Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections parlementaires en Roumanie, 6 décembre 2020
Issue #1
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Issue #1

Auteurs

Ramona Bloj

21x29,7cm - 107 pages Issue #1, Septembre 2021 24,00€

Élections en Europe : décembre 2020 – mai 2021

Le 6 décembre, les Roumains ont été appelés aux urnes dans le cadre des élections législatives, afin de renouveler les deux chambres du Parlement (Senat et Camera Deputaţilor). Le Parti social-démocrate (PSD, S&D, gauche conservatrice) est arrivé en tête avec 29,32 % des voix, suivi par le Parti national libéral (PNL, PPE) qui en a obtenu 25,58 %. L’Alliance USR-Plus (RE) est arrivée en troisième position avec 15,86% des voix. La surprise du scrutin a été l’entrée au Parlement de l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR, CRE, proche de l’Église orthodoxe), qui a obtenu 9,17% des voix 1 .

Le scrutin s’est déroulé sur fond de Covid-19. Suite à un incendie le 14 novembre dans un service hospitalier qui a causé la mort de 10 patients, le système de santé et la corruption endémique ont été au cœur des débats pendant les semaines précédant le vote. La Roumanie a le taux de financement public de santé le plus bas de l’Union, tant par habitant (1 029€) qu’en proportion du PIB (5 %) (Eurostat, 2021). À cela s’ajoute l’un des plus faibles taux d’encadrement médical, fortement aggravé par les dynamiques de migration intra-européennes.

Le taux de participation a été de 31,84 %, en baisse par rapport à 2016 (39 %), mais aussi par rapport aux élections locales de septembre 2020 (46,02%). Plus de 250 000 Roumains ont voté à l’étranger. Il s’agit du plus faible taux de vote dans l’histoire post-communiste, ce qui contraste notamment avec la présence au vote (51,7 %) aux élections européennes de 2019.

La grande surprise du scrutin est l’entrée au parlement de l’Alliance pour l’Unité des Roumains (AUR 2 ). Parti créé en septembre 2019, l’AUR milite pour l’unification de la Roumanie et de la Moldavie, « la protection de la famille, de la foi et de la patrie ». La ligne politique de ce nouveau parti n’est pas sans rappeler celle du PiS polonais ou du Jobbik hongrois. Fait à noter, AUR a recueilli 30 % des votes de la diaspora.

Malgré la victoire de la coalition de centre-droit, le PSD reste le premier parti du pays

Alors que le parti avait gagné les élections législatives de 2016, avec 45,48 % des voix, et avait formé un gouvernement de coalition avec l’Alliance des libéraux et démocrates (ALDE) et l’Union démocrate magyare de Roumanie (UDMR, PPE), le gouvernement a été renversé le 10 octobre 2019 suite à des nombreux scandales et manifestations concernant principalement les réformes liées à la justice et à la lutte contre la corruption. Le PNL a alors formé un gouvernement minoritaire, avec l’objectif d’organiser des élections législatives anticipées au plus vite. Toutefois, la pandémie de Covid-19 et les mesures sanitaires mises en place pour endiguer la propagation du virus ont rendu impossible l’organisation du scrutin avant la date prévue.

Le PNL est arrivé en deuxième position, avec 25,58 % des voix. Cependant, vue la possibilité de créer une coalition de centre-droit avec l’Alliance USR-Plus, le scrutin a été perçu comme une victoire. Le PSD, bien qu’il reste le parti le plus fort du Parlement, n’a donc plus la capacité de former une coalition gouvernementale.

Ni le parti Pro România (S&D), parti créé par Victor Ponta (premier ministre de 2012 à 2015), qui visait à proposer une alternative de gauche au PSD, ni le PMP (Parti Mouvement populaire, PPE) de l’ancien président Traian Băsescu n’ont pas réussi à dépasser le seuil de 5 %, nécessaire pour entrer au Parlement.

L’UDMR, fidèle à elle-même (depuis les années 1990, son score oscille entre 7 et 5,5%), a obtenu 5,74% des voix, une légère baisse par rapport aux élections de 2016 (6,19%). Le parti a eu un rôle clé dans la formation d’une coalition gouvernementale.

On peut noter que PSD a obtenu de meilleurs résultats que ce que les sondages avaient prévu alors que le PNL et l’Alliance USR-Pont été bien au-dessous des prévisions. Le taux de participation très faible explique en partie cette dynamique : alors que les électeurs du PSD, plus disciplinés, sont allés voter, on remarque un fort taux d’abstention de l’électorat traditionnel du PNL et de l’Alliance USR-Plus : un électorat plus urbain, plus éduqué, mais aussi plus volatile, et plus incliné à sanctionner les choix de leurs représentants. On peut noter que le PNL s’est présenté aux élections après un an au gouvernement difficile, marqué surtout par la gestion de la pandémie de Covid-19, ce qui a pu éloigner nombre des électeurs — dans ce cas, l’abstention peut se comprendre comme un rejet de la classe politique dans son ensemble. De son côté, l’Alliance USR-Plus, qui manque un ancrage territorial fort, a pu être sanctionnée pour ses nombreux conflits internes.

Les élections législatives, mais aussi municipales du mois de septembre étaient un moment pour mesurer l’envergure de la crise du parti social-démocrate. On note que celui-ci garde une forte emprise territoriale et peut compter sur une base électorale mobilisable. Il s’adresse aux villages et aux petites villes et à un électorat plus âgé. Avec la mise en place de politiques sociales proactives, le PSD répond à une demande de protection que le nouveau gouvernement devrait prendre en compte dans son plan de relance.

Entrée au parlement de l’AUR, nouveau parti national-conservateur

Le parti Alliance pour l’unité des Roumains (AUR, CRE) n’avait pas été pris en compte par la majorité des sondages et prévisions. Se définissant comme antisystème bien que nombre de ses membres soient issus d’autres formations (Mircea Chelaru, PUNR, PRM, PC Francisc Tobă, PSD, Antonio Andrusceac, USR), il a organisé des manifestations contre les mesures sanitaires, le port du masque, et la vaccination. Le parti avait obtenu moins de 1% aux élections locales du mois de septembre. S’il n’était pas présent dans les débats de la campagne télévisée, sa capacité à diffuser son message politique sur une très grande échelle lui a permis de toucher d’une manière capillaire des territoire ciblés. En dépit de la pandémie et des mesures sanitaires, répétant la stratégie du Brexit, ils ont parcouru le pays avec un autobus doré d’inspiration trumpienne sur lequel on pourrait lire “Dreptate pentru România» (Justice pour la Roumanie). Les réseaux sociaux, et surtout la page Facebook du leader du parti George Simion, qui a augmenté en audience depuis l’incident entre les activistes roumains et des membres de la minorité hongroise de 2019 autour du cimetière militaire de Valea Auzului, n’ont fait qu’amplifier le message. À noter également que le co-président du parti, Claudiu Târziu, avait dirigé la Coalition pour la famille, qui a soutenu en 2018 l’Église orthodoxe dans une campagne pour la modification de la Constitution visant à définir la famille comme une union entre un homme et une femme. Sur fonds de fermeture des Églises due à la situation sanitaire, des prêtres ont encouragé les croyants à voter pour l’AUR.

a • Score de l’AUR par commune (Chambre des députés)

Aujourd’hui, l’AUR est le seul parti anti-système au Parlement. Si on peut s’attendre à ce que le PSD profite de la période dans l’opposition pour se restructurer, l’Alliance pour l’unité des Roumains capitalisera à la fois sur les difficultés engendrées par la pandémie (crise économique, nouvelles mesures sanitaires, vaccination) et sur les difficultés des partis au pouvoir à trouver un compromis. Le parti a annoncé au printemps 2021 qu’il se présentera aux élections législatives anticipée moldaves du 11 juillet 2021. L’opposition structurante de la vie politique moldave, qui passe autour de l’axe pro-russe/pro-européen, pourrait conduire à un changement de discours européen des leaders de l’AUR, qui tenteront de s’adapter à cette configuration, en poursuivant leurs objectifs unionistes.saire pour entrer au Parlement.

Nouvelle coalition gouvernementale de centre-droit PNL-USR-UDMR

Le 18 décembre 2020 le PNL, l’USR et l’UDMR ont annoncé la formation d’un gouvernement de coalition dirigé par Florin Cîţu (ancien ministre des Finances). Le PNL a obtenu huit ministres (Finances, Affaires intérieures, Défense, Énergie, Agriculture et Développement rural, Travail et Protection sociale, Éducation, Culture) l’USR-Plus sept (Justice, Économie, Entrepreneuriat et Tourisme, Transports et Infrastructures, Investissements et Projets européens, Santé, Recherche, Innovation et Numérique) et l’UDMR trois (Eaux et Forêts, Travaux publics et Administration, Jeunesse et Sports). Ludovic Orban, le premier ministre sortant, obtient la présidence de la Chambre des députés, et Anca Paliu Dragu (USR-Plus) celle du Sénat.

Le nouveau gouvernement a été investi le 23 décembre, avec 260 voix pour et 186 contre. Coalition fragile, la prise de décision s’annonce tout sauf facile.

Le positionnement pro-européen de la Roumanie renforcé

Le positionnement pro-européen de la Roumanie reste intact. Le gouvernement PNL-USR-UDMR facilitera le dialogue avec les partenaires européens et prendra une position plus ferme au niveau européen vis-à-vis la Hongrie et la Pologne. L’atlantisme de la Roumanie reste lui aussi inchangé. Toutefois, étant donné le rôle central de Dacian Cioloș (leader du parti PLUS allié à l’UDMR et Président du groupe Renew Europe) au Parlement européen, on peut s’attendre à ce que la Roumanie soit plus réceptive aux initiatives européennes en matière de défense, de défense des intérêts commerciaux, etc.

Avec l’entrée de l’Alliance pour l’Union des Roumains au Parlement, qui se décrit comme étant en faveur d’une Europe des nations, la Roumanie s’aligne sur les tendances européennes. Un parti d’extrême-droite nationaliste fait désormais partie du paysage politique roumain. Son endiguement dépendra en grande partie du succès du nouveau gouvernement, mais aussi de la capacité de l’Union à projeter une image à la hauteur des défis contemporains.
Les prochaines élections (locales, législatives, européennes et présidentielle) auront lieu en 2024. Cela ouvre une opportunité pour la mise en place du plan de relance dont l’objectif est la convergence avec les économies ouest-européennes, afin que le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat atteint 87 % de la moyenne européenne d’ici 2025, mais aussi pour l’héritage du président Klaus Iohannis, dont le mandat a été marqué par de longues périodes de cohabitation avec les sociaux-démocrates.

Bibliographie

Eurostat (2021). Government expenditure on health.
Andrei, C. (2020, 9 décembre). Interviu. George Simion despre cine e în spatele AUR, legionari, Rusia și politicieni. Europa Liberă România.

Les données

Notes

  1. Les chiffres dans ce paragraphe concernent le Sénat. Les résultats pour la Chambre basse (Camera Deputaţilor) ont été comme suit : PSD (28,9%), PNL (25,18%), USR-Plus (15,37%), AUR (9,08%), UDMR (5,74%).
  2. L’acronyme signifie littéralement « or ».
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APA

Ramona Bloj, Élections parlementaires en Roumanie, 6 décembre 2020, Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 23-26.

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