Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Élections régionales à La Réunion, 20-27 juin 2021
Issue #2
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Issue #2

Auteurs

Christiane Rafidinarivo

21x29,7cm - 167 pages Numéro 2, Mars 2022 24,00€

Élections en Europe : juin 2021 – novembre 2021

L’Ile de La Réunion dans l’océan Indien est un DROM, un Département et une Région d’Outre Mer, ainsi qu’une RUP, Région Ultra-Périphérique de l’Union Européenne. Dans les élections régionales françaises, un des enjeux majeurs pour l’électorat est que la Région Réunion est considérée à la jonction des ressources publiques de l’Etat et de l’Union Européenne ainsi que des ressources locales pour La Réunion. D’une part, la Région Réunion est vue comme détentrice de leviers pour le pouvoir d’achat et l’économie locale. Elle est aussi perçue comme le principal acteur de l’aménagement du territoire et donc des infrastructures comme les routes, hôpitaux et lycées.
D’autre part, en tant que Région ultra-périphérique européenne, elle bénéficie des fonds FEDER (Fonds européen pour le développement), FSE (Fonds social européen) pour l’emploi et la cohésion sociale, et INTERREG pour la coopération régionale. La Politique agricole commune est également un enjeu important comme ressource de la filière canne, premier employeur de La Réunion.
La majeure partie des partis politiques réunionnais sont pro-européens. La différenciation dans la compétition électorale est dans l’affectation des fonds. Elle recoupe un clivage droite/gauche caractérisé par les interactions réunionnaises entre l’échelle nationale et territoriale de recomposition électorale.
A cela s’ajoute le fait que la Région a fait l’objet plus récemment de demandes démocratiques qui se sont exprimées dans le contexte du débat électoral de 2021, et avec virulence pendant le mouvement des Gilets Jaunes en 2018. Il s’agit de l’évaluation des politiques régionales, de la transparence ou de la participation citoyenne.
La différenciation de l’offre politique pour répondre à ces principaux enjeux donne un sens politique à la compétition électorale. Elle est favorable à la mobilisation des électeurs, en particulier au deuxième tour des régionales. Qu’est-ce que cette mobilisation révèle de l’interaction des dynamiques territoriales et nationales de recomposition électorale ?

Le rôle clé de la mobilisation entre les deux tours

Huguette Bello, à la tête d’une liste d’Union des Gauches et ancien membre du Parti Communiste Réunionnais (PCR), a remporté la présidence de la Région Réunion aux élections régionales de 2021. Elle a gagné avec 51,85% des voix face à Didier Robert (Union du centre et de la droite), 48,15 %, qui était en tête du premier tour (figure a). Celui-ci a perdu la prime au sortant après deux mandats. Il avait gagné la Région Réunion en 2010 contre Paul Vergès (PCR) après avoir été le vainqueur de celui-ci aux législatives de 2007. La courbe s’est inversée au deuxième tour par la forte mobilisation de l’électorat.
L’abstention est de 63,40 % au premier tour et de 53,50 % au deuxième tour. Cette diminution de 10 points de pourcentage traduit une mobilisation significative de l’électorat au deuxième tour. Martial Foucault (Foucault 2021) évoque l’hypothèse de l’« election closeness » pour l’expliquer : plus un résultat est serré au premier tour, plus la participation est forte au second tour. Une autre hypothèse peut s’y ajouter. Cette participation de l’électorat réunionnais au deuxième tour se rapproche de l’intérêt porté aux municipales de 2020, où l’abstention était de 49,68 %. Cela s’explique à La Réunion par l’impact des politiques régionales sur la vie des Réunionnais. L’enjeu de participation au scrutin des régionales en est plus fort au second tour que dans d’autres régions de France. Le taux de participation en France entière au second tour des régionales 2021 est de 34,69 %. Il est de 40,76 % à La Réunion.

a • Scores des listes au second tour, 2015 et 2021

La dynamique serrée de la compétition électorale

De plus, la rude compétition électorale des régionales 2021 s’est caractérisée par une dynamique serrée dont le résultat était incertain. D’un côté, Didier Robert s’appuie sur trois éléments qui lui font gagner le premier tour. Il a réalisé le rassemblement des droites implosées par des rivalités internes et la recomposition politique nationale depuis 2017. Les deux principaux partis en sont Les Républicains (LR) de droite et l’Union des démocrates et indépendants (UDI) de centre droit. Il a réussi à se constituer un électorat à Saint-Denis en 2020 où il s’était présenté aux élections municipales dans le fief d’Ericka Bareigts (Parti Socialiste) ancienne ministre de l’Outre-mer. Son argumentaire électoral aux régionales 2021 valorise le bilan de deux mandats. Ils sont revendiqués contre le projet phare de tram-train de la mandature communiste et de la candidate Huguette Bello pour résoudre l’épineuse question de la mobilité à La Réunion. Il présente celle-ci comme d’extrême-gauche. Mais d’un autre côté, il est fragilisé par l’inachèvement de son chantier phare de la Nouvelle route du littoral sans agenda ni budgets consolidés. De plus, il a écopé d’une condamnation judiciaire sur une rémunération perçue d’un musée régional public dont l’appel est en cours au moment des élections 1 . A cela s’ajoute une volatilité de l’électorat. Malgré son arrivée en tête au premier tour et en particulier à Saint-Denis, il ne dispose pas d’une marge de soutien suffisante pour assurer le deuxième tour.
Huguette Bello s’est affirmée en tête des gauches au premier tour. Elle en fait une union qui s’est réalisée autour d’elle. Elle siégeait au Conseil régional dans l’opposition depuis 2010. Elle a renoncé en 2020 à son mandat de députée, dont la reconnaissance par les Réunionnais dépasse largement son parti, pour se consacrer à La Réunion. Elle venait de reconquérir Saint-Paul, la plus grande municipalité de l’île. Elle s’appuie sur son micro-parti, Pour les Réunionnais, créé depuis qu’elle a quitté le PCR en 2014 qui lui refusait l’investiture pour les élections municipales. Pour gagner la Région en 2021, l’alliance lui est absolument nécessaire. Sa liste fusionne avec celle d’Ericka Bareigts (maire Parti socialiste de Saint-Denis) alliée avec le Parti communiste réunionnais et de Patrick Lebreton (maire de Saint-Joseph) avec le soutien d’Olivier Hoareau (maire écologiste du Port). La France Insoumise lui apporte son soutien. Huguette Bello avait apporté le sien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017. Les clivages des gauches sont dépassés. Elle obtient une large majorité de 29 sièges sur 45 qui permet une gouvernance majoritaire.
Cependant, les voix de gauche ne se reportent pas toutes sur cette union. Vanessa Miranville (maire écologiste de La Possession), dont la liste se présente pour la première fois, ne donne pas de consigne de vote entre les deux tours. Elle fait valoir la différenciation de son offre politique qu’elle qualifie de « citoyenne » ainsi que de son électorat. Elle initialise un rôle souhaité d’arbitre, sinon de faiseur de majorité régionale, avec 9,91 % des suffrages.

Le vote est structuré par un clivage gauche-droite dynamique

La Région est une institutionnalisation bien appropriée par les partis politiques réunionnais depuis sa création en 1986. La Réunion n’a pas de mouvement indépendantiste. La revendication autonomiste était historiquement portée par le PCR. Ce projet n’est plus mis en avant depuis la présidence de Paul Vergès à la Région Réunion (1998-2010). Le PCR était devenu un parti de gouvernance régionale. Le clivage gauche-droite est surtout caractérisé entre familles de pensée libérale et sociale qui correspondent à des familles de gouvernance. La première tend à rester proche du gouvernement pour obtenir ses demandes. La deuxième cherche à s’affirmer vis-à-vis de l’Etat pour obtenir des compétences particulières. Mais la droite comme la gauche sont historiquement clivées à La Réunion et caractérisées par de fortes rivalités internes. De plus, l’implosion des partis traditionnels en 2017 a favorisé la multiplication des micro-partis. Tout cela ne doit pas masquer les efforts importants fournis par les partis pour reformer des unions électorales locales dans le contexte de cette recomposition politique à l’échelle nationale.
Le clivage gauche-droite qui apparait dans les résultats de ce scrutin régional cependant, est territorialisé. Les enjeux sectoriels y sont importants. Le rôle des sociétés civiles organisées dans la mobilisation de l’électorat peut s’avérer significatif comme dans le transport, le bâtiment, l’environnement ou encore les associations d’usagers par exemple. La gauche a gagné dans les communes les plus peuplées du littoral de l’Ile. Elle a fait une percée significative dans la deuxième ville de l’île, à Saint-Pierre, fief de la droite Les Républicains, divisés. Certes, il s’agit des zones les plus urbanisées qui concentrent les activités économiques et où la question de la mobilité est un enjeu crucial au quotidien (Rafidinarivo 2020). Mais ce sont aussi les villes rurales de ces communes, comme le souligne Huguette Bello elle-même. La droite l’emporte à Saint Denis, la capitale, pourtant fief du PS. La stratégie de candidature de Didier Robert aux municipales a donc dynamisé un électorat, nouveau ou fidélisé, d’une élection locale à l’autre. Mais il échoue à le transformer en victoire aux régionales. Toutefois, il met ainsi en brèche la stratégie de bastion. Il confirme une implantation électorale sur laquelle sa famille politique, si ce n’est sa personne, pourra s’appuyer aux échéances électorales nationales de 2022 : présidentielle et législatives.

La dynamique d’échelle territoriale

Les électorats se sont aussi recomposés depuis 2017. Deux catégories d’élections se distinguent dans le territoire : les élections à portée nationale et les élections locales. Au premier tour de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise) arrive en tête à La Réunion à 24,53 % avec une mobilisation du jeune électorat. Au deuxième tour, les Réunionnais votent très majoritairement pour Emmanuel Macron (En Marche !) à 60,25 %. Aux Européennes de 2019, la liste Prenez le pouvoir soutenue par Marine Le Pen (Rassemblement national) arrive en tête dans toutes les communes de La Réunion à 31,24 % de façon inattendue. Le point commun est qu’aucun de ces trois partis ne se sont véritablement implantés à La Réunion jusqu’à ce jour. Il existe donc des dynamiques fortes de l’électorat qui ne sont pas forcément celles des dynamiques d’implantation partisane locale. De plus, elles dépendent clairement de la mobilisation par type d’électorats. Elle a été forte contre l’extrême-droite à la présidentielle de 2017. Elle a fait gagner celle-ci aux Européennes de 2019 alors que 69,31 % de l’électorat s’abstenait.
Ce taux d’abstention très élevé a-t-il été la conséquence de la forte mobilisation des Gilets Jaunes à La Réunion en 2018 ? Elle avait été très virulente contre les élus de tous bords et particulièrement de la Région. Le lien entre ce rejet et cette défiance avec le vote aux élections européennes est difficile à établir. Cependant, il est aussi à mettre en perspective avec la percée du Front national en Outre-mer à l’élection présidentielle de 2017 où il arrive en tête de l’ensemble des votes ultramarins (Rafidinarivo 2017). Peut-on relier celle-ci à la tendance observée depuis plusieurs mandatures à l’échelle nationale du basculement d’une partie du vote de gauche vers le Front national (Perrineau 2017) ? Une enquête approfondie sur le vote réunionnais serait nécessaire pour y répondre. Toujours est-il que c’est aux municipales de 2020 que chaque leader politique local s’efforce à la survie politique en s’appuyant sur la proximité, les micro-partis et leur financement. Didier Robert, président de région en exercice, est élu conseiller municipal à Saint-Denis avec une campagne de terrain plus sociale que le thème du grand projet de la Nouvelle route du littoral. La gauche fait une percée aux municipales, Huguette Bello est à nouveau élue maire de Saint-Paul. Les élections aux intercommunales ont permis d’identifier les rapports de force et les compatibilités en termes de gouvernance, surtout sur les questions d’aménagement du territoire et de justice sociale. Le rôle des maires dans la campagne électorale de chaque famille politique est renforcé. Mais les rivalités sont fortes dans chacune d’elle. Les régionales de 2021 ont donc nécessité l’effort d’unions qui ont abouti à l’Union du centre et de la droite avant le scrutin d’une part et d’autre part, plus tardivement entre les deux tours, à l’Union des gauches et la mobilisation de l’électorat qui a remporté la victoire.

c • Partis en tête au second tour de l’élection de 2021

Quelles mises à l’échelle nationale ?

« Cette victoire a incontestablement un retentissement national » affirme Huguette Bello dans son discours à l’issue des résultats du vote aux Régionales de juin 2021. Elle n’envisage pas sa candidature à l’élection présidentielle comme Valérie Pécresse réélue Présidente de Région en Ile de France ou Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France. Le succès électoral de sa démarche d’Union des gauches serait, un signe du changement, de la possibilité de victoire, même tardive, d’une union électorale par les partis et par les électorats. Elle serait un test ou une preuve de victoire par la mise en œuvre d’une volonté d’alliance, de fusion ou de coalition pour le deuxième tour. A vrai dire, c’est aussi ce que l’Union des droites a fait à La Réunion. Il s’agit ainsi de la transformation des stratégies perdantes en gagnantes. Mais au final, ce n’est pas tant le candidat que l’électorat le plus motivé qui a gagné.
La présidente de la Région Réunion, Huguette Bello, soutient la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Elle présente cela comme un soutien entre progressistes qu’elle argumente longuement en choix et valeurs politiques aux Amphis de la France Insoumise. Le Président du département de La Réunion, Cyrille Melchior du parti Les Républicains réélu aux départementales 2021, a annoncé le sien à Emmanuel Macron. Il avait soutenu Valérie Pécresse au Congrès d’investiture de la candidate LR à la présidentielle. Il argumente son soutien à Emmanuel Macron en « reconnaissance » pour la prise en charge du paiement du RSA par l’Etat central depuis 2021. Cette recentralisation augmente ainsi de façon significative les moyens d’action du département. L’élection présidentielle apparaît aussi comme la construction d’un rapport de forces territorial par les acteurs politiques locaux, leaders d’opinion et en l’occurrence, entre les collectivités territoriales. A l’échelle nationale, le contexte de la recomposition électorale est marqué par la fracture de l’extrême droite entre la candidature de Marine Le Pen et celle d’Eric Zemmour. A l’heure où la liste officielle des candidats est arrêtée, les candidats de gauche n’ont pas organisé d’union électorale. La compétition semble très serrée pour accéder au deuxième tour sauf pour Emmanuel Macron. Celui-ci a annoncé sa candidature par une « Lettre aux Français », le 3 mars en ligne et le 4 mars dans toute la presse régionale française. Depuis le contexte du début de la guerre en Ukraine, tous les sondages l’annoncent largement gagnant de l’élection présidentielle d’avril 2022. La France assure jusqu’en juin 2022 la présidence de l’Union européenne.

Références

Foucault, M. (2021, juillet). Evolution du vote régional outre-mer 2015-2021. FOROM n°1.
Perrineau, P. (2017). Cette France de gauche qui vote FN. Paris : Seuil.
Rafidinarivo, C. (2017, juin). Dynamique de la recomposition politique : la fin du bipartisme d’alternance. Analyse comparée des votes Outremers et France entière de la présidentielle 2017. Note ENEF 41 (Enquête Electorale Française), Sciences Po CEVIPOF.
Rafidinarivo, C. (2020, avril). Note de recherche Forum Vies Mobiles La Réunion, Paris : Forum Vies Mobiles.

Notes

  1. Didier Robert a déclaré le 26 octobre 2021 se retirer de la vie politique. Son avocat a annoncé le 17 décembre 2021 son renoncement à faire appel à sa condamnation du 21 mai 2021 à quinze mois de prison avec sursis et trois ans d’inéligibilité.
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Christiane Rafidinarivo, Élections régionales à La Réunion, 20-27 juin 2021, Groupe d'études géopolitiques, Mar 2022, 84-88.

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