Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections parlementaires en Bulgarie, 11 juillet 2021
Issue #2
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Issue #2

Auteurs

Dragomir Stoyanov , Milen Lyubenov

21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€

Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021

Les élections législatives anticipées du 11 juillet ont eu lieu après que la 45e Assemblée nationale n’a pas réussi à élire un gouvernement régulier, causant la dissolution par le président Rumen Radev de l’Assemblée nationale et la nomination d’un cabinet intérimaire. Les raisons de l’échec de la formation gouvernementale étaient doubles : d’une part, le niveau de fragmentation politique du Parlement récemment élu était important (4 coalitions de partis et 2 partis individuels) ; d’autre part, le niveau de polarisation politique de l’institution était très élevé. La campagne électorale des « partis du changement » (Il y a un tel peuple — ITN, la coalition Démocratie Bulgarie — DB et la coalition Debout ! Les voyous dehors ! — ISMV) était basée sur une critique sévère du parti au pouvoir GERB, confronté à de noombreux scandales de corruption durant ses périodes de gouvernement (2009-2013 et 2014-2021). En conséquence, malgré sa victoire aux élections d’avril 2021, le GERB s’est avéré être politiquement isolé et considéré comme un partenaire politique « toxique », voire inacceptable.
Un autre partenaire était jugé inacceptable par les « partis du changement » : il s’agit du parti de la minorité turque en Bulgarie, le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS). Bien que n’étant pas officiellement au pouvoir, les responsables du parti DPS ont largement profité de la période de gouvernement du GERB. Le parti a été perçu par les autres formations comme un partenaire de coalition inofficiel du GERB, et les nouveaux venus au Parlement ont exclu toute coopération avec lui. Ainsi, le Parti socialiste bulgare (BSP) s’est avéré être le seul parti ancien qui pouvait servir de partenaire de coalition ; mais l’ITN et le DB se sont opposés à la coalition avec l’ancien parti communiste. Finalement, les trois tentatives de formation d’un gouvernement au sein de la 45e législature ont échoué, et des élections anticipées ont été programmées.

Le contexte des élections anticipées

Le gouvernement intérimaire nommé par le Président a engagé un processus de « révision » des 11 ans de gouvernement GERB, mettant en évidence de nombreuses irrégularités. Certaines de ces irrégularités impliquent des abus dans la gestion des marchés publics, menant à la distribution à des oligarques proches du gouvernement de crédits de centaines de millions de levs par la Banque de développement bulgare. Le 2 juin, le Département du Trésor américain a déclaré des sanctions contre des oligarques bulgares proches du GERB et du DPS en vertu de la loi Global Magnitski. Ces oligarques ont été accusés par le Département d’Etat de « corruption significative », une accusation qui a ajouté à l’image de corruption des deux partis. Au même moment, le ministre de l’intérieur du gouvernement intérimaire a divulgué des données sur les arrestations illégales de centaines de personnes pendant les manifestations de l’année passée — dont celles de politiciens de l’opposition, de journalistes et de représentants du secteur non gouvernemental. Ces révélations scandaleuses ont affecté la campagne électorale et, pour la première fois depuis sa création en 2006, le GERB a perdu les élections législatives.

Taux de participation

Le taux de participation aux élections anticipées de juillet a été remarquablement bas, à 42,19 %. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce faible taux de participation : tout d’abord, certains électeurs ont été déçus par le résultat des élections d’avril et ont décidé de ne pas participer à nouveau. La deuxième raison est liée aux efforts déployés par le gouvernement intérimaire lui-même pour mettre un frein à l’achat de voix, au vote collectif et à d’autres pratiques de vote illégales. Selon certains médias, ces efforts ont eu un certain effet sur l’activité électorale dans plusieurs districts du pays. Troisièmement, la date des élections en juillet a pu avoir un effet négatif sur la participation, de nombreuses personnes préférant partir en vacances au bord de la mer plutôt que de faire la queue devant les bureaux de vote. La dernière raison tient au mode de scrutin lui-même. Pour la première fois dans l’histoire électorale bulgare, des machines à voter ont été déployées dans la plupart des bureaux de vote. Malgré la campagne menée par le gouvernement et certains partis pour populariser cette méthode, de nombreux personnes âgées ou peu éduquées ont pu craindre que celle-ci ne soit trop compliquée pour eux. Le jour de l’élection, ces électeurs ont préféré ne pas voter. En définitive, la combinaison de la polarisation politique et du taux d’abtention record observé n’ont pas aidé à renforcer la légitimité du parlement nouvellement élu.

Résultats des partis

Les résultats des partis n’ont pas été surprenants, et les sondages réalisés en amont des élections en avaient, dans l’ensemble, correctement indiqué l’issue. Le GERB a perdu une élection nationale pour la première fois en 11 ans de gouvernement. Les résultats du GERB lors du vote à l’intérieur de la Bulgarie l’ont placé en tête, mais les Bulgares vivant à l’étranger ont massivement soutenu le parti populiste ITN, modifiant ainsi le résultat global. Le BSP est arrivé en troisième position, comme aux précédentes élections, et son soutien électoral a encore diminué. Les autres partis et coalitions qui ont fait leur entrée au 46e Parlement sont DB, DPS et IMV.

ITN

Le parti qui a réussi à interrompre le long record de victoires du GERB est ITN, fondé en 2019 par le showman populaire Slavi Trifonov. Avec son slogan « Il est temps pour quelque chose d’autre », le parti populiste ITN a obtenu 657 829 voix, soit 24,08 % des électeurs, une augmentation de près de 100 000 voix et d’environ 7 % par rapport aux élections régulières d’avril (Kanev 2021 : 61-65). Ce résultat a assuré à la formation la première place dans les sondages ainsi que 65 sièges sur les 240 que compte le parlement. Bien que remarquable, ce résultat est bien loin des 121 sièges nécessaires à la majorité parlementaire. En conséquence, l’ITN avait besoin du soutien des autres partis parlementaires pour former un cabinet. Cependant, obtenir ce soutien s’est révélé être une tâche très difficile pour le parti. Le parti a proposé deux formations ministérielles « à prendre ou à laisser » qui n’ont pas réussi à rallier le soutien des autres partis. Au cours de la campagne électorale, l’ITN s’est largement appuyé sur la popularité de son leader et a tenté d’attirer les citoyens qui ne s’intéressent pas aux questions politiques ou ceux qui ont des opinions anti-establishment et anti-système. La campagne du parti s’est largement appuyée sur la chaîne « 7/8 » de Trifonov et sur différents réseaux sociaux. Les politiciens du parti ont également refusé de prendre part à des débats télévisés et leurs positions concernant le développement économique et social de la Bulgarie ne sont toujours pas claires. Le parti a reçu un soutien important non seulement dans le pays mais aussi à l’étranger ; ce sont précisément les votes des Bulgares vivant à l’étranger qui lui ont assuré la première place. Le soutien du parti provient principalement des jeunes (18-30 ans) ayant suivi un enseignement universitaire ou secondaire, y compris ceux qui travaillent ou sont au chômage. Le parti a réussi à accroître sa présence géographique et trouve un soutien dans les grandes villes ainsi que dans les villages (figure a).

GERB-SDS

La coalition du GERB avec la plus confidentielle Union des forces démocratiques (SDS) est arrivée en deuxième position après l’ITN. 642 165 électeurs (presque 200 000 voix de moins par rapport à avril), soit 23,5 % des votants, ont voté pour l’ancien parti au pouvoir et son partenaire de coalition (voir panneau « données »). Le GERB-SDS a perdu de peu, et cela est dû aux votes des Bulgares de l’étranger, parmi lesquels ITN a remporté une large victoire, alors que le GERB-SDS est resté en 4e position avec seulement 9 % des voix. Ainsi, le GERB-SDS a obtenu 63 sièges au parlement.
À la tête du pays, le parti GERB a développé certaines caractéristiques propres à un parti clientéliste et, de ce fait, a augmenté le nombre de ses membres. En 2019, le nombre d’adhérents a atteint plus de 90 000, faisant du GERB le plus grand parti du pays. C’est la principale raison pour laquelle le parti conserve sa position de leader après ces élections parlementaires, malgré les graves atteintes à sa réputation qu’il a subies au cours de son mandat, les manifestations citoyennes de 2020 et les sévères critiques exprimées par les autres partis politiques.
La configuration du vote pour le GERB n’a pas changé depuis le 4 avril. Cette structure est proche de la composition démographique du pays et la coalition a été soutenue à égalité par les hommes et les femmes, par ceux qui ont fait des études universitaires et primaires. Le principal noyau électoral du parti est constitué des employés du secteur public, de l’administration de l’État, ainsi que de la clientèle des entreprises proches du gouvernement. Le GERB s’appuie également sur sa forte influence et sa représentation dans les gouvernements locaux — notamment dans les plus grandes villes du pays (Sofia, Plovdiv, Varna, Burgas — voir figure b, à gauche). Le parti est également bien représenté dans les petites villes et les villages.

BSP

Lors de ces élections, le BSP et ses partenaires de coalition marginaux ont atteint un résultat historiquement bas avec 365 695 voix, soit 13,4 % des suffrages (voir le panneau « données »). Cela représente une baisse de près de 115 000 voix par rapport aux élections du 4 avril. Le parti a obtenu seulement 36 sièges à l’Assemblée nationale, obtenant pour la première fois moins de 40 députés sur les 240 que compte le Parlement. La principale raison de ce résultat est la poursuite des affrontements internes entre les différents courants internes au parti. La direction a quant à elle imputé ce mauvais résultat à l’utilisation de machines à voter, qui s’est avérée difficile pour les électeurs les plus âgés, noyau dur des partisans du BSP. Comme lors des élections précédentes, ce sont de fait surtout les personnes âgées, peu éduquées, et celles vivant dans les petites villes et les villages qui ont voté pour le BSP. Les efforts du parti pour mobiliser les jeunes électeurs ont échoué une fois de plus. Le BSP reste le parti qui attire le moins de jeunes électeurs âgés de 18 à 30 ans (Trend 2021), ce qui constitue un problème majeur pour son avenir. L’une des raisons de cette situation réside dans les messages contradictoires que le parti envoie depuis quatre ans sous la direction de Korneliya Ninova. Pendant la campagne électorale, le parti a paru désorienté, avec un manque de positions claires et bien articulées. Cela a repoussé de nombreux électeurs modérés et centristes. Ainsi, les jeunes professionnels qui quittent les grandes villes sont principalement représentés par des partis situés à droite du spectre politique.

DB

Une coalition qui a, au contraire, considérablement amélioré son résultat électoral en juillet 2021 est DB. La formation a reçu les votes de 345 331 électeurs (contre 302 380 en avril), mais en raison du faible taux de participation, elle a gagné 12,64 % (9,45 % en avril). Cela a permis à ccette coalition de partis libéraux (Oui, Bulgarie), verts (Mouvement vert) et conservateurs (Démocrates pour une Bulgarie forte) d’envoyer 34 députés (27 députés en avril) au Parlement et de jouer un rôle plus important lors des négociations gouvernementales. Comme lors des élections précédentes, la coalition a obtenu la plupart de ses voix à Sofia, et a ainsi confirmé le fait que le GERB n’est plus l’acteur politique le plus influent dans la capitale (voir le panneau « données »). En fait, DB a reçu un soutien important non seulement dans la plus grande ville du pays, mais aussi à Plovdiv et à Varna (figure d). Le profil démographique de la coalition montre en outre qu’elle est soutenue par des jeunes travailleurs (18-30 ans) et des personnes d’âge moyen (31-60 ans) ayant une formation universitaire. Le profil idéologique de la DB est économiquement et socialement libéral. Le parti est un fervent défenseur de l’adhésion de la Bulgarie à l’Union Européenne et plaide pour une intégration plus profonde du pays dans les structures de l’UE. Conformément à son programme réformiste, la coalition a mené une campagne électorale fondée sur la lutte contre la corruption, critiquant agressivement les pratiques de corruption durant la période de gouvernement du GERB et insistant sur une réforme profonde du système judiciaire bulgare. Les priorités de la coalition reçoivent le soutien d’une partie socialement influente de la société bulgare, mais ne sont toujours pas reconnues comme des questions prioritaires par une grande portion de la population. Ainsi, si DB veut augmenter ses résultats électoraux, elle devra étendre la portée de son programme réformiste.

DPS

Un peu plus de 290 000 personnes, soit 10,7% des électeurs, ont voté pour le DPS. C’est 45 000 voix de moins que lors de l’élection précédente, trois mois plus tôt. Ainsi, le DPS a été représenté par 29 députés dans la 46ème Assemblée nationale. Le DPS, qui est soutenu par les Turcs ethniques en Bulgarie, a été le troisième plus grand parti du pays pendant de nombreuses années. Progressivement, le parti est ensuite devenu une organisation défendant les intérêts des plus grands oligarques du pays, exerçant une influence politique sur certaines institutions clés du système judiciaire. Malgré l’ouverture de 121 bureaux de vote en Turquie (après la suppression de la contrainte d’un maximum de 35 bureaux de vote dans les pays extracommunautaires), le DPS n’y a obtenu que 26 000 voix. Ce chiffre représente 4 000 voix de plus que lors de l’élection du 4 avril, où les sections n’étaient qu’au nombre de 35. Cependant, la tendance générale est à la diminution des votes pour le DPS en Turquie. La raison principale en est l’émergence en Turquie d’une deuxième génération de citoyens issus de l’émigration bulgar ede la fin des années 1980, qui ne ressentent plus le besoin de se connecter avec la Bulgarie et avec le DPS. Le vote pour le DPS a également diminué sur le territoire de la Bulgarie après l’adhésion du pays à l’UE. Après cela, de nombreux citoyens bulgares sont partis travailler à l’étranger, notamment ceux issus des régions pauvres du nord-est et du sud-est, où vit l’essentiel de la minorité ethnique turque.

ISMV

Le résultat de la coalition ISMV a légèrement décliné, mais le groupement de partis de gauche et centristes a réussi, une fois de plus, à dépasser le seuil électoral de 4 %. ISMV a reçu le soutien de 136 885 (contre 150 940 en avril) électeurs et avec 5,01 % (4,72 % en avril) a envoyé 13 députés (14 députés en avril) à la nouvelle Assemblée. La configuration des électeurs de la coalition montre que lq formation est soutenue principalement par des personnes ayant une formation universitaire et âgées de 31 à 60 ans, vivant à Sofia et dans d’autres grandes villes (figure f). Après son entrée au Parlement, cette coalition électorale a montré que son niveau de cohésion n’était pas très élevé, avec quelques conflits internes, ce qui est une source de préoccupation pour l’avenir de cette formation. Elle a en effet été très active lors des négociations gouvernementales mais n’a pas réussi à convaincre ITN et DB à former un gouvernement avec le soutien du BSP.

Conclusion : lignes rouges et nouvelles élections

Les partis politiques élus après les élections du 11 juillet sont entrés dans le nouveau parlement en mettant en avant de nombreuses lignes rouges. Le GERB et le DPS étaient considérés par les autres partis comme des partenaires politiques inacceptables et se trouvaient isolés. BSP était une fois de plus prêt à accepter un compromis, mais DB et ITN étaient réticents à toute coopération avec lui. Les tentatives de l’ITN de former un gouvernement minoritaire sans le soutien des autres « partis du changement » ont provoqué des tensions importantes au sein du parlement et ont soulevé des doutes quant à la capacité du parti de diriger un gouvernement. Puis, le mandat du GERB-SDS pour former un cabinet a échoué après le refus de tous les autres partis de négocier avec eux. Enfin, la dernière tentative de formation d’un gouvernement par le BSP a également été un échec. Ainsi, pour la deuxième fois cette année, le parlement a été dissous et le président Rumen Radev a désigné un nouveau gouvernement intérimaire. De nouvelles élections parlementaires ont été prévues pour le 14 novembre, coïncidant avec les élections présidentielles bulgares déjà programmées à cette date. Ce double scrutin laisse présager une campagne électorale particulièrement intéressante, et on prévoit un taux de participation élevé. Si tel est le cas, le nouveau parlement y gagnera en légitimité, et certaines des lignes rouges pourraient s’estomper. Le grand défi de la politique bulgare se présentera dans les jours suivant l’élection : former une coalition viable pour gouverner le pays.

Références

US Department of the Treasury (2021, 2 juin). Treasury sanctions Influential Bulgarian Individuals and their expansive networks for engaging in corruption. Communiqué de presse. En ligne.
Central Electoral Commission of the Republic of Bulgaria (2021). Results of the Parliamentary Elections on July 11th 2021. En ligne.
Gallup International (2021, avril). Sondages de sortie des urnes, avril 2021. Nova.bg. En ligne.
Kanev, D. (2021, septembre). Parliamentary Election in Bulgaria, 4 April 2021. BLUE/Electoral Bulletin of the European Union, 1, pp. 61-65.
Trend (2021, juillet). Sondages de sortie des urnes, juillet 2021. En ligne.

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Dragomir Stoyanov, Milen Lyubenov, Élections parlementaires en Bulgarie, 11 juillet 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 98-103.

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