Vers une Communauté méditerranéenne pour les énergies renouvelables
28/11/2022
Scroll

Vers une Communauté méditerranéenne pour les énergies renouvelables

Télécharger le pdf arrow

28/11/2022

arrowVoir tous les articles

Vers une Communauté méditerranéenne pour les énergies renouvelables

Construire un nouveau processus communautaire avec la rive sud de la Méditerranée : transition énergétique et géopolitique à l’ère de l’écologie de guerre

Introduction

La situation géopolitique engendrée par l’invasion russe de l’Ukraine a radicalement changé le contexte géo-énergétique dans lequel l’Union et les États-membres doivent se positionner à court, moyen et long terme 1 .

En particulier, la dépendance de l’Union européenne vis-à-vis du gaz russe a rendu indispensable une stratégie d’émancipation. Le véritable objectif stratégique est néanmoins de mettre fin à toute dépendance en matière énergétique.

Cette vision a été reprise par la stratégie REPowerEU, le texte clef de l’Union sur cette question. Cependant, il ne s’agit là que d’un premier pas, qui doit être approfondi à de nombreux niveaux.

Dans la première partie de cette note, nous présenterons les fondements de cette stratégie, notamment en ce qui concerne les objectifs définis, afin d’en évaluer la faisabilité et de proposer des solutions dans une deuxième et troisième partie.

Il faut distinguer trois types de contraintes à la réalisation des objectifs fixés par la Commission : la première concerne strictement la faisabilité, liée aux implications technologiques des objectifs de production à partir de sources renouvelables, à des coûts compétitifs ; la deuxième est liée à la structure actuelle du marché mondial des panneaux photovoltaïques et des batteries ; la troisième concerne les aspects liés à la faible densité énergétique, et donc à la consommation foncière, de la composante photovoltaïque de la production d’énergie renouvelable. Pour relever ce défi, à l’ère de l’écologie de guerre 2 , nous soutenons que l’Union européenne devrait lancer un « nouveau processus communautaire » avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, inspiré de la méthode communautaire de la déclaration Schuman.

Les objectifs

Le document de la Commission est extrêmement clair. Le but est de mettre fin, ou plutôt d’accélérer la fin de la dépendance européenne aux hydrocarbures russes : « REPowerEU est le plan de la Commission européenne visant à rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes bien avant 2030, compte tenu de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ».

La guerre actuelle s’ajoute en fait à l’objectif déjà fermement élaboré de la transition verte : « Le plan REPowerEU définit une série de mesures visant à réduire rapidement la dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes et à accélérer la transition écologique, tout en renforçant la résilience du système énergétique à l’échelle de l’Union ».

On peut donc affirmer que le critère environnemental est étroitement lié au critère de l’indépendance et de la sécurité énergétiques, considérés à juste titre comme l’un des fondements essentiels d’un rôle fort et autonome de l’Union européenne dans un contexte mondial en pleine mutation. La stratégie est claire : accélérer la transition vers les énergies renouvelables : « Les nouvelles réalités géopolitiques et du marché de l’énergie nous obligent à accélérer radicalement la transition vers une énergie propre et à accroître l’indépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis des fournisseurs peu fiables et des combustibles fossiles volatils. » 

Ainsi, si le document mentionne la nécessité et l’opportunité de diversifier les sources d’approvisionnement en combustibles fossiles, au moins à court et à moyen terme, la cible, à long terme — c’est-à-dire la stratégie structurelle — reste le déploiement des énergies renouvelables. Et c’est précisément sur ce point que la Commission propose des objectifs encore plus ambitieux que ceux fixés précédemment, dans l’intention de lier la question de la transition verte à celle de l’autonomie énergétique : « Les énergies renouvelables sont l’énergie la moins chère et la plus propre disponible et elles peuvent être produites sur le marché intérieur, ce qui diminue nos importations d’énergie. La Commission propose de faire passer l’objectif de l’Union en matière d’énergies renouvelables pour 2030 de 40 % actuellement à 45 %. La Commission propose de faire passer de 40 % à 45 % l’objectif actuel de l’Union européenne à l’horizon 2030 en matière d’énergies renouvelables. Le plan REPowerEU porterait la capacité totale de production d’énergies renouvelables à 1 236 GW d’ici à 2030, et non plus à 1 067 GW d’ici à 2030, comme envisagé dans le paquet «Ajustement à l’objectif 55». »

L’accent est donc mis sur les capacités de production nationales, par le biais du soleil ou du vent.

Pour le secteur photovoltaïque, l’objectif est très élevé : « La stratégie de l’Union européenne en matière d’énergie solaire stimulera le déploiement de l’énergie photovoltaïque. Dans le cadre du plan REPowerEU, cette stratégie vise à mettre en service, d’ici à 2025, plus de 320 GW d’énergie solaire photovoltaïque nouvellement installée, soit plus de deux fois le niveau actuel, et près de 600 GW d’ici à 2030 ».

Les objectifs sont clairs : 1 236 GW d’énergies renouvelables, dont 600 GW d’énergie solaire. Examinons maintenant les contraintes.

Première contrainte : la technologie

Si, comme nous le verrons, l’impact de l’éolien et du photovoltaïque sur la consommation de terres est différent, ils ont un élément en commun : tous deux sont des techniques de production basées sur des sources intermittentes. Cette caractéristique les a jusqu’à présent reléguées à un rôle auxiliaire, la stabilité du réseau devant être assurée par la production fossile — ou dans certains cas par le nucléaire. Cependant, les objectifs fixés par REPowerEU renversent la donne : les niveaux de production envisagés par le plan pourraient sérieusement menacer la stabilité des réseaux européens s’ils ne s’accompagnent pas d’une politique systématique de réduction de l’intermittence par un stockage accru.

Ce rapport proportionnel s’accroît au fur et à mesure que la part des énergies renouvelables augmente dans le mix énergétique : chaque unité annuelle supplémentaire d’électricité issue des énergies renouvelables implique (règle empirique de l’indépendance de l’industrie) la mise à disposition en toute sécurité d’une capacité de stockage supplémentaire de 1/600ème. Ainsi, l’objectif de 1236 GW (compte tenu de son intermittence évidente) d’ici 2030 impliquerait un besoin de réseau « stable », satisfait par le stockage, de plus de 6 TWh.

Pour donner une idée de l’importance de ces chiffres, cette quantité est égale à environ huit fois la production mondiale actuelle de batteries — qui sera également de plus en plus disputée par le secteur automobile 3 .

Voici donc la première contrainte du plan : nous devons accompagner l’augmentation de la production d’une croissance énorme d’un stockage sûr et économiquement viable, qui dépasse largement les capacités de production mondiales actuelles.

Deuxième contrainte : la géopolitique

La contrainte technologique s’accompagne nécessairement d’une contrainte géopolitique : la concentration de la production de batteries en grande partie en Chine, suivie par le Japon et la Corée du Sud en matière de circuits de fabrication. Il est donc évident qu’une augmentation importante des besoins de stockage se heurterait non seulement à une contrainte physique d’approvisionnement, mais aussi à une dépendance à l’égard des approvisionnements étrangers tout aussi, sinon plus, dangereuse que la dépendance actuelle au gaz russe.

En effet, si la dépendance technologique en aval pour les batteries actuelles peut, certes difficilement, être surmontée, la dépendance en amont ne ferait que s’accroître, la Chine ayant une position quasi-monopolistique sur certains marchés de matières premières stratégiques pour la production, notamment pour le nickel, le cobalt et les terres rares. L’ensemble de la chaîne de production, de la mine à la batterie, est aux mains de la Chine. Comme l’a récemment souligné Ursula von der Leyen, « le lithium et les terres rares seront bientôt plus importants que le pétrole et le gaz » 4

Une stratégie d’indépendance devrait donc s’accompagner non seulement d’une relance massive de la production de stockage, mais aussi d’un effort pour développer des technologies qui ne dépendent pas de matières premières géopolitiquement sensibles.

Par ailleurs, dans le cas du photovoltaïque, il existe une forte dépendance technologique dans le secteur des panneaux, qui voit actuellement la Chine en position dominante, contrôlant 90% des chaînes de valeurs 5 . Certes, une stratégie de substitution aux importations peut être mise en place, mais avec le risque de retarder considérablement la réalisation des objectifs, notamment parce que l’industrie européenne des panneaux a depuis longtemps été mise en faillite par la concurrence chinoise. Mais le photovoltaïque apporte avec lui une autre contrainte, encore plus forte.

Troisième contrainte : la terre

L’objectif de 600 GW de photovoltaïque doit également être évalué au regard de l’impact qu’il aurait sur la prise de terre.

Théoriquement, un champ photovoltaïque de 1 MW, compte tenu de la surface des panneaux (pour un rendement de 20%) et de l’espace entre les panneaux pour l’entretien du champ, implique l’occupation de 1,5 ha de terrain.

Cette répartition donne un résultat qu’il est difficile de ne pas juger critique : 600 GW de puissance impliqueraient une occupation de 9 000 kilomètres carrés de sol européen, une superficie un peu plus grande que celle la Corse. Si l’on prend également en compte l’inconvénient supplémentaire de la perte de production des champs photovoltaïques au fur et à mesure que l’on se déplace vers le nord, il est probable que l’occupation du sol pourrait être encore plus importante. Dans un contexte géographique tel que celui de l’Union, marqué par une forte densité humaine et industrielle, cette troisième contrainte pourrait s’avérer cruciale. La question qui se pose alors est de savoir comment contourner ce problème, en se plaçant dans une perspective de long terme et en inscrivant le plan REPowerEU dans une perspective encore plus large.

Pour ce faire, il faut évaluer correctement le changement technologique et stratégique qu’implique le Green Deal.

Qui est aux manettes ?  

Les centrales thermiques (qu’elles soient alimentées au charbon, au pétrole ou au gaz) bénéficient d’une économie d’échelle importante. Ce cadre a donné naissance aux grandes entreprises de service public, à leur puissance et au pouvoir qu’elles exercent.

Le pacte initial était simple. Les entreprises de service public s’agrandissaient afin de bénéficier des  économies d’échelle, puis elles répercutaient les améliorations sur les clients. « Laissez-nous grandir, vous achèterez à bas prix ». Évidemment, un engagement ferme et structurel est apparu : quoi qu’il en coûte, les entreprises de services publics devaient s’engager à fournir toute l’énergie nécessaire, à tout moment, littéralement à la seconde.

Cet engagement en matière de production d’électricité impliquait une régulation, par le biais d’un solide nœud constructif. Puisque l’énergie thermique est disponible à la demande — et qu’elle, via le réseau, répartissable —, chaque fois que la demande augmente à la seconde près, les entreprises de services publics peuvent augmenter ou diminuer le débit et transmettre l’électricité à différents nœuds pour équilibrer le réseau.

Il s’agit en effet d’un point crucial. Dans le nouvel horizon décrit par le plan REPowerEU, les énergies renouvelables sont certes moins chères que toute autre source, mais aussi intermittentes, non répartissables et en aucun cas sujettes à des rendements économiques d’échelle significatifs.

Fondamentalement, deux questions se posent. La première est de savoir comment remplacer efficacement le nœud constructif par le stockage et des commandes et contrôles électroniques ; la seconde est de savoir où chercher les énormes espaces nécessaires à une source certes gratuite, mais qui atteint la surface terrestre à un rythme de faible densité et de faible capacité. Il ne s’agit en aucun cas d’un ajustement marginal.

Les modalités et la temporalité du Green Deal

Le Green Deal préconisé par l’Union européenne implique une véritable révolution technologique qui, de plus, doit se produire rapidement. L’énergie est la plus forte contrainte, surtout si l’on considère la vague d’électrification des usages finaux qui se développe rapidement, principalement dans de nouveaux secteurs, de l’e-mobilité au chauffage.

Pour cette raison, l’approfondissement de l’électrification des utilisations finales pourrait potentiellement entraîner un quasi-doublement de la demande d’électricité en 10 ou 15 ans, dans l’ensemble de l’Union. La mise en œuvre des objectifs du plan REPowerEU entraînera le besoin de 5 à 7 TWh supplémentaires de l’unique alternative au nœud constructif, à savoir le stockage d’énergie. 

Avec un stockage adéquat, le réseau pourrait faire office de banque, recueillant les dépôts de la production excédentaire, qui seraient retirés en cas de déficit, c’est-à-dire lorsque le soleil ne brille pas et que le vent ne souffle pas. Comme nous l’avons déjà mentionné, la quantité nécessaire selon REPowerEU représente un volume considérable (environ 7 à 8 fois la production mondiale actuelle de batteries) et implique également d’être fournie à un niveau minimum de faisabilité économique.

En bref, pour atteindre l’autonomie énergétique, l’Union européenne doit atteindre simultanément trois objectifs :

  1. capitaliser la production de dix années consécutives, chaque année équivalente à la production mondiale d’aujourd’hui, de batteries. 
  2. les produire sans se heurter à la contrainte d’un besoin d’approvisionnement (lithium, cobalt, nickel, terres rares, métaux lourds) provenant, à ce jour, le plus souvent de zones politiquement peu stables, concentrées et non contrôlées.
  3. L’offre alternative de stockage doit être (1) efficace (des retours très élevé), (2) très rapide en charge/décharge, (3) durable (alignée sur la durée de vie de 20-30 ans d’une centrale solaire), (4) respectueuse de l’environnement sur l’ensemble du cycle de vie et (5), enfin et surtout, stratégiquement réalisable. Et bien sûr, permettre aux familles et aux entreprises de joindre les deux bouts.

En règle générale, l’énergie stockée doit atteindre le réseau à un prix tout compris en « parité gaz », c’est-à-dire que la somme de la production renouvelable et de son stockage doit être inférieure au prix de la production et de la modulation du gaz.

La règle de parité du gaz

Selon la même règle d’indépendance, une stratégie d’indépendance énergétique de l’Union nécessiterait que la production propre de l’électricité supplémentaire soit stockée et acheminée de manière adéquate, ce qui équivaudrait à peu près à 8 fois la production mondiale actuelle de batteries. Incidemment, cela nécessite également une sortie progressive de la dépendance à 100 % de l’industrie des cellules solaires, à base de silicium, principalement chinoise.

Pour donner une mesure analogue, étant donné la faible densité et la faible capacité de l’énergie renouvelable, un pays comme la France pourrait avoir besoin de presque doubler à moyen terme sa production de 2021 (468 TWh), pour financer à la fois l’abandon de la production thermique et l’électrification des usages finaux (chauffage, transport, etc.). Cela signifie, dans le cas de la production solaire, près de 300-400 GW de centrales, équivalant à environ 4.000/5.000 KM2 de surface dédiée (le même ratio étant valable pour le reste de l’Union).

Pour être clair, la mise en œuvre effective de la vision exposée par REPowerEU serait le plus grand programme de politique industrielle jamais ciblé dans l’Union et nécessitera un effort concentré, financé, piloté par l’État et orienté — avec un objectif précis, au moins autant que celui des États-Unis. 

Nous en sommes encore très loin.

Retour aux contraintes 

Au-delà des technologies existantes basées sur le lithium et sur d’autres matériaux potentiellement sensibles d’un point de vue géopolitique, un courant d’innovations technologiques très prometteuses — stockage à base de nanocarbone, stockage gravimétrique, volants d’inertie, etc. — se développe, contournant les contraintes liées aux matériaux rares. 

Certaines de ces technologies, à base de nanocarbone, sont déjà disponibles pour les batteries. Il en va de même pour les cellules photovoltaïques, pour lesquelles une multitude d’alternatives « internes  » — c’est-à-dire des pièces en nanocarbone et des cellules à colorant organique, là encore — arrivent à maturité.

Cependant, la contrainte foncière demeure : l’indépendance énergétique de l’Union nécessite de consacrer une énorme quantité de surfaces ensoleillées ou exposées au vent, ce qui pourrait sérieusement entraver la mise en œuvre des programmes décidés. 

Cependant, si nous pensons en termes de coopération stratégique, à proximité de l’Europe — à la fois géographiquement et politiquement — se trouve un immense territoire de déserts ensoleillés et exposés aux vents, où la valeur marginale de la terre est nulle. Produire de l’électricité (avec de nouvelles cellules) dans le désert, l’acheminer par des lignes CCHT modernes jusqu’à la côte sud de la Méditerranée, l’expédier par des câbles sous-marins et la stocker grâce à des solutions innovantes, jusqu’aux côtes européennes, est aujourd’hui économiquement faisable. Une étude récente — qui n’a pas encore passé l’examen des pairs — montre qu’il est possible de fournir, tout compris, de l’électricité du désert au réseau, sur une base de service continu, à un prix de 50-60 €/MWh, ce qui permet de satisfaire la contrainte de parité du gaz 6 .

Retour aux sources : Schuman, Monnet et la méthode communautaire 

Après la pandémie, la guerre de Poutine entraîne un changement dans la façon dont nous appréhendons le monde. Là où il y avait autrefois des consommateurs, des échanges commerciaux et des flux horizontaux, nous sommes désormais confrontés à l’émergence de formes brutales de conflits portant sur la définition des frontières, tandis que la fragilité des stocks et de l’approvisionnement menace la stabilité de nos sociétés. L’écologie de guerre est devenue une dimension essentielle de l’approche de la Commission européenne, un nouveau paradigme — que Dani Rodrik qualifie de « productiviste » — se dessine 7 .

Face à ce bouleversement, l’accent mis par Bruxelles est parfois une sorte d’imitation du vocabulaire utilisé par la puissance américaine. Mais il ne faut pas tomber dans le piège d’un virage civilisationnel ou d’un vulgaire machiavélisme conduisant à la glorification de la puissance brute. Dans un monde fragmenté et brutal, l’intérêt de l’Union est de rester une force coopérative tout en réussissant sa transition géopolitique — en ce sens, l’Union européenne doit « changer de cap, tout en le gardant » 8

Face à cette macro-crise, pour ne pas se perdre, il est donc nécessaire de revenir aux fondamentaux. 

Comme nous l’avons souligné, le dilemme tragique de l’approvisionnement énergétique a une issue évidente et immédiate. Nous devons avoir accès à un vaste territoire présentant trois caractéristiques : 1) une densité humaine approximativement égale à 0 ; 2) une exposition solaire optimale ; 3) puisqu’un tel espace ne semble pas exister en Europe, se situer à proximité immédiate des pays européens.

Cependant, il va de soi qu’un accaparement extra-européen de terres, même d’espaces désertiques comme ceux situés au Sahara, même dans le cadre d’accords intergouvernementaux essentiellement redistributifs, serait considéré à juste titre comme une initiative post-coloniale. Elle ne pourrait donc que produire de la contestation et de l’instabilité à grande échelle. 

D’ailleurs, la plupart de nos partenaires du Sud ont souligné à plusieurs reprises qu’ils n’accepteront plus aucune logique purement extractive. Cela implique la création d’une solidarité de production et technologique — comme levier d’intégration et de dialogue politique — et non une simple dynamique d’exploitation ou d’extraction.

Pour relever ce défi, il faut se tourner vers la méthode communautaire et la construction de la « solidarité de fait » dont Robert Schuman parlait dans sa Déclaration de mai 1950. Concrètement, il s’agit de proposer une association libre et durable autour d’un projet commun. Pour ce faire, il faut revenir aux sources des propositions de Monnet 9 . Si cette association veut durer, elle ne peut pas dépendre uniquement de la bonne volonté des dirigeants du moment. Si elle veut être forte, elle doit se protéger de toute tentation de domination, de parasitisme d’une nation sur les autres. Si elle veut se tourner vers l’avenir, elle doit se fonder sur un principe d’égalité et de partage des technologies, car la reconnaissance mutuelle est la condition du succès de toute œuvre commune. Si elle veut réussir, elle doit être guidée par un souci pragmatique d’efficacité, car sa principale raison d’être la conviction que l’on réussit mieux ensemble que seul. Enfin, pour être efficace, elle doit être concertée, et donc démocratique. La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) reste à ce jour la plus « pure » application de la méthode d’action communautaire : six États, tous très différents et ayant des relations historiquement très rudes, mais ayant la volonté politique de dépasser leurs différences pour mettre en commun leurs intérêts. Afin de résoudre le tragique dilemme énergétique actuel, l’Union peut proposer un cadre similaire. La logique pourrait être d’initier un processus de réflexion sur la constitution d’une institution supranationale dont le but serait de gérer conjointement l’espace, l’énergie et les ressources financières et technologiques produites dans un tel cadre — appelons-la provisoirement « Communauté méditerranéenne pour les énergies renouvelables ».

En plus de l’effort de recomposition géopolitique sur l’axe horizontal de la Communauté politique européenne 10 , l’Union aurait aujourd’hui un énorme avantage à structurer une initiative sur l’axe vertical nord-sud, menant à une convergence politique potentielle. 

Nous avons la possibilité — et si nous voulons être efficaces dans nos plans énergétiques, la nécessité — de réinstaller une logique profondément constructive dans un contexte profondément préoccupant : c’est une perspective qui mérite d’être explorée — la méthode communautaire peut conduire à construire la paix dans un monde en guerre écologique. 

Pour y parvenir, nous devrions lancer un nouveau processus multi-acteurs inspiré de la méthode communautaire.

Notes

  1. Cette note de travail est le premier d’une série de publications consacrées à la question de la sécurité énergétique européenne et de la transition environnementale, sur laquelle collabore actuellement un groupe de travail composé d’acteurs du monde de l’industrie, de l’université et des institutions publiques. Si vous souhaitez participer à cette conversation, écrivez-nous : ask[at]geopolitique.eu
  2. “Écologie de guerre : un nouveau paradigme ?”, GREEN. Géopolitique, réseaux, énergie, environnement, nature, nº2, année 2, Paris, Groupe d’études géopolitiques, 2022.
  3. Roland Berger, Battery Monitor 2022. The Value Chain in the Field of Tension between Economy and Ecology.
  4. Discours sur l’état de l’Union, 2022, par la Présidente von der Leyen.
  5. IEA (2022), Solar PV Global Supply Chains, IEA, Paris https://www.iea.org/reports/solar-pv-global-supply-chains
  6. “Desert Tech 2.0” [Confidential Study], Semperampere, August-September 2022
  7. Louis de Catheu, « L’émergence du paradigme productiviste, une conversation avec Dani Rodrik », le Grand Continent, 26 novembre 2022.
  8. Florian Louis, « La transition géopolitique européenne », le Grand Continent, 1er septembre 2022.
  9. Institut Jean Monnet, Pour une redécouverte de notre méthode d’action, la méthode communautaire, 15 juillet 2022
  10. Franz C. Mayer, Jean Pisani-Ferry, Daniela Schwarzer, Shahin Vallée, “Une feuille de route pour la Communauté politique européenne”, le Grand Continent, 22 septembre 2022. Daniela Schwarzer, “What can the European political community achieve?”, Groupe d’études géopolitiques, October 2022
+--
voir le planfermer
citer l'article +--

citer l'article

APA

Massimo Amato, Gilles Gressani, Herman Zampariolo, Vers une Communauté méditerranéenne pour les énergies renouvelables, Groupe d'études géopolitiques, Nov 2022,

lectures associées +--

lectures associées

notes et sources +
+--
voir le planfermer