Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections parlementaires à Chypre, 30 mai 2021 (I)
Issue #1
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Auteurs

Vasiliki Triga

21x29,7cm - 107 pages Issue #1, Septembre 2021 24,00€

Élections en Europe : décembre 2020 – mai 2021

Le 30 mai 2021, les 12e élections législatives depuis l’indépendance de l’île ont eu lieu en République de Chypre (RdC). Les élections parlementaires à Chypre sont traditionnellement moins importantes que les élections présidentielles, car le président de la République y exerce le pouvoir exécutif. Malgré cette moindre importance, les élections parlementaires sont cependant considérées comme un baromètre crucial du pouvoir et de l’influence des partis politiques au sein du Parlement, mais aussi en dehors. La force parlementaire des partis a un impact sur la façon dont les questions cruciales sont traitées, telles que l’économie, les questions institutionnelles, les prochaines élections présidentielles et le conflit Chypriote.

Contexte

Les élections parlementaires de 2021 se sont révélées significatives à divers égards. Il s’agissait des premières élections organisées pendant la crise de la Covid-19, dans un contexte d’incertitude économique croissante due aux longs confinements et à une crise politique et institutionnelle provoquée par le scandale de corruption des « passeports dorés ». Cette dernière s’est aggravée après la diffusion d’un documentaire télévisé d’Al Jazeera dans lequel le président du Parlement de l’époque, Demetris Syllouris, et un député du parti d’opposition AKEL, semblaient agir en tant que médiateurs pour organiser la naturalisation d’un homme d’affaires chinois criminel. Cet incident a déclenché une série d’événements : la démission du président du Parlement, une enquête provisoire sur de nombreuses demandes de passeport chypriote, notamment pour des demandeurs au casier judiciaire obscur aidés par de prestigieux cabinets d’avocats chypriotes, l’abolition du régime spécifique de naturalisation sous la pression de Bruxelles et une colère publique écrasante. Dans ce contexte, la composition d’un nouveau parlement aurait pu être un moment de transformation avec l’entrée de nouveaux partis politiques protestant contre la corruption et exprimant leur indignation contre le système politique existant. Les résultats, cependant, n’ont pas produit un tel événement, puisque la plupart des nouveaux partis n’ont pas réussi à dépasser le seuil de 3,6 % nécessaires pour entrer à la Chambre des représentants; en définitive, ces élections ont plutôt confirmé le statu quo du contexte politique chypriote.

Bien que la corruption ait été un thème central de la campagne pour de nombreux partis, notamment les plus récents, elle n’a vraisemblablement pas été la préoccupation majeure de l’opinion publique. Au contraire, les sondages d’opinion (IMR, 2021 ; Cypronetwork, 2021) suggèrent que l’économie et le conflit identitaire chypriote ont été les questions les plus saillantes selon lesquelles l’électorat a formulé ses choix de vote. Dans ce contexte, le processus électoral fut long, intense et polarisé. Les partis et leurs candidats ont organisé leurs événements de campagne principalement par le biais des médias sociaux, le confinement ne permettant pas d’événements en public. Cela a eu deux conséquences : d’une part, l’utilisation des médias sociaux pour la campagne a ouvert de nouvelles voies de communication et a potentiellement créé un précédent pour l’utilisation des nouvelles technologies dans les campagnes électorales à venir à Chypre. D’autre part, en raison des plus importantes possibilités d’échanges offertes par ces mêmes médias sociaux et de leur capacité à constituer une plateforme d’expression de la colère et du mécontentement général, la campagne est devenue toxique, les candidats et les sympathisants des partis (en particulier ceux des nouvelles formations politiques) se livrant à des échanges violents.

Les candidats

Lors de ces élections, 15 partis ou formations politiques étaient en lice, ainsi que sept candidats indépendants dont huit d’entre eux se présentaient pour la première fois. L’analyse des élections précédentes (Triga, 2017) indique que l’espace idéologique chypriote est structurée autour de deux axes de compétition politique bien connus. Le premier concerne la régulation de l’économie ; c’est le clivage classique entre la gauche et la droite. Le second axe concerne les questions de culture et d’identité et inclut ce que l’on appelle le conflit chypriote. Ce conflit fait suite à la partition de facto de l’île en une partie chypriote grecque au sud et une partie chypriote turque au nord, suite à l’invasion et à l’occupation turques du nord de l’île en 1974. Depuis lors, la République de Chypre au sud est le seul État reconnu internationalement, et Chypre est le seul État membre de l’UE dont le territoire est divisé et sous occupation militaire. Ci-dessous, nous examinons brièvement les partis en présence par rapport aux deux axes de l’espace politique chypriote.

a) DISY (Rassemblement démocratique, Δημοκρατικός Συναγερμός), avec une position idéologique de droite classique qui détient la majorité au Parlement. Le DISY occupe son propre espace politique distinctif caractérisé par une position économique néolibérale assumée et une position culturelle plus modérée (principalement en raison de sa position sur le conflit chypriote). Le Président de la République, Nicos Anastasiades, appartient à ce parti.

b) AKEL (Parti progressiste des travailleurs, Ανορθωτικό Κόμμα Εργαζόμενου Λαού) est un parti communiste (selon les déclarations du parti [Akel, 2019]) économiquement à gauche et socialement progressiste. Lors de ces élections comme lors des dernières, AKEL a subi une perte progressive de sa base électorale. Il reste néanmoins le plus grand parti d’opposition et possède la position la plus libérale concernant le conflit chypriote.

c) DIKO (Parti démocratique, Δημοκρατικό Κόμμα), le troisième plus grand parti, est plutôt centriste en termes d’économie mais a pris une tournure plus nationaliste vis-à-vis du problème chypriote, ce qui a créé des tensions au sein du parti et a conduit à une scission avec la création d’un nouveau parti, le DIPA (Front démocratique, Δημοκρατική Παράταξη) sous la direction de l’ancien leader du DIKO, Marios Garoyian.

d) ELAM (Front national populaire, Εθνικό Λαϊκό Μέτωπο), un parti d’extrême droite, autoritaire sur les questions culturelles et ultra-nationaliste sur le problème chypriote. L’ELAM semble assez centriste sur l’économie, ce qui est assez commun parmi de nombreux autres partis d’extrême droite en Europe qui ont une position populiste et soutiennent des politiques qui s’opposent, par exemple, à l’austérité ou aux privatisations.

e) L’EDEK (Union démocratique unifiée du centre, Ενιαία Δημοκρατική Ένωση Κέντρου) est un parti socialiste, de gauche sur le plan économique mais conservateur sur les questions culturelles, notamment en ce qui concerne le problème chypriote, puisque le parti rejette la fédération bizonale bicommunautaire. L’EDEK, malgré son déclin constant lors des dernières élections, a réussi à maintenir sa cinquième position lors de ces élections.

f) KOP (Mouvement de coopération des écologistes et citoyens, Κίνημα Οικολόγων Συνεργασία Πολιτών), connu également sous le nom de Verts, est globalement centriste et promeut un renouveau démocratique avec la collaboration de la société civile, bien que ses positions vis-à-vis du problème chypriote restent un peu confuses depuis le changement de sa direction.

g) Le Mouvement de solidarité (Κίνημα Αλληλεγγύη), qui a concouru pour la première fois aux élections législatives de 2016, est un parti marginal créé par un ex-membre du DISY suite à un désaccord avec le président Anastasiades sur la manière de traiter le problème chypriote. Le parti a obtenu trois sièges lors des élections parlementaires de 2016 en suivant une ligne dure sur le conflit chypriote, s’opposant au modèle de fédération bi-zonale et bicommunautaire et dénoncant l’ensemble de l’establishment politique.

Les huit autres partis en compétition ont tous été créés récemment. A l’exception du DIPA qui, comme mentionné ci-dessus, était plutôt modéré sur l’économie et l’axe culturel, les six autres partis étaient anti-statu quo, mobilisés sur l’agenda anti-corruption. La plupart d’entre eux (à l’exception de Famagusta for Cyprus, Αμμόχωστος για την Κύπρο) ont également adopté une position nationaliste sur le problème chypriote. Ceci concerne Réveil 2020 (Αφύπνιση 2020), Citoyens actifs : Chasseurs chypriotes unis (Ενεργοί Πολίτες : Κίνημα Ενωμένων Κυπρίων Κυνηγών), Indépendants : Génération Changement (Ανεξάρτητοι : Αλλαγή Γενιάς), Souffle du peuple (Πνοή Λαού), le Parti animaliste de Chypre (Κόμμα για τα Ζώα Κύπρου), et la Coalition patriotique (Πατριωτικός Συνασπισμός).

Résultats des élections

Si l’on se penche sur les résultats des élections (voir encart « les données «), on remarque immédiatement que c’est l’opposition qui est perdante, et non les formations sortantes. Les partis sortants sont normalement sanctionnés, comme c’est le cas du DISY. Le parti a perdu près de 3 points dans les urnes et un siège, alors qu’il avait obtenu 27,8 % des voix, ce qui est un record historique. Cependant, il est arrivé en tête et a conservé son pouvoir. Après huit ans consécutifs au pouvoir, au cours desquels DISY a été directement impliqué dans le scandale des passeports dorés, il est loin de s’agir d’un mauvais résultat. À l’inverse, AKEL subit les pertes les plus fortes. Cette « hémorragie » de voix avait déjà commencé après la défaite de son représentant aux élections présidentielles de 2013. Depuis lors, le parti semble incapable de se remettre des échecs perçus de la présidence de Chirstofias (un ancien dirigeant de l’AKEL depuis 21 ans), et peine à capitaliser sur le mécontentement du public à l’égard des politiques gouvernementales et des scandales impliquant DISY. L’approche très centralisée du parti vis-à-vis de ses membres et le manque général de modernisation de son discours apparaissent comme des stratégies inefficaces pour ramener les électeurs vers le parti.
De manière générale, tous les partis existants (à l’exception d’ELAM) ont perdu des voix par rapport aux élections législatives de 2016. Plus précisément, les deux principaux partis ont perdu ensemble près de 17 % de leur part électorale, leur force électorale combinée représentant désormais 50 % des voix (contre 56,4 % en 2016 et 67 % en 2011). L’exception notable à ce déclin est le parti d’extrême droite d’ELAM, l’un des grands gagnants de ce scrutin. Dans l’ensemble, les nouveaux partis ont réussi à attirer 14 % de la part des voix en adoptant des positions traditionnellement défendues par DISY et DIKO. Cependant, malgré leurs scores combinés, à l’exception du DIPA, sept des nouveaux partis n’ont pas réussi à franchir le seuil de 3,6 % nécessaire depuis 2015 pour entrer au Parlement.
Le résultat des élections parlementaires a renforcé trois phénomènes politiques qui se sont manifestés depuis 2011 et qui façonneront sans aucun doute la dynamique des prochaines élections présidentielles de 2023 :

  1. La croissance de l’abstention électorale comme caractéristique systémique du contexte politique actuel à Chypre. Les taux d’abstention sont en hausse dans la politique chypriote, puisque dans la période précédant immédiatement le début de la grande récession, le taux de participation était de 89 % (2006), contre 65 % en 2021. Cette baisse de la participation, bien qu’elle suive une tendance européenne plus large depuis le début des années 2000, est plutôt inhabituelle pour Chypre. Il convient de mentionner que lors de ces élections, en plus des 34,3 % d’abstentionnistes, 80 000 nouveaux électeurs ne se sont même pas inscrits sur les listes électorales. Les analystes relient cette tendance à l’abolition du vote obligatoire à Chypre (légalement en 2017, bien que le tournant ait eu lieu lorsque Chypre a rejoint l’UE en 2004), mais surtout à un sentiment généralisé d’apathie politique, de méfiance et de manque d’intérêt pour la politique de la part de l’électorat.
  2. La fragmentation continue des partis, également liée au mécontentement électoral. Elle suit l’affaiblissement des deux principaux partis politiques, DISY et AKEL, perçus par l’opinion comme peu dignes de confiance. On observe par conséquent l’émergence de nouveaux partis, non traditionnels, qui présentent des manifestes contre le statu quo et la corruption. Bien que ce phénomène ne soit pas nouveau, ces nouveaux partis ont tendance à ne pas durer, comme le montre l’exemple du Mouvement pour la solidarité, qui a perdu sa représentation parlementaire en 2021. Une interprétation possible est que la tension de la pandémie a ravivé l’indignation et le sentiment de méfiance envers la capacité des « anciens » partis à gérer les crises. Ces sentiments ont été exploités et repris par les nouveaux partis politiques.
  3. Le parti d’extrême droite ELAM s’est imposé comme le quatrième plus grand parti du système politique chypriote. Après sa première apparition aux élections européennes de 2009 (avec un score d’à peine 0,22 %), l’ELAM n’a cessé d’accroître progressivement son pouvoir. Bien que l’ELAM soit d’abord apparu comme un parti de protestation dans un contexte plus large de déception politique, il est parvenu à consolider sa position sans le soutien de son mentor et frère, le parti grec Aube dorée (largement dissous suite à l’emprisonnement de nombre de ses députés élus). Les explications de la montée en puissance de l’ELAM peuvent être attribuées à l’abandon de ses actions radicales et à la professionalisation de sa campagne, qui lui ont permis de s’intégrer dans le système politique. Il est révélateur qu’un représentant du parti ait commenté la performance de l’ELAM lors d’une émission de télévision le soir des élections en utilisant l’oxymore « la démocratie a gagné ».

Bibliographie

IMR (mars-mai 2021). Enquête pour RIK. Université de Nicosie.
Cypronetwork (avril 2021). Enquête pour Omega Tv.
Triga, V. (2017). Party changes in post-bailout Cyprus: The May 2016 Parliamentary Elections. South European Society and Politics 22:2, 261-278.
Akel (2019). Communist party of Cyprus : Akel. 93 years of struggles for Cyprus and its people. En ligne.

Les données

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Vasiliki Triga, Élections parlementaires à Chypre, 30 mai 2021 (I), Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 74-76.

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