Bulletin des Élections de l’Union Européenne
Entretien avec Ellen Ueberschär (Fondation Heinrich-Böll, Verts)
Issue #1
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Issue #1

Auteurs

Ellen Ueberschär

21x29,7cm - 107 pages Issue #1, Septembre 2021 24,00€

Élections en Europe : décembre 2020 – mai 2021

Comment envisagez-vous l’UE en 2030 ? Où voyez-vous le plus grand besoin de réforme ? Quelles modifications des traités de l’Union européenne proposez-vous ?

En 2030, l’Union européenne sortira plus forte des crises des années 2020. La Conférence sur l’avenir de l’Europe lui aura donné un nouvel élan. L’UE se présentera comme une union fédérale qui renforcera et garantira les droits démocratiques et sociaux de ses citoyens et défendra de manière cohérente l’État de droit et le pluralisme démocratique, tant au niveau interne qu’au niveau mondial — ce qui constitue une idée centrale et un motif fondateur de l’Union. La situation interne de l’Union en 2030 renforcera son attractivité dans son voisinage, et l’intégration européenne aura encore progressé avec l’élargissement et l’approfondissement de l’UE. Le Royaume-Uni aura alors déjà déposé une nouvelle demande d’adhésion à l’UE. Grâce, notamment, à une plateforme médiatique européenne commune et à une législation européenne sur les associations mise en œuvre de manière cohérente, l’UE 2030 sera fortement intégrée dans les réseaux de la société civile au niveau européen.

Les années 2020 seront décisives pour l’Union européenne ; la capacité de résilience et d’action de l’UE devra s’y révéler. Pour y parvenir, il est essentiel de formuler une réponse générale et cohérente aux multiples crises de notre époque : un « Green Deal » européen conséquent et détaillé aux niveaux municipal, national et européen permettrait de concevoir stratégiquement les transformations à venir à partir d’un modèle unique qui relierait sécurité sociale, écologie, renouveau économique et modernisation numérique, impliquerait le voisinage européen au-travers d’offres spécifiques et rendrait son efficacité et son indépendance à l’UE au niveau mondial. Ces attentes étaient également partagées par les citoyens allemands dans l’enquête de la Fondation Heinrich Böll « Européens, évidemment ! » publiée en juin 2021, dans laquelle deux-tiers des interrogés déclaraient attendre de l’UE un rôle actif et coopératif.
Pour plus de résilience, de crédibilité et de capacité d’action, l’UE dispose déjà, à traité égal, de nombreux instruments.

Le plus important est l’extension du vote à la majorité qualifiée, déjà ancrée dans la clause passerelle des traités européens (art. 48(7) TUE) ; celle-ci permettrait de surmonter les blocages politiques et de donner à l’UE une capacité de décision et devrait, dans le même temps, renforcer la participation du Parlement européen. En outre, le mécanisme de protection de l’État de droit adopté en 2020 offre la possibilité d’exiger de manière cohérente des mesures de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales tout en renforçant le contrôle parlementaire dans ce domaine. Le recours à ce mécanisme et son utilisation efficace pourraient être déterminants pour la coopération future avec certains États-membres à l’Est de l’UE.

Être résilient signifie également faire un pas audacieux vers l’union politique en termes de politique fiscale et sociale. Dans une enquête Eurobaromètre de 2021, 9 Européens sur 10 déclarent que l’Europe sociale est personnellement importante pour eux. L’étude « Européens, évidemment ! » de la Fondation Heinrich-Böll montre également que les citoyens font de la protection sociale dans l’UE une priorité — une tendance encore renforcée par l’augmentation des inégalités sociales et la hausse du chômage pendant la pandémie.

Une véritable union fiscale donnerait à l’UE la possibilité d’élaborer une politique économique et financière coordonnée. La pandémie de Covid-19 a démontré que l’idéologie de l’austérité et ses politiques d’économies implacables n’ont pas leur place dans une crise — transfrontalière — qui donne à la résilience des infrastructures sociales et environnementales une importance existentielle. Une union économique et fiscale doit aller de pair avec le renforcement de l’Europe sociale — passant, par exemple, par l’instauration des normes européennes communes en matière de travail et de droits sociaux, ainsi que par l’adoption d’une directive européenne garantissant une protection sociale élémentaire et des salaires minimums coordonnés dans tous les États membres de l’UE.

Sur quels partenariats (au sein du Conseil européen ou dans les familles de partis européens) le prochain gouvernement fédéral devrait-il s’appuyer pour concrétiser cette vision de la politique européenne ?

Pour façonner les politiques des prochaines décennies, il faut les aborder ensemble dans le cadre d’une alliance démocratique forte. Des transformations aussi majeures ont besoin des appuis les plus larges possibles dans le milieu politique comme au sein de la société civile afin de soutenir, façonner et mettre en œuvre le changement. Elles requièrent des alliances politiques et sociales à tous les niveaux — du niveau municipal au niveau européen et international. De nombreux acteurs au sein des différentes institutions se font aujourd’hui les défenseurs actifs d’une transformation verte et socio-écologique. Pour bâtir une Union européenne forte et capable d’action, la construction d’un compromis entre toutes les familles de partis démocratiques qui défendent l’avenir économique de l’Union est fondamental. Mais des concessions négociées entre les différents Etats membres et les institutions européennes sont également nécessaires.

Sur le plan politique, l’issue de l’élection présidentielle française de 2022 sera déterminante pour le partenariat franco-allemand en tant que moteur pour l’UE. Les années précédentes ont montré que la coopération entre Paris et Berlin était centrale pour la capacité d’action de l’UE — même si elle ne constitue pas le seul levier de progrès au niveau européen.

En matière de politique d’asile et de migration, il est possible qu’à court et moyen terme, l’UE doive s’appuyer sur une « coalition de bonnes volontés » pour parvenir à une politique d’asile durable et humaine. Tant que l’UE dans son ensemble est incapable d’agir sur la question de l’asile et de la migration et que les réformes entreprises sont édulcorées à l’extrême par la pratique d’une politique du plus petit dénominateur commun, les États « volontaires » doivent prendre leurs responsabilités en s’engageant dans une coopération accrue. Toutefois, il reste essentiel d’impliquer les États membres d’Europe centrale et de l’Est et de tenir compte de leurs perspectives.

Au niveau international, la pandémie a montré que l’UE avait besoin d’alliances mondiales et démocratiques, fondées sur la confiance et sur des valeurs communes, pour renforcer sa capacité d’action globale. Ceci concerne en premier lieu la relation transatlantique et avec le Royaume-Uni, mais aussi les alliances internationales comme l’Accord de Paris, l’OMS ou l’OTAN, pour n’en citer que quelques-unes.

Pour renforcer le projet européen, l’implication de ceux que ces changements toucheront le plus directement est incontournable — je veux parler des communes, de la société civile et des initiatives locales. Le dialogue entre les acteurs de la société civile ainsi qu’entre la société civile et la politique devra être structurellement renforcé au niveau transnational pour permettre la participation politique de tous les citoyens. Enfin, c’est aussi le soutien de la société civile qui renforcera la crédibilité de l’Union européenne, mettra en valeur le succès du projet européen, et apportera à l’Union une base de soutien au sein de la société en temps de crise.

Depuis l’élection de Joe Biden et Kamala Harris, les relations euro-transatlantiques font l’objet d’une reconfiguration du partenariat historique. Dans un contexte de pandémie mondiale, de crise économique et en présence d’autocrates adoptant des postures révisionnistes, il devient évident qu’une réponse courageuse nécessite des alliances internationales fortes. Il s’agit maintenant de concrétiser ces attentes d’un partenariat fort du côté européen, notamment dans les domaines de la protection du climat, de la démocratie et du renforcement de la société civile.
Pour atteindre l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050, une alliance politique transatlantique entre alliés démocratiques sur les questions climatiques est nécessaire. Cette alliance doit créer un cadre commun en matière écologique, sociale et économique et fixer de nouvelles normes, par exemple dans le domaine des technologies vertes. Avec la nomination de John Kerry au poste d’envoyé spécial pour le climat, les États-Unis ont fait un premier pas important dans ce domaine, qui est également un pas en direction de l’UE.
Au niveau de la société civile également, un partenariat européen-transatlantique renouvelé offre de nombreuses possibilités de coopération, notamment dans les domaines où les acteurs de la société civile sont déjà organisés en réseaux transatlantiques : c’est le cas dans les domaines de la justice climatique, de la démocratie de genre et de l’antiracisme. Il faut saisir ces opportunités en renforçant la coopération internationale entre la société civile et les acteurs communautaires.
En outre, l’Union européenne doit trouver des réponses claires face aux régimes autocratiques. Un exemple positif d’action conjointe et efficace est la liste de sanctions convenue entre l’UE, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada contre la Biélorussie. Pour construire une politique étrangère fondée sur des valeurs, le dialogue doit cependant rester une priorité tant que les lignes rouges ne sont pas franchies. Ces valeurs devront, à l’avenir, inclure des normes écologiques, et non seulement celles ayant trait aux droits de l’homme. Une politique étrangère fondée sur des valeurs, s’appuyant sur une alliance entre les démocraties : voilà qui permettrait de créer une plus grande indépendance vis-à-vis de la Chine et de la Russie en matière de commerce et d’infrastructures tout en fixant des conditions cadres claires pour la coopération. Parallèlement, les valeurs européennes doivent être renforcées et défendues au niveau international par l’UE, dont le rôle est celui d’un acteur global : cela inclut notamment la protection des acteurs de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme menacés ou persécutés, telle qu’elle devrait être accordée, par exemple, à de nombreux membres de l’opposition démocratique en Russie et en Biélorussie.

Quelles approches de politique étrangère l’UE devrait-elle adopter à l’avenir à l’égard des États-Unis, de la Chine et de la Russie ?

Quelle politique climatique souhaiteriez-vous pour l’UE ? Quel rôle l’UE doit-elle jouer en tant qu’acteur mondial dans le domaine du climat ?

La crise climatique exige que l’UE, mais aussi les décideurs politiques mondiaux, agissent rapidement et se concentrent sur les transformations structurelles indispensables pour atteindre la neutralité climatique et l’objectif de 1,5°. Le « Green Deal » européen de la Commission européenne représente une avancée importante vers la neutralité climatique d’ici 2050. En outre, en avril dernier, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a déclaré la loi allemande sur la protection du climat partiellement invalide, jugeant qu’elle était en partie incompatible avec les droits fondamentaux et qu’elle reporterait les dangers du changement climatique sur la jeune génération — une décision historique pour la « génération climat », et dont la portée est européenne.

L’UE doit maintenant agir de manière ambitieuse et mettre en œuvre ses propres objectifs selon une approche cohérente. Il s’agit, avant tout, de réfléchir ensemble au renouveau écologique, à la transformation numérique et à la restructuration éco-sociale de l’économie européenne. Le programme de reconstruction Next Generation EU pourrait ouvrir la voie à un renouveau écologique, à condition que les investissements sont systématiquement orientés suivant des critères écologiques et sociaux.

En outre, il est crucial de trouver des solutions qui permettent à l’Europe de faire sa révolution sur le plan énergétique, des mobilités ou encore de la production de chaleur. Aujourd’hui, le secteur de la mobilité représente encore 30 % des émissions de CO2 dans l’UE. L’Atlas européen de la mobilité publié par la Fondation Heinrich-Böll a démontré le potentiel que recelait le développement d’une infrastructure écologique durable en Europe, notamment sous la forme d’un réseau de trains de nuit. L’hydrogène vert issu des énergies renouvelables devra également jouer un rôle dans la restructuration des grandes industries. Enfin et surtout, l’UE doit parvenir à penser son action politique, dans tous les domaines, de manière cohérente, écologique et collective – ce qui nécessite également une réforme fondamentale de la politique agricole commune de l’UE.

Si l’UE élabore ses politiques dans un esprit de respect du climat et de durabilité, elle peut également jouer un rôle de pionnier au niveau mondial : dans le cadre du partenariat transatlantique, elle pourrait participer à créer une zone transatlantique climatiquement neutre qui établirait de nouvelles normes globales — par exemple, par une taxation commune du CO2, des critères commerciaux coordonnés et la promotion de technologies nouvelles et vertes pour la protection du climat.

Pourvu qu’elles mettent en place les forums nécessaires à un tel échange, les démocraties alliées peuvent beaucoup apprendre les unes des autres en matière de protection du climat : mise en œuvre la transition énergétique dans les villes, réformes agricoles dans les régions rurales, conception de villes intelligentes ou développement d’un réseau européen de trains. À cet égard, la relance du Conseil de l’énergie États-Unis-UE, une « Clean Energy Bank » ainsi qu’une coordination conjointe des démocraties lors des conférences des Nations unies sur le climat pourraient constituer des jalons importants pour la coopération internationale à venir.

Quelles perspectives européennes sont nécessaires pour la prochaine génération d’Européens, notamment au vu des effets de la pandémie de Covid-19 ?

Dans une période de crises à la fois économiques, sanitaires, de l’État de droit et climatiques, il est de la responsabilité de l’Union européenne de bâtir un avenir dans lequel la jeune génération pourra mener une vie autonome — une vie qui vaille la peine d’être vécue. Or, leurs perspectives ne sont toujours pas suffisamment entendues, leurs revendications pas suffisamment prises en compte. C’est ce que démontre non seulement le mouvement climatique mondial Fridays for Future, mais aussi les mobilisations féministes ou le mouvement Black Lives Matter. Ces mouvements exigent la mise en œuvre de grandes promesses démocratiques : une représentation politique et sociale égalitaire de la société dans sa diversité, des possibilités de participation pour tous, ainsi que des politiques qui s’attaquent sérieusement à la crise climatique et aux inégalités structurelles.

C’est pourquoi l’Union européenne doit se concentrer sur les jeunes et leur donner une place centrale à la table des négociations. Les mesures prises pour contenir la pandémie, de la fermeture des écoles à la stratégie de vaccination, ont montré que la jeune génération n’est pas au centre des préoccupations des décideurs politiques. La pandémie a clairement révélé les lacunes de l’infrastructure sociale, notamment au plan scolaire. Il est donc d’autant plus important d’offrir aux jeunes des perspectives pour lutter contre ces inégalités sociales croissantes, en donnant à chacun la même opportunité de mener sa vie et son éducation de manière autonome.

Il s’agit notamment de créer des opportunités de participation et d’accroître la représentation des jeunes, des femmes et des personnes de couleur au niveau de la société civile, de la politique et des institutions. Il est tout aussi important de renforcer et de systématiser la participation des jeunes et de la société civile dans les processus de prise de décision politique — comme cela a déjà était fait, par exemple, au travers de la mise en place du Conseil citoyen pour le climat en Allemagne, ou via l’implication de militants pour le climat dans la conception de l’agenda climatique de Biden. Enfin, l’Union européenne doit avoir pour objectif, dans le cadre d’un processus démocratique, de rendre ses politiques d’aujourd’hui viables pour les générations de demain.

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Ellen Ueberschär, Entretien avec Ellen Ueberschär (Fondation Heinrich-Böll, Verts), Groupe d'études géopolitiques, Sep 2021, 103-106.

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