Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections générales en Bosnie-Herzégovine, 2 octobre 2022
Issue #3
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Issue #3

Auteurs

Damir Kapidžić

Numéro 3, Mars 2023

Introduction

Les élections en Bosnie-Herzégovine (BiH) sont parmi les plus uniformes au monde. La neuvième élection générale en Bosnie-Herzégovine depuis la fin de la guerre de Bosnie en 1995 a eu lieu le 2 octobre 2022. Dans le cadre du complexe système de gouvernance établi par l’accord de paix de Dayton, des élections ont été organisées à trois niveaux administratifs différents. Les électeurs pouvaient ainsi voter pour un maximum de quatre scrutins (selon leur lieu de résidence) pour désigner la présidence tricéphale de l’État, la présidence de la Republika Srpska (RS), ainsi que 13 parlements à trois niveaux distincts : national, infranational, et local au sein de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (FBiH).

Pour ces élections, la Commission électorale centrale a approuvé 72 partis politiques, 38 coalitions et 17 candidats indépendants, soit un total de 7257 candidats. Les élections ont été convoquées exactement quatre ans après les élections précédentes, en 2018, conformément à la constitution et à la loi électorale. Cependant, la période précédant le scrutin a été marquée par une grande incertitude, tant en ce qui concernait la réforme (attendue de longue date) de la loi électorale que la gestion du budget des élections. Le jour du scrutin s’est déroulé de manière ordonnée, et seules quelques infractions mineures ont été relevées, qui ont été gérées selon les procédures légales. Le dépouillement des bulletins de vote a toutefois pris davantage de temps que prévu, nécessitant plusieurs recomptages. Les résultats officiels ont été confirmés un mois après les élections, conformément à la loi. 

Le système politique et électoral de la Bosnie-Herzégovine

Le pays possède un système politique complexe avec une population multiethnique divisée selon des lignes religieuses : Croates catholiques, Bosniaques musulmans et Serbes chrétiens orthodoxes. Le système actuel de gouvernance met l’accent sur la représentation ethnique dans les institutions par le biais d’un modèle consociatif de démocratie. Il a été créé en 1995 à la suite de la guerre de Bosnie et fait partie de l’accord de paix de Dayton, garantissant le partage du pouvoir et la répartition des fonctions politiques selon les lignes ethniques, ainsi que le partage du pouvoir entre les niveaux de gouvernance national et sous-national (les entités). La compétition électorale qui en résulte renforce les clivages ethniques en soulignant l’ethnicité déclarée et perçue des candidats, des partis politiques et des électeurs. Le système électoral de la BiH consiste en un système proportionnel à listes ouvertes pour les parlements nationaux, sous-nationaux et locaux, et en un scrutin uninominal pour les présidents et maires nationaux et sous-nationaux élus au suffrage direct. Le système politique et électoral de la BiH est fortement influencé par la politique ethnique et la répartition ethno-territoriale de la population. Un élément particulier du système politique de la BiH est le Bureau du Haut Représentant, créé pour assurer la mise en œuvre civile de l’accord de paix. Ce bureau et son titulaire actuel, Christian Schmidt, disposent de vastes pouvoirs, souvent comparés à ceux d’un vice-roi, qui lui permettent de légiférer, d’opposer son veto à une loi et de révoquer des fonctionnaires. 

Le gouvernement national a des compétences limitées et comprend une présidence de trois membres élus directement, composée d’un Serbe, d’un Bosniaque et d’un Croate. Les citoyens ne s’identifiant pas à l’un de ces trois groupes ethniques ne sont pas éligibles à ce poste. En RS, le bulletin de vote ne mentionne que les candidats serbes, le vainqueur étant désigné à la majorité simple. Dans la FBiH, les candidats bosniaques et croates figurent sur le même bulletin de vote, séparés en deux listes ethniques, et les électeurs disposent d’une voix. Le vainqueur est désigné à la majorité simple sur chaque liste. Le Parlement bicaméral de Bosnie-Herzégovine se compose d’une Chambre des peuples de 15 membres, répartis également entre les trois groupes ethniques et nommés par les parlements infranationaux, et d’une Chambre des représentants de 42 membres, élus dans huit districts plurinominaux (14 dans trois districts de la RS et 28 dans cinq districts de la FBiH). Seuls 30 membres sont élus directement par le biais d’un scrutin proportionnel à listes ouvertes, avec une taille de circonscription allant de trois à six membres, tandis que les 12 sièges restants sont des sièges compensatoires attribués au niveau des entités pour assurer la proportionnalité du vote et la représentation des partis dont le soutien est dispersé (Kapidžić et Komar, 2022). Au niveau du district électoral, un seuil électoral de 3 % est appliqué avec des sièges attribués selon la méthode de Sainte-Laguë, qui s’applique également aux élections infranationales et locales (Loi électorale de Bosnie-Herzégovine, 2022). Ce faible seuil électoral et cette méthode de répartition sont conçus pour favoriser les petits partis et les partis régionaux, ce qui se traduit par une législature très fragmentée. 

Le 2 octobre 2022, des élections simultanées ont été organisées pour les parlements et les exécutifs à trois niveaux administratifs. Les électeurs de la Fédération de Bosnie-Herzégovine pouvaient voter pour un membre croate ou bosniaque de la présidence de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, de la Chambre des représentants du Parlement de Bosnie-Herzégovine, de la Chambre des représentants infranationale du Parlement de Bosnie-Herzégovine, qui compte 98 membres, et de l’une des dix assemblées cantonales locales. Les électeurs de la RS ont voté pour le membre serbe de la présidence de la Bosnie-Herzégovine, la Chambre des représentants du Parlement de Bosnie-Herzégovine, le président (ou les vice-présidents) de la RS et l’Assemblée nationale de la RS, composée de 83 membres. À la plupart de ces niveaux, l’administration précédente était composée de partis et de dirigeants ethno-nationalistes qui se sont montrés hésitants à travailler ensemble et à établir des politiques communes pendant leur mandat, en particulier celles liées au changement constitutionnel et électoral. Les élections simultanées ont produit des résultats très similaires aux différents niveaux. Pour cette raison, l’analyse se concentrera sur les scrutins nationaux. 

Taux de participation, partis et tendances de vote ethno-territoriales 

Le taux de participation a été de 51,5 %, soit un peu moins que lors des élections précédentes (54 % en 2018), avec près de 80 000 votes de moins. Le taux de participation était plus faible dans les municipalités du nord-ouest du pays qui ont connu un taux d’émigration plus important, et plus élevé dans l’est et le sud-est (voir Figure a). La compétition électorale est largement confinée à l’intérieur des sous-systèmes de partis ethniques. Le Parti d’action démocratique (SDA), Peuple et justice (NIP) et l’Union populaire européenne (NES) sont les partis ethniques les plus importants parmi les Bosniaques lors de ces élections. Parmi les Serbes, il s’agit de l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD), du Parti démocratique serbe (SDS) et du Parti démocratique du progrès démocratique (PDP). Parmi les Croates, les partis les plus importants sont l’Union démocratique croate de Bosnie-Herzégovine (HDZ BiH) et l’Union démocratique croate 1990 (HDZ 1990). Il existe également des partis multiethniques qui remportent régulièrement une part importante des voix, principalement parmi les électeurs bosniaques. Le Parti social-démocrate (SDP), le Front démocratique (DF) et Notre Parti (NS) sont les plus importants d’entre-eux.

a • Participation par commune, 2022.

Même si la concurrence a été intense au sein des sous-systèmes de partis ethniques tout au long des huit cycles électoraux précédents, pratiquement aucun électeur n’est passé d’un parti ethnique à un autre (Kapidžić et Komar, 2022). Comme indiqué ci-dessus, la majorité de la compétition électorale est contenue dans les sous-systèmes de partis ethniques. Les partis bosniaques se font concurrence entre eux pour les votes bosniaques, les partis serbes pour les votes serbes, les partis croates pour les votes croates, et les partis multiethniques pour les votes laïques (et certains votes bosniaques). Comme les groupes ethniques sont concentrés sur le plan territorial et que la plupart des régions ont une majorité ethnique claire, il en résulte des schémas de concurrence ethno-territoriale qui peuvent être regroupés en trois groupes (voir Figure b). Une analyse en composantes principales des résultats des élections au niveau municipal confirme la domination des partis serbes en RS et des partis croates en Herzégovine (le Sud du pays) ainsi que dans certaines municipalités spécifiques. Les partis bosniaques sont très présents dans le centre de la FBiH et dans le nord-ouest. Essentiellement, le soutien aux partis est territorialisé et segmenté selon les lignes ethniques, sans impact significatif des autres variables sociodémographiques, ce qui n’a pas changé lors des élections de 2022. 

b • Analyse en clusters du vote par commune

Séquence post-électorale

Le jour de l’élection, quelques cas mineurs d’irrégularités électorales ont été relevés, mais aucun incident significatif n’a eu lieu. Cependant, après la fermeture des bureaux de vote à 19 heures, le Haut Représentant Christian Schmidt a prononcé un discours public qui a changé la donne, annonçant qu’il allait appliquer de nouveaux amendements à la loi électorale et à la constitution infranationale de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Ces modifications n’ont pas affecté les scrutin directs auxquels les citoyens venaient de participer, mais ont modifié la composition de la chambre haute du Parlement de la FBiH, élue au suffrage indirect. Bien que la décision ait répondu à des problématiques anciennes et puisse profiter au fonctionnement de la FBiH, le moment n’aurait pas pu être plus mal choisi. Après avoir voté, les électeurs de la FBiH ont été mal à l’aise d’apprendre que leur vote pourrait (indirectement) affecter la façon dont le Parlement de la FBiH est constitué. Les conséquences de cette décision sur la remise en cause de la démocratie électorale et sur la formation et la prise de décision du gouvernement sont encore incertaines. 

Le décompte des voix a été très lent et a été entaché de retards et d’irrégularités au niveau des bureaux de vote. Plusieurs municipalités ont dû procéder à des recomptages pour confirmer les résultats, en raison d’erreurs dans les rapports ou de scores serrés. Des incidents se sont produits en RS, où le vote pour le président infranational de la RS a fait l’objet d’un recomptage complet sur fond d’allégations de fraude et d’irrégularités importantes de la part de la candidate de l’opposition unie, Jelena Trivić (PDP), contre le sortant Milorad Dodik (SNSD). Une fois le recomptage terminé, la projection initiale de la victoire de Dodik a été confirmée, mais avec une marge plus faible. La Commission électorale centrale a confirmé les résultats un mois après les élections, le 2 novembre 2022, après que la Cour de Bosnie-Herzégovine a rejeté tous les appels.

Gagnants et perdants 

Les premiers votes comptés et confirmés concernaient les trois membres de la présidence. Željka Cvijanović (SNSD) l’a emporté contre Mirko Šarović (SDS) et d’autres candidats serbes, conservant ainsi le poste pour son parti. Cvijanović deviendra la première femme présidente de Bosnie-Herzégovine. Même si son rôle est essentiellement cérémoniel, on s’attend à ce qu’elle poursuive la politique d’affaiblissement des institutions centrales au profit de l’entité infranationale de la RS. Les électeurs ont élu Denis Bećirović (SDP) comme membre bosniaque de la présidence contre Bakir Izetbegović (SDA) et Mirsad Hadžikadić (Plateforme pour le progrès). Bećirović est le premier Bosniaque nommé par un parti multiethnique, avec le soutien d’une large coalition de partis bosniaques et civiques. Sa victoire est une grande surprise pour Izetbegović, le chef du parti conservateur SDA qui a occupé le poste au cours des trois derniers mandats. Enfin, le député croate sortant Željko Komšić (DF) l’a emporté sur Borjana Krišto (HDZ BiH), en grande partie grâce au soutien d’électeurs non croates et après n’avoir fait aucune campagne dans les zones à majorité croate. Il s’agit de son quatrième mandat (non consécutif), et ses victoires répétées sont depuis longtemps une épine dans le pied des partis ethniques croates. Le fait que deux membres de la présidence soient issus de partis non ethniques pourrait apporter une nouvelle dynamique à la fonction. 

Il convient d’examiner les résultats de la Chambre des représentants du Parlement de Bosnie-Herzégovine au regard de la composition des sous-systèmes des partis ethniques et de la dynamique majorité-opposition. Les résultats indiquent une performance forte et stable des principaux partis sortants croates, serbes et bosniaques, à savoir le HDZ BiH, le SNSD et le SDA, respectivement (voir graphique ci-dessous). Ces partis ont largement réussi à conserver leur part de voix et de sièges. Le HDZ est le seul parti croate au Parlement et jouera un rôle clé dans la formation du gouvernement. Une légère perte de voix et de sièges des partis croates est toutefois perceptible. Cette perte pourrait être liée à la plus forte émigration des Croates de Bosnie-Herzégovine qui, étant détenteurs d’un passeport croate, possèdent la citoyenneté européenne.  

Le SNSD a renforcé sa position dominante au Parlement, tout en conservant le même nombre de sièges. Ceci est principalement dû au fait que les partis d’opposition serbes, le SDS et le PDP, ont perdu des voix. Avec maintenant six partis serbes au Parlement, la voix de l’opposition est divisée et affaiblie, ce qui profite au SNSD déjà en place, car il sera difficile de ne pas les inclure dans la gouvernance. Les trois partis multiethniques, SDP, DF et NS, ont réussi à conserver leurs sièges avec des changements mineurs en termes de pourcentage de voix. Parmi les partis bosniaques, le SDA a conservé ses voix et ses sièges mais reste le grand perdant des élections. Cela s’explique en grande partie par l’évolution vers une opposition plus unifiée des partis bosniaques au Parlement, menée par le NIP et le NES (voir encart « les données »). Avec certains des partis multiethniques, cette opposition bosniaque pourrait court-circuiter le SDA dans la formation du gouvernement, bien que le SDA ait le plus grand nombre de députés de tous les partis politiques. 

Un parlement fragmenté et la formation du gouvernement 

Pour former un gouvernement au niveau national, une coalition de partis croates, serbes et bosniaques (et éventuellement multiethniques) est nécessaire dans le cadre du système consociatif de partage du pouvoir. Cela sera difficile à réaliser car le Parlement reste très fragmenté, avec 14 partis, conséquence d’un seuil électoral bas et de l’usage de la méthode Sainte-Laguë. Il n’est pas certain que les trois principaux partis ethniques s’unissent. Le gouvernement comprendra probablement le HDZ BiH et le SNSD, car ils détiennent la majorité à la première chambre, la Chambre des peuples, dont les votes sont nécessaires pour confirmer la nomination du gouvernement et adopter des lois. Toutefois, l’opposition bosniaque et les partis multiethniques ont uni leurs forces pour écarter le SDA du gouvernement. Aux côtés du HDZ croate, huit partis multiethniques et bosniaques ont signé un accord de coalition programmatique au niveau infranational dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, qui est considéré comme un précurseur de la formation d’une coalition au niveau national. La présidence étant dominée par des membres issus de partis multiethniques, cela pourrait signaler un début d’abandon d’une politique ethnique exclusive en Bosnie-Herzégovine. 

Références

Kapidžić, D. & Komar, O. (2022). Segmental Volatility in Ethnically Divided Societies: (Re)Assessing Party System Stability in Southeast Europe. Nationalities Papers, 50(3), 535–553.
Loi électorale de Bosnie-Herzégovine (version consolidée non-officielle) (2022). Commission électorale centrale de Bosnie-Herzégovine. Consulté le 14.11.2022.

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Damir Kapidžić, Élections générales en Bosnie-Herzégovine, 2 octobre 2022, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2023, 161-165.

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