Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élection parlementaire à Malte, 26 mars 2022
Issue #3
Scroll

Issue

Issue #3

Auteurs

Mark Harwood

Numéro 3, Mars 2023

Introduction

Malte est le pays le plus petit et le plus densément peuplé de l’UE, au sud de l’Italie et au centre de la Méditerranée. Colonie britannique pendant 160 ans, elle a gagné son indépendance en 1964 et rejoint l’UE en 2004. C’est un État unitaire, dont le système politique est basé sur celui de Westminster, et ses principaux partis politiques existent depuis plus d’un siècle (Harwood 2014). Après l’indépendance, l’ensemble des petits partis a perdu ses sièges au Parlement ; depuis 1966, Malte connaît un régime de bipartisme. Seuls les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates sont présents au Parlement, ce qui implique un contrôle absolu du gouvernement sur le travail parlementaire (le Parti Démocratique est entré au Parlement en 2017 dans le cadre d’un accord électoral de coalition avec les chrétiens-démocrates mais a perdu ses sièges en 2019 quand ses deux députés ont quitté le parti). Les partis politiques ont atteint une quasi-omnipotence et ont la mainmise sur le pays grâce aux chaînes de télévisions, journaux et médias en ligne qui leurs appartiennent.
Bien que puissants, les partis doivent cependant répondre à un large panel d’intérêts s’ils espèrent gagner les élections, car le système électoral punit sévèrement toute perte de voix ; Malte utilise en effet le scrutin à vote unique transférable (STV) depuis 1921, un système de classement préférentiel avec plusieurs sièges par circonscription. Le pays est divisé en 13 circonscriptions de 5 sièges chacune. Le STV permet aux votants de classer les candidats de 1 à 10 (1 étant le candidat préféré), avec un quota de votes minimum pour être élu établi selon le nombre de votes valides de la circonscription. Peu de candidats atteignent directement ce quota et la plupart sont élus après un certain nombre de recomptages, où ils reçoivent les votes en plus des premiers (qui ont déjà atteint le quota) ou des derniers (qui ont été éliminés). Les votants peuvent faire leur classement avec des candidats de partis différents mais leur premier choix révèle leur soutien au parti dudit candidat et déterminera la répartition des sièges au Parlement.
Afin de s’assurer que la composition du Parlement reflète cet équilibre et puisque certains partis en lice ont pu gagner plus de sièges que ce que leur part de voix ne devrait leur permettre, des sièges supplémentaires sont ajoutés et le Parlement a souvent plus de députés que les 65 prévus par la loi électorale de 2021. Ce système électoral produit très peu de votes perdus, mais les votants ne savent pas toujours qui ils ont élu puisque leur bulletin de vote a pu inclure différents candidats qui ont finalement atteint le quota et rejoint le Parlement. Ce système populaire a perduré, avec un taux de participation de plus de 90 % pendant plus de 50 ans.

Les élections générales de 2022

Avant d’aborder le sujet des élections générales de 2022, il faut évoquer deux événements pour contextualiser l’élection. Le premier est un amendement constitutionnel de 2018 abaissant le droit de vote à 16 ans, créant une incertitude sur le taux de participation et le vote du groupe d’âge de 16 à 18 ans. Le deuxième est un amendement constitutionnel mis en vigueur en 2021 afin de remédier à la sous-représentation des femmes dans la politique maltaise, qui exigeait que si le nombre de femmes députées n’atteignait pas 40%, 12 sièges seraient ajoutés pour augmenter le nombre de députés du « genre sous-représenté » au Parlement, ces sièges étant répartis également entre les deux partis (Constitution de Malte 2021, No. 52A). Ce nouveau système était cependant méconnu et de nombreux citoyens furent surpris quand il s’appliqua en mars 2022.
Le gouvernement a annoncé l’élection le 20 février avec une date de scrutin fixée au 26 mars 1 . Les sociaux-démocrates (Parti Travailliste, PL, S&D) étaient au pouvoir depuis 2013, année où ils avaient obtenu la majorité la plus large depuis l’indépendance de Malte, une prouesse reproduite en 2017. C’était un vrai renversement pour un parti qui depuis 1987 avait été dans l’opposition, miné par ses positions farouchement opposées à l’appartenance du pays à l’UE 2 . Depuis 2013, l’économie du pays était en forte hausse, obtenant un des plus forts taux de croissance de l’UE, qui s’accompagnait de réformes sociales. Malte est désormais la tête de proue européenne des droits LGBTIQ+ (ILGA-Europe 2021), même si l’avortement reste un sujet tabou du fait de la forte influence de l’Église catholique. Le Parti Travailliste au pouvoir était aussi porté par sa gestion de la crise du COVID, Malte étant le premier pays de l’UE à atteindre l’immunité collective en 2021 et. selon les prévisions de la Commission, l’économie de l’UE la moins touchée par la pandémie. Cependant, le gouvernement travailliste devait aussi faire avec une presse à charge, d’autant plus après l’assassinat d’un journaliste de premier plan en 2017 et des révélations dans les Panama et Paradise Papers, qui menèrent à la démission du Premier ministre travailliste en 2020, remplacé par Robert Abela (PL) le fils d’un ancien président. Du côté de l’opposition, les chrétiens-démocrates du Parti Nationaliste (PN, PPE), au pouvoir de 1987 à 1996 et de 1998 à 2013, rencontrent des difficultés à se refaire une place dans la politique maltaise, avec 4 chefs de partis différents en 10 ans, et des divisions sur les sujets de progrès sociétaux, le parti essayant de trouver un juste équilibre entre membres conservateurs et progressistes. À l’orée des élections générales de 2022, le Parlement était composé de 67 membres : 36 du Parti Travailliste, 28 du Parti Nationaliste et 3 indépendants (2 anciens membres du Parti Démocratique et un ancien ministre du Parti Travailliste) (Parlement de Malte 2022).

Les partis, leurs candidats et leurs campagnes

Six partis étaient en lice pour les élections générales de 2022 avec le PL au pouvoir envoyant le plus grand nombre de candidats (122) tandis que le PN présentait 108 candidats. Les ultra-conservateurs du parti ABBA, créé en 2021, présentaient 28 candidats sur l’ensemble des 13 circonscriptions. Le parti AD+PD — une fusion de l’Alternative Démocrate (AD, EGP), connus comme les « Verts », et du Parti Démocratique (PD, ALDE) — en présentait 20. Le Parti du Peuple (PP) (extrême-droite) en présentait 15 tandis que Volt Malta (une branche de Volt Europa, fédéralistes européens) ne présentait que 4 candidats et n’était pas présent dans les 13 circonscriptions. 4 candidats indépendants étaient aussi en liste (Commission électorale 2022a).
Le consensus médiatique était que l’élection de 2022 paraissait terne et éclipsée par la guerre en Ukraine, avec un usage notable de la publicité en ligne, les Maltais étant parmi les plus grands utilisateurs de réseaux sociaux d’Europe, juste après les Chypriotes (Commission européenne 2020). Les partis principaux menèrent des campagnes publicitaires déroutantes omettant les logos des partis, des slogans qui ne marquèrent pas les électeurs et étaient difficiles à différencier (le slogan du PL était Malta Flimkien, « Malte ensemble », tandis que celui du PN était Mieghek ghal-Malta, « Avec vous pour Malte ») et les sondages présidaient une inévitable victoire du PL. Le PL promettait la croissance, la gratuité de la puériculture, une réduction de l’impôt sur les sociétés et des investissements verts. Dans une démarche douteuse, des chèques divers affluèrent dans le pays dans les semaines précédant l’élection, et chaque ménage reçut des déductions fiscales et des « chèques complémentaires » au profit principalement des travailleurs à faible salaire et des retraités. Le PN, qui voulait se montrer comme le seul capable de maintenir la croissance, promit un plan d’investissement d’un milliard d’euros, la construction d’un réseau de tram pour lutter contre le problème croissant des embouteillages et la création de plus d’espaces verts. Parmi les partis secondaires, le AP+DP promettait essentiellement une « purge verte » du système politique tandis qu’ABBA, avec de nombreux candidats aux déclarations passées anti-LGBT et anti-migrants, passa la plupart de la campagne à lutter contre une possible légalisation de l’avortement, un avertissement que fit aussi le PP, dont certains des candidats avaient précédemment aussi été associés à des politiques d’extrême-droite, notamment anti-migrants 3 . Par ailleurs, Volt Malta était le premier parti à défendre la décriminalisation de l’avortement. Chez les candidats indépendants, la proposition de Nazareno Bonnici — connu pour ses prises de parole impertinentes, et dont ce n’était pas la première candidature — d’accorder une subvention de 4 000€ à toutes les femmes qui feraient une chirurgie d’augmentation mammaire n’a pas aidé à améliorer l’image de l’élection, ce d’autant plus que cette remarque avait été proférée lors de la journée internationale des droits des femmes. Face à la guerre en Ukraine, l’élection semblait superficielle, ses campagnes incohérentes et l’engouement populaire s’effritait, la campagne ne « décollant » jamais réellement.

Les résultats

Le vote eut lieu le samedi 26 mars et le décompte commença peu après 9h30 le dimanche 27. Comme pour les élections précédentes, le dépouillement commença en public au bureau de dépouillement de Naxxar. Grâce à ce premier dépouillement, les membres des partis peuvent essayer de prédire le résultat final en utilisant un échantillon de bulletins et voyant qui y est classé premier. Dans un laps de temps inédit de 90 minutes, le Premier ministre s’exprima sur la radio publique et annonça en direct que son parti avait gagné. La victoire fut fêtée peu après avec comme unique question l’ampleur de la victoire des sociaux-démocrates. Cependant, au fur et à mesure de la matinée, il apparut que les élections générales de 2022 seraient sans précédent du fait d’une chute drastique de la participation, une variable clé tant les partis principaux poussent leurs fidèles au vote, s’appuyant souvent sur des « meneurs de rue » pour contrôler la participation, appeler et pousser ceux qui n’avaient pas voté à le faire. Même si les sondeurs avaient prévu une baisse de la participation, personne ne pouvait prévoir une telle chute ; Malte a toujours connu une participation aux élections générales supérieure à 90%, avec un record à plus de 96% en 1996 et 2003. Pour la première fois depuis 1966, la participation tomba sous la barre des 90 % et s’établit au taux historiquement bas de 85 % (voir figure a). Certains soutenaient que ce taux restait extraordinairement haut mais le fait que le Premier ministre, dans son premier discours post-nomination, ait parlé aux citoyens qui s’étaient abstenus, montre l’importance de cette évolution, remettant en cause la mainmise des deux partis sur l’électorat. En effet, dans un système politique où chaque vote compte, la perte de 15 % de l’électorat remet en cause les méthodes existantes des partis principaux et le soutien populaire au mode de scrutin. Si les analyses sont toujours en cours, les accusations de malversations de la part de membres de deux partis, une couverture médiatique continuellement négative (la mise de Malte sur liste grise du GAFI et la procédure d’infraction de la Commission européenne contre le mécanisme de « passeport doré » maltais ont toutes deux eut lieu en 2021), le nombre croissant des médias en ligne indépendants et l’envolée de la croissance — qui réduisait les attentes vis-à-vis du politique — pourraient expliquer la chute record de participation.
Au-delà de la participation, le résultat était loin d’être convaincant, quel que soit le parti. Si le PL a remporté une nette victoire sur le PN avec une majorité de près de 40 000 votes, il a en fait recueilli moins de votes en 2022 qu’en 2017, malgré l’augmentation du corps électoral à la suite de l’abaissement de la majorité. Comme le montre la figure a, le PL a perdu 8 000 votes tandis que le PN en a perdu encore plus avec 10 000 votes en moins (si l’on n’inclut pas les votes de 2017 pour les candidats du PD avec lequel le PN avait construit un accord électoral). En dehors des partis principaux, le résultat de l’AD+PD est notable : au-delà du fait qu’il a recueilli le troisième plus grand nombre de suffrages, il montre que l’AD reste un parti uni malgré la perte de certains de ses membres les plus importants tandis que le PD, qui n’existait que par ses deux députés avant leur démission, reste un parti viable, avec une coalition des deux partis qui semble fonctionner. Le PP et ABBA n’ont pas réussi à gagner en popularité auprès de l’électorat tandis que Volt Malte a eu de mauvais résultats, peut-être du fait de son positionnement pro-avortement ou parce qu’il n’a pas présenté de candidat dans toutes les circonscriptions et n’a donc pas pu participer aux différents débats des chefs de partis.
Un des buts principaux de l’élection était d’augmenter la proportion de femmes députées, mais avec seulement 10 victoires féminines (souvent suite à un recomptage dû l’élection du premier dans une autre circonscription), c’était un résultat décevant, et malgré l’ajout de 12 sièges féminins, seul 25% du Parlement est féminin.

a • Résultats des élections générales en 2022 et 2017 (Commission électorale 2022b)

Conclusion

Le dépouillage définitif des élections générales de 2022 montre un Parlement de 79 membres, dont 44 membres du PL et 35 du PN (qui inclut les sièges ajoutés pour la représentation féminine). Le Premier ministre, nommé après la démission de Joseph Muscat (PL), aura la légitimité de cette victoire au vote populaire. Le chef du PN a annoncé être candidat à sa propre succession comme chef de parti, mais il est fortement affaibli. Si le chef du PN peut réussir à replacer son parti au centre du jeu, de nombreux fidèles regardent du côté de Strasbourg ; Roberta Metsola, la députée européenne du PN élue présidente du Parlement européen en 2021, a fait profil bas durant la campagne mais de nombreuses voix au parti la voient comme la seule option viable pour le futur, et si elle n’a pas indiqué vouloir revenir sur la scène nationale, son ombre continuera de planer sur le parti. En dehors des considérations des partis principaux, les élections générales maltaises de 2022 sont un revirement dans la politique maltaise, du fait de l’abstention historique. Les partis principaux devront activement chercher à comprendre pourquoi 15% de la population s’est abstenue (en plus du doublement du nombre de votes nuls). Le spectre de l’abstention qui planera sur Malte pendant les 5 prochaines années.

Nota bene : Ces graphes/cartes représentent les premières préférences par circonscription Malta use le Vote unique transférable (STV).

Bibliographie

Constitution de Malte (2022). Constitution of Malta. En ligne Consulté le 30.3.22.
Commission électorale (2022a). General Election 2022 – All Nominations. En ligne. Consulté le 30.3.22.
Commission électorale (2022b). General Elections 2022 Results. En ligne. Consulté le 30.3.22.
Commission européenne (2020). Directorate-General for Communication, Media use in the European Union : report. En ligne. Consulté le 30.3.22.
General Elections Act (2021) Chapter 354 General Elections Act. En ligne. Consulté le 30.3.22.
Harwood, M. (2014). Malta in the European Union. UK: Palgrave.
ILGA-Europe (2021). Rainbow Europe. En ligne. Consulté le 30.3.22.
Parlement de Malte (2022). Political Groups. En ligne. Consulté le 30.3.22.

Notes

  1. Tout comme dans le système de Westminster duquel le système maltais est inspiré, le Président maltais, sur demande du Premier ministre, peut dissoudre le Parlement à n’importe quel moment durant son quinquennat. Cela implique que le Premier ministre peut choisir la date des élections générales à tout moment pendant l’exercice de ses fonctions. La date des élections générales de 2022 était notable car elle était fixée une semaine avant la visite du Pape François, un événement d’importance dans un pays où plus de 90% de la population se dit catholique.
  2. Le PL a effectué un revirement au sujet de son positionnement anti-UE après l’intégration de Malte en 2004 mais a gardé un certain euroscepticisme jusqu’à l’élection de son nouveau leader en 2008.
  3. Malte est toujours très majoritairement opposée à la décriminalisation de l’avortement, et différents partis politiques proposent d’inscrire l’interdiction de l’avortement dans la Constitution.
+--
voir le planfermer
citer l'article +--

citer l'article

APA

Mark Harwood, Élection parlementaire à Malte, 26 mars 2022, Groupe d'études géopolitiques, Oct 2022,

à lire dans ce numéro +--

à lire dans cette issue

voir toute la revuearrow
notes et sources +