Élections parlementaires en Norvège, 13 septembre 2021
Stine Hesstvedt
Chercheuse à l'Institut de recherches en sciences sociales d'OsloIssue
Issue #2Auteurs
Stine Hesstvedt21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€
Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021
Introduction
Après huit ans au pouvoir, le gouvernement de coalition dirigé par les conservateurs d’Erna Solberg a dû tirer sa révérence le 13 septembre 2021. Le bloc de la gauche norvégienne, dirigée par le chef du parti travailliste Jonas Gahr Støre, a obtenu une victoire éclatante, obtenant une majorité historique de 100 sièges sur 169 au Storting, le parlement norvégien. Alors que les sondages prévoyaient de longue date une majorité de gauche, les résultats des élections ont néanmoins offert quelques surprises. Tout d’abord, la fragmentation du système de partis norvégien a atteint de nouveaux sommets au soir du 13 septembre. Deuxièmement, et de manière connexe, l’élection a débouché sur des divisions record au sein du bloc de gauche, l’ancien parti communiste Rødt ayant multiplié les soutiens et dépassé le seuil nécessaire pour entrer au parlement. Troisièmement, le soutien populaire aux anciens partis gouvernementaux de droite a diminué plus que prévu, notamment pour le parti de droite populiste Fremskrittspartiet et le parti chrétien-démocrate (Kristelig Folkeparti). La campagne électorale a également pris des tournures inattendues : le rapport des Nations unies sur le climat, intitulé « code rouge », a été publié au milieu de la campagne, et un scandale politique lié aux allocations de logement des députés a éclaté. Enfin, la formation du gouvernement ne s’est pas passée comme prévu, puisque les négociations ont abouti à une coalition minoritaire bipartite entre le Parti du centre (agrarien) et le Parti travailliste — sans la présence attendue de la Gauche socialiste.
Dans la suite de cet article, ces observations clés seront exposées plus en détail. Mais avant cela, la section suivante présentera un bref historique de l’élection, et décrira les principales caractéristiques du système de partis et du système électoral de la Norvège.
Le système électoral et de partis norvégien : Une brève introduction
Clivages politiques et système de partis
Se déployant dans un État avancé d’Europe du Nord marqué par l’influence social-démocrate, le système de partis norvégien présente à la fois des ressemblances et des différences avec ceux des autres pays européens. Lorsque les politologues Stein Rokkan et Seymour Lipset ont écrit leurs travaux fondamentaux sur la formation précoce de l’État et les clivages politiques en Europe occidentale (Lipset & Rokkan 1967), ils ont qualifié la structure du conflit politique norvégien de « multidimensionnelle ». Dans une ancienne colonie de la Suède et du Danemark présentant un fort scepticisme populaire à l’égard des élites urbaines, une contre-culture nationaliste bruyante en périphérie, de forts mouvements laïcs religieux dans les zones rurales et un puissant mouvement de la classe ouvrière, les débuts de la construction de l’État ont abouti à une structure de clivage politique spécifique et diverse (ibid.).
Des décennies après la description de Rokkan et Lipset, les anciens clivages politiques structurent encore, dans une certaine mesure, la compétition entre les partis norvégiens. Comme dans d’autres pays d’Europe occidentale, de nouvelles questions liées à l’immigration, au changement climatique et à la mondialisation sont devenues saillantes et ont suscité des conflits politiques renouvelés (Hooghe & Marks 2018). La Norvège étant un État riche, producteur de pétrole et doté d’une économie ouverte et d’un État providence fortement développé, les questions liées aux relations Norvège-UE/EEE et à l’industrie pétrolière et gazière ont donné lieu à de « nouveaux » à la coloration spécifiquement norvégienne (voir Bergh, Haugsgjerd & Karlsen 2021).
Aujourd’hui, la Norvège est caractérisée par un système de partis modérément polarisé et fragmenté (Lijphart 2012). Comme dans d’autres pays européens, le système de partis norvégien s’est progressivement divisé, avec un pic historique lors de l’élection de 2021 (voir ci-dessous). Jusqu’aux élections de 2013, le système de partis était traditionnellement composé de sept formations. Le bloc de gauche comprend trois partis : le parti travailliste (Arbeiderpartiet), le nouveau parti de Gauche socialiste (Sosialistisk Venstreparti) et le parti agrarien de centre-gauche Senterpartiet qui représente les intérêts ruraux. Le bloc de droite comprend deux partis de centre-droit — les libéraux (Venstre) et les chrétiens-démocrates (Kristelig Folkeparti) — ainsi que les conservateurs (Høyre) et le Parti du Progrès (Fremskrittspartiet, droite populiste). En 2013, deux partis supplémentaires sont entrés au Parlement avec un député chacun : le parti vert (Miljøpartiet De Grønne), qui a proclamé une position neutre gauche-droite, ainsi que l’ancien parti communiste et désormais de gauche radicale, Rødt.
Compétition partisane et formations gouvernementales
La concurrence entre les partis norvégiens a été — et est toujours — structurée par la dimension économique gauche-droite. La formation politique la plus puissante du pays est le parti travailliste (mais le soutien au parti est en déclin, voir ci-dessous). À chaque élection depuis la Seconde Guerre mondiale (20 élections entre 1945 et 2021), le parti travailliste s’est taillé la part du lion, occupant au total 13 des 21 postes de premier ministre de la période. À l’instar des autres pays scandinaves, la Norvège a connu l’un des plus hauts niveaux de vote de classe au monde, et les deux principaux concurrents ont été, et sont toujours, le parti conservateur et le parti travailliste. En tant que telle, la concurrence adhère à une logique de deux blocs : à l’exception d’un gouvernement de centre dans les années 1990, le pouvoir politique s’est toujours déplacé entre la gauche et la droite.
Concernant la coopération entre les partis, les gouvernements de coalition sont devenus plus courants au fil du temps. Les gouvernements minoritaires ont également été la règle. Alors que le parti travailliste avait gouverné dans un cabinet à parti unique jusque dans les années 2000, l’ancien Premier ministre Jens Stoltenberg (2005-2013) a formé une coalition tripartite entre le parti travailliste, le Parti du centre et la Gauche socialiste après avoir que le soutien à son parti (le parti travailliste, n.d.t.) eut subi une baisse de sa part électorale.
Lorsque l’ancienne Premier ministre Erna Solberg a pris ses fonctions en 2013, une autre coalition historique est née. Le parti conservateur a été rejoint par les populistes du Parti du Progrès populiste au sein gouvernement, faisant de la Norvège l’un des premiers pays d’Europe occidentale à être gouverné par un parti de droite populiste. Cependant, après l’arrivée des libéraux et des chrétiens-démocrates en 2018-2019, la coopération s’est avérée fragile. La coalition majoritaire à quatre partis a duré jusqu’en janvier 2020, lorsque le Parti du Progrès a démissionné en raison du mécontentement suscité par la politique d’immigration du gouvernement. Jusqu’aux élections de septembre 2021, Solberg a donc dirigé un gouvernement minoritaire avec le soutien des libéraux et des chrétiens-démocrates.
Le système électoral
Pour finir, on donne quelques détails sur le système électoral (voir également Aardal, 2011). Le seuil électoral de 4 % concernant 19 sièges d’ajustement mérite une attention particulière, car il a eu des implications importantes sur les résultats de 2021. Fondamentalement, la Norvège a un système électoral proportionnel (RP) où les votes de 19 circonscriptions électorales servent de base à la répartition des 169 sièges du Parlement. Sur l’ensemble des 169 sièges, 150 sont des sièges de district répartis en fonction des circonscriptions. Les 19 sièges restants sont des sièges dits d’ajustement (également appelés sièges de nivellement ou sièges compensatoires). Il s’agit de compenser le fait que le système électoral est biaisé en faveur des circonscriptions périphériques et des plus grands partis. En conséquence, le système électoral défavorise systématiquement les petits partis, en particulier ceux qui reçoivent la plupart de leur soutien des circonscriptions urbaines les plus peuplées. Pour tenir compte de ces biais et accroître la proportionnalité, 19 des 169 sièges servent à cet ajustement. Toutefois, pour pouvoir concourir pour ces 19 sièges, les partis doivent obtenir au moins 4 % des voix au niveau national. Cette exigence de 4 % est appelée — d’une manière qui peut porter à confusion — le « seuil électoral ». Dans la pratique, un parti peut obtenir moins de 4 % des voix au niveau national et ne recevoir aucun des 19 sièges d’ajustement, tout en obtenant certains des 150 sièges de circonscription si son soutien est suffisamment fort dans une seule circonscription électorale. Lors des élections de 2013, ce fut le cas des Verts et du parti de la gauche radicale Rødt, qui sont entrés au Parlement avec un député chacun dans la capitale Oslo, bien qu’ils aient obtenu moins de 4 % au niveau national. Comme nous le verrons, ce seuil a eu des implications importantes lors de l’élection de 2021.
La préparation de l’élection de 2021 : une campagne électorale trop longue et trop courte
Lorsque la Norvège est entrée dans l’année électorale 2021, les choses ne semblaient pas si mal engagées pour le gouvernement sortant d’Erna Solberg. Remporter les élections et obtenir une troisième victoire successive aurait été des plus extraordinaires en termes historiques, car les premiers ministres norvégiens font rarement plus de deux mandats. Après huit ans au pouvoir, Erna Solberg a commencé l’année 2021 avec une avance assez solide dans les sondages. Un an plus tôt, la pandémie de Covid-19 avait plongé la Norvège dans l’une de ses pires crises depuis la Seconde Guerre mondiale. Comme partout ailleurs, le gouvernement Solberg avait bénéficié d’un soutien considérable de type « union nationale », et cet effet s’est maintenu jusqu’à l’année électorale 2021. Cependant, lorsque les vaccins sont arrivés et que l’agenda politique a lentement commencé à se normaliser, la gauche a fait un bond dans les sondages. Dès l’été, l’effet positif de la pandémie sur la popularité du gouvernement avait disparu, et les cartes étaient redistribuées.
Tout au long de la campagne, deux questions favorables à l’aile gauche ont dominé l’agenda des médias, à savoir les inégalités sociales ainsi que les discussions sur les zones rurales et les politiques de centralisation. En outre, le sixième rapport du GIEC sur le climat — portant le titre alarmant de « code rouge » — a été publié au milieu de la campagne norvégienne, dominant presque entièrement la presse traditionnelle pendant une semaine ou deux. Pendant un certain temps, les commentateurs ont donc été convaincus que l’élection de 2021 serait l’élection du climat (Aftenposten 2021). Cependant, en fin de compte, les partis verts n’ont pas reçu un raz-de-marée de voix comme prévu après le rapport de l’ONU. Les raisons en sont multiples, mais il ne fait aucun doute que d’autres questions ont été mises à l’ordre du jour, en particulier un scandale concernant les allocations de logement des députés. Le scandale a éclaté la dernière semaine avant les élections, impliquant une série de députés ainsi que le leader du parti chrétien-démocrate, Kjell Ingolf Ropstad. Selon le journal Aftenposten qui a révélé l’affaire, Ropstad a bénéficié pendant des années d’un logement gratuit de la part du Parlement norvégien pour des motifs douteux et de manière délibérée (bien que non illégale). Bien que les accusations de fraude et de poursuites aient été rapidement rejetées, Ropstad a démissionné de son poste de ministre et de chef de parti peu avant les élections. Le scandale a sans doute détourné une partie de l’attention lors de la dernière semaine — cruciale — de la campagne électorale.
Résultats de l’élection de 2021 : quelques éléments-clés
En bref, les résultats des élections ont révélé une majorité écrasante de la gauche dans la politique norvégienne et une forte baisse du soutien aux anciens partis gouvernementaux. Le résultat est résumé ci-dessous en quatre points clés : 1) une fragmentation accrue du système de partis, 2) une majorité historique (et une fragmentation) de la gauche, 3) la forte baisse du soutien aux anciens cabinets et 4) le résultat surprenant selon lequel le parti vert n’a pas dépassé le seuil électoral.
Une fragmentation historique du système de partis
Le nombre effectif de partis étant passé d’un peu moins de 5 à 6,5, la fragmentation du système de partis norvégien a atteint un nouveau sommet dans la nuit du 13 septembre. Le principal facteur de cette fragmentation est que les plus grands partis – à savoir le Parti travailliste, les Conservateurs et le Parti du Progrès – se sont affaiblis, tandis que les partis de taille moyenne (le Parti du centre et la Gauche socialiste) sont devenus plus grands. De plus, le fait que Rødt ait franchi le seuil et que les chrétiens-démocrates n’y soient pas parvenus a contribué à accroître la fragmentation. Enfin, un nouveau parti monothématique aisant campagne pour un hôpital dans le nord de la Norvège (Pasientfokus) est entré au Parlement avec un siège.
Dans l’ensemble, la Norvège a suivi une tendance à la fragmentation bien connue ailleurs en Europe occidentale. Le parlement a pu se polariser davantage encore après les élections. Pour la première fois dans l’histoire, le Storting norvégien comprend deux groupes parlementaires importants à l’extrême gauche et à l’extrême droite : sur le flanc gauche, l’ancien parti communiste Rødt, et sur le flanc droit, le Parti du Progrès.
La majorité historique (et la fragmentation) du bloc de gauche
Les cinq partis de gauche – le Parti travailliste, le Parti du centre, la Gauche socialiste, le parti Rødt et les Verts – ont obtenu 100 sièges sur 169 ; il s’agit de la plus large majorité qu’ait connue le bloc de gauche depuis des années. Si le résultat des élections n’a pas été particulièrement réjouissant en termes absolus pour le Parti travailliste (le parti a connu une légère baisse des voix et a perdu un siège au parlement par rapport à 2017), il a fait beaucoup mieux que prévu. Environ un an avant l’élection, le parti avait vu ses scores dans les sondages baisser pour s’établir un peu au-dessus de la barre 20 %. Pendant une courte période, le Parti du centre était même devenu le plus grand parti de Norvège. En définitive, le jour de l’élection, le parti travailliste a réussi à conserver le soutien dont il avait tant besoin dans les bastions traditionnels et importants des municipalités industrielles du centre du pays, ainsi que dans les régions du Nord. Dans l’ensemble, le Parti travailliste de Jonas Gahr Støre a conservé sa position de premier parti de Norvège et a accru son avance en termes de sièges sur les conservateurs par rapport à 2017.
En tant que troisième plus grand parti, le Parti du centre a pu célébrer l’une des meilleures élections de son histoire, avec une augmentation de neuf députés (de 19 à 28) et la plus grande progression de tous les partis (3,2 points de pourcentage). Le parti a notamment bénéficié de l’opposition aux réformes de centralisation de l’ancien gouvernement, qui concernaient entre autres les fusions de municipalités et de régions administratives. Ainsi, le bond en avant du Parti du centre a été, dans une large mesure, motivé par l’importance des problèmes de la périphérie, et sa forte progression est principalement due aux électeurs des municipalités rurales et périphériques.
Pour de nombreux commentateurs, le grand gagnant de l’élection de 2021 est le parti socialiste radical Rødt. Non seulement le parti a obtenu le meilleur résultat de son histoire, mais il a également réussi à dépasser le seuil des sièges d’ajustement à 4 %, ce qui est vital pour les petits partis (voir ci-dessus). Jusqu’en 2021, Rødt avait été représenté deux fois au Storting avec un seul député : en 1993-1997 (il s’agissait alors du prédécesseur du parti actuel, l’Alliance rouge) et en 2017-2021, lorsque le chef du parti, Bjørnar Moxnes, avait obtenu un siège dans la capitale Oslo. Jusqu’en 2021, cependant, Rødt — ainsi que d’autres petits partis nouvellement créés — n’avait jamais pu atteindre le seuil national de 4 % pour obtenir les précieux sièges d’ajustement. Ainsi, en obtenant 4,7 % des voix et en faisant passer son groupe parlementaire de 1 à 8 députés, le parti de gauche radicale a obtenu un résultat historique. Il est intéressant de noter, dans ce cadre, que le parti semble avoir considérablement élargi sa base électorale. Jusqu’en 2021, l’ancien parti communiste, qui avait abandonné toute référence explicite à la révolution et au marxisme dans son programme depuis déjà quelques années, n’avait qu’un attrait limité dans l’électorat très éduqué des grandes villes. Lors de cette élection, Rødt a augmenté son soutien dans toute la Norvège – à la fois dans les zones rurales et urbaines, dans le Sud et le Nord. Fait assez révélateur, le soutien de Rødt a augmenté dans toutes les municipalités de Norvège sauf une (355 sur 356).
En outre, le Parti socialiste de gauche a fait une bonne élection, augmentant son soutien de deux mandats au parlement. Cependant, compte tenu de la campagne et de l’agenda médiatique favorables (inégalités sociales, rapport du GIEC), le parti n’a pas crû autant que prévu. La même déception s’est manifestée chez les Verts, qui n’ont pas atteint le seuil électoral malgré un soutien en hausse (voir également la discussion ci-dessous).
Dans l’ensemble, les élections se sont révélées être un « petit triomphe » pour la gauche norvégienne, qui a remporté une solide majorité après huit longues années dans l’opposition. Le parti travailliste ayant conservé sa position de premier parti, les élections norvégiennes de 2021 n’ont pas reproduit la forte tendance au déclin du soutien aux partis sociaux-démocrates traditionnels observée ailleurs en Europe. Néanmoins, l’élection a effectivement montré une fragmentation accrue de la gauche et des modèles nouveaux et fragiles de coopération entre partis de gauche. Le développement d’un paysage partisan plus complexe composé de partis politiques de gauche de taille moyenne et petite, avec des nuances idéologiques et des priorités thématiques différentes, semble être une tendance qui pourrait se poursuivre à l’avenir, et que nous observons également ailleurs en Europe.
La défaite d’Erna Solberg et le déclin des anciens partis gouvernementaux
Le grand perdant de ces élections a été le parti conservateur et les anciens partis gouvernementaux, le Parti du Progrès et les chrétiens-démocrates. Ces dernières années, le parti conservateur Høyre avait été vivement critiqué par l’opposition du bloc de gauche au sujet des réformes de centralisation, des réductions d’impôts et des dépenses généreuses des revenus pétroliers norvégiens. Combiné à un enthousiasme public quelque peu limité à l’égard du projet gouvernemental en raison de la pandémie ainsi que des huit années de pouvoir du cabinet, peu de commentateurs — voire aucuns — n’ont finalement été surpris de voir le parti décliner lors des élections de 2021.
La chute du Parti du Progrès était également plus ou moins prévisible. Lors de la précédente élection, en 2017, leur principal enjeu — l’immigration — était en tête de l’agenda norvégien suite à la crise des réfugiés. En 2021, les électeurs ne considéraient plus cette question comme aussi importante, car la pandémie a essentiellement mis un terme à la majeure partie de l’immigration vers la Norvège.
En outre, le parti chrétien-démocrate est passé sous le seuil électoral pour la première fois depuis 1936, ce qui a rendu les résultats des élections encore plus sombres pour la droite. Les chrétiens-démocrates ont été en proie à des conflits internes concernant la décision d’entrer dans le cabinet de droite en 2020 alors que le Parti du Progrès y participait. Ce conflit a finalement conduit à une scission du parti, ce qui a probablement contribué à ce que les chrétiens-démocrates tombent juste en dessous du seuil électoral nécessaire à l’obtention des sièges d’ajustement. Enfin, comme mentionné précédemment, le chef de leur parti a été impliqué dans un scandale au milieu de la campagne, ayant obtenu un logement gratuit du parlement pour des motifs douteux. Tout cela a contribué à la baisse du soutien du parti chrétien-démocrate, qui est passé de 4,2 à 3,6 % et n’a obtenu que 3 mandats (contre 8 auparavant).
Le seul parti de droite à afficher des résultats plutôt stables est le petit parti libéral, qui semble avoir capitalisé sur l’agenda climatique.
Pas si verts, finalement ? L’évolution surprenante du soutien aux Verts norvégiens
Enfin, parmi les résultats les plus surprenants, le parti des Verts n’a pas été en mesure de tirer parti de l’importance de la question climatique dans la campagne électorale. Comme nous l’avons mentionné, le rapport du GIEC sur le climat a annoncé un « code rouge » pour l’humanité au milieu de la campagne, ce qui a suscité un débat politique tendu sur les questions climatiques et pétrolières. La Norvège étant l’une des plus grandes économies dépendantes du pétrole au monde, 20 % de son revenu national provient de la production de pétrole et de gaz et plus de 150 000 citoyens sont employés dans le secteur pétrolier et gazier. Le rapport du GIEC a donc suscité un débat passionné non seulement sur le changement climatique mais aussi sur l’avenir de l’économie norvégienne ; un débat qui a plus ou moins dominé l’agenda électoral, y compris les débats politiques télévisés, pendant les deux semaines qui ont suivi la publication du rapport. Le Parti vert, qui a fait son entrée au Parlement en 2013 seulement, a fortement progressé dans les sondages et a obtenu un nombre record de 3 000 nouveaux membres au cours de cette période. Au cours de ces quelques semaines, les sondages prévoyaient que les Verts dépasseraient confortablement le seuil électoral, leur donnant accès aux sièges d’harmonisation susmentionnés. Toutefois, le 13 septembre, les Verts ont obtenu 3,96 % des voix, soit quelques milliers de voix de moins que le seuil. Contrairement au parti socialiste radical Rødt, les Verts n’ont pas obtenu de bons résultats dans les zones rurales et en dehors des grandes villes. Malgré une certaine croissance du soutien et leur meilleure élection jusqu’à présent, le fait de ne pas avoir franchi le seuil électoral est globalement une déception pour le parti.
Formation gouvernementale
La coalition majoritaire préférée des travaillistes, composée de la Gauche socialiste et du Parti du centre (avec lesquels ils avaient gouverné en 2005-2013), a obtenu la majorité au Parlement. Le parti travailliste et la Gauche socialiste plébiscitaient au départ tous deux cette coalition à trois, tandis que le Parti du centre préférait ne pas avoir la Gauche socialiste à bord.
Les trois partis ont entamé les pré-négociations gouvernementales en septembre, dont le Parti socialiste de gauche s’est cependant retiré au bout d’une semaine, invoquant un désaccord sur des questions telles que le pétrole et la protection sociale. Les trois partis s’étaient engagés à respecter les objectifs ambitieux de l’accord de Paris, à savoir réduire les émissions de 50 à 55 % d’ici à 2030, mais étaient en profond désaccord sur la manière d’y parvenir.
Le 14 octobre, Jonas Gahr Støre est donc devenu le premier ministre d’un gouvernement minoritaire. Paradoxalement, parce que la Gauche socialiste a quitté les négociations gouvernementales, Støre n’a pas été en mesure de tirer parti de l’élection écrasante du bloc de gauche après huit ans dans l’opposition. Néanmoins, le cabinet du Parti travailliste et du Centre bénéficie du soutien du Parlement et coopère avec la Gauche socialiste au Parlement.
Références
Aardal, B. & Bergh, J. (2018). The 2017 Norwegian election. West European Politics, 41(5), pp. 1208-1216.
Aardal, B. (2011). The Norwegian electoral system and its political consequences. World Political Science, 7(1).
Bergh, J., Haugsgjerd, A. & Karlsen, R. (2020). Valg og politikk siden 1945–Velgere, institusjoner og kritiske hendelser i norsk politisk historie. Oslo : Cappelen Damm Akademisk.
Hooghe, L. & Marks, G. (2018). Cleavage theory meets Europe’s crises: Lipset, Rokkan, and the transnational cleavage. Journal of European public policy, 25(1), pp. 109-135.
Lipset, S. M. & Rokkan, S. (1967) Cleavage structures, party systems, and voter alignments: an introduction. In S.M. Lipset & S. Rokkan (éd.), Party Systems and Voter Alignments: Cross-National Perspectives, Toronto : The Free Press, pp. 1–64.
Lijphart, A. (2012). Patterns of democracy: Government forms and performance in thirty-six countries. Yale : Yale University Press.
citer l'article
Stine Hesstvedt, Élections parlementaires en Norvège, 13 septembre 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 150-155.