Revue Européenne du Droit
La réponse du Royaume-Uni au Covid-19 : un paradoxe comportemental ?
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Auteurs

Anne-Lise Sibony

21x29,7cm - 80 pages Issue #0, juin 2020 12,90€

Le droit au temps du coronavirus

La diversité des réponses à l’épidémie de Covid-19 entre les pays – tant au niveau international qu’au sein de l’Union Européenne (UE) – est considérable et l’absence de réponse coordonnée au niveau de l’UE est critiquée 1 . Dans le cadre de cette expérience impliquant différentes politiques nationales, la voie la plus singulière est celle choisie initialement par le Royaume-Uni et dans laquelle les Pays-Bas ont persisté. Au lieu d’essayer d’éviter autant que possible la contamination par des mesures drastiques telles que le confinement précoce, la stratégie a été, dans un premier temps, d’encourager l’immunité collective 2 . Au Royaume-Uni, ce choix politique a été présenté comme étant fondé à la fois sur l’épidémiologie et les sciences comportementales 3

« Fatigue comportementale », une expression peu connue qu’on peut difficilement trouver, même dans le manuel le plus complet 4 , est soudainement devenue célèbre (probablement pour une courte durée) 5 . La proposition consistait à dire que les individus se fatigueraient de rester chez eux et que le confinement serait donc inefficace. Aux Pays-Bas, le Premier ministre a annoncé des principes souples de distanciation sociale, et bien qu’il n’ait pas explicitement fait de référence à un quelconque apport comportemental dans la prise de décision, c’est pourtant très probable qu’il y en ait eu un 6 . Les premières initiatives de ces deux gouvernements ont suscité le doute et nombreux sont ceux qui les ont trouvées choquantes.

L’association entre l’influence du comportement dans la décision politique et la décision de laisser le virus se propager en s’abstenant d’ordonner le confinement est malheureuse, mais elle est là. « Comment un gouvernement pourrait-il se contenter de simples incitations face à un grave danger ? », se sont demandés légitimement les observateurs 7 . Alors que seule la Suède en Europe s’est contentée d’encourager les gens (même les Pays-Bas ont ordonné la fermeture des écoles et des bars), cet épisode particulier de la saga mondiale de coronavirus donne à réfléchir aux analystes qui s’intéressent au comportement. C’est l’occasionde réfléchir à la place qu’il convient d’accorder à la connaissance des comportements dans les choix politiques difficiles.

I. Des choix difficiles

La tentative de lutter contre le virus à travers le confinement semble avoir dans l’ensemble fonctionné d’un point de vue sanitaire. Pour autant qu’on puisse en juger, il semble que cela ait fonctionné en Chine 8 . Le confinement présente toutefois l’inconvénient d’être extrêmement n’a pas toujours permis d’éviter un nombre de cas suffisamment important pour submerger même les systèmes de santé, même les mieux dotés financièrement 9 . Cela signifie non seulement que de nombreuses personnes meurent, y compris des professionnels de santé surmenés et fatigués, mais aussi que des choix moralement contestables doivent être faits. En outre, il sera peut être nécessaire de renouveler le confinement si une nouvelle vague de contamination arrive après que les mesures se soient assouplies, ce qui est tout à fait possible en l’absence d’immunité collective 10

La méthode de l’atténuation des risques, en revanche, vise à créer précisément une telle immunité collective. Elle consiste à limiter l’isolement aux groupes plus exposés au risque de développer des symptômes graves et à laisser le virus infecter de larges pans de la population restante. Cette stratégie permet de limiter les perturbations sociales et économiques, mais elle présente l’inconvénient que les personnes les plus à risque soient mal identifiées, ce qui entraînerait des décès qui auraient pu être évités par des mesures plus drastiques. Comme The Economist le résumait, « la vérité amère est que l’atténuation des risques coûte trop de vies et que le confinement peut être économiquement non viable » 11 .

En effet, il a été estimé, lorsque le choix a été fait d’opter pour l’immunité collective, que 80% de la population britannique serait infectée, ce qui entraînerait, possiblement un demi-million de décès 12 . D’autre part, l’INSEE a calculé que la production a chuté de 35% en raison du confinement 13 , ce qui signifie que chaque mois de cette politique coûte trois points de PIB 14 .

Choisir la bonne politique dans ces circonstances est un défi pour de nombreuses raisons, en commençant par un problème de connaissance à multiples facettes : nous n’avons qu’une connaissance partielle du virus, de son mode de transmission exact et de la manière dont l’immunité se construit ou des médicaments qui pourraient aider. Il n’y a ni assez de données 15 ni assez de temps pour mener des analyses coûts-avantages (en laissant de côté les préoccupations éthiques concernant la moralité utilitaire et la réticence à mettre un prix sur les vies) 16 . Même l’analyse des risques semble avoir été négligée. En plus de tout ce que nous ne savons pas, il y a des contraintes logistiques liées à la production d’équipement de protection, de solution hydroalcoolique ou de respirateurs artificiels. Il existe des valeurs contradictoires et certains compromis sont de plus en plus importants, comme l’équilibre entre la santé et la vie privée 17

Enfin, l’épidémie n’arrête pas la politique : il suffit de se rappeler comment la France a organisé le premier tour des élections municipales pendant la première semaine de confinement après que le Président de la République ait cédé à l’opposition du Président du Sénat 18 ,  ou comment le Premier Ministre Orbán utilise le virus pour faire avancer son programme politique d’une emprise toujours plus forte sur les institutions hongroises 19 . Outre les incertitudes scientifiques, les compromis douloureux et les contraintes économiques et logistiques, les décideurs politiques doivent également tenir compte des facteurs comportementaux.

II. Des dimensions comportementales

Il est évident que le comportement des citoyens influe sur la manière dont le virus se propage. Faire en sorte que les gens se comportent d’une certaine manière peut littéralement sauver des vies. En d’autres termes, les enjeux n’ont jamais été si élevés lorsqu’il s’agit d’intégrer des connaissances comportementales dans la conception des politiques.

Pourtant, il est difficile de viser juste, car les changements de comportement nécessaires sont considérables, mais aussi parce que les gouvernements sont soumis à une pression intense pour prendre des décisions rapides, sous plusieurs voiles d’incertitude et dans un contexte caractérisé à la fois par une peur et un optimisme Toutes ces circonstances offrent un terrain fertile pour les biais et les erreurs.

1. Promouvoir un comportement sûr : un terrain naturel pour la connaissance des comportements

En l’absence de traitement ou de vaccin, le seul moyen de ralentir la progression du virus est de changer de comportement. Un tel changement doit se faire en liaison avec des comportements conscients, comme sortir ou se laver les mains ; avec des comportements conscients mais habituels, comme saluer les gens ou se tenir près d’eux ; et avec surtout de nombreux comportements inconscients, comme le fait de se toucher le visage 20 . Initier de tels changements à grande échelle n’est pas du ressort habituel des gouvernements, pas plus que la régulation de l’interaction micro-sociale, n’est en principe l’objet du droit.

Pourtant, en l’absence d’un vaccin et en présence de controverses sur l’efficacité des médicaments existants, les « interventions non-pharmaceutiques » sont, au départ, les outils les plus importants à employer pour protéger la santé des populations (en laissant de côté les risques sanitaires indirects générés par la perte de revenus au fil du temps) 21 . Les choses évoluent rapidement : certains gouvernements ont autorisé l’utilisation de médicaments antiviraux existants dans les hôpitaux, un tribunal français a ordonné aux autorités sanitaires de faire des stocks de ces médicaments 22 et un vaccin pourrait être en vue 23 . Il n’en reste pas moins que les facteurs comportementaux sont cruciaux et il ne fait guère de doutes que cette dimension a sa place dans la conception des politiques.

D’une manière générale, le contexte est favorable à une telle approche, car les gouvernements de nombreuses régions du monde se sont de plus en plus tournés vers l’expertise comportementale au cours de la dernière décennie 24 . Le prix Nobel d’économie 2019 a été décerné à des chercheurs qui ont démontré la puissance d’interventions apparemment modestes pour améliorer la santé et le bien-être en utilisant des essais contrôlés randomisés, les mêmes essais expérimentaux que ceux qui sont préconiser pour tester les interventions comportementales 25 .

En outre, et malgré les controverses entre universitaires sur le paternalisme libertaire, des données empiriques préliminaires suggèrent que les européens sont favorables à l’utilisation des nudges lorsqu’ils approuvent l’objectif politique sous-jacent et si les gouvernements adhèrent aux règles de base de la « bonne gouvernance du Nudge 26 » 27 (les données manquent encore pour savoir si ces conclusions s’appliquent également aux politiciens britanniques) 28 .  Dans ce contexte, pourquoi l’annonce initiale d’interventions ins-pirées par une approche comportementale s’est-elle heurtée à de vives critiques 29 .

2. Objections à la réponse du Royaume-Uni : la science du comportement de pacotille

Pour clarifier, l’objection n’était pas dirigée contre l’adoption de mesures inspirées par une approche comportementale en tant que telle en tant que tel ; ce qui était critiqué était la non-adoption (à l’époque) de mesures strictes de distanciation sociale. La critique ne visait pas non plus les recommandations comportementales spécifiques qui ont été émises, telles que les conseils sur la manière d’arrêter de se toucher le visage 30 ou sur la meilleure façon de pousser les gens à se laver les mains efficacement 31 . De telle recommandations ont un coût peu élevé et peuvent aller dans la bonne direction ; personne ne s’y oppose.

Le reproche consistait à dire que les arguments comportementaux présentés comme soutenant la décision d’attendre plutôt que d’adopter des mesures drastiques était mal fondée. La crainte que la « fatigue comportementale » – comme l’a appelée le gouvernement britannique – pourrait s’installer et de miner l’efficacité d’un confinement car les gens commenceraient à violer la recommandation de rester à la maison peut être intuitivement plausible, mais les spécialistes du comportement disent que ce n’est pas un phénomène comportement documenté 32 . Ne pas adopter un confinement qui pourrait sauver des vies en se basant sur la simple intuition que les gens pourraient s’en lasser ne constitue pas une politique comportementale fondée sur des preuves.

3. Des phénomènes comportementaux multiples

Il est important de noter qu’on ne sait pas très bien pourquoi la fatigue comportementale a été mise en exergue alors que d’autres phénomènes comportementaux mieux documentés pourraient, avec une probabilité et une distribution tout aussi inconnues, être présents et soit alimenter ce phénomène soit le contrecarrer 33 . Outre la fatigue comportementale, le non-respect des mesures de distanciation sociale pourrait être le résultat du biais d’optimisme, qui peut amener les gens à croire qu’ils sont peu susceptibles de contracter une maladie 34 .

Une autre cause potentielle de non-respect des exhortations à rester chez soi est la réactance : c’est-à-dire un appétit à faire le contraire de ce qu’on nous dit lorsque nous avons le sentiment que notre liberté de choix est limitée. Il est clair que le niveau de base de la réactance dans une population est un trait culturel. Des preuves anecdotiques suggèrent, par exemple, qu’il est plus faible en Belgique qu’en France, où les Parisiens ont afflué en masse dans leurs maisons de vacances la veille du confinement, se frayant un chemin à coups de coude dans des gares bondées pour monter dans un TGV tout aussi bondé. L’augmentation ou la diminution de la réactance par rapport au niveau de référence est vraisemblablement influencée par le comportement des responsables politiques et autres personnalités publiques 35

A cet égard, il est frappant de voir comment Boris Johnson, Donald Trump ou Emmanuel Macron ont sapé le message officiel de distanciation sociale en serrant des mains publiquement, en assistant à des réunions ou en visitant des usines, tandis qu’Angela Merkel et Sophie Wilmès, la Première ministre belge, ont donné l’exemple dès le début. La réactance peut aussi être atténuée en ciblant différents sous-groupes 36 , comme les jeunes, ce que certains gouvernements ont fait par le biais de campagnes dans les médias sociaux soulignant que s’occuper des personnes âgées, c’est « cool ». La réactance peut également être atténuée en faisant participer les citoyens à l’élaboration des politiques 37 .

Si cela peut sembler difficile à première vue dans une situation d’urgence, il est également vrai qu’une communication désastreuse provoque des décès, et que prendre un peu de temps pour aider les décideurs à saisir l’humeur de la population peut en fait être du temps bien utilisé.

D’autre part, la fatigue comportementale peut être compensée par la peur de la maladie. La peur est connue pour être un puissant facteur de motivation, bien que, là encore, nous manquions de données directement pertinentes dans le contexte actuel 38 . Il est important de noter que les arguments comportementaux solides en faveur de l’application du confinement et de la distanciation sociale par le biais de la loi (plutôt que de simples recommandations) semblent avoir été trop peu pris en compte. Tout d’abord, nous avons tous des voix contradictoires dans notre esprit : la voix des décisions émotionnelles rapides et intuitives veut que nous allions voir des amis et la voix de la décision raisonnée qui pèse le pour et le contre de manière rationnelle et argumentée et conclue que ce n’est pas raisonnable. Et nous savons lequel des deux gagne habituellement (c’est ce qu’on appelle la théorie du double système de pensée) 39

C’est pourquoi il est bon de soulager les gens du fardeau de prendre eux-mêmes des décisions quant à savoir s’ils peuvent ou non voir des amis en dehors du cercle familial 40 . Une fois que « rester à la maison » devient la loi plutôt qu’une recommandation, la conformité volontaire pour-rait être le résultat de la reconnaissance par les citoyens par les citoyens de la fonction expressive de la loi 41 . Cela peut être un mécanisme plus fiable que le recours aux normes sociales lorsque la norme sociale n’est pas bien établie 42 .

En d’autres termes, il existe des phénomènes comportementaux qui vont dans des directions différentes et nous n’en savons tout simplement assez sur ces arbitrages comportementaux 43 .  Il est fort possible, que les différences individuelles soient importantes et que l’effet net de ces phénomènes dépende au moins en partie sur la démographie. A titre d’illustration, une enquête belge suggère que 25% de la population et pas moins de 44% des 18-21 ans n’observe pas les mesures de distanciation sociale 44 .  En vérité, les sciences comportementales et sociales aident à formuler de nombreuses hypothèses sur les leviers psychologiques et sociaux qui pourraient entraîner des risques mais aucune preuve concrète directement pertinente pour les politiques. Rendre la « fatigue comportementale » le seul élément saillant pour justifier d’une politique minimaliste semble tout simplement hasardeux. Pourquoi, alors, la « fatigue comportementale » a-t-elle eu l’honneur de figurer comme justification politique ?

4. Une explication comportementale ?

L’accent mis sur un phénomène comportemental obscur et non documenté (qui pourrait néanmoins bien exister) pourrait-il être un exemple de renforcement en groupe dans le processus décisionnel ? Le rapport 2018 de l’équipe Behavioural Insights Team (BIT) intitulé Behavioural Government (le manuel de la UK Nudge Unit pour la débiaiser des gouvernements) explique que cette forme de pensée de groupe se produit lorsque les gens s’autocensurent et se conforment à l’opinion de la majorité du groupe 45 .  Est-ce que l’immunité collective est apparue comme la meilleure candidate pour un consensus entre experts médicaux ? Pourrait-elle avoir reçu un subtil coup de pouce (les britanniques « keep calm and carry on ») ? La pression du temps était-elle si forte que tout ce qui pouvait sembler permettre d’accorder l’approche comportementale avec les autres disciplines représentées dans le groupe d’experts a été privilégié ?

Le fait qu’il n’y ait pas eu de réponse à la lettre ouverte de l’association des scientifiques suggère que ce n’est pas la meilleure approche comportementale que l’on puisse offrir à l’élaboration des politiques en général ou à la réponse au Covid-19 en particulier. La UK Nudge Unit se retrouve peut-être dans la position de l’arroseur arrosé, mais il faut reconnaître que l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes est exceptionnellement difficile à mettre en œuvre lorsqu’il y a très peu de données et encore moins de temps pour rassembler les preuves. Une autre explication du choix initial de l’immunité collective plutôt que le confinement précoce est l’effet de cadrage 46 .

Dans une expérience célèbre qui trouve une résonance toute particulière dans le contexte actuel, Kahneman et Tversky ont montré que les décisions relatives aux risques sont influencées par la façon dont ce choix est présenté.  Dans cette expérience, les sujets sont informés qu’une communauté est confrontée à une maladie asiatique inhabituelle qui va tuer 600 personnes. Pour combattre la maladie, le premier groupe pouvait choisir entre deux options : l’option A consistait en un traitement qui permettrait de sauver 200 personnes et l’option B en un traitement qui avait 33% de chances de sauver 600 personnes mais 67% de chances de n’en sauver aucune. L’option A a été largement majoritaire (choisie par 72% des sujets).

Un deuxième groupe s’est vu présenter le même choix, mais présenté dans un cadre différent. Ce groupe devait choisir entre l’option C, qui n’entraînerait la mort que de 400 personnes, et l’option D, caractérisée par une probabilité de 33% que personne ne périsse et une probabilité de 67% que les 600 personnes meurent. Cette fois-ci 72% des personnes interrogées se sont prononcées en faveur de l’option D qui est équivalente à l’option B.

En d’autres termes, lorsque le même choix (entre un événement certain et une option probabiliste ayant une utilité attendue identique) était formulé différemment, les préférences des personnes en matière de risque étaient inversées. Dans le cadrage positif (nombre de vies sauvées dans les options A et B), les sujets préféraient la certitude mais dans le cadrage négatif (nombre de décès dans les options C et D), ils étaient prêts à prendre des risques. 

Il a été démontré que les responsables politiques ne sont pas à l’abri des effets du cadrage : eux aussi sont prêts à prendre plus de risques pour éviter des décès que pour sauver des vies (même si les chiffres rendent les options équivalentes) 47 .

Dans le contexte actuel, nous entendons et lisons constamment parler du nombre de décès dus au virus : le cadrage est clairement négatif. La théorie des perspectives prévoit que cela conduira à une prise de risque accrue. Hélas, les premières décisions visant à retarder une stricte distanciation sociale – qu’elle soit habillée ou non d’arguments comportementaux – peuvent illustrer cette prédiction. La prise de risque économique ressentie peut être aussi aussi de cette explication.

Nous vivons une expérience naturelle : les Etats-nations du monde entier et de toute l’Europe ont élaboré différentes réponses politiques à la pandémie de Covid-19, allant des français et des espagnols enfermés aux suédois vivant en liberté. Dans les mois à venir, des données montreront quelles stratégies ont été les plus efficaces, les plus rentables et les plus socialement acceptées. Mais c’est aussi un exemple de la manière dont les gouvernements peuvent abuser des arguments comportementaux et ternir la réputation d’élaborer des politiques fondées sur des preuves solides. Ceux qui, en Europe, ont appliqué le plus efficacement les connaissances en matière de comportement ne sont peut-être pas ceux qui s’en vantent.

Notes

  1. A. Alemanno, « Europe Doesn’t Have to Be So Helpless in This Crisis », The Guardian, 26 mars 2020 : <https://www.theguardian.com/world/2020/mar/26/europe-doesnt-have-to-be-so-helpless-in-this-crisis> ; v. également la pétition appelant à une réponse coordonnée de l’UE : <https://thegoodlobby.eu/campaigns/covid19-europe-can-fight-it/>.
  2. S’il est vrai que la déclaration de Boris Johnson du 10 mars sur le fait de « de faire avec le virus et le laisser se propager dans la population » a été prise hors de son contexte (le Premier ministre a déclaré qu’il s’agissait « d’une théorie » et a ensuite exposé sa préférence), il n’en reste pas moins vrai que le Royaume-Uni a pris des mesures de distanciation sociale plus limitées que d’autres pays. La transcription complète de l’interview télévisé du Premier ministre est disponible à l’adresse suivante : <https://fullfact.org/health/boris-johnsoncoronavirus-this-morning>. De même, aux Pays-Bas, le Premier ministre Rutte a annoncé la stratégie néerlandaise de renforcement de l’immunité collective le 16 mars 2020 dans un discours télévisé (le premier d’un Premier ministre depuis la Seconde Guerre mondiale) : <https://www.rijksoverheid.nl/documenten/toespraken/2020/03/16/tv-toespraak-van-minister-president-mark-rutte>.  Le Premier ministre n’utilise pas l’expression « immunité collective », mais une distinction intéressante entre « contrôle maximum » (l’étiquette de la stratégie choisie de non confinement) et confinement.
  3. V. S. Boseley, “Herd Immunity: Will the UK’s Coronavirus Strategy Work?” The Guardian, 13 mars 2020, citant David Halpern, head of the Behavioural Insights Team : <https://www.theguardian.com/world/2020/mar/13/herd-immunity-will-the-uks-coronavirus-strategy-work> ; Institute for Government (UK) “Explainer” on the “Nudge Unit” : <https://www.instituteforgovernment.org.uk/explainers/nudge-unit>. Les conseillers du Groupe consultatif scientifique sur les urgences (SAGE) auprès du gouvernement comprennent « des épidémiologistes, des cliniciens, des virologistes, des modélisateurs mathématiques et statistiques, des biologistes moléculaires et des spécialistes des sciences sociales et comportementales ». C. Cooper and A. Furlong, “Going Viral: Boris Johnson Grapples to Control Coronavirus Message”, Politico, 16 mars 2020 : <https://www.politico.eu/article/going-viral-british-prime-minister-boris-johnson-grapples-to-control-coronavirus-covid19-message>.
  4. E. Zamir and D. Teichman, Behavioural Law and Economics, Oxford University Press, 2018.
  5.  N. Chater, “People Won’t Get ‘Tired’ of Social Distancing – The Government Is Wrong to Suggest Otherwise”, The Guardian, 16 mars 2020 : <https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/16/social-distancing-coronavirusstay- home-government>.
  6. Il ne s’agit pas seulement d’une présomption fondée sur le fait que le gouvernement néerlandais est parmi les plus conscients des comportements dans l’UE, mais plus précisément parce que l’Institut national néerlandais pour la santé publique et l’environnement, dont le rôle est de conseiller le gouvernement, bénéficie d’une expertise interne en matière de changement de comportement chez les cadres supérieurs et les employés.
  7. Le terme « nudge » a été popularisé par R.H. Thaler aer C.R. Sunstein, Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness, Yale University Press, 2008, qui la définissent comme « tout aspect de l’architecture de choix qui modifie le comportement des personnes de manière prévisible sans interdire d’options ou modifier de manière significative leurs incitations économiques ». Pour des clarifications utiles et une définition précise, v. P.G. Hansen, “The Definition of Nudge and Libertarian Paternalism: Does the Hand Fit the Glove?”, 7 European Journal of Risk Regulation 155, 2016 ; et A. Tor, “The Critical and Problematic Role of Bounded Rationality in Nudging” in K. Mathis and A. Tor (eds), Nudging – Possibilities, Limitations and Applications in European Law and Economics, Springer, 2016, pp 3–10; F. Esposito, “Conceptual Foundations of the Behavioural Analysis of Consumer Law in Europe” in H.-W. Micklitz, A.-L. Sibony and F. Esposito (eds), Research Methods in Consumer Law, Edward Elgar, 2018, pp 38–76.
  8. Ibid.
  9. Ibid., citant le rapport de l’Imperial College, qui prévoyait que la demande de pointe en matière de soins intensifs au Royaume-Uni serait encore huit fois supérieure à la capacité de pointe du Service national de santé britannique : Équipe d’intervention COVID-19 de l’Imperial College, “Impact of Non-Pharmaceutical Interventions (NPIs) to Reduce COVID-19 Mortality and Healthcare Demand”, 16 Mars 2020 : <https://doi.org/10.25561/77482>.
  10. European Centre for Disease Prevention and Control, Guide to Revision of National Pandemic Influenza Preparedness Plans – Lessons Learned from the 2009 A(H1N1) Pandemic, ECDC, 2017, p 15.
  11. “Paying to Stop the Pandemic”, The Economist, 19 mars 2020 : <https://www.economist.com/leaders/2020/03/19/paying-to-stop-the-pandemic>.
  12. Les chiffres sont publiés dans The Guardian, citant “a senior NHS official”. D. Campbell, “UK Coronavirus Crisis ‘to Last Until Spring 2021 and Could See 7.9m Hospitalised’”, The Guardian, 15 mars 2020 : <https://www.theguardian.com/world/2020/mar/15/uk-coronavirus-crisis-to-last-until-spring-2021-and-could-see-79m-hospitalised>.
  13. INSEE, “Point de conjoncture”, 26 mars 2020 : <https://www.insee.fr/fr/information/4471804>.
  14. G. de Calignon,  « Coronavirus : un mois de confinement représente une perte de 3 points de PIB annuel, selon l’INSEE », Les Echos, 26 mars 2020 : <https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/coronavirus-un-moisde-confinement-represente-une-perte-de-3-points-de-pib-annuel-selon-linsee-1189241>.
  15. Sur les sombres statistiques, v. D. Bessis, “Coronavirus: The Key Numbers We Must Find Out”, Medium, 26 mars 2020 <https://medium.com/@davidbessis/coronavirus-the-core-metrics-we-should-be-looking-at-2ca09a3dc4b1>.
  16. Pour une discussion et une explication des raisons pour lesquelles, aux États-Unis, une vie est évaluée à 9 millions de dollars, v. C. Sunstein, The Cost Benefit Revolution, MIT Press 2019, p 39.
  17. Les lois sur la protection de la vie privée devraient être « mises en pause » dans le cadre de la réduction des formalités administratives pour aider à lutter contre le coronavirus, écrivent les économistes du comportement S. Mullainathan et R. H. Thaler in “To Fight the Coronavirus, Cut the Red Tape”, The New York Times, 24 mars 2020 : <https://www.nytimes.com/2020/03/24/business/coronavirus-medicalsupplies-regulations.html>. A. Reenda, “Will Privacy Be One of the Victims of COVID-19”, CEPS, 23 mars 2020 : <https://www.ceps.eu/will-privacy-be-one-of-the-victims-of-covid-19/?mc_cid=d9dce71bc5&mc_eid=d5d54749b6>.
  18. M. Mourgue, “Coronavirus: Larcher s’est opposé auprès de Macron à un report des municipales”, Le Figaro, 12 mars 2020 : <https://www.lefigaro.fr/elections/municipales/coronavirus-emmanuel-macron-et-gerard-larchervont-s-appeler-pour-evoquer-les-municipales-20200312>.
  19. J. Dempsey, “Orbán Exploits Coronavirus Pandemic to Destroy Hungary’s Democracy”, Carnegie Europe, 31 mars 2020 : <https://carnegieeurope.eu/strategiceurope/81410>.
  20. Ces comportements inconscients sont les plus difficiles à combattre : <https://www.bi.team/blogs/how-to-stop-touching-our-facesin-the-wake-of-the-coronavirus>.
  21. Imperial College COVID-19 Response Team, “Impact of Non-Pharmaceutical Interventions (NPIs) to Reduce COVID-19 Mortality and Healthcare Demand”, supra, note 9.
  22. T.A. Guadeloupe, 28 mars 2020, Syndicat UGTG, no. 2000295.
  23. I. Efrati et C. Levinson, “Israeli Research Center to Announce It Developed Coronavirus Vaccine, Sources Say”, Haaretz, 18 mars 2020 : <https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-coronavirus-vaccine-israel-biologicalresearch-institute-develope-1.8665074>.
  24. Le Royaume-Uni a fait œuvre de pionnier en créant l’équipe Behavioural Insights Team en 2010. Depuis lors, de nombreux gouvernements du monde développé ont exploré le potentiel des interventions comportementales. Pour une enquête, voir OCDE “Behavioural Insights and Public Policy: Lessons from Around the World”, 2017 : <https://www.oecd.org/gov/regulatory-policy/behavioural-insights-and-public-policy-9789264270480-en.htm>. Soulignant les promesses de l’élaboration de politiques comportementales dans les pays en développement, v. World Bank, “World Development Report 2015: Mind, Society, and Behavior” : <https://www.worldbank.org/en/publication/wdr2015>. Au sein de la Commission européenne, l’expertise comportementale est dispensée par le Centre commun de recherche ainsi que par un nombre croissant de petites équipes au sein de la direction générale. Pour un aperçu de l’UE, voir J.S. Lourençco et al, « Behavioural Insights Applied to Policy : Rapport européen 2016 » : <https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/bitstream/JRC100146/kjna27726enn_new.pdf>.
  25. Le prix Nobel de sciences économiques 2019 a été décerné conjointement à Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer pour leur approche expérimentale de la réduction de la pauvreté dans le monde : <https://www.nobelprize.org/prizes/economicsciences/2019/summary>. Sur l’utilisation d’essais contrôlés aléatoires pour les interventions comportementales, v. Behavioural Insights Team avec B. Goldacre et D. Torgerson, “Test, Learn, Adapt: Developing Public Policy with Randomised Controlled Trials”, Cabinet Office The Behavioural Insights Team, 2013 : <https://www.bi.team/publications/testlearn-adapt-developing-public-policy-with-randomised-controlled-trials>.
  26. Les nudges sont des changements dans l’architecture de choix de nature à influencer les décision.
  27. L. Reisch, C. Sunstein et W. Gwozdz, “Viewpoint: Beyond Carrots and Sticks: Europeans Support Health Nudges”, 69 Food Policy 1, 2017 ; L. Reisch et C. Sunstein, Trusting Nudges: Toward a Bill of Rights for Nudging, Routledge, 2019, ch 6.
  28. Le secrétaire d’État à la santé, Jon Ashworth, aurait demandé à être rassuré sur le fait que l’approche du gouvernement n’était pas trop basée sur la science du comportement. H. Stewart and M. Busby, “Coronavirus: Science Chief Defends UK Plan from Criticism”, The Guardian, 13 mars 2020 : <https://www.theguardian.com/world/2020/mar/13/coronavirusscience-chief-defends-uk-measures-criticism-herd-immunity>.
  29. T. Yates, “Why Is the Government Relying on Nudge Theory to Fight Coronavirus?”, The Guardian, 13 mars 2020 : <https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/13/why-is-the-government-relying-on-nudge-theoryto-tackle-coronavirus>.
  30. M. Hallsworth, “How to Stop Touching Our Faces in the Wake of the Coronavirus”, BIT Blog, 5 mars 2020 : <https://www.bi.team/blogs/how-to-stop-touching-our-faces-in-the-wake-of-the-coronavirus>.
  31. M. Hallsworth, “Handwashing Can Stop a Virus – So Why Don’t We Do It?”, Behavioural Scientist, 4 mars 2020 <https://behavioralscientist.org/handwashing-can-stop-a-virus-so-why-dont-we-do-it-coronavirus-covid-19>; and M. Egan et al, “Bright Infographics & Minimal Text Make Handwashing Posters Most Effective – Result from an Online Experiment”, BIT Blog, 23 mars 2020 : <https://www.bi.team/blogs/bright-infographics-and-minimal-textmake-handwashing-posters-most-effective>.
  32. U. Hahn et al, “Why a Group of Behavioural Scientists Penned an Open Letter to the U.K. Government Questioning Its Coronavirus Response”, Behavioural Scientist, 16 mars 2020 : <https://behavioralscientist.org/why-a-group-ofbehavioural-scientists-penned-an-open-letter-to-the-uk-government-questioning-its-coronavirus-response-covid-19-social-distancing>.
  33. À ce jour, les grandes lignes des phénomènes comportementaux pertinents sont les suivantes P.D. Lunn et al, “Using Behavioral Science to Help Fight the Coronavirus”, 3 Journal of Behavioral Public Administration, 2020 : <https://doi.org/10. 30636/jbpa.31.147> et J.J. Van Bavel et al, “Using Social and Behavioural Science to Support COVID-19 Pandemic Response”, 24 mars 2020 : <https://psyarxiv.com/y38m9> (ci-après “Van Bavel”).
  34. E. Zamir and D. Teichman, Behavioural Law and Economics, supra, note 4, 61 ; Van Bavel, text at n. 8.
  35. S. Bhanot, “Why Are People Ignoring Expert Warnings? – Psychological Reactance”, Behavioural Scientist, 20 mars 2020 : <https://behavioralscientist.org/why-are-people-ignoring-expert-warnings-psychological-reactancecoronavirus-covid-19>. An anecdotal example is a clandestine café in Belgium: “Dour: un café clandestin installé dans une arrière-salle”, La Libre Belgique, 29 mars 2020 : <https://www.lalibre.be/regions/hainaut/dour-un-cafeclandestin-installe-dans-une-arriere-salle-5e80ae52d8ad58163186b3fb>.
  36. P. John, How Far to Nudge?, Edward Elgar, 2018, p 29.
  37. Ibid., p 125.
  38. D. DeSteno, “How Fear Distorts Our Thinking about the Coronavirus”, The New York Times, 20 February 2020 : <https://www.nytimes.com/2020/02/11/opinion/international-world/coronavirus-fear.html>.
  39. D. Kahneman, Thinking, Fast and Slow, Farrar, Straus and Giroux, 2011.
  40. A. Buttenhein, “Tradeoffs”, 12 mars 2020 : <https://tradeoffs.org/2020/03/12/cc-buttenheim>.
  41. Le hashtag #COVIDIOTS sur Twitter illustre le naming and shaming pour faire respecter en privé les nouvelles normes sociales.
  42. Sur les différentes normes sociales concernant le port d’un masque facial, v. “Coronavirus: Why Some Countries Wear Face Masks and Others Don’t”, BBC, 31 mars 2020 : <https://www.bbc.com/news/world-52015486>.
  43. Sur les compromis comportementaux, v. Y. Feldman et O. Lobel, “Behavioral Tradeoffs: Beyond the Land of Nudges Spans the World of Law and Psychology” in A. Alemanno and A.-L. Sibony, Nudge and the Law: A European Perspective, Hart Publishing, 2015, pp 301–24.
  44. “Coronavirus: 44% des jeunes de 18 à 21 ans ne respecteraient pas les mesures de confinement”, RTBF, 25 mars 2020 : <https://www.rtbf.be/info/societe/detail_coronavirus-le-confinement-une-tannee-chez-44-des-jeunes-de-18-a-21-ans-selon-test-achat?id=10467310>.
  45. M. Hallsworth et al, “Behavioural Government”, The Behavioural Insights Team, 2018 : <https://www.bi.team/publications/behavioural-government> (hereafter Behavioural Government)>.
  46. A. Tversky et D. Kahneman, “The Framing of Decisions and the Psychology of Choice”, 211 Science, 453, 1981.
  47. Behavioural Government, p 8.
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Anne-Lise Sibony, La réponse du Royaume-Uni au Covid-19 : un paradoxe comportemental ?, Groupe d'études géopolitiques, Juil 2021, 55-59.

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