de manière empirique, au cas par cas. Néanmoins, la procédure ne peut être conduite et la décision, injonction ou sanction, exécutée qu’à l’encontre des personnes physiques ou morales dans le patrimoine desquelles l’entreprise se trouve ou s’est trouvée à l’époque des pratiques. Entre application du droit et imputabilité des pratiques, d’un côté, implication procédurale et opposabilité de la décision, de l’autre, on passe de l’autonomie de la gouvernance économique à celle de la gouvernance juridique. Il en résulte une jurisprudence complexe et nuancée, notamment en ce qui concerne les pratiques mises en œuvre au sein ou par des groupes de sociétés 53 .
2 – Les modulations de l’exigence d’autonomie
Tel est le principe d’autonomie. Mais qu’il s’attache au comportement ou à la gouvernance des opérateurs, il est largement modulé. En premier lieu, par construction, le champ d’application du du droit de la concurrence étant limité à l’activité économique, il ne concerne pas les secteurs d’activité de nature différente, soit parce qu’ils sont rattachés à la puissance publique 54 – et mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique –, soit parce qu’ils sont à finalité sociale et reposent sur une logique de solidarité 55 . Dans le cadre de ces activités, les entités qui les exercent peuvent donc être plus ou moins subordonnées au pouvoir de l’État.
En deuxième lieu, l’exigence d’autonomie des acteurs ne concerne pas certains secteurs que la loi soustrait totalement ou partiellement au droit de la concurrence. Tel est le cas, en droit de l’Union, de ceux qui sont soumis à des régimes spéciaux : industries de défense, agriculture, transport, électricité et gaz, postes et télécommunication électronique 56 . Tandis qu’en droit national, est donnée à la loi la faculté de faire échapper certaines pratiques aux prohibitions 57 et au gouvernement, à certaines conditions, celle de réduire par décret l’autonomie des opérateurs, notamment en matière de fixation de prix, selon certaines circonstances ou sur certaines parties du territoire 58 .
En outre, d’autres entreprises sont soumises à un régime particulier du droit de la concurrence, telles, en droit de l’Union, les entreprises qui interviennent dans des secteurs régulés, les entreprises publiques ou titulaires de droits spéciaux ou exclusifs ou encore les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général.
Enfin on sait que, tant en droit de l’Union, en matière d’entente, qu’en droit national, en toute matière, les prohibitions peuvent être déclarées inapplicables à des pratiques qui, à certaines conditions, contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique 59 .
Le principe d’autonomie est donc largement modulable pour la réalisation de politiques économiques et sociales. Ces exceptions permettent à l’Union européenne et, sous son contrôle, aux États membres de faire varier l’application du droit de la concurrence en fonction de diverses considérations d’intérêt général, notamment en agissant sur le comportement des acteurs.
Le concept de « modulation » est ici employé à dessein pour marquer que l’intérêt général n’est pas un facteur de limitation du droit de la concurrence ; c’est au contraire la pierre angulaire d’une doctrine moderne de la régulation du marché qui prend en compte le bien-être collectif dans toutes ses dimensions, non seulement économiques mais sociales, culturelles et environnementales. Selon cette orientation soutenue par la « Nouvelle école industrielle », il n’y aurait pas de contradiction entre la liberté de la concurrence et les autres valeurs constitutives du lien social intégrées dans une nouvelle conception des rapports de marché. Ce à quoi invite d’ailleurs l’article 3 du TUE, dont la jurisprudence du Conseil constitutionnel pourrait utilement s’inspirer dans l’ordre interne. Ces mêmes considérations politiques influent sur l’autonomie des acteurs dans la réalisation du droit de la concurrence.
Dans l’incidence du principe d’autonomie il y a une continuité entre la liberté d’action des acteurs sur le marché et la garantie juridictionnelle de cette liberté. La stratégie contentieuse prolonge la stratégie économique.
II. L’autonomie, principe existentiel du droit de la concurrence
Reconnaître une existence autonome au droit de la concurrence consiste à confier la régulation du marché aux acteurs eux-mêmes en leur donnant le droit de faire cesser les pratiques anticoncurrentielles – donc contraires à l’exigence de comportement autonome sur le marché –, de les faire sanctionner et d’obtenir réparation du préjudice qu’elles leur causent. Dans un système libéral, cela revient à donner aux opérateurs un pouvoir d’agir devant des juridictions indépendantes. C’est le droit fondamental d’accès au juge.
Selon cette conception, la défense de l’intérêt concurrentiel privé des acteurs contribue à la défense de l’intérêt public de protection du marché 60 . Le libéralisme instaure ainsi une continuité entre la liberté de comportement sur le marché garantie par les libertés économiques fondamentales et la liberté juridictionnelle garantie par les principes du procès équitable.
Mais un tel mécanisme privé de protection du marché est-il suffisant ? Dès lors que des considérations d’ordre public économique sont en cause, il est généralement admis que l’État, qui en est le protecteur, dispose d’un pouvoir de police administrative. À côté de l’application privée (private enforcement) une application publique (public enforcement) serait alors nécessaire 61 .
Dans la recherche de la meilleure régulation du marché, la question est donc l’articulation entre l’application privée, qui respecte l’autonomie des acteurs, et l’action publique, qui fait intervenir l’État pour assurer le respect de l’ordre public. Il existe diverses manières de régler cette articulation entre intérêt privé et ordre public. L’une consiste à laisser l’application du droit de la concurrence aux juridictions, dont c’est la mission naturelle, devant lesquelles les opérateurs peuvent librement agir, tout en conférant, en tant que de besoin, au ministère public et / ou à des agences gouvernementales en charge de la politique de la concurrence, des prérogatives de collecte des preuves, d’avis, d’action ou d’intervention plus ou moins larges. C’est la situation en common law et dans certains États européens 62 .
L’autre système revient à confier directement la mise en œuvre du droit de la concurrence à des autorités administratives, comme c’est le cas pour de l’UE et dans la plupart des États membres, notamment en France, fortement marquée par une culture d’économie administrée. En ce cas, la réalisation du droit de la concurrence échappe plus ou moins aux acteurs auxquels est néanmoins généralement reconnu le droit de saisir ces autorités administratives 63 . Les deux systèmes ne sont cependant pas exclusifs, ils peuvent être combinés (A), de sorte que l’autonomie procédurale des acteurs est à examiner dans cette relation entre application privée et application publique du droit de la concurrence (B).
A – La combinaison des systèmes de réalisation du droit de la concurrence
Dès l’origine l’Union européenne a opté pour un système de mise en œuvre administrative du droit de la concurrence en confiant à la Commission la mission de veiller à la bonne application de la réglementation européenne en matière de concurrence et en lui conférant des pouvoirs de contrôle, d’enquête, de sanction et d’exemption nécessaires. Ce pouvoir s’est renforcé en 2003, par la création du réseau européen de la concurrence. Naturellement, les décisions que prend la Commission en cette matière sont soumises au contrôle juridictionnel de la Cour de justice 64 .
En même temps, cette cour a jugé que le droit de la concurrence créait des droits dans le chef des particuliers – des droits subjectifs – qu’ils pouvaient donc faire valoir devant les juridictions nationales. En droit de l’UE 65 , à côté de l’application publique du droit de la concurrence existe donc une application privée relevant de la compétence des juridictions des États membres 66 .
Celle-ci a d’abord été considérée comme accessoire, puis encouragée pour désencombrer la Commission, ensuite stimulée et organisée par le règlement 1/2003 67 . Mais c’est finalement la Directive dommage de 2014 68 qui a fixé les règles de coordination entre l’action privée, devant les juridictions nationales et l’action publique devant la Commission UE et les autorités de la concurrence nationales.
En France, la mise en œuvre du droit de la concurrence a d’abord été confiée au ministre chargé de l’économie, assisté d’une commission administrative 69 investie d’un pouvoir d’avis. Était toutefois réservé un régime de répression pénale 70 , très accessoire et en outre inefficace tant en raison de l’absence de directives d’action publique, de spécialisation des juridictions que de manque de formation et de qualification des juges. Le pouvoir politique s’est en effet toujours montré très réservé à l’égard d’une politique pénale de la concurrence 71 .
De sorte qu’en 1986, lorsqu’il s’est agi de reconsidérer le système institutionnel dans le cadre d’une politique de libéralisation du marché, c’est encore le modèle administratif qui a été préféré en raison de son aptitude à promouvoir une telle politique.
Cette mission fut donc confiée à une autorité administrative indépendante : le Conseil de la concurrence – devenu en 2008 72 Autorité de la concurrence (Adlc). Toutefois, afin de regrouper tous les contentieux, tant privés que publics, de la concurrence devant les juridictions judiciaires, les décisions rendues par cette autorité étaient, en dépit d’une résistance vive et persistante du Conseil d’État, soumises au contrôle exclusif d’une juridiction judiciaire, la Cour d’appel de Paris 73 .
Si dans un premier temps, le contrôle des concentrations, a été maintenu dans les pouvoirs du gouvernement, il a finalement été transféré à l’Adlc sous le contrôle juridictionnel du Conseil d’État 74 . Mis à part des pouvoirs d’enquête 75 , de traitement des micro-pratiques anticoncurrentielles 76 et d’une faculté de décision en certains cas en matière de concentration 77 , tous ces pouvoirs sont désormais de la compétence de l’Adlc. Parallèlement, un dispositif de répression pénale a été conservé, encore à titre très marginal, tandis qu’était renforcée l’action civile devant les juridictions judiciaires de droit commun 78 . Progressivement, l’Adlc a été dotée de moyens diversifiés pour la mise en œuvre de la politique de concurrence : avis, enquête sectorielle d’initiative, transaction et procédure de clémence 79 . En même temps, l’application judiciaire privée a été stimulée par la concentration des contentieux devant la Cour d’appel de Paris 80 et à la faveur d’une politique active engagée par celle-ci 81 et, en principe, la création d’une action de groupe permettant aux consommateurs d’obtenir réparation du préjudice concurrentiel 82 .
B – Renouvellement du principe d’autonomie
En raison de cette évolution, renforçant le rôle de l’autorité administrative dans la mise en œuvre de la politique de la concurrence, la question de l’autonomie des acteurs se pose en des termes différents s’agissant de leur faculté d’agir devant des autorités administratives de la concurrence indépendantes, donc elles-mêmes autonomes (1), appliquant une procédure garantissant leur autonomie procédurale (2) et leur droit au recours (3). Tant en droit européen qu’en droit national, l’évolution récente de ces procédures permet en définitive aux entreprises la construction de stratégies économiques contentieuses (4).
1 – Indépendance de l’autorité administrative chargée de la mise en œuvre du droit de la concurrence
L’autonomie des autorités de la concurrence dépend de leur indépendance de décision par rapport à l’organisation politique à laquelle elles appartiennent. De sorte que cette indépendance se présente dans des conditions différentes pour la Commission UE et pour l’Autorité française de la Concurrence.
Elle est donc à examiner au regard de la jurisprudence de la CJUE pour l’une 83 , du Conseil constitutionnel pour l’autre. En ce qui concerne l’Adlc, le Conseil constitutionnel en a précisément fixé les conditions selon une jurisprudence commune à l’ensemble des organismes relevant de la catégorie des autorités administratives indépendantes 84 . Finalement la seule obligation à laquelle cette autorité est tenue à l’égard du pouvoir politique est de rendre des comptes 85 .
Se pose toutefois la question des moyens qui lui sont conférés pour lui permettre de remplir sa mission. À cet égard, une directive dite ECN + du 11 décembre 2018 86 a pour objectif de faire en sorte que les autorités nationales de la concurrence (ANC) disposent, outre des pouvoirs effectifs d’enquête, de coercition et de sanction appropriées et des garanties d’indépendance, des ressources suffisantes, afin de pouvoir appliquer efficacement les articles 101 et 102 du TFUE 87 . On sait qu’en France l’Adlc ne bénéficie pas d’une autonomie budgétaire et qu’en 2015 son président a publiquement regretté l’insuffisance des moyens financiers qui lui étaient accordés par l’État 88 .
2 – Droit d’action des acteurs devant ces autorités administratives
Devant ces organes administratifs d’application du droit de la concurrence, l’autonomie des acteurs dépend des garanties procédurales dont ils bénéficient : accès à l’autorité, impartialité des juridictions, égalité des droits, droit d’être entendu, principe de contradiction, garanties de la défense…, non seulement dans le cadre des procédures contentieuses mais aussi dans les procédures négociées et de clémence. On sait que, tant la CJUE 89 , que les juridictions nationales 90 , ont activement veillé à ce que les garanties fondamentales d’équité du procès soient effectives.
À cet égard, deux questions font débat. La première est la faculté de rejeter en opportunité les plaintes des opérateurs, fortement revendiqué par l’Adlc, pour des raisons de gestion des flux de saisines, alors que lui accorder un tel pouvoir va à l’encontre du droit des acteurs à faire cesser une pratique qui porte atteinte à leur autonomie de comportement sur le marché 91 . La seconde est l’efficacité de l’action collective pour l’application du droit de la concurrence 92 .
3 – Droit au recours
L’autonomie concurrentielle des acteurs du marché se mesure enfin à l’effectivité de leur droit au recours contre les décisions des autorités administratives de la concurrence. Dans cette perspective ce sont les procédures européenne 93 et nationale 94 qui sont à examiner.
Pour l’essentiel deux questions se posent, la position et le rôle de l’autorité de concurrence devant la juridiction de recours, mais surtout l’intensité des contrôles sur leurs décisions : de plein contentieux, de pleine juridiction, en droit et en fait, en annulation ou en réformation, et portant sur la régularité de la procédure, l’administration de la preuve, la qualification des pratiques, le raisonnement d’application, la motivation, l’opportunité des décisions et le montant des sanctions… Au-delà de ces diverses modalités du contrôle juridictionnel, l’enjeu est de savoir si, et jusqu’à quel point, la théorie économique appliquée par ces autorités sur laquelle repose la politique de la concurrence qu’elles mettent en œuvre peut être débattue, contestée et corrigée. L’évolution du droit de la concurrence est subordonnée à cette aptitude des acteurs à remettre en cause la doctrine économique publique. C’est la condition de l’adaptation de la politique de concurrence à la réalité des marchés, à défaut de quoi l’ensemble du système serait exposé au risque bureaucratique.
4 – La construction de stratégies économiques contentieuses
L’évolution récente des procédures européenne et nationale tend en outre à renforcer l’autonomie contentieuse des entreprises. Si elles sont victimes de pratiques anticoncurrentielles, elles peuvent ainsi choisir de les dénoncer à une autorité de la concurrence européenne 95 ou nationale 96 ou d’engager directement une procédure devant la juridiction compétente d’un État membre et dans tous les cas d’exercer les voies de recours appropriées. En cas de constatation d’une infraction, elles peuvent demander réparation du préjudice subi devant la juridiction civile d’un État membre 97 . En France, elles pourraient même décider, à certaines conditions, de porter leur action devant une juridiction pénale 98 .
En outre, la récente directive européenne suggère un mode de calcul de la réparation qui vise en principe à remettre économiquement et financièrement l’entreprise victime dans l’état où elle se serait trouvée si la pratique n’avait pas eu lieu 99 . Certains systèmes juridiques vont plus loin puisque, par le jeu des dommages punitifs, ils rémunèrent l’entreprise plaignante du risque qu’elle a pris et de l’intérêt général auquel elle a contribué en dénonçant une atteinte au marché 100 . À tous les stades du processus, il est encore loisible à l’entreprise plaignante de négocier avec l’auteur de la pratique, de recourir à une médiation ou encore, notamment en cas de pratique contractuelle, de mettre en œuvre une procédure d’arbitrage.
Une latitude procédurale équivalente est accordée à l’auteur de la pratique. S’il s’agit d’une entente, un dispositif de « clémence » anticoncurrentielle lui permet d’en sortir en la dénonçant à l’autorité de la concurrence afin d’obtenir une dispense ou une réduction de la condamnation pécuniaire. Il peut accepter les griefs afin de minorer le montant de la sanction à laquelle il est exposé, ou de les contester devant l’autorité. En cas de condamnation, l’entreprise visée peut mettre en œuvre les voies de recours et y adopter un système de défense qu’il juge utile : contestation de la pratique et / ou du montant de la sanction 101 .
En matière de concentration d’entreprises, autant devant la Commission que devant l’autorité nationale, les entreprises en cause jouissent également d’un large pouvoir de négociation, notamment sur les engagements qu’elles proposent. En fonction des résultats de cette négociation et de la décision de l’autorité, elles peuvent renoncer à la concentration, accepter la décision ou la contester en tout ou partie devant la jurdiction de recours, européenne 102 ou nationale 103 .
En définitive, l’ensemble de ces dispositifs permet aux acteurs d’adopter des postures contentieuses dans le prolongement des programmes qu’ils développent sur le marché. Davantage que l’aboutissement d’un litige engendré par une pratique anticoncurrentielle, la phase contentieuse s’insère dans une perspective de développement de leur activité économique à long terme. L’autonomie procédurale est une modalité de l’autonomie économique. Le droit est alors un élément de la stratégie marchande et la solution contentieuse une péripétie assumée, calculée et maîtrisée. Ce qui, au passage, renforce la position des juristes dans la gouvernance de l’entreprise 104 .
Conclusion
Qu’il concerne le droit de la concurrence, les acteurs, les institutions ou les procédures de mise en œuvre, le concept d’autonomie a, en droit de la concurrence, de multiples applications.
Ces divers emplois ne sont pas à examiner séparément mais dans leur interaction et leur globalité. C’est alors la finalité du droit de la concurrence dans ses rapports avec le libéralisme économique qui est en cause. D’un droit spécifiquement protecteur du marché, peut-il évoluer vers un droit intégrant toutes les composantes du lien social afin d’assurer le bien-être collectif ? 105
Auquel cas, l’autonomie des acteurs est autrement comprise et encadrée. Ce qui rejoint toutes les réflexions sur l’objet social et environnemental 106 de l’entreprise et sur les nouveaux modes de consommation 107 . L’autonomie des acteurs ne peut plus désormais être considérée dans la seule perspective des rapports étroits de production et de consommation. En un mot, il s’agirait d’imaginer une nouvelle économie de marché et une nouvelle orientation des politiques libérales compatibles avec les objectifs du développement durable 108 . Serait-ce utopique ? Si ce modèle alternatif est possible, les juridictions auraient sans aucun doute un rôle essentiel.
Notes
- P. Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Calmann-Lévy, 1987.
- P. Rosanvallon, Le capitalisme utopique, Seuil, 1999.
- T. Hobbes (trad. G. Mairet), Léviathan ou Matière, forme et puissance de l’État chrétien et civil, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000.
- J. Locke, Traité du gouvernement civil, 1689.
- Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748.
- D. Schnapper, La communauté des citoyens – Sur l’idée moderne de la nation, Gallimard, 1994.
- A. Smith, Recherches sur les causes et la nature de la richesse des nations, 1776.
- C. Audard, Anthologie historique et critique de l’utilitarisme, PUF, 1999 ; A. Cluzeland, Vers une économie du bonheur : influence de l’utilitarisme anglo-saxon de Francis Bacon à John-Stuart Mill, L’Harmattan, 2014.
- P. Manent, op. cit.
- Sur les rapports de l‘État et du marché, v. J. Chevallier, « État et ordre concurrentiel », in L’ordre concurrentiel, Mélanges en l’honneur d’Antoine Pirovano, Éditions Frison-Roche, pp. 59-72, 2003.
10
. D’un côté, elle soumet l’individu, acteur économique, l’« homo oeconomicus », aux lois du marché ; elle réduit donc son degré d’autonomie, mais de l’autre, ces mêmes lois protectrices du libre jeu de la concurrence requièrent de lui un comportement autonome.
En développant sommairement, d’une part, quelle que soit la conception plus ou moins absolue que l’on a du libéralisme 11 F.-A. Hayek, Scientisme et sciences sociales : essai sur le mauvais usage de la raison, Plon, 1953, p. 195 ; Droit, législation et liberté, PUF, 1980-1983.
- J. Tirole, Économie du bien commun, PUF, 2016, p. 629.
- C. Prieto et D. Bosco, Droit européen de la concurrence, Bruyland, 2013, p. 99 s.
- P. Commun, Les ordo libéraux, histoire d’un libéralisme à l’allemande, Les Belles-lettres, 2016 ; L’ordo libéralisme allemand : Aux sources de l’économie sociale de marché, CIRAC, 2003.
- E. Combe, Économie et politique de la concurrence, Dalloz, précis, éd 2020.
- E. Combe, op. cit. ; C. Prieto et D. Bosco, Droit européen de la concurrence, op. cit., p. 111, s.
- G. Sorman, La révolution conservatrice, Fayard, 1983 ; La solution libérale, Fayard, 1984 ; L’État minimum, Albin Michel, 1985.
- S. Longuet, Hayek et l’école autrichienne, Nathan, 1998.
- A. Pirovano, « L’expansion de l’ordre concurrentiel dans les pays de l’Union européenne », in Les instruments juridiques de passage à l’économie de marché : le cas de l’Algérie, L’Harmattan, 2001, p. 130.
- Pour un examen critique de ces doctrines, voir J. Chevallier, op. cit.
- Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948.
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.
- M. T. Demaze, « Les conventions internationales sur l’environnement : état des ratifications et des engagements des pays développés et des pays en développement », L’Information géographique, 2009/3 (Vol. 73), p. 84-99.
- Organisation Mondiale du commerce, Interaction du commerce et de la politique de la concurrence ; C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 259, s.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 259 s.
- Renforcement de la coopération internationale en matière d’enquête dans les affaires de concurrence : outils et procédures, Note du secrétariat de la CNUCED, Commission du commerce et du développement Groupe intergouvernemental d’experts du droit et de la politique de la concurrence Seizième session Genève, 5-7 juillet 2017 Point 3 de l’ordre du jour provisoire Programme de travail, y compris le renforcement des capacités et l’assistance technique en matière de droit et de politique de la concurrence ; B. Lasserre, Le droit international de la concurrence, Académie des sciences morales et politiques, Séance du lundi 7 mars 2016.
- Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rome, 4.XI.1950, version actuelle.
- Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000/C 364/01) ; Certains auteurs défendent cependant le concept de « Constitution économique européenne », v. par ex. H. W. Micklitz, « La Constitution économique européenne revisitée. Introduction », Revue internationale de droit économique, 2011/4 (t.XXV), p. 411-417 ; P. Hubert, A. Castan, « Droit constitutionnel et liberté de la concurrence », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 49 (dossier : L’entreprise) – oct. 2015 – p. 15 à 27.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 163 s.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 155 s.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 181 s.
- Le Traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 183 s.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 185 s.
- N. Petit, Droit européen de la concurrence, LGDJ, 2018, p. 55 et jurisprudence citée notes 155 et 156.
- CJUE, 17 février 2011, C-52/09, TeliaSenera Sverige AB, pts 21 et 22. Selon cette jurisprudence, les règles de la concurrence applicables aux entreprises ont « pour objectif d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général des entreprises individuelles et des consommateurs, contribuant ainsi au bien-être dans l’Union ».
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 160 s.
- Règlement (CE) No 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ; Communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence [Journal officiel C 101 du 27.4.2004].
- CJUE, 7 décembre 2010, C-439/08, VEBIC, pts 57 à 59.
- Directive (UE 2019/1 du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.
- P. Hubert, A. Castan, op. cit.
- A. Sée, « La question prioritaire de constitutionnalité et les libertés économiques », Revue juridique de l’économie publique, n° 718, Avril 2014, étude 5.
- R. Denoix de Saint-Marc, « Le Conseil constitutionnel et la Charte de l’environnement », colloque AJCP : La Charte de l’environnement au prisme du contentieux, CAA Paris, 15 juin 2012 ; Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel n° 43 (Le Conseil constitutionnel et l’environnement) – avril 2014.
- v. en ce sens la décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 Union des industries de la protection des plantes [Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques].
- E. Combe, op., cit.
- E. Combe, op., cit.
- Directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne.
- E. Combe, op. cit.
- E. Combe, op. cit.
- E. Combe, op. cit.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 37 s.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 231 s., 256 s. ; CJCE, 20 septembre 2001, C-439/99, ptd 26, 27.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 378 s.
- N. Petit, précité, p. 133 s.
- Art. L. 420-4 du Code de commerce.
- Art. L. 410-2 et suivants du Code de commerce.
- Art. 101, § 3 du TFUE et L. 420-4, 2° du Code de commerce.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 231 s., 256 s. ; CJCE, 20 septembre 2001, C-439/99, ptd 26, 27.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 232 s., 258 s.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 232 s., 258 s.
- Ibid.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 232 s., 1154 s.
- CJCE. 30 janvier 1974, Sabam.
- C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 1408 s.
- Réglement (CE) N° 1/2003 DU CONSEIL du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, spécialement articles 15 et 16.
- Directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014, précitée.
- L. Vogel, Traité de droit économique, Droit de la concurrence, Droits européens et français, Bruylant 2015, p. 879.
- Art. 419 du Code pénal.
- J.-B. Blaise, Le statut juridique des ententes économiques dans le droit français et le droit des communautés européennes, Librairies techniques, 1964. L. Vogel, op. cit., p. 1677 s. ; R. Saint-Esteben, « Une repénalisation du droit de la concurrence en France ? À propos de l’utilisation de l’art. 40 du Code de procédure pénale par les services d’instruction de l’Autorité », Revue Concurrences, mai 2019, n°2, pp. 54-65.
- Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
- G. Canivet, « Le juge et l’autorité de marché », RJ com. 1992, p. 185.
- L. Vogel, op. cit., p. 879 s.
- Art. L. 450-5 du Code de commerce.
- Art. L. 464-9 du Code de commerce.
- Art. L. 430-7-1 du Code de commerce.
- Ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles.
- Aut. conc., 10 ans, Accompagner la modernisation de l’économie, synthèse 2018.
- L. 420-7 du Code de commerce ; articles 2 à 10 du décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005 fixant la liste et le ressort des juridictions spécialisées en matière de concurrence, de propriété industrielle et de difficultés des entreprises.
- C. Arens, « La cour d’appel de Paris, au cœur des droits de la concurrence », septembre 2018, Revue Concurrences, sept. 2018, p. 1-4.
- Art. L. 623-1 du Code de la consommation.
- S’agissant de la Commission UE, si a été discutée la question de son impartialité dans l’application du droit de la concurrence en raison du cumul des pouvoirs de poursuite, d’enquête et de sanction (v. N. Petit, op. cit., p. 649 s., jurisprudence et doctrine citées), la question de la mise en œuvre directe du droit de la concurrence par une des institutions de l’UE (art. 13 et 17 du TUE) ne semble pas s’être posée
- Sénat, Rapport sur les autorités administratives indépendantes, 2006 ; J. Chevallier, « Autorités administratives indépendantes et État de droit », Civitas Europa, 2016/2 (N° 37), p. 143-154 ; Conseil d’État, Rapport public du Conseil d’État, Les autorités administratives indépendantes, 2001. Loi organique n° 2017-54 du 20 janv. 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes ; CC décision n° 2017-746 DC du 19 janv. 2017.
- Art. L. 461-5 du Code de commerce ; art. 21 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
- Directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.
- Art. 5 de la directive 2019-1 précitée.
- B. Lasserre, audition par la commission des affaires économiques de l’Assemble nationale, 6 mai 2015. En 2018, le budget de l’Autorité de la concurrence (LFI initiale) s’est élevé à 21 640 933 euros dont 16 249 442 euros pour les dépenses de personnel et 5 391 491 euros pour les dépenses de fonctionnement et d’investissement (HT2). Le rapport annuel 2018 de l’Autorité ne fait aucun commentaire sur cette dotation.
- N. Petit, op. cit., p. 649 et jurisprudence citée note 153.
- L. Vogel, op. cit., p. 1596 s. Voir l’article 4 de la directive 2019-1 précitée.
- La directive 2019-1 précitée recommande cependant : « Les autorités nationales de concurrence administratives devraient avoir la possibilité d’établir des priorités pour leurs procédures relatives à la mise en œuvre des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de manière à pouvoir utiliser efficacement leurs ressources et s’attacher à prévenir et faire cesser les comportements anticoncurrentiels faussant la concurrence dans le marché intérieur. À cet effet, elles devraient pouvoir rejeter des plaintes au motif qu’elles ne sont pas prioritaires, à l’exception de celles déposées par les autorités publiques qui exercent une compétence partagée avec une autorité nationale de concurrence administrative pour la mise en œuvre des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du droit national de la concurrence, le cas échéant.
- Art. 1er de la loi I n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Selon Louis Vogel, cette action de groupe est un échec total ; C. Prieto, D. Bosco, op. cit., p. 1453 s.
- L. Vogel, op. cit., p. 527 s.
- L. Vogel, op. cit., p. 1679 s.
- L. Vogel, op.cit., p. 380 s.
- L. Vogel, op.cit., p. 1565 s.
- L. Vogel, op.cit., p. 519 s., 1663 s.
- L. Vogel, op.cit., p. 1577 s.
- Directive 2014/104 UE, précitée, art. 17.
- D. Laycock, Modern American Remedies, Aspen, 2002, p. 732-736.
- L. Vogel, op. cit., 527, s., p. 1683 s.
- L. Vogel, op. cit., 684 s.
- L. Vogel, op. cit., p. 1796 s.
- A. Masson, Stratégies juridiques des entreprises, Larcier 2014.
- J. Tirole, op. cit., p. 57 s.
- J. Tirole, op. cit., p. 241 s.
- Centre des ressources du développement durable, Étude 2017 sur les Français et la consommation responsable.
- F. Aggeri, « Marchés et développement durable », in L’activité marchande sans le marché ?, Colloque de Cerisy [en ligne], Presses des Mines, 2010 ; A. S. Binninger et I. Robert, « Consommation et développement durable. Vers une segmentation des sensibilités et des comportements », La Revue des Sciences de Gestion, 2008/1 (n° 229), p. 51-59.
citer l'article
Guy Canivet, Libéralisme et droit de la concurrence : autour du principe d’autonomie, Groupe d'études géopolitiques, Juil 2021, 12-20.